Tenter de retrouver son chemin

Feat Yasmiga S. Jaegan-Black

Neuf jours depuis l'accident. Neuf jours difficiles passés à déprimer et à broyer du noir à la maison, à se laisser pourrir dans un état tout à fait pathétique et stupide, à souffrir et à supporter cette douleur parce qu'il n'existe pas d'alternative. Natsume ne peut pas dire qu'il n'est pas entouré, toutefois, puisqu'il est couvert d'affection et de gentillesse par ses proches qui font tout leur possible pour lui remonter le moral et lui donner le sourire malgré la difficulté de la tâche. L'adolescent aimerait les remercier, leur montrer qu'il leur était reconnaissant de toutes ces attentions, mais il est trop plongé dans sa morosité pour être capable d'autre chose que de brefs, rares et vides sourires. La frustration de ne pouvoir rien faire d'autre le mettait dans une colère folle envers lui-même, et il avait tellement l'impression d'être un boulet, un fardeau et bref, vous voyez là où la narratrice veut en venir.
Alors pour se débarrasser de cette impression, il avait décidé de se remettre au travail, même si c'était peut-être quelque peu stupide étant donné que la fatigue était visible sur son visage comme un néon dans la nuit noire. Il n'avait pas l'air très en forme, et il avait perdu du poids, il le savait, mais son teint blafard et ses trop lourdes cernes n'allaient pas l'empêcher de bosser, ça non. Natsume se refusait à tomber dans un immobilisme et un pathétisme qui avait déjà trop duré, car passer son temps à se lamenter était quelque chose qu'il exécrait. Il avait tenté de continuer ses recherches, mais il avait vite compris qu'il n'arriverait pas à mettre son cerveau en marche vu son état mental, et qu'il avait besoin de se dépenser, de faire quelque chose qui lui viderait l'esprit sans demander qu'il n'utilise ses restes de neurones. En gros, une activité physique. Et autant dire qu'en ce moment, le skate n'était pas vraiment une bonne idée, puisque certains de ses réflexes laissait à désirer ; se casser un os parce qu'il n'était pas assez attentif n'était pas une possibilité très attrayante, honnêtement.

Il avait donc fini par se dire que reprendre son travail à la pension n'était pas une mauvaise idée. Faust était celui qui avait appelé Mina suite à l'accident, pour la prévenir qu'il serait absent pendant une semaine ou deux, et le japonais n'avait pas osé se représenter avant, trop honteux de son état. Mais aujourd'hui, il avait pris le peu de courage qu'il avait à deux mains et s'était décidé à y aller, non sans une grande hésitation et beaucoup de malaise. Sur tout le chemin, il avait de nombreuses fois failli repartir, certain et persuadé qu'il ne serait d'aucune utilité, mais à ses côtés, Kaede refusait complètement de voir son dresseur faire cela et deux ou trois regards noirs bien venimeux suffirent à l'éleveur pour qu'il comprenne qu'il n'avait rien à perdre, après tout. De toute façon, il était tombé si bas qu'il serait impossible de faire pire, maintenant, sauf peut-être agir en lâche absolu en n'y allant pas. Avec l'insistance de la Massko, il se présenta finalement à la porte de la pension en se mordant les lèvres. Puis, avec une timidité bien plus puissante que celle qui était la sienne d'ordinaire, il toqua à la porte, non sans avoir le désir de se terrer sous terre quelques secondes après. Kae lui frappa une épaule, exaspérée.

Tenter de retrouver son chemin

Feat Yasmiga S. Jaegan-Black

Maintenant qu'il a toqué et ne peut plus retourner en arrière, il se rend compte qu'il aimerait bien s'enfuir loin d'ici et ne plus jamais réapparaître. Disparaître sur place, pour ne pas avoir à affronter toute la honte qu'il ressent quant au fait de s'être terré chez lui pendant neuf jours comme le gamin pathétique et stupide qu'il était. Natsume n'était déjà pas à l'aise en venant, mais alors là... Là, il était en train d'essayer de voir l'excuse qu'il pourrait sortir pour s'en aller, tout en se doutant fortement que ce serait inutile et de toute façon, même si il avait du mal à l'avouer, il n'avait pas envie de partir. Le fait de voir son mentor suffisait à lui mettre un peu de chaleur dans la poitrine, car sa présence lui permettrait au moins de lui faire se sentir à l'aise, ce qui était de plus en plus difficile ces temps-ci vu qu'il avait surtout l'impression d'être un poids lourd pour ses proches et ceux qui s'inquiétaient pour lui, ce qu'il ne méritait pas à ses yeux. Oui oui, le frapper est tentant mais ce serait tout bonnement inutile, d'autant plus qu'il persisterait à croire ce qu'il disait et que ce ne serait qu'une perte de temps de masochiste que de tenter cela. Ces pensées contraires le font hésiter, et il n'arrive pas à relever le regard vu qu'il sait plus que bien que Kaede est en train de le regarder avec ces yeux qui, si ils avaient été des balles, l'auraient tué sur le coup. La Massko avait tant insisté pour qu'il vienne qu'elle n'accepterait pas de fuite dorénavant, ce qui désespère et arrange tout à la fois le hérisson, de par le fait qu'il n'a plus vraiment de dilemme à résoudre par ses propres moyens et qu'il ne pouvait pas non plus faire jouer son instinct de contradiction, ce qui blessait quelque peu son ego.

Puis finalement, au bout de quelques instants, la porte finit par s'ouvrir. Il sait déjà qui lui a ouvert, mais il n'ose pas relever les yeux pour confirmer ce qu'il sait déjà, mal à l'aise. La main qui se pose sur son épaule le fait sursauter et il pose alors ses yeux délavés sur l’hôtesse de pension, perdu. Il avança sans rien dire, Kae le suivant comme une ombre fidèle et silencieuse. Paumé, il ne dit rien hormis une bien maigre salutation, étant même dans l'inconfort à l'idée de parler car à ce stade, il avait l'impression que le moindre de ses actes serait une bêtise, résultat de son état mental instable. Sa proposition, toutefois, eut lui mérite de le forcer à relever la tête, puisque la politesse le forçait à passer au dessus de son malaise.

« Je... Je v-veux bien, oui. Si ça ne te dérange pas. »

Des paroles hésitantes, tremblantes et si peu assurées que Natsume ne pouvait que s'insulter mentalement de cette bêtise, mais c'était déjà au moins ça. Bien mieux que le 'bonjour' à peine audible de tout à l'heure en tous cas. Il jeta un coup d’œil vers Minuit et Sakura, non pas surpris de leur présence mais il n'avait pas fait attention à quelqu'un d'autre que Mina, pour l'instant. Il hocha faiblement de la tête en leur direction et, ne sachant pas si il devait s’asseoir ou pas, préféra rester debout. Il passa nerveusement une main sur sa nuque pour la masser et essayer de se débarrasser de cette angoisse qui était en lui, sans trop de succès.

« Pardon de ne pas avoir donné d'expl-d'explications, j-je... J'aurais dû appeler par moi-même. »

La vérité était que de toute façon, il n'aurait pas appelé vu qu'il avait souhaité au départ venir tout de même, et ce en dépit de son état : il avait fallu des menaces importantes de Faust pour qu'il concède à se reposer. Néanmoins, il n'avait pas eu le courage d'appeler Mina pour la prévenir de la situation et de son état, ce qu'il jugeait égoïste et il n'avait part tort, mais il était inutile d'y penser maintenant, et il le savait, sauf que si Natsume faisait la moitié des choses que son cerveau lui disait de faire, il aurait bien moins de soucis dans la vie en général.

« E-enfin... Tout va bien ? »

Une question, rien que pour détourner l'attention, dans un effort de paraître moins ridicule qu'il ne l'était pourtant. Il savait que ça ne suffirait pas, mais cela parvenait au moins à le détendre un tant soit peu, mais ce n'était pas vraiment l'effet le plus remarquable du monde.

Tenter de retrouver son chemin

Feat Yasmiga S. Jaegan-Black

Il a l'air un peu con mine de rien comme ça, debout comme un abruti ne sachant pas quoi faire. Il est comme statufié, n'osant pas faire le moindre geste par peur de déranger. L'impression qu'il ne devrait pas être là cohabite avec celle qui dit qu'il devrait rester et du coup, ne sachant pas quoi faire, il reste dans l'immobilisme. Ce n'est très certainement pas ainsi qu'il va régler quoi que ce soit, mais son cerveau un peu atrophié n'y pense pas. Il voit bien que Mina l'invite à s’asseoir, mais il hésite trop et même si il fait un pas timide en direction du canapé, il lui faut un regard noir de Kaede et une légère tape sur l'épaule pour qu'il y pose ses fesses, idiot comme il est. Néanmoins, même posé sur le canapé, il n'arrive pas à parler et observe le sol avec une détermination à la limite du ridicule, comme si il détenait toutes les réponses sur la vie et l’existence. La Massko ne dit rien, exaspérée mais pleinement consciente que ce n'était pas en le brusquant qu'il se mettrait à ouvrir sa bouche, bien au contraire, puisque le Shimomura avait le talent de, comme la grande majorité des hérissons présents sur cette île apparemment, de se renfermer comme une huître en cas de souci, ce qui était ô combien agaçants pour ceux l'entourant.

Qu'elle comprenne son comportement est déjà un poids en moins dans sa poitrine, mais pas un allègement de sa culpabilité. C'est compliqué tout ça en somme, et le malaise qu'il ressentait déjà ne fait que s'accroître alors qu'il repense à l'état tout à fait pathétique dans lequel il était il y a de cela très peu. Peu à peu, il arrive à s'extirper de sa chambre, à passer timidement et rapidement dans le salon pour saluer les autres, mais pas à retourner à ses tâches habituelles et ce en dépit de toute sa volonté qui, déjà affaiblie par le coup qui lui avait été porté, n'était pas suffisamment forte pour lui permettre de continuer à vivre comme si de rien n'était. Il avait conscience que c'était une preuve de faiblesse immonde, dégradante et qui provoquait consternation en lui-même, mais c'était tout simplement plus fort que lui, et rien que ce l'admettre était difficile. Depuis ce qui était arrivé il y a maintenant plus de deux ans, il avait mis un point d'honneur à ne jamais retomber si bas, et ce en se forgeant une carapace si épaisse qu'elle l'avait transformée en un gamin désagréable, insensible et plus solitaire qu'autre chose, ce qui n'avait changé que lorsqu'il était arrivé sur l'île. Mais même là, il ne peut pas se voiler la face sur la stupidité manifeste de son comportement. Il savait que, suite à ce qu'il avait appris, fermer la porte de sa chambre à clé pour empêcher quiconque de rentrer était une mauvaise idée.
Qu'elle comprenne lui fait du bien, mais en même temps lui fait se dire qu'il n'agit qu'en égoïste, au fond, et que ce n'est pas excusable. Il le savait déjà de toute façon, mais cela ne faisait que confirmer son impression.  

L'entendre s'excuser le fit relever les yeux toutefois, surpris, puis il se mordit les lèvres et baissa le regard, honteux. Non, aimerait-il dire, si il y en a un qui doit s'excuser et se sentir coupable, c'est moi, pas les autres. Mais rien ne sort. Entendre cela lui fait plaisir car cela le rassure qu'elle serait bien venue si elle avait pu, tout en même temps qu'il sent des remords à l'idée que son mal-être ait causé des soucis aux autres, chose qu'il savait déjà par ailleurs puisqu'à cause de lui, l'humeur de Faust, de Samaël et de tous ses proches en avait payé le prix fort. Trop naïf, il ne voit pas le tour habile que vient de jouer son mentor en matière de rhétorique, et tombe donc en plein dans le piège sans s'en rendre compte un seul instant.

« N-non, je... De toute façon je... Je ne voulais voir personne, à la base. »

Il balbutie, couvert d'embarras par son propre comportement. Il n'en est pas fier maintenant, mais pas sûr que ça lui serve de leçon définitive en fin de compte. Il est probable qu'il recommencera, ou peut-être pas, qui sait, ça reste à voir.

« J'étais trop... Trop stupide pour faire autre chose que m'isoler. »

Il prit une grande inspiration, sa voix se faisant plus fragile et hésitante, devenant de moins en moins sûr de lui au fur et à mesure qu'il parlait.

« Je voulais juste... Dire que si il y avait besoin d'aide, j'étais là. En-enfin, je... Je sais pas. »

Ses derniers mots ont bien plus de sens que tout ce qu'il a dit avant, car la vérité est bien là : il est définitivement perdu, et le chemin à suivre ne lui avait jamais paru si flou. Il n'était pas venu ici pour rien après tout, même si c'était plus inconscient qu'autre chose.