Mend the broken
Feat Isaac
D'aussi loin que tu puisses t'en rappeler, tu n'avais jamais été particulièrement doué avec les œufs de pokémon. Bien que tu te doutais que tu finirais un jour à l'autre par te retrouver avec un ou deux œufs sur les bras, vu la façon dont Fae semblait observer Arthur, mais tu te disais que tu te faisais des idées. Tu n'avais jamais eu à t'occuper d’œufs, bien que, durant ton voyage, tu avais eu l'occasion d'en admirer l'éclosion plusieurs fois. Tu avais lu une ou deux revues à ce sujet, par simple désir de te documenter, mais tu en restais généralement loin. Tu ne te pensais pas assez doué pour pouvoir t'occuper d'un être vivant aussi fragile que cela.
Ainsi, lorsque tu rentres chez toi et que tu découvres deux œufs de pokémon fièrement posés sur la table du salon, enveloppés dans des couveuses de verre. Tu t'avances difficilement, principalement parce que ton plâtre à la jambe gauche te force à te déplacer en béquilles. Malgré toute ta volonté à vouloir sortir de ce foutu bâtiment, les regards noirs d'Isaac et de Dalhia t'obligent à rester dans ton appartement pour te reposer. Depuis la mission menée au Bloc R, il s'est écoulé trois jours. Trois longs jours passés à se reposer, à panser tes blessures et à tenter d'oublier. Tentative qui se résultait toujours par un échec monumental. Tes dernières nuits avaient été pleines de cauchemars et pour dire toute la vérité, le peu de sommeil que tu avais réussi à obtenir n'avait pas réellement eu effet significatif sur ton humeur. Les cernes sous tes yeux et ton teint maladivement pâle montrait bel et bien que tu avais besoin de repos, et vu l'état de ta jambe, tu en aurais encore pour au moins deux mois. Par chance, ton péroné n'avait pas été touché et ainsi, il n'y avait pas eu besoin d'opération. Heureusement, d'ailleurs : tu aurais eu beaucoup de mal à expliquer une telle blessure au personnel hospitalier sans te faire immédiatement arrêter.
« Faust, en fauteuil ! »La voix claire et forte d'Isaac te fait grommeler quelque chose qui ressemble très fortement à un juron. Il entre dans le salon et, en voyant que tu refuses de t'installer correctement, s'approche de toi. Tu tentes de reculer et d'échapper à ses griffes, mais il est bien plus fort que toi et t'installe dans le fauteuil roulant rangé à droite dans la pièce de force. Tu pousses un long soupir. Son regard ne flanche pas et tu ne peux qu'abandonner face à l'insistance de ton ami. Isaac est le seul, après Clive, qui peut te convaincre de suivre ses ordres. Majoritairement parce que celui-ci profite largement du fait qu'au niveau de la force physique, il a l'avantage sur toi. Tu jettes un regard désespéré à Dalhia qui hausserait les sourcils si elle en avait, et se contente de t'ignorer pour rejoindre Dolce, la Mentali, et Hanabi, la Feurisson.
« Traîtresse ! » jures-tu alors qu'elle s'éloigne, un rictus moqueur sur son visage.
Isaac lève les yeux au ciel devant ta puérilité.
« Sois plus sympa avec elle, elle m'a gagné du temps pour que je puisse revenir avec ces petites merveilles.
- Je croyais que tu avais du boulot, aujourd'hui ?
- J'ai menti. » admit le brun, un grand sourire aux lèvres.
Tu gonfles tes joues, témoignant ainsi de ton immaturité lorsque tu es vexé. Isaac rit, amusé. Tu lèves les yeux au ciel, mais tu ne peux pas cacher le fait qu'entendre rire quelqu'un après plusieurs jours à broyer du noir ne te fait pas du bien. Toutefois, ton regard est attiré par les œufs sur la table et tu ne peux pas cacher ta curiosité. Avant que tu ouvres même la bouche, Isaac sait déjà ce qui te tracasse.
« Hier soir, un ami m'a appelé pour me dire qu'il avait des œufs dont il ne pouvait pas s'occuper. J'ai proposé de les garder et il a accepté. »Faust cligna des yeux pendant quelques secondes, déboussolé.
« Tu... Tu as as accepté de t'occuper de deux œufs de pokémon sans réfléchir ? Tu te rends compte de ce que tu es en train de dire ?
- Qui a dit que je serai seul à m'en occuper ? »Oh oh. Alerte rouge. Le grand sourire d'Isaac ne te disait rien qui vaille. Tu le connaissais assez pour savoir que quelque part, son petit plan devait t'incorporer dans l'équation, et si il y a une chose qui t'inquiète plus que les sourires sadiques de ton jumeau, c'était les plans tordus d'Isaac. Le brun avait l'habitude, avec son visage innocent, d'obtenir tout ce qu'il voulait de tout le monde, sauf de Clive et de toi, car, étant tout aussi manipulateurs, vous arriviez à voir les fils de ses plans avant qu'il ne les bouge. Toi, avec ta bouille d'ange, on te laissait faire beaucoup de choses et on passait l'éponge sur un grand nombre de tes bourdes, particulièrement lorsque tu affichais ton expression la plus candide. Toi, un poil machiavélique dans l'âme ? On ne devenait pas spécialiste du type ténèbres sans être un tant soi peu tordu, voyons. Et puis cela te rendait grandement service : personne n'avait tendance à se méfier de toi ou à te suspecter lorsque quelque chose d'étrange arrivait. Le problème, c'est que l'on te demandait souvent si tu avais plus de quinze ans. Foutu visage d'éternel adolescent.
Tu tentas de reculer, mais avec la vitesse de ton fauteuil roulant, tu n'allas pas bien loin. Il te poussa jusqu'à ce que tu te retrouves devant les deux œufs.
« On va en prendre un chacun ! »Ton cerveau s'arrête quelques instants et tu observes ton ami avec de grandes yeux écarquillés, se demandant s'il n'avait pas pris quelque chose avant de prononcer cette phrase. Tu te sens comme attaqué.
« C'est tellement stupide que je ne devrais même pas à avoir à t'expliquer pourquoi c'est une mauvaise idée. dis-tu d'un ton exaspéré.
- Mais allez, arrête, ça sera génial ! On pourra élever nos pokémon ensemble ! - La dernière fois que je me suis occupé d'un petit pokémon, j'ai mis le feu à un appartement. »Isaac fronça les sourcils, paraissant se souvenir de cela, malheureusement pour toi.
« Est-ce que c'était... commença-t-il.
- Oui. l'arrêtas-tu d'un ton sec.
- Avec les...
- Oui, avec celles-là ! » le coupas-tu, les joues écarlates.
Mauvais souvenir, en réalité. Assez gênant pour t’embarrasser pendant des années et des années. Tu détournas la tête et Isaac décida de changer de sujet pour éviter que tu ne te transformes en tomate sur pattes. C'est à ça que serve les amis, parfois. Et aussi à t'empêcher de chanter une chanson aux paroles osées après avoir trop bu. Comment ça, ça sentait le vécu ? Comment ça, Isaac avait dû t'arrêter alors que tu prononçais des phrases qui, une fois qu'elles te furent répétées, firent passer ton visage par cinquante nuances de rouge ?
Le sujet te mettait sur les nerfs. Rien que l'idée d'avoir à t'occuper d'un nouveau pokémon t'énervait.
« Je te laisse choisir, si tu veux.
- Non.
- Mais pourquoi est-ce que tu ne veux pas ? »Tu lèves les yeux au ciel, fusillant Isaac du regard.
« Laisse tomber.
- Hors de question. Tu es en train de garder tout ça et je vais me retrouver à devoir te récupérer en train de t’effondrer dans un coin !
- Si tu préfères, je peux encore me barrer ! » rétorques-tu, vexé et blessé dans ta fierté.
Le ton monte. Tes pupilles sont dilatées, tes épaules sont remontées et tes dents sont serrées. Tu veux te lever, tu veux crier, mais ta voix semble être bloquée dans ta gorge. Isaac, lui, pousse un juron en suédois que tu ne cherches pas à traduire.
« Tu sais bien que ce n'est pas ça, le problème !- Alors qu'est-ce que c'est ?! » demandes-tu, exaspéré par le silence et la compréhension de la situation que semble avoir ton ami.
Le brun expira profondément et se pinça l'arrête du nez.
« Arrête, Faust. Calme-toi et respire un grand coup, tu es en train de sur-réagir. Je ne fais que te proposer de t'occuper d'un pokémon.
- Comment est-ce que tu veux que je m'occupe d'un petit quand je ne peux même pas sauver quelqu'un ?! Cries-tu, enragé.
- Håll käften ! » hurle-t-il.
La voix forte et autoritaire d'Isaac gronde dans l'appartement, et la colère dans sa voix te paralyse. Tu n'as pas besoin de lui demander ce que cela veut dire. Tu l'as déjà souvent entendu. Tu déglutis. Ta voix se bloque, ton regard est fixé sur le visage fatigué de ton ami qui s’assied sur une chaise. Ce cri semble avoir épuisé sa force, et il te regarde, lassé.
« Je sais. Je t'entends, tu sais. Je vois que tu tu culpabilises, mais si continue comme ça... Tu vas te tuer, Faust. Et ça... »Isaac soupire. Tu arrives à peine à le regarder.
« … Je ne peux pas te laisser faire ça. Je l'ai promis à Clive, je l'ai promis à tes frères, mais surtout, je me le suis promis à moi-même. »Et tu te sens stupide. Tu vois, soudainement. Et c'est comme si l'on t'avait redonné la vue. Tu vois les cernes d'Isaac, tu vois toute la fatigue qui se dessine dans le creux de ses yeux, tu vois toute la peine qu'il garde, tu vois toute la douleur que tu lui causes à te fermer ainsi au monde, tout ce que cela lui coûte de te voir t'enfoncer.
Tu te sens con. C'est comme une gifle, et t'as juste envie de mourir.
« Pardon. »Isaac relève la tête et t'observe, interdit. Il paraît vouloir t'arrêter, mais il n'en a pas le temps. Ta voix se brise, ta gorge s'enroue, tes yeux s'humidifient, ton corps tremble, tu baisses les yeux, honteux. Tu te sens stupide, soudainement, à t'être morfondu seul en laissant de côté la seule personne qui fait encore attention à toi. Tu frissonnes, tu te crispes. Isaac s'approche de toi, silencieux. Il sait.
« Pardon, pardon, pardon, pardon... »Tu n'arrives plus à articuler un autre mot. Ta respiration est rapide et tu sanglotes doucement. Isaac soupire et s'agenouille calmement. Il te prend dans ses bras et tu ne peux que craquer. Tu laisses tout sortir. Tes peurs, tes doutes, la douleur qui te ronge le cœur et tes espoirs meurtris. Ils prennent la forme de sanglots désarticulés et déchirés. Tu te sens faible et tout petit, soudainement, alors que le mur d'insécurité et d'aigreur tombe. Tu te sens si idiot, alors que tu le vois qui te serre comme s'il retrouvait un vieil ami disparu depuis longtemps. Tu ne sais pas combien de temps il reste comme ça, à te laisser déverser toute cette peine sans dire un mot dans ses bras.
Le chemin vers la guérison sera long et semé d’embûches. Tu te demandes si vous avez une chance de vous vous en sortir, et peu à peu, sans que tu t'en rendes compte, la route qui mène à Clive s'efface sous tes pas.
Au final, tu prendras l’œuf de droite. Mais là n'était pas le sujet, bien que toutefois, le sourire radieux d'Isaac quand tu lui dis cela en t'essuyant les yeux te dis que quelque part, ça l'est un peu.
Forgotten days, a fading memory
Lost and no longer seeking one another
Desperately still, you're reaching toward him
Hopelessly certain you can mend the broken ♫
End