Confrontations |OS|

Confrontationsfeat. Shen & Matthew Davis

Poing droit, point gauche, une roulade, frappe plus haut, plus fort, coup de pied, encore une fois, plus vite, plus souplement, vise la gorge, approprie-toi la force de ton adversaire. Je me concentre sur ses notions, apprises il y a plusieurs années, notions qui ne m’ont jamais quittée. J’oscille devant le sac de boxe, ignorant à la fois la douleur dans chacun de mes membres, la sensation lancinante dans mes poumons et la sueur qui recouvre mon visage, envahissant mes yeux. Je continue de frapper sans arrêter contre le punching ball qui se contente de frémir contre mes attaques répétées. Un grand calme m’a envahie, malgré la présence, tout autour de moi, d’un spectre qui refuse de me laisser en paix. Aujourd’hui accompagnée de mille et une pensées confuses, Aimee n’attend que le moment où je me retrouverai seule pour me torturer l’esprit de ses mots perfides. Afin de l’éviter, de me reconcentrer dans le moment présent et non dans ce passé qui continue de me hanter, je m’entraîne aujourd’hui en cette rare journée de congé, me dépensant physiquement afin d’oublier. Je m’arrête quelques instants, les poumons en feu, pour boire un peu d’eau et surveiller la progression de mon allié, un fier Moustillon, qui s’entraîne lui aussi à mes côtés. Le bloc de granit que je lui ai attribué est parcouru de longues cicatrices là où la loutre a abattu ce coquillage qu’elle manipule avec brio. Je souris en tentant de reprendre mon souffle, admirative des progrès dont fait preuve le petit Shen.

Malgré sa petite taille, il ne fait aucun doute qu’il est un vaillant guerrier, de la trempe des plus grands. Il me fait presque étrange de constater son expérience. Hormis Hayim, il est de loin l’un des plus âgés de l’équipe, même que je serais prête à parier qu’il évoluera sous peu. Alors je vivrai ma première évolution, une très grande réussite que Shen aura pleinement méritée. Son adaptation à notre train de vie ne s’est pas déroulée aussi facilement qu’avec Vong. Au contraire, son caractère taciturne, sauvage et solitaire ont fait en sorte qu’il s’est peu mêlé aux autres. Par contre, j’ai réussi à le rapprocher de moi, lors de ces moments privilégiés que nous échangeons quelques fois en nous entraîner ici, dans un établissement secret d’Amanil, réservé bien sûr aux membres du Régime. Le Moustillon finit par remarquer ma surveillance de ses moindres faits et gestes et s’arrête pour se tourner en ma direction, cherchant dans mes traits fatigués quelque forme d’approbation. J’hoche lentement la tête avec un léger sourire. Évidemment que je suis satisfaite. Il émet un grognement avant de reprendre son exercice, apparemment infatigable, lorsqu’une voix derrière moi se fait entendre.

«Tu t’entraînes durement pour quelqu’un qui pourrit habituellement dans un bureau je trouve.»

Je fais volte-face, constate que l’auteur de cette remarque n’est nul autre que mon ex-copain, Matthew. Je lève les yeux au ciel, ne voulant pas lui offrir la satisfaction de répondre. Il s’approche de moi en me considérant avec un sourire en coin. Ses cheveux sont toujours humides, il doit sortir de la douche. Son unité habite ce bâtiment, je le savais bien sûr en venant ici. Je n’espérais pas spécialement le croiser, mais maintenant que c’est fait, je ne peux pas vraiment m’empêcher de le dévorer du regard. Il n’est jamais aussi beau qu’au sortir de la douche, le torse dénudé encore humide, simplement vêtu de son pantalon de civil, un jean qui lui va comme un gant. Il n’y a pas à dire, Matt est toujours aussi séduisant et il se rend bien compte de l’attirance qu’il projette sur moi alors qu’il s’avance d’un pas, amusé par mon mutisme scrutateur.

«Hé oh, on a fini de se rincer l’œil mademoiselle?»

J’hausse les épaules avant de continuer à m’entraîner et frappe quelques coups contre le sac de box. Pour sa part il n’en a pas fini avec moi, s’approche pour surveiller mes coups. À quelques reprises il corrige un mouvement ou m’offre un conseil verbal. Après quelques moments passés ainsi, je grogne et me retourne vers lui, agacée.

«Laisse-moi m’entraîner en paix, Matt, je me débrouille.»

«Bien sûr, tu te débrouilles, comme d’habitude. Si tu n’étais pas si rouillée, tu ne te serais jamais fait prendre ainsi par un Résistant de mauvaise qualité.»

Je me sens m’hérisser. Cette phrase contient tellement de condescendance que je dois me retenir de lui cracher mon venin à la figure. Ainsi agit Matt, sans même s’en rendre compte. Par manipulation. Il ne souhaite que me faire sentir mal et faible afin que je le supplie de m’entraîner, ce qui irait forcément grossir son égo démesuré. Ce qu’il avance à mon sujet est faux. Oui, je suis rouillée, mais je n’ai rien oublié de cet entraînement qui fut le nôtre pendant des années, celui pour lequel on me levait avant le soleil, celui qui me laissait croire que mon corps s’en disloquerait pour toujours. Puis il y a cette insinuation au sujet de mon kidnappeur, de Vador. Un Résistant de mauvaise qualité? Je ne saurais dire, mais il était un adversaire de taille. Silencieux comme un chat, il a usé de sa force contre la mienne et m’a devancé. Peut-être qu’au sortir de l’armée il n’aurait jamais eu le dessus sur moi, mais qu’aurais-je pu faire devant Zoroark et Leopardus en toute sincérité? Je repense à la gentillesse, aux attentions, au courage dont il a démontré pour me sauver d’un mauvais pas. Il n’était pas un Résistant de mauvaise qualité.

«Mauvaise qualité toi-même. Vas te faire foutre, Matt, laisse-moi tranquille.»

«Wow, wow, on se calme.»

«Rends-nous service et casse-toi. Je bosse.»

Je me remets à frapper contre le sac, plus fort encore que tout à l’heure. La colère bouille dans mes veines. Il le devine aisément puisqu’il esquisse un pas vers l’arrière, prudent. Il a deviné qu’il est allé trop loin, qu’il a joué les imbéciles un peu trop et qu’il a réveillé la bête en moi, celle qui pourrait bien causer sa perte. Il me laisse frapper en silence et pendant un instant, je crois qu’il est partit.

«Désolé, Cass. Je m’inquiète pour toi, c’est tout. J’ai agi comme un gros con…»

«Ouais tout à fait.»

«… parce que je veux que tu prennes ton entraînement au sérieux. J’ai le sentiment que d’augmenter la sécurité de l’immeuble…»

«Elle va très bien la sécurité de l’immeuble.»

«… ne sera pas suffisant pour te protéger et j’ai peur que…»

«Je sais me défendre toute seule.»

«… cet imbécile revienne te faire du mal.»

«Il ne m’a fait aucun mal. Absolument aucun. Tu m’entends? Il ne me voulait pas de mal.»

«Il t’a kidnappée.»

«Erreur de parcours. Je n’aurais pas dû me trouver là.»

«Tu le défends?»

«Bien sûr que non t’es taré ou quoi? Ce qu’il a fait est inacceptable mais lorsqu’il avait l’occasion de se débarrasser de moi, il ne l’a pas fait. Il aurait pu me laisser crever mais il m’a sauvée. Alors ferme ta gueule sur ce que tu ignores et laisse-moi tranquille, je n’ai pas besoin de tes conseils ou de ta présumée protection, je ne suis pas ta petite princesse à sauver même si ça te plairait bien trop.»

Son visage se crispe de douleur, déformant ses traits. Ses prunelles me scrutent, sa bouche s’ouvre à la recherche d’air. Je sais exactement où attaquer pour lui faire mal, pour le détruire de l’intérieur. N’a-t-il pas compris quel jeu dangereux il ose jouer? Son bras s’empare du mien sèchement alors qu’il me foudroie du regard.

«Tu penses que tu peux tout faire par toi-même hein, Cass? Ça te plaît de jouer les dures? Tu ne te rends pas compte que les autres t’aiment, ça te fait trop mal d’y penser alors t’agis comme une pauvre conne pour nous blesser. Tu sais quoi? Tu n’es pas invincible et le jour où tu auras besoin des autres, tu n’y trouveras que des dos tournés.»

Un cri vient déchirer le silence qui s’installe à la suite de ces paroles qui me déchirent. Je suffoque, tente de me dégager, jusqu’à ce qu’un éclair accompagne cet hurlement déchaîné. Un grand fracas se fait entendre alors que le bloc de granit où s’entraînait Shen explose en plus multitude de petits éclats qui roulent à nos pieds. L’étau du jeune homme se défait contre mon poignet alors que nous considérons tous les deux l’endroit où le Moustillon se tenait un instant plus tôt, ébahis. Devant nous se tient un Mateloutre à l’air impressionnant qui menace le patrouilleur du regard. Tout autour de lui s’élève une poussière compacte qui ne fait que renforcer l’éclat sauvage de ses prunelles d’un bleu sombre. Un grondement s’échappe de sa gorge qui fait reculer Matthew. De toute évidence, mon allié n’a pas apprécié l’intervention de mon ex. Pour ma part je ne peux plus me détacher de la contemplation de la loutre musculeuse et adroite qui me fait face. Quel magnifique spécimen!

«Désolée Cass. Mes mots ont dépassé ma pensée.»

«C’est faux, tu penses chaque mot que tu viens de dire. Tu as en partie raison d’ailleurs.»

J’hausse les épaules en m’approchant de Shen afin de le rassurer. À ma vue il se calme quelque peu, poursuivant sa froide inspection de l’homme à mes côtés cependant. Je soupire, agacée par toute cette tension. J’ai tendance à m’enflammer d’un coup mais je n’aime pas particulièrement rester frustrée, je préfère trouver une raison de m’apaiser et c’est exactement ce que m’a offert le Mateloutre.

«Je me débrouille. Arrête de t’inquiéter.»

«D’accord.»

Sur ce, il se retourne et s’éloigne, finalement, en direction du couloir adjacent, me laissant seule avec Shen. Je soupire à nouveau, venant ébouriffer la crête de cheveux en bataille sur le sommet de son crâne.

«Merci Shen.»

D’un mouvement de tête, il acquiesce, le regard brillant.

(c)Golden