Faire un pas en avant
Évolution de Freya
Sept heures du soir. Après avoir avalé le repas rapide et particulièrement équilibré que sont les nouilles instantanées au poulet (vous l'entendez, le sarcasme ?), il s'était comme d'habitude fait chauffer un thé pour aller le déguster sur la terrasse du deuxième étage. Il poussa un soupir las en faisant tourner sa
cuillère dans sa tasse, son regard ne quittant pas la pierre verdâtre qu'il tenait fermement dans sa main. Presque affalé sur sa
chaise, il hésite. Il sait que c'est stupide que d'être aussi incertain sur quelque chose de pourtant si simple, mais il sent qu'il approche si fortement de la fin de sa zone de confort qu'il ne peut s'empêcher d'avoir quelques craintes. Après tout, ce qu'il s'apprête à faire, ce n'est pas rien. Ou du moins, à ses yeux, la signification est loin d'être minime ; il a réfléchi, pour une fois. Depuis le dix juillet, il a compris quelque chose, une vérité indéniable que même toute sa mauvaise foi ne peut pas renier ; il ne peut pas être utile. Ou du moins, pas comme ça. Pas maintenant, dans cet état, avec ces connaissances et compétences-là. Incapable de se battre et profondément pacifiste, il ne serait qu'un poids lourds en cas d'urgence, et il a vite eut fait de comprendre que sur cette foutue île, ce n'était peut-être pas une bonne chose. Il a pu le voir. Il a pu se sentir dépourvu, faible et perdu. Incapable de quoi que ce soit, être une source de soucis plus qu'autre chose. Il a haï ça et a eu l'occasion de se détester pour ce gigantesque défaut. Cette
colère qu'il avait ressenti contre lui-même l'avait poussé à laisser tomber ses excuses et ses innombrables pensées stupides pour faire quelque chose d'intelligent, pour une fois. C'était devenu trop habituel pour qu'il parvienne à l'accepter, alors s'était mis à réfléchir longuement sur ce qu'il devait faire.
Sans surprise, il avait été très facile d'arriver à une seule unique indéniable conclusion, dont il avait toutefois longuement repoussé l'application par lâcheté et incertitude quant à ses propres capacités. Il avait certes compris qu'il ne pouvait pas se laisser aller à une pareille
incompétence plus longtemps, mais faire quelque chose à ce sujet... C'était plus compliqué, disons. Natsume n'aime pas sortir de sa zone de confort, petit refuge qui lui a servi à supporter des années de vie rudes et parfois difficiles ; le faire aujourd'hui, c'est beaucoup. Au fond, c'est pour la mieux. C'est peut-être quelque chose qui peut paraître comme futile et superflu pour la majorité, mais pour lui, c'est un pas en avant, chose qu'il n'a pas fait volontairement depuis longtemps. Que ce soit par peur ou stupidité par contre, il serait bien incapable de le dire. Se cacher dans sa chambre avec de la
musique à fond dans les oreilles n'est plus une solution durable, il le sait ; ça ne l'a jamais été, mais ça, il vient à peine de se l'admettre. Alors il avait envoyé
voler ses démons, et s'était dit qu'il ne perdrait rien à essayer. À force de se ramasser, il avait fini par se dire qu'il pouvait bien encore une fois s'étaler comme une merde que ça ne changerait rien à ses habitudes, et que ça aurait été presque ordinaire. Ouais, pour progresser, môssieur se la joue défaitiste à tendances amères ; mécanisme de défense stupide mais inoffensif pour le coup. Et au fond, ça lui donnait le courage nécessaire.
La pokéball qu'il a laissé posée sur la table est toute aussi importante que la pierre. En fait, elle l'est plus, mais l'une ne va pas sans l'autre aujourd'hui. Alors qu'il expire profondément et vide sa tasse d'une gorgée, il pose la pierre et saisit la ball. Il la serre fermement dans sa main, souhaitant presque s'y raccrocher, mais finit par en libérer une Ortide plus que familière.
Freya. Adorable créature qui s'était jointe de façon plutôt brusque à lui, mais il n'allait pas se plaindre ; la femelle s'était intégrée à l'équipe si facilement qu'on aurait pu croire qu'elle en avait toujours fait partie. Son envie d'aider était telle que lorsque Natsume avait commencé à réfléchir à son idée, lui en parler et lui demander son aide lui avait paru tout simplement évident. Cela le rassurait sûrement de se dire qu'au moins, il ne serait pas
seul, pour une fois.
L'Ortide l'observe avec curiosité, ne comprenant pas vraiment pourquoi elle avait été sortie maintenant. Natsume eut un sourire nerveux, presque jaune, sentant l'angoisse lui monter aux tripes. Il soupira lourdement, rendu soudainement hésitant. Il se mord les lèvres, et Freya, inquiète, tenta de le convaincre de parler maintenant en poussant légèrement une de ses jambes. L'éleveur lui caressa doucement la tête pour la calmer, et quelque part aussi un peu pour se rassurer lui-même. Ce n'était pas si sorcier, alors pourquoi était-ce si compliqué ? Pourquoi quelque chose d'aussi innocent le mettait-il dans un état de nervosité pareil ?
« Freya, dis-moi... Tu te souviens de pourquoi tu m'as rejoint, au départ ? »L'Ortide hocha de la tête, curieuse. Natsume fit de son mieux pour garder son sourire qui, même si il puait la nervosité à quarante kilomètres, apaisait la crainte de Freya qui sentait bien que quelque chose clochait chez son dresseur. Il avait l'air aussi à l'aise que si il était en l'air, ce qui, en connaissant son vertige, en disait bien assez.
« Tu voulais apprendre à soigner, et moi aussi, mais ce jour-là, je n'étais sûr de rien, tu sais. Je ne sais pas si j'en sais plus, aujourd'hui. Mais... »Après avoir pris une forte inspiration, il saisit la pierre plante et la tendit avec calme vers l'Ortide. Celle-ci écarquilla les yeux, surprise et ébahie.
« Ce que je sais, c'est que... J'aimerais qu'on apprenne ensemble. Je ne te promets pas d'être parfait, mais, je crois que ça serait sympa. En tant que Rafflesia, tu pourras apprendre certaines attaques qui te seront sûrement très utiles, comme Aromathérapi. »Puis, il ne pu s'empêcher plus longtemps de balbutier. Sur le coup, il avait l'impression d'être comme accroché au sommet d'un arbre de six mètres, sur une
branche qui commençait à craquer. La nervosité avait tendance à lui donner cette impression, malheureusement. Il fallait vraiment qu'il apprenne à se détendre, mais ça, c'était beaucoup lui demander. Lapin nerveux un jour, lapin nerveux toujours.
« B-bien s-sûr, tu as le choix, h-hein. Je veux dire... J'ai juste pensé que, que, enfin, euhm, que ça pourrait être intéressant... Je comprendrais si tu disais non, hein, alors ne te force p- »Et heureusement pour le taux de ridicule, Freya n'attendit pas la fin de la logorrhée verbale balbutiée par son dresseur avant de poser ses mains sur la pierre d'évolution et d'être lentement recouverte d'une lumière éclatante et vive. Natsume cligna des yeux, stoppé dans ses explications à moitié bafouillées. Et avant qu'il n'ait pu comprendre quoi que ce soit, une Rafflesia tout bonnement magnifique se tenait devant lui, souriant si fortement qu'elle aurait pu provoquer l'apparition d'un arc-en-ciel rien qu'en en faisant cela. Un air un peu bête se dessina sur le visage du lapin, qui observait Freya avec un regard tellement niais que c'en serait ridicule, et une bouche s'ouvrant et se fermant à répétition à la manière d'un
poisson.
« Je s-suppose que ça veut dire oui, donc... »Heureusement que Freya n'était pas du genre à exprimer sa satisfaction en un
hurlement mais plutôt à lui sauter dessus pour quémander des câlins, parce que vu la force avec laquelle elle serrait actuellement son dresseur, il y avait fort à parier qu'il aurait perdu un tympan. Un sourire plus doux et tendre étira les lèvres de Natsume.
« Merci, Freya. On fera de notre mieux, hein ? »Le hochement de tête de la Rafflesia fut bien suffisant pour exprimer son avis. En attendant, il allait devoir parler à Mina, et lui demander de le former un peu, ou du moins pour les bases. Il avait le temps, mais il fallait bien commencer un jour.