La Rose & le Renard II ; L'Appel. [OS]

Série d'OS - La Rose & le Renard :

L'Appel.
OS téléphone, PDV Mina, 3 juillet soir.

Le téléphone en main, tonalité d'appel résonnant contre mon oreille, j'ai l'impression de ne plus respirer. Souffle coupé par la tension, l'appréhension, l'impatience.. Même après quatre ans, j'ai composé le numéro sans même y penser, ce numéro que je connais par cœur depuis si longtemps, depuis l'adolescence ou quelque chose comme ça. Quatre ans à tenter de l'oublier n'ont pas suffi à l'effacer de ma mémoire parfois un peu trop fiable à mon goût. Parfois c'est utile, mais il est bien des cas où on aimerait mieux oublier certains détails.. J'ai pourtant tout fait pour oublier ce numéro, les laisser hors de ma vie, loin pour les protéger. Mais je n'ai jamais réussi. & quand il est apparu que Tobias & moi, tous deux élevés au Japon, mis en famille d'accueil pour adoption à la même période, partageons le même nom de naissance.. Ce ne peut pas être un hasard. Cela expliquerait même pourquoi son visage m'était familier ; des traits communs à mes géniteurs, à ma jumelle & moi-même, un air de famille en somme. & quelle famille.. Sympathique. Ce ne peut pas être un hasard, & je le sais. & vers qui ai-je choisi de me tourner, en attendant les résultats du test ADN que j'ai demandé? Ceux avec qui j'ai coupé les ponts en perdant tout, bien sûr.. Ils sont les seuls qui puissent me donner une réponse, en même temps, les seuls de mes proches à pouvoir me dire s'ils ont connaissance d'un autre Jaegan, d'une famille de sang. Mes parents adoptifs. Mes vrais parents au final, ceux pour qui j'ai pris sur moi au pire moment de ma vie pour rompre tout contact en espérant que celle qui m'a donné le jour ne les trouvera pas. M'en voudront-ils pour cela, de ce silence? Probablement un peu oui, même s'ils voudront d'abord comprendre. Je ne sais pas ce qui m'a poussée à tirer mon téléphone & composer ce numéro sous le ciel nocturne de ma Pension, au fond, mais il est trop tard pour faire machine arrière désormais ; ils reconnaîtront mon numéro que j'avais mis hors-service l'espace de plusieurs mois suite à mon départ, & ils ne lâcheront pas prise. Déjà le déclic caractéristique retentit, signe que maman vient de décrocher, & mon cœur s'emballe, & mon regard trouble se baisse vers la Noctali à mes pieds.

- Allô, maman?.

Frêle, tremblant est ce murmure hésitant, & je me sens redevenue petite fille inquiète, venant toute penaude après avoir fait une bêtise. Maman, papa.. Quatre ans déjà, quatre ans que je tiens le coup sans eux. & je viens de céder à une impulsion, au malaise de la découverte d'un potentiel frère ou cousin partageant mon sang, je viens de les appeler, donner un signe de vie. & je sais déjà que je ne pourrai pas faire machine arrière, que je ne pourrai pas rompre tout contact à nouveau. Voilà que je les expose au danger que je voulais tant leur éviter.. Sur une foutue impulsion. Maman..

- Toi.

Mais ce n'est pas sa voix. Pas le ton que j'attendais, inquiet & tendre, un peu en colère, un peu rassurée, quêtant des explications.. Non. Ce n'est pas ma chère maman. C'est une voix honnie, un ton hautain & dédaigneux, haineux, acide même.

- .. Tante Cara?

Pourquoi est-ce elle qui répond à sa place? Maman m'en veut-elle donc tant qu'elle préfère laisser sa sœur qui m'a toujours haïe.. Répondre à sa place?

- Qui d'autre, petite garce? Qui d'autre?!

Le ton de l'évidence, le venin. Mais pour moi, c'est loin d'être évident. Je suis perdue. Juste.. Perdue. L'inquiétude monte lentement en moi, s'insinue dans mes veines, dérangeante, paralysante. La peur. L'incompréhension. Face à sa colère emplie de haine, une haine que je n'ai finalement comprise qu'il y a quatre ans en découvrant mes origines réelles, lorsque j'ai coupé les ponts pour protéger ma famille encore en vie..

- Je.. Mais.. C'est le.. Le téléphone..
- De Jenna? Ça oui! Ça l'était!

Ça l'était, ça l'était.. Alors elle ne lui a pas juste donné ce portable pour répondre à sa place? Elle le lui a donné tout court? L'inquiétude me rend la réflexion plus difficile, un peu plus lente que d'habitude. La peur de l'échec. Que tout cela ait été vain, que je me sois éloignée pour rien.

- Que.. Comment.. Mais..

Au fond je crois avoir déjà compris, mais.. Je ne veux pas. Je refuse, ça ne peut pas être ça. Maman va prendre le téléphone en riant de cette blague un peu, en houspillant aussi un peu Tante Cara qui a trop bien joué le jeu, & elle me sermonnera pour ces quatre ans de silence.. Mais la voix qui retentit dans le téléphone est toujours la même. Acide & violente.

- & tout cela est de ta faute, évidemment sale traîtresse, j'ai toujours su que tu étais une mauvaise graine, aussi pourrie que tes foutus parents!

Il me faut un instant pour saisir desquels elle parle. Mes foutus géniteurs. Ceux que je hais tant. Elle me lie à eux à ce point? Elle m'accuse d'être comme eux? À son tour, la Colère s'insinue en moi, lentement, dévastatrice, prête à prendre le pas sur le désarroi.

- Je.. Je t'interdis de..
- Tu m'interdis rien du tout, la ferme!

Éclat. La lenteur de la Colère s'est enfuie pour laisser ce sentiment bondir d'un coup en moi, dans un cri du cœur, regain d'énergie. & sa haine violente qui m'a toujours poursuivie, qui a toujours poursuivi ma jumelle, cette haine dévastatrice, je la lui renvoie soudain avec la même force. Mon ton ferme & glacial prend le pas sur les cris hystériques de Tante Cara, & je sens à mes côtés la présence chaleureuse de Tina, qui semble me soutenir silencieusement mais farouchement, approuver chaque mot que je prononce alors que son indignation égale la mienne.

- Non, toi la ferme! Comment.. Comment oses-tu m'accuser de je ne sais quoi, d'être ces monstres qui m'ont volé toute ma vie! J'ai perdu ma jumelle, mon mari, mes enfants à cause d'eux, de leur délire de grandeur! Comment.. Oses.. Tu.. Tu n'as pas le droit de me juger sur mon sang, je ne l'ai pas choisi! Mes seuls parents sont Jenna & Théry Blyns, que tu le veuilles ou non!

Contre mon épaule, Minuit se penche pour presser sa joue sur la mienne. Soutien muet, elle aussi. Je sais qu'elle écoute chaque mot depuis le début, que ses émotions suivent les miennes, que face à Tante Cara elle aurait explosé depuis longtemps. Une main contre mon cœur comme pour retenir auprès de moi la présence de Tina qui ne s'atténue pas, je peux ainsi presque le sentir se briser quand les mots de la femme reprenne le pas sur les miens, dans un rire suraigu qui m'empêche de surenchérir. & il suffit de trois mots pour me faire chuter. Trois mots seulement pour me garder muette.

- Ils sont morts, ils sont morts dans un foutu incendie, putain! Arrête de faire l'innocente, les faits t'accablent, tout comme ta disparition de chez toi peu avant, ta disparition du pays peu après! C'est toi, je le sais, je le dis sans cesse, & je le prouverai!
- N.. Non.. Non.. Ce, c'est pas.. Non!

Incendie. Incendie. Pyromane. Jessica. Arceus.. Elle les a retrouvés. Malgré mes précautions, malgré tout, elle les a trouvés, elle.. Elle les a assassinés. Comme elle a tué mon mari & mes enfants. Cette réalité que je ne voulais admettre, que je refusais de comprendre, vient de m'être jetée au visage sans préavis, sans rien, juste brutalement. & l'espace d'un instant, j'oublie Tante Cara, ses insinuations sur mon implication dans cette histoire, ses accusations à mon encontre.. J'entends le rire de maman. Je vois le sourire de papa. Les yeux de mon petit frère qui vivait encore chez eux à ce moment-là.. Est-il si surréaliste d'imaginer ne plus jamais les voir ni les entendre, lorsque je m'étais résignée au silence protecteur depuis quatre ans? La voix de la femme au bout du fil me fait presque sursauter, lorsqu'elle se rappelle à mon bon souvenir. Ce n'est qu'en rouvrant alors les yeux, que je réalise les avoir fermés sous le coup de la révélation.

- Si. & tu le sais.

Tante Cara s'en délecte. Elle doit bien se douter que non, je ne sais rien, elle l'a compris même si elle ne se l'avouera probablement jamais à elle-même, mais sa haine envers moi n'a pas de fin. Elle se délecte de m'assener ces mots, de m'entendre bredouiller, égarée, telle un animal blessé. Elle se délecte d'utiliser ce fait pour me faire souffrir, car là est la première fois qu'elle parvient à m'atteindre.. & quitte à utiliser l'horreur de la mort de mes seuls parents, elle le fait.. Elle me veut coupable, & malgré l'incohérence de cette conclusion, s'est convaincue que je le suis. Au point de ne pas s'avouer qu'elle sait que je ne joue pas la comédie de la douleur, ni de l'égarement, ni de l'incompréhension. Je ne savais pas, je ne peux.. Je ne veux pas y croire!

- Non, c'est faux.. Maman, papa.. Erin..
- Menteuse. Ma sœur & son mari sont morts, & tu le sais, & s'ils m'avaient écoutée dès le départ ce ne serait pas arrivé. Quant à mon neveu, jamais, tu m'entends? Jamais tu ne le reverras, je t'empêcherai de l'approcher, il ne subira pas leur sort!

Une vipère n'aurait pas mieux craché son venin, & en réaction monte soudain une violente bouffée de rage en moi. Erin.. Erin est vivant, il n'a pas été tué, & elle veut m'empêcher de le voir! Elle veut.. Elle m'accuse d'être mes foutus géniteurs que j'ai rejetés, elle m'interdit de parler à celui qui est tout ce qui me reste de mes véritables parents, à mon frère cadet pour qui j'aurai tout détruit si cela avait été nécessaire. & après c'est moi la garce!

- Tu n'as pas le droit, non, c'est mon frère! Tante Cara! Tante Cara!

Seul le silence me répond, alors que je réalise peu à peu qu'à tenter de protester avec virulence, je suis passée à côté du son caractéristique d'un téléphone raccroché. Elle m'a coupé au nez, refusant de m'entendre, d'entendre une réalité en laquelle elle ne veut croire, ou plutôt refusant de répondre à mes questions pourtant essentielles, qui ont déjà éclipsées toutes celles pour lesquelles j'appelais à l'origine. Elle a coupé.. Le téléphone m'échappe soudain, alors que je le lâche dans un sursaut comme s'il m'avait brûlée. Elle a coupé net toute possibilité de dialogue, même si dialogue était engueulade.. Elle m'a interdit le droit aux réponses. Elle m'a accusée clairement. Elle dit que je suis responsable de leur..

- Non, non, non..

Habituellement, en sentant venir une crise, Minuit se précipite dans mes bras pour m'apaiser.. Mais là, non. Le même choc l'anime, & surtout, elle sait que même elle ne pourra rien. Elle fait bien un pas réflexe dans ma direction, mais elle n'est pas assez rapide ; un gémissement à fendre l'âme m'échappe soudain, alors que murmurant encore & encore ce même mot de déni, je me laisse tomber. Avant de briser la chaîne brutalement, criant cette fois ce mot, le prononçant ainsi une dernière fois.

- NON!

À genoux dans l'herbe, agrippant mes propres cheveux dans un geste presque compulsif, j'échappe un hurlement de douleur vite brisé de sanglots incontrôlables, alors que les larmes si rares sur mon visage coulent à flots. Un cri, & encore un cri. J'avais pourtant tout fait pour les protéger, &.. Quatre ans, ils sont morts.. Il y a quatre ans. & je l'ignorais. Oh Tina! Par pitié, dis-moi qu'au moins ils sont en paix! Dis-moi qu'Erin s'en sort sans trop de mal! Oh, moi qui croyais savoir ce qu'étaient les tréfonds de la douleur, il semblerait qu'il soit encore possible de creuser si l'on ajoute encore quelques deuils..

fiche by Nighty Jaegan, alias Rayquaza.

» La Rose & le Renard I ; Le Commencement. [OS]
» La Rose & le Renard III ; Les Héritiers. [OS+évo]
» La Rose & le Renard IV ; Le Rideau. [OS]
» La Rose & le Renard VI ; Le Pilier.
» La Rose & le Renard V ; Le Traître. [OS+évos]

La Rose & le Renard II ; L'Appel. [OS]

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