Lost in thoughts
Feat Charlotte S. Laurens
J'suis fatigué. Épuisé, autant moralement que psychologiquement, et pourtant j'ai la nette sensation de ne pas être au bout de mes peines, peu importe à quel point je tourne le problème dans tous les sens. Je n'aime pas me plaindre, mais j'aimerais vraiment avoir le droit à une pause, peu importe quand. Je sais pourtant que je n'en ai pas encore fini, vu les difficultés des tâches qui m'attendent. J'aimerais avoir la possibilité d'arrêter le temps pour respirer et remettre mes pensées en place, mais je n'ai plus cinq ans : je ne peux pas décemment me permettre de faire attendre tout le monde. J'ai déjà assez accumulé d'erreurs comme ça. Peut-être est-ce aussi un peu pour cela que je viens de parler de toute cette histoire à Charlotte : je veux me forcer à avancer. Faire ce que j'avais à faire, dire ce que j'avais à dire, peu importe. Je crois que prendre cette claque, quelque part, m'a fait comprendre qu'il était temps que je cesse de constamment nier les vérités et de fuir à tout va. Si je ne me permettrai jamais de dire que c'était une bonne chose, je ne peux pas dire que je n'en ai rien tiré.
Je sais que j'ai beaucoup risqué, en lui disant la vérité. Qu'elle pourrait détruire la confiance que je lui ai confié en une seconde, et par là celle que je commence à laisser à l'humanité de manière générale. C'est effrayant, de lui laisser un tel pouvoir, et pour moi qui déteste que quiconque puisse avoir la possibilité de m'affecter d'une façon que je ne puisse pas contrôler, c'est bien pire. Je ne tremble pas, néanmoins. Les yeux fermés, j'expire tranquillement, en m'étonnant de me voir rester aussi calme malgré tout. Bah, je crois qu'à force, je n'ai plus l'énergie de paniquer. Il s'est passé tellement de choses depuis le début de cette année, en même temps... J'ai beaucoup perdu, j'ai gagné aussi, mais je redécouvre, surtout. J'ai l'impression de disposer d'un tout autre angle de vue, et je ne sais pas encore si il s'agit du bon, bien que ce serait arrogant que de croire véhément que j'ai la vérité absolue.
Je ne bouge pas lorsqu'elle saisit mes mains, me contentant de poser mon regard sur son visage qui cache difficilement le trouble qu'elle ressent. Mon expression s'adoucit et je souris tristement. Je savais qu'entendre tout ça ne serait pas facile pour elle, spécialement après le choc de tout à l'heure. Je suis un vrai égoïste, n'est ce pas ? Je la laisse parler, en gardant mon calme malgré le fait que ce qu'elle dit m'amuse, quelque part. J'ai l'impression de m'entendre, en fait, de voir le comportement exact que j'aurais eu si jamais j'avais été à sa place. Je lui en demande beaucoup, peut-être trop, mais c'est trop tard pour reculer maintenant. Ses mots font naître une lueur compatissante dans mes yeux, et je me surprends à serrer moi aussi ses mains contre les miennes, sans brutalité. J'ai bien senti que mes souvenirs touchaient les siens, sans que j'arrive pourtant à saisir quand. Je ne connais pas les détails, et je ne la pousserai jamais à quoi que ce soit, mais je ne peux pas m'empêcher d'être touché par sa confiance. Je ne sais que trop bien à quel point c'est dur : je ne vais donc certainement pas exiger cela.
Quand elle termine, je cligne des yeux pendant quelques secondes, interloqués par ce que je viens d'entendre. Ça, en revanche, je ne m'y attendais pas. Ce simple mot de notre langue natale veut pourtant dire tellement de choses que je ne parviens pas tout de suite à saisir ce qui s'est passé. Pour dire vrai, j'ai encore du mal à y croire. Maladroitement, je serre un peu plus ses mains. Mon visage paraît plutôt calme, mais c'est la sensation de chaleur agréable qui me parcoure la poitrine qui est plus sincère.
Puis, tranquillement, je me permets de passer l'un de mes bras contre elle pour la ramener vers mon torse, en lui laissant l'opportunité de s'éloigner si jamais elle le veut. Mon regard se perd dans le vide et je garde le silence pendant un long moment, plongé dans une contemplation paisible de l'extérieur par le biais de la vitre. L'orage gronde dehors, plus fort encore qu'avant, mais je n'ai jamais été effrayé par le tonnerre : comme n'importe quel élément naturel, je suis fasciné par lui. Puis, lentement, un maigre sourire tremblant se dessine sur mon visage. Je prends alors la parole, plus calme que je ne l'aurais cru.
« C'est t-toi, l'idiote, idiote. »Ma voix me fait balbutier. En même temps, je sens bien au vu du nœud d'émotion dans ma gorge que je ne parviendrai pas à tenir très longtemps : il faut donc que je reste bref. Malgré moi, je ne peux m'empêcher d'essayer de rester joueur dans ma réplique.
« D'où c'est toi l'ain-ainée, c'est moi le plus grand ! »Je n'ai pas vraiment vocation à être convaincant et je ne suis d'ailleurs pas sérieux pour un sou, mais c'est tout ce dont je suis capable pour l'instant. Je pense qu'elle comprendra : mon langage corporel le fait déjà, vu comment je la garde contre moi. Maladroitement, je m'essaie à un sourire qui, certes un peu cassé, ne manque pas de bonne intention.
C'est justement pour ça que je n'ai pas eu tort, pour une fois.Je ferme les yeux et inspire. Je crois que ce soir, je vais me laisser me reposer. La suite viendra plus tard : j'aurais le temps de la remercier lorsque le moment viendra, mais je ne compte pas oublier.