Si l’enfer ressemble à ce qu’ils sont en train de vivre en ce moment-même, alors Arceus a beaucoup d’humour. Pas que la situation soit à ce point désespérée qu’ils pourraient mourir ici, mais les ricanements du spectre, le fait d’avoir tant de mal à s’extirper de la serpillère, l’obscurité, et un des Pokémon paniqués qui chouinent, bah, tout ça, c’est assez glauque. Dans tout ce joyeux bordel, Julianne se retrouva d’une façon ou d’une autre à ramper par terre en espérant s’approcher des deux énergumènes en train de rire, plus précisément du Métamorph, qui semble cacher quelque chose dans sa chair élastique. Pendant ce temps, l’étudiant commença à gueuler des mots fortement peu flatteurs pour les familles et les pauvres grands-mères de leurs assaillants, avant de s’ attaquer au Fantominus.

Les choses se sont ensuite précipitées. En un instant, Julianne mit enfin la main sur le Métamorph après avoir vu ce dernier bondir en tous sens pour lui échapper et l’agacer elle aussi singulièrement. Avec un juron, elle lui reprit son portable qu’il cachait bien dans sa chair enroulée sur elle-même, et c’est à cet instant que l’autre lui tomba dessus, s’en suivit une joyeuse dégringolade, ouvrant sur son passage une porte, débouchant sur…

…On est au paradis?

Non, non, Julianne, pas encore. Vu le nombre de tronches alignées dans cette grande pièce, et ces regards de carpes muettes, c’est probablement l’antichambre du jugement dernier ou… Ah, non, c’est juste un amphithéâtre, ils ne sont ni morts, ni passés dans une autre dimension. C’est vrai qu’il y a un amphi, en bas de la bibliothèque.. Pourquoi n’y avaient-t-ils pas pensé plus tôt? Bref, ce n’est pas le moment de s’attarder là-dessus. Le camarade d’affiche de Julianne était déjà en train de tenter d’avancer quelques politesses pour excuser leur intrusion quelque peu imprévue.

« Oui, euh, euh on était, euh… »

Pourquoi j’ai pas le talent de baratineur de papa, pour ce genre de situation. Il aurait trouvé une excuse tellement possible dans l’absurdité que personne n’aurait rien dit. Ce serait bien qu’ils se lèvent, pour commencer. Julianne fit signe à l’autre de se lever pour ensuite faire de même, puis s’épousseta d’une attitude presque précieuse. Peut-être espère-t-elle rester digne, même si c’est un peu mort , là. Cobra et Greed sortirent à sa suite, et se cachère tout de suite derrière elle, intimidés par les regards rivés sur eux.

« Oui alors euh… Il y a eu un léger problème dans la bibliothèque et on a dû, euhm… bah, descendre pour sortir par là. C’est euh.. Rien de grave, me regardez pas comme ça… » Elle en vient à vraiment regretter ses subordonnés immatures et chahuteurs du PDT, par rapport à ces carpes. Ils pourraient rire, au moins. Enfin bon. « Bref, la porte était bloquée, on savait pas qu’on allait déboucher ici, et… et… »

Son regard croisa celui du prof, qui aurait pu les foudroyer sur place. Faut croire qu’il disait un truc vraiment foutrement intéressant, pour qu’il ait l’air rageur à ce point.

« Euuuuh… éhéhéhé… On va y aller, vous en faites pas. Au revoiiiiir… »

Elle secoua la tête pour intimer à l’étudiant de la suivre, tandis qu’elle longeait les murs pour prendre la fuite (façon de dire qu’elle se fait discrète tout en l’étant totalement pas), et que leur ascension vers la sortie lui semble prendre des heures.

Sans blague, Julianne aurait préféré être un Taupiqueur pour traverser l’amphithéâtre par les voies souterraines. Et éventuellement rester sous terre, en fait, ça aurait été bien, peut-être que dans un terrier, on sent un peu moins la honte nous accabler. En tout cas, ça marche à peu près avec les cabanes en couettes et en draps. Bref, après un chemin de croix iiiiinfini, les deux nerds étaient enfin sortis de l’amphithéâtre, les Pokémon de Julianne sur les talons, et en un seul morceau. Plutôt que ruminer leur honte, ils feraient mieux de se réjouir, oui. Dans ce moment gênant, chacun pris son temps pour redevenir moins rouge (dans le cas de l’étudiant), et pour laisser redescendre sa tension dans le cas de Julianne. Cobra et Greed, eux, étaient déjà partis jouer ailleurs, sans craindre les représailles de leur dresseuse s’ils en venaient à échapper à sa vigilance. Ses idées redevenues claires, l’ingénieure repensa à toute cette aventure un peu bizarre, de la fin vers le début, et se rendit compte qu’elle ne connaissait toujours pas le nom du type qui l’avait accompagné dans sa galère pendant plus d’une bonne heure.

« Euh, dites, au fait- »

Néanmoins l’autre avait déjà pris la parole et commençait à s’excuser pour tout ce qu’il venait de l’arriver. Honnêtement, même si elle est fort mal placée, elle secouerait bien les puces du gamin aux cheveux bordéliques pour lui faire comprendre qu’il n’est absolument pas fautif, mais bon, elle s’abstiendra pour cette fois.

« Vous… euh, faut pas vous excuser! Vous z’y êtes pour rien , enfin… » C’est vrai, en plus. Comment aurait-il pu savoir qu’ils se retrouveraient aplatis sur le plancher d’un amphithéâtre plein à craquer? « Et, oui, je l’ai retrouvé. »

Elle lui montra l’objet, avec un sourire en coin timide, histoire de l’aider à enterrer sa culpabilité. Si cela est possible. Toutefois, le jeune homme oublia bien vite le sujet pour passer à autre chose, en fait, pour revenir aux livres qu’ils devaient aller consulter. Eh bien, la situation devient d’autant plus absurde, si l’autre avait les livres sur lui depuis le début. Bon, c’est ordinaire qu’il ait préféré passer initialement par la bibli pour lui montrer, car on ne donne pas si facilement ses bouquins à une inconnue.

« Je, euh… Vous êtes sûr? Parce que c’est des livres quand même… » Bah, oui, même si elle est plus numérique que papier, Julianne sait qu’on ne déconne pas avec ces sacro-saints réceptacles du savoir. Néanmoins, l’étudiant semble insister, et Julianne prit les quelques ouvrages avec soin. « …Bon, bah, merci, alors… »

Fit-elle, en commençant à feuilleter tranquillement.

« Oh, il y a un autographe. Shimomura Natsume… Ah, non, j’suis bête, ça doit être votre nom,  ahah. » Merci madame la chercheuse-ingénieure-de-génie. « Enfin, comme ça, avouez que ce sera plus facile pour vous retrouver! »

Hésitante, elle ressorti quand même son portable.

« Au cas où je suis pas douée et que j’oublie... J’peux vous donner mon numéro? Comme ça, vous pourrez venir m'les réclamer dès que vous aurez besoin de vos bouquins. »

Elle attendit que Natsume lui dicte son numéro, et lui envoya un SMS avec un « 乁(─ ͜ʖ─)ㄏ » pour qu’il ait lui aussi accès à ses coordonnées, sait-on jamais. Julianne regarda l’heure et fit la moue, en constatant qu’elle ne devait pas trop tarder, ne voulant pas faire attendre des heures supplémentaires la baby-sitter de Mako-chan sans l’avoir prévenue.

« Bon, hm, sinon, j’vais devoir y aller… Merci pour la doc, M’sieur Shimomura, je vais regarder tout ça de plus près, et on en reparlera bientôt. Enfin, euhm.. ce serait sympa? »

Appeler un gamin qui fait plus de 20 cm de moins qu’elle « M’sieur » à quelque chose de comique, en effet. Disons que c'est plus une manière de le considérer d'égal à égal. Elle a vu des profs qui prennent les étudiants pour des collégiens stupides (bon, certains sont fortement immature, ne nous voilons pas la face), et en a un souvenir assez négatif. Dans tous les cas, il fallait vraiment qu'elle y aille, en prévenant la baby-sitter d'un potentiel retard au passage. Bien sur, c'est dans ce genre de contexte qu'elle oublie d'emmener son Neitram avec elle. Empréssée et hésitante, elle adressa un salut maladroit à Natsume avant de tourner les talons pour partir vers les escaliers, puis la sortie de la bibliothèque. Vivement d'être rentrée pour voir Makoto, et accessoirement, pour rapidement découvrir les bouquins qui lui ont été confiés plus en détail.