Il faut se perdre pour trouver l'introuvable.


Je le voulais. Arceus, comme je le voulais, tellement, plus que jamais. Contre moi, toujours avec moi, que rien ne puisse plus nous séparer. Que je sois sienne, qu'il soit mien. Ma raison continuait de gémir, perdue quelque part au fond de mon esprit, que je faisais une erreur, que j'allais le perdre assurément, définitivement. Mais je n'écoutais plus, non. Mon cœur battait si fort, si vite. Mon corps ne m'obéissait plus vraiment, me perdant dans des méandres de désir & des plaisirs que je n'avais encore jamais connus, jamais imaginés si délicieux. Nos gestes se faisaient fiévreux, nos baisers passionnés, rien n'aurait pu nous arrêter sans doute, le monde aurait pu s'effondrer que nous ne l'aurions pas remarqué. Oh comme je l'aimais, comme j'avais besoin de lui. Cette dépendance me faisait parfois presque peur en un sens, mais j'avais un tel amour pour lui, une telle confiance inébranlable, que je ne cessais de lui revenir. Les derniers remparts s'évaporaient, & je ne faisais rien pour les retenir. Au contraire, je ne souhaitais que leur disparition, je les envoyais voler au loin sans l'ombre d'une hésitation. Je remarquais à peine la douleur pourtant poignante quand nos corps s'unirent enfin, tellement j'avais espéré que cet instant puisse arriver un jour. Le reste du monde avait entièrement disparu, emportant avec lui mes angoisses, mes questions. J'étais sienne, il était mien, & cette nuit était la Nôtre.

Les larmes lui montèrent aux yeux alors qu'elle se réveillait. Ce rêve. Ce rêve, toujours & encore lui, le souvenir de sa première & unique nuit dans les bras de son seul amour. Se redressant lentement, elle s'assit sur le matelas, portant une main à son visage pour tenter d'arrêter les sillons brûlants qui dévalaient ses joues en silence. Chaque fois, chaque fois qu'elle se réveillait de ce rêve, elle ne pouvait qu'en pleurer, longuement, encore & encore. Pourquoi? Pourquoi, après cette nuit où il était venu la rassurer d'un cauchemar où elle l'avait vu mourir, où ils avaient fini par se laisser emporter par la fièvre de leurs corps possédés par des sentiments si forts, pourquoi n'avait-elle pas su lui dire combien elle l'aimait? Elle n'avait pas même pu aligner deux mots à son égard, après s'être éveillée seule de leur nuit à deux. La gêne s'était installée, elle n'avait pas parlé. Trois jours après, il disparaissait, arraché par le Régime. Un peu moins de neuf mois plus tard, elle mettait au monde leur fille, dont il n'a jamais eu connaissance. & un peu moins d'une journée plus tôt, elle recevait cet affreux cliché, témoin des souffrances de son amour qu'elle n'avait même pas su retrouver. Oh, pourquoi? Elle s'en voulait encore, presque cinq ans & demis plus tard, de n'avoir su lui exprimer ces sentiments, d'avoir juste eu peur de sa réaction. Désormais, elle avait peur de bien plus, tellement que cette futile crainte d'un matin lui semblait dérisoire. Elle avait peur qu'il ne meure, après avoir passé des années à espérer le retrouver en vie, elle tremblait à l'idée d'avoir mis trop longtemps.

Ramenant ses jambes contre sa poitrine, elle renonça finalement à tenter d'arrêter le flot ininterrompu de ses larmes. Enfouissant son visage dans ses genoux, qu'elle entoura de ses bras, elle éclata tout simplement en sanglots. Elle ne savait même pas comment elle avait atterri dans son lit après avoir trouvé refuge auprès de Kiona à la réception de la photo ; probablement son père qui l'y avait menée lorsqu'épuisée, elle n'avait pu résister à ce sommeil agité & douloureux, tourmenté de cauchemars autant que de souvenirs brûlants de remords. C'est à peine si elle senti l'étreinte de Louna, qui, réveillée par ses larmes pourtant silencieuses, était venue l'étreindre doucement. Présence apaisante, douce, immuable ; & pourtant, pourtant cette douleur était si grande que même son amie, sa chère Lockpin héritée d'Angela ne pouvait l'endiguer ne serait-ce qu'au dixième. Ses pleurs étaient inarrêtable, & la crise dura, longtemps. Longtemps. Ni elle ni la lapine ne saurait dire le temps écoulé, lorsque l'aube commença à filtrer à travers les volets, apportant avec elle une Maelys souriante, qui ouvrit la porte sans hésiter, sans frapper, presque avec fracas, faisant sursauter Solène qui leva vers elle un regard dont les larmes taries avaient depuis longtemps cessé de couler. Un de ces regards douloureux & perdus que seuls Louna, Ryan, Cathy & Maelys elle-même avaient déjà pu voir ; mais cela n'arrêta pas la cadette qui s'approcha, les yeux débordants d'espoir & de détermination, tendant à l'aînée cet horrible cliché qui l'avait jetée à terre quelques heures plus tôt.

- Victoria l'a retrouvé, elle a localisé la prison.

& comme si une magie miraculeuse s'était propagée par ces mots, le regard égaré retrouva sa force habituelle, chassant le désarroi pour devenir sûr & déterminé, s'illuminant d'un espoir fou qui éclipsa instantanément la fatigue & les larmes séchées. Après vingt-quatre heures de perdition, de souffrances innommables & de terreurs muettes, la jeune femme retrouva d'un coup toute sa combattivité, envahie d'un calme glacial alors qu'elle serrait silencieusement la main de sa petite sœur, lui transmettant toute sa gratitude par cette simple pression. Rude devint alors son visage, se figeant dans une expression froidement déterminée dans laquelle seuls ceux qui la connaissaient bien sauraient déceler cette lueur douce, ce sentiment brûlant qui la fit lever d'un bond. L'espoir, enfin. Cet espoir qui lui était enfin de nouveau permis.