High Hopes
Éclosion de Suzaku
Lorsque Natsume est parti du Japon, il a emporté beaucoup de choses avec lui. En outre sa guitare, des vêtements, des papiers et ses médicaments, il a aussi dissimulé un petit album photo sous une bonne tonne de caleçons et de chaussettes. Il ne sait pas vraiment comment il a réussi à le cacher aux yeux des autres aux yeux des autres si longtemps vu leur curiosité insupportable, mais il semblait qu'il avait eu une chance phénoménale, et que personne ne trouvait d'intérêt dans son étagère bourrée de produits et de plantes en tous genres. Tant mieux, tiens. Il avait été assez difficile de cacher ça entre les bocaux et les très nombreux bouquins, mais il était content des résultats, et bien qu'il n'avait pas l'intention de sortir cet album souvent, il semblait qu'il était trop faible pour son bien. Il n'allait pas dire que c'était une surprise, puisqu'il savait très bien en emmenant cet objet qu'il finirait par craquer. Toutefois, il avait eu l'orgueil de croire qu'il saurait résister à la tentation et voilà où il était, aujourd'hui... Devant ce même objet, à le contempler sans oser l'ouvrir, plus que conscient des résultats que cela risquerait d'avoir sur lui-même. Il n'était pas stupide non plus, puisque rien que regarder la couverture lui donne comme l'envie de vomir, mais l'envie est là et comme le faible humain qu'il est, il ne peut se soustraire davantage à cette envie.
C'est avec beaucoup d'hésitation et une main à moitié tremblante qu'il ouvre l'album. Bizarrement, il n'a pas l'envie de pleurer. Même lorsque ses yeux parcourent les pages jaunies par le temps et les nombreuses photos qui les couvrent, il ne ressent qu'un creux froid dans sa poitrine. Une sensation glacée qui le laisse amer et hésitant, lui donnant l'impression qu'il aurait dû s'arrêter avant de se faire du mal, mais pas de douleur. Juste un vide. C'est étrange pour lui, puisqu'il aurait cru que rien que revoir ces innombrables images aurait dû le mettre dans un état discutable, mais ce n'est pas le cas. Du tout, même. C'est dans un étrange état de neutralité et de calme qu'il passe ses doigts sur les pages et inspire profondément, fatigué et las. Las de tout ça, de ces souvenirs, de ces moments qui ne seront plus et de tout ce qui n'a jamais été. Ce qui ne sera jamais.
Il n'a jamais espéré vivre une petite vie tranquille digne d'un téléfilm discutable non plus, mais disons que même en tant qu'enfant, il avait ne serait-ce qu'espéré pouvoir réussir à réconcilier les membres de sa famille. Malgré les cris, les hurlements, la vaisselle cassée, les objets envoyés sur les murs, il n'avait jamais cessé de croire qu'il arriverait un jour à voir sa famille réunie. C'était un fol espoir d'enfant naïf qui croyait désespérément qu'avec suffisamment de bonne volonté et de sourires, les pots cassés finiraient par se réparer et les accidents seraient vite oubliés. C'était stupide, et il le sait maintenant, parce qu'il a grandi et a finalement compris que la haine dans les yeux de son père lorsqu'il le regardait n'allait jamais disparaître. Que la froideur de Nagisa, cicatrice indélébile d'années de maltraites, serait toujours là. Que sa mère serait toujours six pied sous terre et que lui, il resterait le plus idiot d'entre tous. C'est devenu une vérité qu'il a accepté tant bien que mal, comme le fait un enfant qui découvre la cruauté froide d'un monde dont il aurait préféré se tenir éloigné plus longtemps.
Alors ainsi, il avait tenté. Que ce soit par des sourires, des plaisanteries, des invitations à des jeux qui n'avaient aucun autre but que de rapprocher Nagisa et son père, que de supprimer le constant dégoût sur le visage de son géniteur. Mais il avait échoué. Encore et encore. Et têtu comme il avait été, il avait persisté.
Au bout de la cinquième gifle, il avait compris. Le jour du coup de poing, il n'était même plus surpris.
Il n'allait pas dire qu'il avait vécu une enfance malheureuse, toutefois. Même si cet aspect de sa vie avait été peu reluisant, il avait tout de même pu profiter quand il était à l'école, et donc en ne pensant pas aux cris qui l'attendait lorsqu'il rentrait. Sociable, il avait pu s'épanouir, et il avait fait bon usage de ce temps pour ne pas se concentrer sur le pire. Loin de lui l'envie de se morfondre toutefois ; il avait dépassé depuis longtemps ce stade, en fait. Les restes de ses rêves brisés et de ses espoirs écrasés, il les avait envoyé voler lorsqu'il avait décidé de venir sur l'île, ou du moins de partir. Il aurait pu s'en aller vers la France, les États-Unis, l'Australie ou même la Russie tiens, tant qu'il était loin de cette atmosphère empoisonnée et de cet enfoiré qui n'était plus pour lui rien de plus qu'un de ses concepteurs.
En fait, il aurait presque ri de lui-même. Alors que ses yeux scrutaient chaque photo, trouvant dans tous ces clichés une ironie des plus noires, il ne pouvait s'empêcher de repenser avec amertume à ce gamin naïf et idiot qu'il avait été. Par Arceus, quel imbécile... Croire que se ramener d'excellents résultats scolaires suffiraient à rendre son père fier de lui, croire que parler avec sa mère pourrait lui redonner le sourire alors qu'elle écoutait sa propre fille et son mari se hurler dessus, croire que faire comme si tout allait bien diminuerait le nœud dans son estomac... Il poussa un soupir fatigué, agacé par lui-même, ou du moins par tout ce qu'il avait été.
Et maintenant, était-il même sûr de quoi que ce soit ? Non, vraiment pas. Trop de questions restaient sans réponse, et trop de réponses restaient floues. Trop. Tout simplement trop. Et pourtant, en ouvrant cet album, le voilà qui tentait presque désespérément de trouver quelque chose qu'il n'arrivait même pas à définir. Pathétique.
Après avoir jeté un dernier regard à l'image où il pouvait encore voir le sourire de Nagisa sans que celui-ci ne soit forcé et ridiculement amer, il ferma l'album et alla le ranger laissant son regard vaguer un peu partout. Il ne se sentait pas particulièrement déprimé, mais il avait juste un creux, au fond de ses tripes. Ne sachant pas quoi faire, il resta quelques instants immobile avant de soupirer et de se laisser tomber lourdement sur son lit. Il entendit un grondement léger, et cligna des yeux avant de porter son regard sur le source de ce bruit.
« Oh, Tosh ! Désolé... »Le Chamallot grommela légèrement, mais devant le sourire désolé de son dresseur, il expira profondément avant de se rapprocher de lui pour se caler à ses côtés afin de lui apporter un peu de chaleur. Attendri, l'éleveur se lova contre son pokémon et lui caressa doucement la tête, un petit sourire triste au coin des lèvres.
« J'ten fais voir, hein ? T'inquiètes pas pour ma tronche, va. Tu sais bien, depuis le temps, que c'est rien de grave. »Le petit yak grogna un peu, signe qu'il n'était évidemment pas d'accord, mais un regard calme et posé de Natsume suffit à la détendre. Puis, comme si il avait repéré quelque chose, il s'immobilisa. L'adolescent fronça les sourcils, rendu confus par ce changement soudain, mais remarqua bien vite ce qui avait attiré l'attention de son starter, majoritairement à cause du bruit.
Depuis qu'il avait obtenu cet œuf des mains du fils de Mina, il en avait prit grand soin. Le fils de son mentor était quelqu'un qu'il appréciait, et recevoir un œuf de sa part l'avait considérablement flatté, bien qu'il n'avait pas posé de questions sur le pokémon qui s'y trouvait. Il se doutait qu'il devait s'agir d'un pokémon de type feu ou de type vol vu la spécialisation du jeune garçon, mais peu importe, au fond. Quelle que soit le type de la créature sommeillant dans cet œuf, cela ne changerait rien. Rien qu'en s'en occupant, il s'y était déjà attaché ; il avait maintenant juste hâte de la découvrir.
Chose qui n'allait pas tarder à arriver, puisque l’œuf en question étant en train de s'illuminer et bougeait de droite à gauche à un rythme anormalement élevé.
Natsume, surpris, saisit alors nerveusement ses gants pour saisir l’œuf et le posa sur le lit, juste devant lui. Toshiro vint s'asseoir à sa droite, tout aussi curieux que son dresseur. Malgré le fait que ce n'était largement plus la première fois qu'il assistait à une éclosion, il ne pouvait pas s'empêcher d'être toujours autant émerveillé que la première fois, et se demanda un instant si il serait un jour lassé de ce spectacle. La sensation de chaleur dans sa poitrine lui fit se dire que non, et ce fut dans le silence qu'il témoigna de la naissance de ce nouveau membre de son équipe.
Un Funécire. Il ne saisit pas l'ironie de la chose, mais il est définitivement attendri par cette petite bouille ; la bougie vivante ouvre ses yeux lentement et les pose sur lui, tout aussi curieux que l'adolescent. Natsume sait qu'il ne peut pas le toucher sous risque de se brûler, mais il espère que le grand sourire sincère qu'il lui offre vaut tous les gestes du monde. Vu le petit saut du Funécire et son cri gai, il supposait que oui.