La journée a véritablement été bonne. Les entraînements de mes alliés ont bien avancé, aucun incident important n'a nécessité notre intervention urgente durant la patrouille, & enfin, Elinor est née.. Ou re-née. Enfin peu importe le terme exacte, l'œuf confié par la Compétition nous a révélé cette superbe épée qui lévite à ma suite alors que, ouvrant la marche, je regagne le Cottage en début de soirée. Eugène ne devant pas arriver avant vingt-deux heures, j'avais bien le temps de faire durer un peu cette journée, n'est-ce pas? D'un ton léger, j'explique à la Monorpale, aidée de Flynn & Bambi qui progressent tous deux à mes côtés, ce que je sais des spectres & la manière dont ses pouvoirs devraient se développer, peu à peu à mesure qu'elle se fera à ce corps. Attentive, elle écoute chaque mot, son œil pétillant déjà à l'idée de cette puissance que je lui évoque & qui est celle des individus de sa nouvelle espèce. Enthousiasme & bonne humeur sont les maîtres mots de l'équipe entière, alors que nous rentrons d'un pas léger rejoindre la jeune Zoélia que j'ai invité pour le diner ce soir, après qu'elle ait proposé de rester au Cottage aujourd'hui pour me permettre de faire cette patrouille avec l'équipe entière.
Cependant ce n'est pas la jeune éleveuse devenue mon amie que je trouve en arrivant à demeure, mais ma sœur aînée.. Qui fixe les cimes des arbres, l'air de ne m'avoir pas entendue, d'un air sérieux & pensif. Les bras croisés, adossée à la porte d'entrée, au côté de sa Lockpin qui arbore la même attitude. Une position d'attente très clairement, & je n'ai pas besoin d'examiner les lieux pour supposer qu'elle a probablement suggéré à Zoélia de rentrer chez elle & revenir plus tard.. Sinon la jeune fille serait avec elle, en train de tenter de lui changer les idées en babillant comme elle sait si bien le faire. Hors elle est absente. & le visage de ma sœur bien trop soucieux & sérieux pour que ce ne soit qu'une simple visite surprise à l'une de ses cadettes. Il y a autre chose. Je me remets enfin en marche, suivie seulement de Bambi, Flynn, Pascal & Mélodie, m'apercevant simplement maintenant que voir mon aînée m'avait figée. Inspirant profondément, silencieusement, je me décide finalement à l'appeler doucement, lui faire savoir que je suis enfin rentrée.

- .. Solène?
- Salut, petite sœur.

Son sourire est frêle, sa voix légèrement moins assurée qu'à l'accoutumée, alors qu'elle baisse les yeux vers moi pour prononcer ces quelques mots. J'avais déjà un mauvais pressentiment devant sa présence imprévue & son attitude trop pesante, mais ce salut & cette expression qui l'accompagne.. N'arrangent décidément rien. Loin de me rassurer, cela lance mon cœur dans une chamade effrénée, à tel point que je crains presque qu'elle l'entende. Sans m'en préoccuper vraiment au fond. Inspirant de nouveau pour tenter de calmer mes mains tremblantes, je m'appuie contre le mur près de mon aînée, sous les regards indéchiffrables de mes quatre alliés.

- Ca fait longtemps que tu es là?
- Sais pas.. Une heure, peut-être?
- Oh bon sang, tu aurais dû m'appeler, tu sais que j'ai troujours..
- Je sais, mais c'est pour les urgences. Ca pouvait attendre.

Hé bien, au moins aucun de nos proches n'est en train de se vider de son sang depuis une heure, hein? Aha.. Ha.. Un bref rire nerveux, très bref & silencieux, m'échappe alors qu'elle donne cette réponse, l'air de chercher ses mots à chaque instant. Je la connais, je la connais si bien depuis le temps. Je sens son malaise, que quelque chose ne va pas. Son sérieux, son air soucieux, son sourire vaguement crispé, sa voix presque hésitante.. Je devine tout cela avec aisance. & de savoir qu'il ne s'agit pas d'une urgence ne me rassure pas vraiment, au final. Silencieux, mes quatre pokémons présents près de moi, tout comme les quatre autres restés en arrière, m'observent avec inquiétude. Subitement, comme prise d'un regain d'assurance & de courage, je lève un regard enflammé vers elle, un regard qui perd un peu en assurance en croisant ses yeux noisettes dans lesquels tremble une discrète tristesse qui ne fait que serrer mon cœur un peu plus.

- .. Mais ce n'est pas une bonne nouvelle, hein?

Plus une affirmation qu'une question. J'en connais déjà la réponse. La voir soupirer profondément, fermant les yeux un instant comme pour fuir l'inquiétude presque paniquée des miens, ne me surprend pas des masses. Je sais ce qu'elle va répondre. & je m'y prépare déjà, tâchant de faire le vide en moi, de me calmer au maximum.. De cesser d'angoisser à ce point sans même savoir ce qu'est cette mauvaise nouvelle que je redoute. De cesser de me faire des films paniqués & morbides, d'imaginer tout & n'importe quoi. Je finirai bien par savoir.. A quoi bon me paniquer à ce point d'avance?

- En effet..

Même si je savais cette réponse, mon cœur affolé marque quelques ratés. Quoi? Qui? Que se passe-t-il bon sang? Ma sœur a rouvert les yeux pour me fixer, comme attendant.. Que je m'apaise? Sans nul doute. Soupirant à mon tour, longuement, j'insiste pour me calmer, mais mes mains tremblent malgré moi. Tournant les yeux vers Bambi qui m'interpelle doucement, je plonge mon regard dans le sien, reconnaissante alors qu'il me transmet ainsi force & courage. Je vais en avoir besoin, sans doute.. Ne serait-ce que pour repousser ces images glauques des films que je me fais. & pendant ce temps, ma sœur attend, attend que je sois en état de l'écouter. Un nouveau soupir, en glissant une main dans la fourrure de mon starter, & je me tourne une nouvelle fois vers elle, lui offrant un regard déterminé, aussi assuré que je le puis. Je suis inquiète, & je ne peux faire mieux.

- Hé bien, je t'écoute..

Hésitante, elle tergiverse quelques instants, cherchant probablement les mots, la bonne manière de s'exprimer.. Mais bien vite je la vois renoncer, se résigner. Je le devine dans le regard qu'elle lève vers moi, & cela me glace, me terrifie. Que peut-elle avoir à me dire pour poser de tels yeux sur moi, en renonçant à chercher une formule adaptée qui m'aurait agacée si elle avait fait mine de tourner autour du pot un seul instant -& elle le sait pertinemment-, que cela peut-il être de si terrible? Aurai-je eu raison d'imaginer de telles horreurs?.. Non, impossible.. Cela aurait été une urgence, qu'un membre de notre famille soit massacré, hein? Un nouvel attentat aussi, hein? & un emprisonnement aussi.. Hein? La curiosité est un bien vilain défaut, je l'ai toujours su. Mais cela ne m'a jamais empêchée de l'être. En tout cas aujourd'hui, j'aurai mieux fait de m'en inquiéter, de m'en souvenir, bien plus tôt. Car bien vite, trop vite à mon goût finalement.. La sentence tombe. Lourde & amère. Directe, comme sait si bien le faire ma sœur sachant que je hais les détours.

- C'est Maxwell, il.. Il est malade, Jude, il a un cancer. Une leucémie, en fait. Lys dit que ce n'est pas du plus grave, & que.. Judith?.

Ma respiration s'est bloquée dès les premiers mots, dès l'annonce. Pour reprendre un instant plus tard, alors que je sens le sang quitter mon visage, m'offrant sans doute une pâleur de mort propre à provoquer cette inquiétude dans le ton qui était déjà bien assez douloureux de ma sœur. & finalement m'échappe un rire, bref, plutôt un ricanement en fait. Sombre & ironique. Sans la moindre trace d'amusement ni de joie. Puis mon visage se décompose. Déni, refus. Je lève vers elle un regard brillant, suppliant. Ma voix n'est plus qu'un frêle filet, & si je sens l'angoisse de mes alliés, je n'y prête nulle attention.

- C'est.. C'est une blague, hein? Arrête Soso, c'est nul comme blague.. C'en est une, hein? C'est de très mauvais goût, tu sais?

Elle sait. Elle ne peut que le savoir. Ma plus grande peur c'est de les perdre, eux, ma fratrie. Les Weber, & Maxwell. Oh, grand frère, grand frère, ce ne peut pas être vrai n'est-ce pas? Tu es le roseau, hein? Tu ploies, le vent te pousse dans tes retranchements parfois avec violence, tu sembles fragile, mais en vrai tu es fort, hein? Tu ne peux pas.. Tu ne peux pas rompre, ni te briser, hein?

- Bordel, mais dis-moi que c'est faux!

Sur ce cri du cœur, je relève les yeux vers elle, m'apercevant juste maintenant de les avoir baisser après mes précédentes paroles. Pour me heurter à un regard peiné, mille fois douloureux. Un regard comme ceux que je n'aurai plus jamais voulu apercevoir sur le visage de ma sœur aînée déjà bien trop tourmentée. Sa main se lève vers moi mais renonce à mi chemin ; car elle sait. Elle sait ce que ses prochains mots provoqueront. Elle me connaît bien assez. Elle me comprend bien assez. Elle sait.

- Oh Jude.. Tu sais bien que je n'oserai pas plaisanter avec ça..

La sentence, encore une fois. & cette fois je suffoque. L'air me manque, & je ploie le genou, tête baissée, une main sur ma gorge comme si cela allait m'aider. Mon cœur.. Mon cœur en miettes. Il s'agite je crois, ce doit être lui qui tambourine dans ma tête. Mais comment parvient-il à battre encore? Mon frère est en danger de mort. En danger imminent & tangible. Ce n'est pas une blague. Pas une mauvaise farce. Jamais Solène n'aurait pu plaisanter avec ça, car elle sait, elle sait combien ça fait mal, car elle comprend & qu'elle craint autant que moi de voir notre fratrie encore brisée. Elle sait. Je sais. Elle n'essaie pas d'approcher, se contentant de me regarder avec un mélange de douceur & de souffrance, de compréhension ; je sens son regard peser sur moi. Mais elle n'approche pas. Elle sait que je dois endurer seule. Je repousse même Flynn, là où Bambi, comme elle, n'essaie pas. La réalité me tombe sur le cœur, parvenant à lui faire subir quelques ratés, le broyant un peu plus. Maxwell est malade. Mon grand frère a un cancer. Il risque le pire. Une inspiration soudaine, telle celle d'un noyé retrouvant l'air libre. Brièvement.

- Non..

Ce n'est qu'un mince filet de voix, à peine un murmure douloureux. Négation, déni, encore ; & pourtant je sais que je ne peux fuir cette réalité. Oh, comme je voudrai, pourtant! Tremblante, je me relève, sans prendre gare aux inquiétudes muettes de ma sœur, à celles plus ou moins tues de nos pokémons. Flageolante, je me dresse sur mes jambes, avant de courir, courir, à m'en couper ce souffle que je retrouvais à peine, courir aussi loin que je peux, jusqu'à ce que mes jambes m'abandonnent. Cela ne dure pas même une minute sans doute, tant le choc m'affaiblit, & alors je m'effondre. Mes jambes m'abandonnent, me laissant chuter à même le sol végétal de la forêt. Les larmes coulent, mon visage dissimulé dans mon coude droit. Recroquevillée à terre. Mon poing libre frappe le sol, plusieurs fois, rythmant les cris qui m'échappent. Déchirants & brisés.

- Non, non, non!

Des oiseaux s'envolent, des terrestres détalent, dérangés, mais je n'y prête pas gare. Pas plus qu'à mes pokémons m'ayant suivie, Bambi, Flynn, Mélodie, & la jolie Mulan évoluée pour parvenir à tenir le rythme. Solène, elle, est restée là-bas, ou rentrée chez elle, leur faisant confiance & sachant bien qu'elle sera impuissante, que je retournerai vers elle quand je serai prête à accepter d'entendre la fin de ses explications. J'ai mal. Arceus, j'ai si mal! Je suis terrorisée, terrifiée. Telle une petite fille que je semble être redevenue, niant & sanglotant. Douleur, mêlée de rage. Impuissance & terreur. Me redressant dans un sursaut d'énergie, je me dresse face à un arbre avant d'abattre mon poing contre son tronc, de toutes mes forces, sans prêter gare à la douleur qui se répend aussitôt dans ma main désormais ensanglantée. Furieuse & brisée. Un hurlement m'échappe, hurlement de souffrance & de révolte impuissantes.

- PUTAIN DE MERDE!

& je m'écroule de nouveau, à genoux cette fois, mon visage dans mes mains. Les épaules secouées de sanglots, les larmes coulant à flots. Mon frère, mon frère.. Comment pourrai-je accepter de le perdre, si devait arriver le pire? Comment saurai-je le supporter? Je ne remarque l'arrivée d'Eugène que lorsqu'il s'agenouille près de moi, m'attirant contre son torse dans un geste doux, un geste de réconfort, sans paroles puisque nuls mots ne seront suffisants & il le sait. Il rappelle juste sa présence. La rage me fait toujours trembler, mais mon énergie est vidée, je ne puis plus me débattre ou me défouler. Alors je me laisse aller contre lui, me raccrochant à lui, agitée de sanglots déchirants. Comment accepter d'envisager le pire, de faire face à ma plus grande peur?.. Telle est ma grande phobie, perdre un autre frère ou une autre sœur. & je refuse.. Je refuse d'y être confrontée! Hélas, je ne peux.. Rien faire, rien. Ce n'est pas une menace que je puis repousser par les armes. Je suis impuissante. Furieuse. Terrorisée. Brisée. Sans les bras fermes de mon fiancé, je serai déjà effondrée. Mais même lui.. Même lui ne parvient pas à m'apaiser. Il n'y a qu'une chose à faire, attendre que la crise passe.. Comme il n'y aura qu'une chose à faire pour Max, attendre de voir venir.. Arceus, cette seule idée est insupportable! Suspendue à une incertitude valsant entre les chances de rémission de sa maladie.. Ou.. Le pire. Un gémissement pitoyable m'échappe encore, sur cette pensée, déchirant tout comme mes pleurs. Brisé & vacillant, tout comme moi.

- Grand frère..