« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 
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 Boulevard of Broken Dreams |OS|

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Adélia G. Turnac
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Adélia G. Turnac
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MessageSujet: Boulevard of Broken Dreams |OS|   Boulevard of Broken Dreams |OS| EmptySam 12 Juil 2014 - 20:23


Boulevard of Broken Dreams

Alone with myself
Premiers pas, énièmes pas, contre cette chaussée agitée de la présence constante des hommes. Fébrile, le regard hagard et les pensées en hécatombe, je progresse sans vraiment avancer entre les grands soldats masqués de cet empire hérissé qui a provoqué ma perte. Visages immaculés dépourvus d'humanité au regard éteint, vendus à une vie de chaînes, de soumission et d'ordre. Et moi, presque provocatrice, zigzague dans la foule, à contresens, simplement pour sentir que j'appartiens à une vie propre, que j'aurai choisi, et non à celle qu'on m'a imposée il y a six ans. Six ans que je n'ai pas mis un pied sur cette même chaussée, six ans que je l'espère et que je m'imagine dans ses foules denses et malodorantes. Maintenant que je m'y trouve finalement, j'ai le sentiment étrange d'appartenir à une autre vie, à un éclat du passé, et que ma présence même menace l'équilibre de cette folle cacophonie. Je recherche les yeux des gens, de ces passants, de cette masse grouillante qui tente vainement de se plier à une volonté extérieure. Fuyants sont leurs regards, comme en déni de qui je suis et de ce que je représente pour eux. Seule, plus seule que jamais, le coeur en miettes. Le poids de mon héritage comme une pierre sur mes épaules fragilisées par l'émotion et tous les doutes qui m'habitent.

Carter avait raison sur ce point. Enola a changé, profondément. Mêmes les rires me sonnent faux, la démarche des gens a perdu de son ampleur et de sa détermination. Les édifices me paraissent sales et dépourvus de vie. À chaque détour, des âmes misérables vêtues de haillons tendent leurs mains vides en direction de la foule qui, indifférente et tendue, ignorent complètement la misère qui se déroule sous leurs yeux. Un pas et je suis vers cet homme, déposant un billet, certes modeste, dans sa main, mais qui pourra le nourrir aujourd'hui. Après une référence respectueuse, je m'éloigne, empruntant le chemin de la grande place publique, que je trouve étonnamment déserte. Sitôt un pied sur le carrelage qu'un étrange pressentiment m'envahit, comme la voix de mille et une âmes tendues dans le néant, cherchant désespérément à s'accrocher à la vie. Ma poitrine s'est gonflée sous l'effet de ce sentiment inattendu et je scrute les environs avec tristesse. Tant de gens ont péri ici. Tant de gens ont souffert. Bien avant le premier janvier, cette place a été sujette aux bombes, à la destruction. Je me dirige au centre de la place, où un souvenir plus vif encore s'empare de moi.

Je revois l'estrade de bois, la foule réunie devant, et la femme traînée de force jusqu'en haut, devant la potence. Je revois son regard enflammé, dépourvu de peur, je revois l'amour dans ses prunelles. La souffrance de sa chair, la faiblesse de ses membres et qui pourtant se raccrochaient à l'orgueil et l'honneur. Je revois la tendresse de son peuple scandant son nom sur la place, la rigidité des soldats. Je perçois noeud coulant à son cou, la trappe s'ouvrant sous ses pieds, et le craquement sinistre de ses os balancés au bout de la corde. Pour beaucoup, le décès d'une héroïne. En eux, l'agitation et la révolte, la haine provoquée par cette perte, cette claque au visage. Pour moi, la perte d'une mère aimée et chérie. La perte de celle qui n'a pas su être assez présente mais que j'aimais et admirais de tout mon coeur. Je m'agenouilles sur la place, posant mes mains contre le sol dallé, mon grand chapeau dissimulant mon visage où brille une seule larme. Lorsque celle-ci s'écrase sur le sol, je le vois enfin. Ces initiales, gravées dans la pierre. EFT. Eliza Frédérique Turnac. À l'endroit exact où sa vie lui fut arrachée. Un hommage silencieux en attendant de pouvoir la pleurer.

Je ne suis pas seule. Certains sur cette île croient toujours en ce rêve que je caresse de paix et de liberté. Ce rêve qui peut toujours se réaliser. Je laisse mes doigts courir contre l'inscription, adressant une prière mentale à ma mère qui doit certainement m'observer d'où elle se trouve. Je suivrai tes pas. Je te ferai honneur. Je rendrai à cette patrie que j'aime sa liberté. Je me battrai, maman. Pour toi, pour moi. Pour Enola.

(c)Golden
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