Coup de chance

Éclosion de Clifford

« Un être humain ne peut pas avoir autant de chance, Faust. C'est carrément ridicule.
- Quoi, tu veux que je m'excuse d'être encore en vie ? Eh bien, charmant le réveil !
- Tu sais ce que je veux dire. Que tu aies survécu à un accident de moto, certes. Que faire un vol plané de quatre mètres ne te tue pas parce que tu as atterri comme par hasard sur le seul gros buisson d'un mètre de haut du coin par contre...
- Mais j'avais l'épaule déboîtée quand j'suis arrivé !
- La plupart des gens seraient morts, et toi tu t'en sors avec tout juste quelques égratignures... Est-ce que tu arrives même à te rendre compte de la chance que tu as eu ?
- En fait, c'est mon contrat avec le diable, tu vois. Faudrait que je pense à la renouveler et à reprendre l'assurance géhenienne, mais ils sont en vaca- HÉ ! On ne frappe pas les blessés !
- C'est un oreiller, 'spèce de chochotte. Souffre en silence. »

Faust gloussa légèrement, couché sur son lit d'hôpital. Le suédois, adossé au mur à l'autre bout de la pièce, poussa un long soupir fatigué avant de de laisser ses épaules s’affaisser.

« Roh allez, j'suis pas mort, sois au moins un peu heureux pour moi !
- Parfois j'me dis que je devrais te tuer moi-même, tiens.
- Mais non voyons, tu t'ennuierais sans moi. »

Nouveau soupir, plus exaspéré cette fois. Toutefois, la moue amusée sur le visage d'Isaac confirmait les dires du conseiller qui jubilait intérieurement (et puérilement) de sa victoire passagère. L'aîné vint ébouriffer les cheveux du cadet qui geignit tout de même, ayant pris un petit coup à la tête en tombant du buisson qui avait amorti son vol plané et faisait qu'il était encore vivant. Le psychologue ricana légèrement, content d'avoir eu sa vengeance, avant de se mettre à parler.

« Y a quelqu'un qui voulait te voir, au fait.
- Alice?
- Raté. Nova. »

Le conseiller cligna des yeux, se demandant ce que son élève pouvait bien faire ici alors que tous ceux qui étaient au courant de cet accident (c'est-à-dire pour l'instant Kat', Natsu, Nova et Alice en petite partie) avaient été immédiatement prévenus qu'il n'avait quasiment rien et qu'il serait de retour à la maison dans la soirée, au grand maximum. Ainsi, qu'elle vienne alors qu'il n'avait rien de grave l'inquiétait et le flattait un peu, mais il était surtout particulièrement confus.

« Hein ?
- Hé, tu crois quand même pas que j'suis dans sa tête ? J'vais vous laisser, elle attend devant la porte et j'ai besoin d'un café. »

Et il sortir de la chambre, laissant le conseiller pris au dépourvu alors que la jeune femme aux cheveux bleus rentrait, l'air hésitante et portant sur son dos un sac à dos assez large et à l'air bien rempli. Elle le posa distraitement sur une étagère et alla s'asseoir sur le fauteuil à côté du lit du conseiller, qui continuait de la fixer avec le plus bel air d'imbécile qu'il était capable de posséder, et ce n'était pas peu dire. Son visage respirait la fatigue, et l'orage qu'il voyait gronder dans ses yeux ne lui disait rien qui vaille. Maladroitement, il posa sa main droite sur son épaule et elle sursauta, apeurée alors qu'elle était trop plongée dans ses pensées. Il lui offrit le sourire le plus rassurant et doux qu'il avait et massa son épaule avec gentillesse pour la sortir de la torpeur, geste qui, même si'l eut un effet clairement visible, ne fit pas disparaître la tempête derrière ces yeux bleus.

« Je... Je voulais vous voir.
- 'Te' voir, Nova. Combien de fois devrais-je te rappeler de ne pas me vouvoyer ? »

Il avait soupiré à la fin de sa phrase, las, mais pouvait-on vraiment l'en blâmer ? Cette jeune fille était après tout son élève, à la fois en tant que résistante et dresseuse, la gamine qu'il avait formé en quelques mois mais qui avait si vite appris et si vite compris ses responsabilités qu'il s'était attaché bien trop rapidement, encore une fois. Même la froideur glaciale de Noctis avait été attendrie par la maladresse de Faith, et il n'avait pas eu le cœur de lui cacher qu'il savait déjà qui se cachait déjà sous le masque du résistant qu'elle prétendait être. Car oui, remarquant qu'elle pouvait facilement passer pour androgyne, elle n'avait pas hésité un seul instant à se faire passer pour un homme ; choix malin qu'il avait encouragé et qui lui assurait une sécurité supplémentaire. En fait, la raison qui faisait qu'il l'avait pris sous son aile au départ, c'est qu'il l'avait immédiatement reconnu lorsqu'elle était arrivée dans la résistance. Introduite par Psychic, et en plus ses maladresses avec sa voix au début... Disons qu'il n'avait pas hésité un seul instant, plutôt par désir d'aider une proche de Kat'.
Il n'avait pas été particulièrement doux et sympathique avec elle à son arrivée, il est vrai. Il s'était même montré tout simplement abject dans le but de la voir se renforcer ou qu'elle abandonne si sa volonté n'avait pas été suffisante pour qu'elle continue. Et pourtant, elle avait tenu. Chacune de ses remontrances acides, chacun de ses coups, chacun de ses conseils dénués de la moindre chaleur humaine. Elle avait enduré sans protester, et Faust avait été intrigué. Intrigué et admiratif à la fois. Alors il lui avait posé une question, et il avait aimé la réponse. Le reste avait suivi sans accrocs.

« Pardon, c'est juste que.. Je pensais encore à ça, et... Enfin, en fait, je suis venue pour une autre raison. »

Faust haussa les sourcils, et Nova le connaissait assez pour reconnaître-là son expression du 'explique-toi' silencieux. La suédoise hésita quelques secondes, en fermant et ouvrant la bouche à répétition sans qu'aucun son ne s'en échappe, avant de se dire qu'il valait mieux agir plutôt que de chercher à poser des mots qu'elle ne trouverait visiblement pas. Elle alla chercher le sac à dos qu'elle avait posé dans un coin et en sortit un objet sphérique, noir et bleuté qui ressemblait fortement à un-... Oui, à un œuf. Faust écarquilla les yeux et s'étrangla avec sa propre salive. Il posa son regard ébahi sur Nova, qui observait sa réaction avec un sourire timide. Il connaissait assez le type ténèbres pour reconnaître là un œuf de cette espèce en particulier, et Arceus, ce n'était pas rien.

« C'est un... ?
- Un œuf de Solochi, oui. »

Elle l'avait dit d'un ton si léger alors que ses lèvres se tordaient en un sourire, amusée par l'émerveillement qu'elle voyait dans ses prunelles et il rougit très légèrement en l'entendant glousser. Il se racla volontairement la gorge pour la stopper, et elle s'arrêta en ne faisant toutefois pas disparaître cette moue taquine dont elle avait définitivement hérité de sa part. Il poussa un soupir exaspéré et passa une main dans ses cheveux avant de reprendre la parole.

« Nan, enfin, ce que je veux dire c'est que... Euh, bah déjà, t'es sûre de toi ? J'veux dire, c'est pas rien et... Attends, comment t'as fait pour te procurer un œuf pareil ? »

Curiosité logique, puisque la suédoise ne connaissait pas vraiment énormément de monde sur cette île et qu'on ne trouvait pas d'œufs de Solochi partout dans la nature non plus. La jeune femme aux cheveux bleus sourit un peu, ne se lassant toujours pas de l'expression de l'aîné.

« Mes parents. Ils ont cru bon de m'envoyer ce petit 'cadeau' pour me faire revenir, mais enfin... Nous savons tous les deux qu'il vaut mieux que je ne m'en occupe pas. »

Silence. Il baisse les yeux alors que leurs deux visages s'assombrissent et qu'une étincelle de douleur ne vienne briller dans les yeux de Faust. La remarquant, Nova reprit immédiatement la parole.

« Alors, j'ai tout de suite pensé à toi. Tu sauras t'en occuper, pas vrai ? »

Il y eut un instant de flottement, durant lequel Faust réfléchit calmement à ce qu'il allait lui dire. Puis, il poussa un long soupir fatigué.

« Combien de temps vas-tu encore rester ? »

Il semblait que la tentative de la jeune dresseuse de changer de sujet avait été repérée instantanément, de sorte que le conseiller avait refusé de laisser passer ça mais avait préféré ne pas perdre son temps à faire remarquer à Nova que sa tentative était inutile et un peu puérile sur les bords. Bien sûr, il aurait été monstrueusement hypocrite de sa part de le dire mais si l'on commençait à s'attarder sur son hypocrisie à certains moments, c'était mal barré.
La cadette parut hésiter avant de pousser un profond soupir, lasse.

« Je crois que j'peux encore tenir un an avant de devoir partir. Je fais ce que je peux, Faust, mais... »

L'interpellé descendit de son lit pour aller enlacer la jeune femme qui passa maladroitement ses bras autour de sa taille alors qu'il tentait de la rassurer.

« Je sais. Je sais, Nova, ne t'inquiètes pas. T'as pas à t'excuser, tu m'entends ? »

Elle hocha de la tête mollement, sans grande conviction. Faust expira lentement avant de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

« Tu comptes lui annoncer la nouvelle de ton départ bientôt... ? »

Il n'y a pas de doute sur l'identité de la personne dont il parle, et Nova le sait. Elle déglutit et sourit tristement.

« J'aimerais... J'aimerais retarder l'échéance, le plus possible. Je sais qu'elle va m'en vouloir de ne pas lui avoir dit, mais...
- Elle va avoir mal, surtout.
- ... Je sais. Mais j'ai pas le courage de lui en parler.
- Elle va tomber de haut, Nova. De très haut. Si Isaac venait à l'apprendre...
- Il me tuerait, oui, je le sais. »

Le sourire caustique sur les lèvres de la jeune femme aux cheveux bleus voulait mettre un peu d'humour dans sa phrase qui en était dépourvue. Oui, elle savait très bien que lorsque le psychologue saurait, il la détesterait. Ouvertement. Il avait déjà eu beaucoup de mal à lui pardonner pour ce qu'elle avait causé comme peine à la jeune borgne avant, alors là...

« J'ai encore au moins un an. Moins peut-être. Après ça, je serais obligée de retourner en Suède. J'aimerais juste... Profiter du peu de liberté qu'il me reste. »

Faust soupira et rapprocha un peu plus son élève contre lui, conscient de toute la douleur qu'elle devait éprouver. Il était le seul sur l'île, après tout, à être au courant de cela. Parce qu'il lui avait posé cette fameuse question, ce jour-là, et que la réponse lui avait tellement plu qu'il avait décidé qu'elle méritait bien toute sa confiance, cette gamine perdue et qui voulait pourtant faire du mieux qu'elle pouvait. Si il avait été attendri ? Définitivement. Peut-être un peu trop, oui, mais regrettait-il un seul instant ? Absolument pas.

« Alors fais ça. Profite. Mais n'oublie jamais que tu ne peux pas t'enfuir éternellement. »

Soupir douloureux de la part de Nova qui se blottit un peu plus contre lui, cherchant un réconfort qu'il prie pour arriver à lui donner bien qu'il sait qu'il s'agit d'un bien maigre présent face à la peine qu'elle doit affronter tous les jours à l'idée de son départ.
Peut-être que des minutes entières s'étaient écoulées, oui. Ou peut-être pas. Il ne comptait pas, et recula seulement lorsqu'elle le repoussa légèrement et lui pointa l’œuf du doigt. Il cligna des yeux avant de comprendre, et ce ne fut que lorsqu'il entendit un bruit de craquement qu'il se retourna. Avec un timing magnifique, l’œuf était en train d'éclore. Il s'écarta légèrement pour s'approcher du lit et s'assied sur le bord, juste à côté. Déglutissant, il observa en silence, nerveux malgré le fait que ce n'était largement plus la première fois qu'il témoignait d'un pareil événement. Et lentement mais sûrement, le petit éclot. C'est un frêle Solochi un peu maigrichon et fragile qui en sort. La créature pousse un geignement ; naître aveugle n'est pas particulièrement agréable, et nul doute que la peur doit l'envahir.
Mais doucement, Faust posa sa main sur la tête du petit Solochi pour le caresser, puis la met devant les narines du jeune dragon pour que celui-ci puisse retenir l'odeur de celui dont la main vient de lui accorder cette douceur. Il sourit légèrement lorsque la langue du nouveau-né vint lui laper légèrement les doigts, et se permit alors de rapprocher le Solochi de lui pour le câliner lentement et l'habituer à sa présence. Devant la scène, Nova ne pu s'empêcher de sourire tendrement.

« Tu vois ? Je t'avais dit que tu serais le plus adapté à la tâche. »

Faust n'allait, pour une fois, pas la contredire.