La seule à qui parler

« Qu'est-ce que je suis supposé faire, Lili ?
… Je suppose que je devrais être furieux, que je devrais m'indigner, mais en vrai, tu sais, j'en ai plus rien à foutre. J'suis fatigué, Feli. J'en ai marre de me battre pour des miettes, et je sais que je n'ai pas à me plaindre parce que je suis en vie, mais je n'en peux plus. J'suis crevé. Je devrais être fort, mais je ne le suis pas, tu le sais. Je peux être fort pour eux, je peux me battre pour ceux qui sont toujours là, mais je n'en ai plus la force, Felicia. J'ai l'impression que je courre dans un mur et tu sais que je suis loin d'avoir le masochisme qu'a Faust de faire la même chose jusqu'à ce que quelqu'un l'arrête.
En parlant de Faust... Tu sais, j'ai peur. Je ne sais pas ce qui passe par la tête de Clive, mais je suis persuadé que ça ne peut rien être de bon. Le fait qu'il essaye de contacter Faust m'intrigue un peu, mais que ce crétin de hérisson refuse de répondre m'inquiète encore plus ; Clive a toujours été têtu, et j'ai peur, Felicia. Parce que ce n'est plus celui qu'on a connu, tu sais ; ses yeux ont perdu la gentillesse et la douceur que je connaissais. Je sais qu'il s'est arrangé pour que nous puissions nous débarrasser de nos menottes et nous enfuir ce jour-là, mais... Je ne sais si on pourra un jour le ramener à la raison. Tu sais comment ils sont, aussi têtus l'un que l'autre, et je crois que Faust sait pourquoi Clive fait ça.
C'était... C'est encore mon ami, malgré tout ce qu'il a fait, fait et fera. Tu sais, même si je calme, cela ne veut pas dire que je ne payerai pas cher pour lui en coller une. Voir deux. En fait, tout ce que je sais, c'est que je suis paumé. Je suis paumé et j'en ai ma claque. C'est égoïste, mais j'aimerai bien pouvoir profiter un peu du peu de paix que je possède.
…

Depuis que je suis rentré... Je ne sais pas. C'est comme si j'attendais que la torture recommence, tu sais ; c'est comme si je n'étais jamais parti. La douleur... Je ne vais pas dire que ce n'était rien, ce serait mentir. Mais tu sais, à côté de... Enfin, je...

…
… Tu me manques, Felicia. Je... T'imagines pas à quel point ça me manque de pouvoir te sentir dans mes bras, de pouvoir d'entendre rire, de te voir sourire et de pouvoir sentir le battement de ton cœur. J'en peux plus, p'tite sœur. Je veux te voir. Si je n'avais pas Katya et Faust, je crois que je serai déjà avec vous. Lucy aussi me manque ; il n'y a pas une journée où je ne pense pas à vous.
J'ai mal. J'ai toujours mal. En fait, je crois que la prison me permettait de ne pas penser à vous, de ne pas penser au fait que je ne vous verrai plus jamais.
Tu sais ce que c'est, le pire ? Je crois qu'au final, je suis reconnaissant envers celui qui m'a torturé, parce que au moins, j'ai pu vous voir encore une fois. Je crois même que j'aurai aimé mourir avec vos sourires comme derniers souvenirs ; j'étais prêt. Je sais que je suis égoïste, mais... Je donnerais tout ce que j'ai pour pouvoir voir ton visage encore une fois.
J'ai même pensé à y retourner. Avec un peu chance, j'aurai peut-être pu retomber sur le Mirage, et comme ça, au moins, ton sourire aurait été là. Mais tu n'as jamais vraiment été à mes côtés, hein ? Tout ça, c'était juste mon cerveau, juste des hallucinations cruelles et sans aucune autre provenance que ma stupidité.
Je me demande si tu aurais été amie avec Kat'. Sûrement. Elle a grandi, tu sais ; elle est un peu plus jeune que toi, mais c'est devenu une jolie jeune femme. Si tu savais à quel point je suis fière d'elle, Lili. Elle est devenue si forte... Je pense qu'elle n'aura bientôt plus besoin de moi. Je l'attends, tu sais. Je sais qu'elle voudra me le faire comprendre, et j'attends ce jour-là avec impatience, parce que je pourrait la regarder dans les yeux et lui dire que rien de tout cela n'est de sa faute. Qu'elle n'a pas à faire tout cela, que je sais qu'elle est forte, et qu'elle a le droit d'être faible, elle aussi.

Je sais que je ne dois pas me laisser fatiguer par les caprices du temps, mais je suis fatigué, Lili, si fatigué. Quand je suis rentré, j'ai songé au suicide. Même si j'ai vu des centaines de personnes avant moi dire qu'une fois morts, au moins, ils pourraient être avec ceux qu'ils aiment, même si j'ai tant de fois dit que c'était l'idée la plus stupide qui existe, j'ai pensé la même chose pendant un bref instant. Après tout, il me suffirait d'appuyer sur un gâchette et bam, plus rien. Plus de douleur, plus de cris, plus de larmes ; le repos, et c'est tout. Mais au final... J'ai jamais cru au paradis.
J'ai beau dire que je veux vous voir après ma mort, je sais que ça n'arrivera pas. J'espère un peu, tout de même, et Arceus que j'aimerai avoir tort. Je rêve de me réveiller un jour et de voir ton visage souriant là-haut. Je rêve de pouvoir entendre la voix de Lucy encore une fois, je rêve de pouvoir lui dire à quel point elle me manque, mais je ne peux pas. Je, je... Je...
…
J-je croyais que ça serait facile, tu sais. De vivre après ça. J-j'ai pas été le plus maltraité après tout, on p-pourrait même dire que j'ai été chanceux, mais bon sang, j'ai mal. J'ai mal parce qu'à chaque matin, je me lève et je ne sens pas Lucy contre moi, j'ai mal parce que j'entends pas ton rire lorsque je sors de ma chambre, j'ai mal parce que je ne t'ai jamais vu grandir. J'aurai toujours mal, et même si j'essaye d'oublier, c'est futile. Ça ne marche pas. J'ai toujours l'impression qu'il manque quelqu'un, tu sais. Je... J'espère juste.. Je...
…
...
Je t'aime, p'tite sœur. J'te promets que j'aiderai à la construction d'un monde que tu aurais aimé voir. »

Sans un mot, il déposa les fleurs sur la stèle de Felicia (des fleurs de Lys, ses préférées) en se mordant les lèvres pour ne pas pleurer. Ses yeux humides lurent une dernière fois l'inscription, l'inscrivant au fer rouge dans son esprit comme à chaque année et chaque maudit seize février que cette foutue vie lui amenait. Une moquerie de sourire étira ses lèvres tremblantes, alors que toute son amertume lui serrait la gorge et rendait sa voix si fébrile, si faible.

« Grattis på födelsedagen, Felicia. »

Et comme chaque année depuis quatorze ans, il quitta le cimetière en silence, seul.
Encore.