Bleu Roi. Rouge Sang. Aigle d'Argent. Lion d'Or. Défilent des étendards holographiques le long des rues de la ville, montant vers un palais couleur platine dont les tours s'enroulent sur elles-même pour pointer vers le ciel. Mon image est partout dans les avenues. Moi, au sommet de ma grande et magnifique œuvre qui trône à mes pieds, j'observe la foule de haut, une main sort de sous ma cape bleue nuit pour leur faire signe. Ils sont en délire. En attente de la moindre grâce. Oh, de la grâce, ce n'est point moi qui leur en donnera, Irina qui est à mes côtés et dont la chevelure de neige est accordée à ses vêtements immaculés, elle, sera plus apte à leur en offrir. Tandis qu'elle est Reine et la lumière du jour de nos sujets, je suis le tyran qui empoisonne leurs nuits et nourrit leurs cauchemars. Chaque soir, à minuit, une exécution. Des processions progressent vers l'autel ensanglanté de la cour impériale. Qui y passera ce soir? Les geôles sont pleines, mes jouets n'attendent plus que je leur donne leur mort. Je prend congé de Irina et m'enfonce dans ma demeure immense. Au détour d'un couloir, une ombre sort de derrière un pilier pour stopper sa marche juste devant moi, l'ombre aux cheveux de geais et aux yeux d'onix me sourit, narquois, effleure mes lèvres et passe une main sur mon torse, son souffle chaud sur moi. Une nouvelle présence dans mon dos. Je me retourne pour découvrir le visage du larbin brun et mal rasé qui vient de se ramener, dérangeant mes loisirs avec mon favori. Il m'annonce que la cour ést prête et les sujets tous conviés à l’exécution de ce soir. Je souris malgré tout et ne remercie a peine le serviteur bougon qui n'a plus qu'a s'en retourner à ses corvées.

Douce est la vie d'un tyran. Plus le sang coule dans les rues de cette ville qui porte probablement mon nom, je ne sais pas bien, plus les gens ont peur, plus je deviens fort. Assis dans mon trône de marbre rouge, le vide harmonieux d'une salle d'audience titanesque se présente à mon regard. Dehors le ciel s'assombrit et l'heure approche. Je me remets sur mes pieds et mes yeux brillent dans le clair obscur de la grande salle. Des convives sont déjà dans la salle du banquet, ils sont peu nombreux, mais j'y remarque la Marquise des Miasmes avec sa robe d'ombre, la Comtesse des Poisons à la chevelure argentée, toutes deux entourées de leurs serpents et autres bêtes féroces qui vous pétrifient d'un simple coup de croc. Bien sûr, Irina se tient déjà au milieu de la foule, dans un robe nacrée éblouissante, tandis que je suis vêtu de noir. L'horloge faisant office de vitrail et de mur donnant une magnifique vue sur la cité illuminée sonne les douze coups et sous le zénith de la lune, je m'avance seul devant l'autel, accompagné de mes deux compagnons aux bras tranchants luisants aux œuvres de la Reine d'Argent. La foule n'est pas loin. Ils fulminent. Puis à la lumière des flammes qui entourent la cour, l'émeute se déclenche finalement. Mes deux soldats d'élite me suivent alors que je dégaine un sabre de ma ceinture et se détachent de leur position de garde du corps pour lancer leurs lames dans la foule qui cherche à libérer les prisonniers. Sous la lune, les gerbes de sang s'élèvent vers le ciel étoilé et teintent les pavés de marbre. Il ne reste bientôt plus aucun insurgé. Je monte sur l'autel et pour les survivants, je proclame l'éloge de ma dictature et de sa puissance décuplée indiscutable. Mes écuyers me rejoignent et s'approchent des condamnés a mort de la soirée. Chevelures de feu, chevelure bleu, rose et aussi dorée. Des regards qui se dardent sur moi pour me haïr une ultime fois. Mais cette fois, c'est la fin. Oui, c'est la fin du rêve.

Quel dommage. J'ouvre les yeux, je suis confortablement enfoncé dans un fauteuil de la salle de repos du Bloc R2. J’émerge doucement et surprends les deux ombres dressées à mes côtés. Mes deux soldats d'élites sont là, ils brillent encore de leur évolution toute récente, leurs lames luisent dans l'obscurité. Ils n'ont même pas eu besoin de moi et se présentent maintenant au sommet de leur forme, chacun d'un côté de ma place. C'est là qu'ils doivent être. Certes, il n'y a plus de palais, ni de cité a mon nom, et les exécutions viennent d'être, pour la plupart, annulées par un foutu mail et un article d'Azmitia qui vient de faire le tour de la planète. Je me souviens, avant tout ça, d'avoir explosé de colère au point qu'il a fallu me faire enfermer avant que je ne devienne très violent et je me suis alors assoupi dans la salle de repos, aux côtés de Justin et Kaiser, qui m'ont apparemment surveillé durant tout mon sommeil, et comme si ils avaient lu mes rêves de grandeur, ils avaient pris leur forme évoluée. Le jour allait finir par venir, j'en était désormais certain! Je me levais de mon fauteuil et bien qu'une grande partie de mes jouets avaient été subtilisés, je suppose, il est temps de reprendre du service. Je devais suivre la voie que je m'étais fixée, et tout cela se réaliserait un jour, ce paradis dont j'avais rêvé, c'est qu'il existait forcément quelque part. Irina se tenait devant la porte et tandis que je l'ouvrais, je lui lançais un regard complice qu'elle me renvoya. Je sais. Qu'elle m'attende encore un peu, ce Royaume, je lui offrirais très prochainement.

« Justin, Kaiser, c'est l'heure. »