Je n'avais plus qu'une envie, rentrer retrouver mes filles, & partir avec elles rejoindre leur père. Les serrer tous trois contre moi, & oublier le carnage ; car maintenant que j'étais face à cette infirmerie du chaos, maintenant que l'émotion induite par la majesté du départ de Sulfura, enfin calme, était passée.. Je ne voyais plus que tourments & souffrances. Certes pour beaucoup, le rapport de Calypso, bien moins catastrophique que j'aurais cru, m'avait rassurée & apaisée. Mais face à tant de blessés au martyre, c'était infime, véritablement infime. & je ne rêvais plus que de mon foyer, qu'une nomade telle que moi ne pouvait trouver qu'au sein de sa famille, d'oublier cela en me réfugiant auprès d'eux ; tout en sachant que cela m'était impossible. Même sans compter sur le fait qu'un départ si hâtif de la froide Soledad serait difficile à comprendre vu sa réputation contradictoire d'empathique pour les blessés, je m'en voudrais à jamais d'abandonner ainsi tous ces gens sans avoir fait mon possible pour leur venir en aide. J'en avais encore pour un bon moment avant de pouvoir retourner auprès des miens, & je le savais parfaitement. Refoulant un profond soupir, je serrais brièvement la patte de ma chère Lockpin. Puis d'un geste décidé, j'ôtais les gants gris de Soledad pour les ranger dans ma sacoche, réclamant à un bénévole proche une paire de gants stériles, ou du moins plus adaptés à traiter les blessés que ceux que je venais d'enlever. Je n'étais pas médecin, mais je pouvais toujours jouer les aides-soignantes ; je savais exécuter les gestes de base, comme je pouvais maintenir un blessé trop agité.

Inspirant profondément, discrètement, dans une vague tentative d'auto-motivation, je me mis à la tâche. Commençant par une résistante toute vêtue des couleurs de l'arc-en-ciel, que Saphir & Émeraude venaient d'amener en même temps qu'un petit garçon terrifié mais sauf qui fut aussitôt conduit en sûreté, ailleurs du moins. Brièvement, j'écoutais l'explication de la jeune femme à la perruque d'argent sur ce qu'il s'était passé ; la résistante, engagée parmi les sauveteurs, avait sauvé in extremis le petit d'une mort certaine en le faisant barrage de son corps entre lui & une poutre fragilisée par les flammes dans la partie ravagée de la ville. Le gamin n'avait rien, mais elle c'était une autre histoire, & à peine quelques instants après leur arrivée à l'infirmerie elle s'était mise à hurler & se débattre comme une diablesse, de manière que la jeune médecin venue s'occuper d'elle ne pouvait absolument rien faire. Hochant brièvement la tête alors qu'Emeraude s'en allait rejoindre son équipier aussitôt son explication achevée, j'étais allée m'agenouiller vivement auprès de la résistance blessée, posant mes mains sur ses épaules pour tenter de la contenir captant son regard affolé qui ne semblait me voir. Une chance, en tant que l'une des responsables des nouveaux, je connaissais les pseudonymes & costumes de tous les résistants ; il me fut donc aisé de l'identifier, même si le maquillage caractéristique de papillon qui masquait normalement son visage avait en grande partie disparu, & donc je pus m'adresser à elle en me passant des expressions formelles type "mademoiselle". C'était plus rassurant, j'en savais quelque chose.

- Chht.. Doucement, Mothwing, calme-toi.. C'est terminé, la bataille est achevée. & tu as été géniale, vraiment géniale. Grâce à toi, ce petit garçon va pouvoir grandir & devenir un homme libre.. Il est sain & sauf, & on a pu l'envoyer à l'hôpital retrouver ses parents. Mais maintenant, c'est à nous de prendre soin de toi, Moth.. Il faut te soigner, pour qu'il puisse au moins te remercier. Cesse de lutter, ferme les yeux.. Laisse la mélodie t'atteindre.. Chht, c'est fini..

Ses pleurs, les appels à sa sœur, avaient été des plus difficiles à endurer, pour l'écho qu'ils avaient en moi. Oh, surtout sachant que sa petite sœur était morte des mois plus tôt.. Elle était en plein délire causé par la souffrance, & s'était masquée de tout, criant si fort après sa cadette perdue qu'elle était parvenue à s'isoler du Siffl'Herbe qu'un pokémon tentait de lui murmurer. J'avais dû faire appel à toutes mes forces pour l'immobiliser alors qu'elle se débattait, à toute ma persuasion pour l'atteindre alors qu'elle refusait d'écouter quoi que ce soit. Je crois qu'elle avait fini par me voir, ou au moins reconnaître ma voix ; en tout cas lorsqu'elle s'apaisa enfin, laissant l'envoûtant chant l'endormir, elle souffla mon nom de résistante dans un murmure tremblotant, si bas que je doutais aussitôt d'avoir bien entendu. Mais l'essentiel était qu'elle dormait, enfin, que la jeune médecin présente auprès d'elle allait pouvoir la soigner & peut-être, avec beaucoup de chance j'en étais consciente, parvenir à la sauver. Refoulant un fin soupir, je glissais une main dans l'une des sacoches sous ma cape, pour en tirer un masque de rechange que je posais sur le visage de Mothwing. Son maquillage ainsi estompé, sans compter qu'elle avait appelé le vrai nom de sa défunte sœur, elle était trop à découvert, trop vulnérable ; heureusement qu'elle n'avait aucune blessure à la tête.

- Ce n'est pas le plus pratique je sais, mais il faudra s'en contenter. En laissant son visage à découvert, elle serait en dang.. Oh.

Murmure surpris en apercevant le visage de la jeune femme, vers laquelle je m'étais tournée tout en parlant. Car cela avait été comme une réminiscence du passé, un souvenir qui ne m'avait jamais autant frappée qu'en cet instant ; & pourtant, elle n'était pas la première à me rappeler cette personne. Mais elle était la seule à lui ressembler à ce point. Un seul nom courait & résonnait dans mon esprit, & Arceus savait que si d'autres venaient à faire ce rapprochement.. Ce serait dangereux pour cette jeune médecin. Être physionomiste avait peut-être aidé ces détails à me frapper ainsi, mais ce n'était pas si compliqué à repérer, en y pensant.. & il suffirait que la mauvaise personne repère cet air de famille. Turnac. Refoulant un soupir, m'interdisant de jeter des regards nerveux alentours qui auraient trop attiré l'attention, je plongeais à nouveau les mains dans ma sacoche, pour en tirer un élastique & un béret bleu, celui que je portais en arènes.

- Attache tes cheveux. En tresse de préférence. & mets ça, jette une ombre sur ton visage.

Murmures pressants, en lui tendant les deux accessoires. Pourvu qu'elle accepte.

Elle accepta, à mon grand soulagement même si je masquais ce sentiment derrière un masque de marbre. Sans se poser la moindre question, la jeune femme obtempéra à mes indications, comme par automatisme avant d'en revenir à son travail. Ce dangereux secret pour le moment préservé, je reportais à mon tour mon attention sur Mothwing, exécutant les geste qu'on me demandait pour tenter de la sauver ; à vrai dire, je ne relevais pas les yeux avant que la résistante aux papillons ne soit temporairement hors de danger, à une unique exception près. L'arrivée d'une médecin plus expérimentée que la jeune femme que j'assistais jusque là, sa référante que je reconnus avant même de la voir puisqu'en un sens je la connaissais bien. Melinda Connors n'était-elle pas le médecin attitré & très régulier de celui que je considérais comme un frère, après tout? N'avait-elle pas, sous l'un ou l'autre de ses deux visages, souvent soigné voire même sauvé certains de mes proches que Lya n'était pas en capacité d'aider? Je ne levais qu'un instant les yeux vers la femme lorsqu'elle se joignit à nous, mais ce fut amplement suffisant. Bref échange lourd de sens, après qu'elle eut jeté un rapide regard à la plus jeune. Confirmation muette de ce que j'avais deviné, qu'elle pressentait aussi depuis qu'elle fréquentait la jeune brune qui portait désormais l'un de mes bérets. Un lourd secret, un nom dangereux, un héritage sans doute pesant, habitaient cette jeune femme d'apparence si frêle. Le jeu des identités, ça je connaissais. J'y jouais aussi, tout le temps.

Un long moment passa, peut-être une demi-heure ou plus encore, avant qu'il soit possible de dire qu'on avait tout fait pour Mothwing. Elle était temporairement hors de danger, mais qui aurait su dire ce qu'il allait advenir d'elle? Il fallait souvent de la détermination, une raison d'avancer, pour se remettre de telles blessures ; hors je savais, depuis que je l'avais vue devenir ombre en apprenant le meurtre d'Earth, sa petite sœur, qu'elle n'avait plus ni l'une ni l'autre. Arceus seul savait pourquoi elle vivait toujours, & lui seul savait si elle allait continuer de vivre encore un peu. Il n'y avait plus qu'à attendre & espérer. Nous avions fait tout notre possible, pour le moment. Je sentis immédiatement le regard insistant de la jeune médecin, lorsque son aînée annonça que nous ne pouvions rien de plus pour Mothwing pour l'instant. Un regard dardé sur moi, que je soutenais en levant mes yeux rendus presque inexpressifs par les lentilles noires. Calme & posée ; devinant d'avance ce qui devait bouillir sous son crâne. Hors de la pression des soins à la résistante, elle avait dû enfin réaliser ces gestes que je lui avais ordonnés pour protéger son identité. & je ne fus absolument pas surprise d'entendre un seul mot, interrogatif, lui échapper ; je m'y attendais, en un sens. Cependant une œillade appuyée en direction d'un des hommes vêtus de blanc se trouvant dans la pièce fut à cette question ma seule réponse immédiate. Bien sûr que je lui devrais des explications, surtout après avoir exigé d'elle qu'elle dissimule son identité.. Mais là n'était pas le moment. Trop de monde dans cette pièce, trop de risques à évoquer ce que je pensais avoir compris, & trop de travail à effectuer pour venir en aide aux blessés. Nous n'avions pas le temps, pas encore. Mais d'un hochement de tête, je lui promis de lui donner ces explications, plus tard. Quand le flot de blessés serait enfin tari, ou du moins assez vite redirigé vers des hôpitaux pour laisser aux médecins & bénévoles présents le temps de souffler un instant.

* * *
Combien de temps passa avant que ce moment n'arrive enfin? Des minutes, des heures? Je ne saurais le dire. Trop à mon goût sans doute ; malgré mon empathie & mon désir d'aider, l'épuisement me rattrapait, sans compter qu'à ces efforts pour soigner les blessés s'ajoutait le fait que j'avais combattu. J'étais éreintée, & tout mon corps en devenait douloureux, pourtant je ne renonçais pas. Même si cela n'était pas mon métier, même si je captais parfois les regards désapprobateurs de Lya & Calypso devinant que je me surmenais. Je restais, me rendant utile au mieux.. Ne serait-ce que parce que j'avais fait une promesse, que parce que tous les résistants n'étaient pas encore portés en sécurité. D'ailleurs quand les soldats avaient commencé à me jeter des regards suspicieux, réalisant soudain qui ils avaient sous les yeux, j'avais jugé préférable de signifier discrètement à mes deux téléporteurs & aux deux qui m'avaient été confiés qu'il serait préférable de commencer, l'air de rien, à évacuer prioritairement les résistants. Cela ne me plaisait pas, vraiment pas du tout, de faire du favoritisme.. Mais nous n'avions pas le choix. Sulfura apaisé, la trêve devenait vite trop fragile, & sa limite semblait déjà presque atteinte ; autant ne pas tenter le diable. Je ne me détendis un peu qu'une fois le dernier résistant costumé parti en lieu sûr, que ce soir un hôpital qui ne chercherait pas sa mort ou la demeure accueillante d'un proche ou autre personne de confiance. Cela coïncida, à quelques minutes près, à l'instant le flot de blessés arrivant commença enfin à être inférieur au flux d'évacués.

Nous eûmes ainsi enfin le répit espéré depuis la fin des combats, permettant une pause pour souffler désormais que la majorité des blessés étaient pris en charge, évacués rapidement ou traités sur place pour les plus mal en points, & que les responsables de l'infirmerie de fortune comme céder à se dire qu'il était possible de renvoyer certains bénévoles.. Bon sang, je ne saurais dire combien de temps s'était écoulé. Mais j'accueillais cette pause avec plaisir, bien que je n'en montrais rien. J'avais assez vu d'horreurs, assez vu la souffrance & la mort ; chaque instant, le besoin de retrouver ma famille me martelait un peu plus, mais je ne m'y autorisais. J'aurais dû partir quand on affirma que certains bénévoles le pouvait, quand les regards insistants de certains se posèrent sur moi comme pour me signifier que si les soldats décidaient de m'attaquer j'étais en telle infériorité numérique que je ne pourrais rien faire.. Mais j'avais fait une promesse, hein? & pour la tenir, je suivis la jeune femme en un lieu plus discret à l'extérieur du bâtiment & de son agitation, loin des oreilles trainantes. Lockpin, attentive, surveillait mes arrières. Je n'étais pas en sécurité, mais pas démunie non plus. Assise sur ce qui avait dû être une poutre, après quelques instants de silence, je poussais un profond soupir. Par où commencer, m'étais-je longuement demandé. J'avais fini par décider de livrer mon propre secret, en maigre compensation de celui que je lui avais deviné.

- J'ai un talent qui m'a souvent posé problème au sein de la Résistance, car il rend difficile de garder le secret des identités. Un talent qui reste donc secret, & que seuls les plus proches de moi connaissent. Je suis physionomiste, je n'oublie jamais un visage ni une silhouette. & il m'est très facile de déceler les airs de famille, même discrets. Généralement, je relie sans mal quelqu'un à ses frères ou sœurs, ou même à ses cousins. Dans ton cas, à ta mère. C'est bien cela, n'est-ce pas? Eliza Turnac est ta mère.

Bien plus affirmation que question, ici. J'étais à peu près certaine de cette identification, cette déduction qui m'avait frappée si vite que je n'avais pu la repousser ni l'esquiver. Ce lien s'était imposé à moi, & je n'avais pu éviter de le faire ; quand j'avais compris que ce visage était familier, il était déjà trop tard. Je n'avais plus pu que faire de mon mieux pour éviter que d'autres fassent ce même lien.

- Le hic c'est qu'être physionomiste aurait pu ne pas être nécessaire, & pour peu que quelqu'un ait prêté un minimum d'attentions aux visages.. Les événements qui viennent d'avoir lieu rendent nerveux tout le monde, une simple suspicion aurait pu suffire à un soldat stressé. Je les ai vus emmener des gens pour moins que cela..

Ma voix se fissura quelques peu sur ces derniers mots. Car quelles raisons avaient-ils d'emmener mon frère, d'enfermer mon époux? Pratiquement six ans plus tard, nous ne le savions toujours pas, nous n'en avions pas la moindre idée même. Quelles raisons avaient-ils d'emporter ma fille de quatre ans & demi lorsqu'ils l'ont volée quelques heures durant, hormis de tourmenter son père qui la pensait encore d'un autre? Rien. Jamais la moindre raison valable, dans ces trois cas tout du moins. & je savais que ces trois cas étaient représentatifs de la majorité des emprisonnements. Alors si un soldat avait eu même une suspicion, dans une ambiance si tendue.. Il n'y aurait probablement eu aucune hésitation à procéder à une arrestation longue durée & sans grand espoir de revoir un jour le soleil.

- Tu vas devoir apprendre à dissimuler ces ressemblances, surtout dans les moments où elles ressortent le plus.

Je la vis hésiter à fuir, chercher une porte de sortie d'un bref regard, constater en portant une œillade vers ma chère Lockpin qu'elle n'irait pas bien loin si nous décidions de la retenir. Si ces inquiétudes, ce manque flagrant de confiance, me serrèrent un instant le cœur, je ne dis rien pour autant. Aucune remarque, aucune réaction. Car au fond, je comprenais. Tellement bien. Le Régime, les batailles, avaient rendu tout le monde méfiant. Je l'étais aussi. Si quelqu'un était arrivé en affirmant avoir vu sous mon costume, je l'aurais probablement déjà immobilisé en exigeant de savoir comment, & ce qu'il comptait faire de l'information ; malgré ma répugnance à tuer, j'aurai même pu sortir mon arme sans hésiter pour le faire taire au besoin. Car de mon secret dépendait ma famille entière. J'étais prête à mourir pour garder mon identité cachée, à détruire mon propre corps pour qu'on ne me reconnaisse pas. Pacifiste ou non, j'étais prête à tuer pour que le silence reste, pour que ma famille reste en sécurité autant que possible malgré tout. Alors oui, je comprenais qu'elle soit méfiante malgré que je lui proposais là une aide plutôt que de la menacer. Je comprenais qu'elle puisse vouloir fuir. & j'admirais, en un sens, qu'elle décide finalement de rester, sans chercher à nier l'indéniable. Qu'elle choisisse de m'interroger, de chercher à comprendre, alors même qu'elle ne semblait pas armée d'aucune manière pour se défendre de moi si cela avait été nécessaire ; je ne lui voulais aucun mal bien sûr, mais il restait courageux de sa part de choisir de me tenir tête alors que je lui inspirais une méfiance parfaitement logique.

Ses questions ne me surprirent pas le moins du monde, & les affirmations qui les accompagnaient n'auraient pas dû m'étonner non plus. Pourtant, elles le firent un peu, car tout le monde connaissait les Turnac, tous les enolians devaient quelque chose à cette famille ne serait-ce qu'à cause de celle de leurs membres qui fut une présidente si respectée. Mais ce n'était pas tout, pas la seule chose qui, dans ses affirmations présentes pour soutenir ses questions, me tira un vague amusement un peu jaune, un peu douloureux. Je ne la connaissais pas, je ne lui devais rien, vraiment? Oh, si elle savait.. Je l'avais reconnue avant tout pour ses traits semblables à ceux d'Eliza Turnac, certes, mais un autre souvenir avait au fond aidé à motiver cette identification, m'empêchant plus encore de l'éviter.. Un souvenir de combat, de beauté, d'un spectacle sur glace mené par une Miaouss sous ses ordres & la Lockpin à mes côtés que guidait ma sœur jumelle. Cela avait eu lieu quelques mois avant que tout ne bascule, & cela avait été le premier vrai combat de ma chère Angie, qui s'entraînait déjà depuis longtemps pour la Coordination mais n'avait encore jamais vraiment mis ses talents en pratique. Ainsi, j'aurai même pu donner d'office le nom de cette jeune femme que j'essayais de protéger, mais c'aurait été trahir mon identité que de le lui avouer ; elle aurait exigé, à raison, des explications que je n'aurais pu lui fournir sans dire mon véritable nom, sans lui rappeler ce combat dont elle devait bien se souvenir aussi. & sincèrement, elle n'avait vraiment pas besoin d'un poids de plus sur ses épaules, son secret était à lui seul bien assez lourd pour ne pas lui imposer le mien en plus.

- Je suis l'une des personnes les plus influentes de la Résistance, une des plus recherchées, ma tête est mise à prix pour une somme sans doute exorbitante. Car je fais partie des Vingt Premiers, j'ai contribué & contribue toujours à organiser le mouvement & créer les règles de sécurité ; notamment le secret des identités, l'existence des costumes & des pseudonymes. Mais pourtant, comparée à toi, je n'ai aucune valeur à leurs yeux. S'ils doivent choisir, ils choisiront celle qui anéantira le plus les espoirs de la population, & celle-ci sera nécessairement toi.

Il était déjà beaucoup lui dire sur moi-même que de lui confier être une des plus anciennes du mouvement, mais sans doute l'aurait-elle appris autrement ; le fait que j'étais influente, que j'étais l'une des Vingt Premiers, n'était pas un secret. Toutes les propagandes anti-Résistance mentionnaient nos vingt noms en promettant récompense. Toutes les mises à prix devaient évoquer cette influence. Cela, je n'avais pas spécialement d'intérêt à le lui cacher, comme je n'en avais aucun à lui taire sa propre importance. J'étais réellement convaincue que si le Régime avait à choisir elle ou moi, ils la choisiraient elle. Car elle était le moyen de briser la population, ceux qui avaient encore quelques espoirs. Ceux qui continuaient de donner un sens au nom de Turnac. & même ceux qui ne croyaient plus mais qui seraient tout de même achevés par ce coup fatal de voir une autre de cette famille lynchée en place publique, torturée & brisée. Aurait-elle la même volonté que sa mère, allée jusqu'à prôner la liberté & la justice alors même qu'elle montait à l'échafaud? Si cette question me frôlait, je refusais d'en avoir la réponse. Je ne voulais pas le savoir, ni ce jour, ni le lendemain, ni jamais. Une fois encore, je refoulais un soupir, lançant un bref regard à Lockpin avant de reprendre la parole.

- Nous sommes tous dans le même bateau. Des parias sur notre propre terre. Obligés de nous cacher pour sortir au grand jour. Sur ce point-là, toi & moi sommes pareilles. Je ne te dois peut-être rien, du moins tu le penses, mais si tu veux une raison pour mon aide, alors prend celle-ci. Je sais le poids d'un secret comme celui-ci car je défends également chaque jour mon véritable nom, je sais parfaitement les risques d'une identité intéressant le Régime.. & qui plus est, à mon sens, il y a eu bien assez de victimes innocentes. Si je peux en éviter une de plus ainsi, alors.. Tant mieux. Voilà qui serait là une bonne seconde raison, j'imagine.

J'avais du mal à empêcher ma voix de se briser, cette fois encore. Beaucoup de mal ; & probablement échouais-je un peu. Toutes ces vies brisées me déchiraient réellement, depuis le début. Devoir faire la guerre me blessait. N'étais-je pas une pacifiste, à l'origine? Une pacifiste forcée de prendre les armes pour la justice & la liberté, pour ramener la paix assassinée par ce maudit Régime. J'étais sincère ici, pleinement sincère, en affirmant vouloir autant que possible éviter d'autres innocentes victimes, dommages collatéraux de cette maudite guerre que certains jugent acceptables ; une honte qu'on puisse penser ainsi, à mon sens. J'étais tout aussi sincère en affirmant comprendre le poids de son secret, porter le même fardeau & en connaître les risques sur le bout des doigts, j'avais vu assez d'imprudents mourir pour n'avoir su ou voulu cacher assez bien leur identité. & ma sincérité s'étendait jusqu'au sous-entendu que je n'avais pas réellement de raison de l'aider, qu'elle pouvait si elle en voulait vraiment en chercher dans ces sentiments que je lui expliquais.. Mais que ma seule empathie était à l'origine de ce soutien, que je n'avais pas cherché plus loin que de savoir qu'elle avait un nom secret & dangereux pour choisir de l'aider à le dissimuler. Je l'aurai aidée même sans la connaissance précise des risques, même sans cette douloureuse lassitude des dommages collatéraux.

Je ne m'aperçus avoir détourné le regard sur ces dernières paroles qui avaient manqué d'emporter ma maîtrise de ma propre voix, que lorsqu'un rire bref rapporta mon attention vers l'apprentie médecin. Non pas que j'ai baissé ma garde ni oublié sa présence, j'avais juste.. Les yeux dans le vague, fixés sur un point flou du mur à ma droite. Preuve en est que ce son nerveux émis par la jeune Turnac ne me surprit pas assez pour m'arracher un sursaut ; malgré tout, je restais attentive, sur mes gardes. Car telle était la base de la prudence, unique protection valable dans le cadre de la Résistance, mère de toutes les règles de sécurités mises en place depuis la création du mouvement. Prudence avant tout. Prudence mère de Sûreté. Ce fut sans plus de surprise que je vis des larmes perler au coin de ses yeux, avant de former deux sillons humides sur ses joues. Larmes solitaires, mais bien réelles. Ce rire nerveux avait eu quelque chose d'assez douloureux pour m'y préparer, & puis, ce n'était pas comme si nous parlions de un sujet léger. Cette conversation était pesante & difficile, & je me doutais bien que la jeune femme devait en souffrir autant que moi. Nous parlions de guerre, de dangers. Des mots ranimant les plus douloureux souvenirs. Sa famille qu'elle avait perdue, véritablement ou juste de vue, la mienne que je savais assez disloquée, brisée par quelques pertes qui font mal, notre île oppressée & tourmentée qui souffrait des maux impardonnables.

En un sens, en cet instant, je vois en elle l'écho de tout ce que je fus, au début. Ce que je redevenais encore régulièrement. Une femme ployant sous des peines bien trop grandes pour elle, bien trop lourdes & inacceptables. Une femme trop jeune pour tout cela, lancée dans un monde violent & chaotique, à ne pouvoir éviter la guerre qui se profile même si elle le voulait. Une femme que la vie a brisé mais qui continue de tenter de se tenir debout, de se battre, de rêver & d'espérer, qui veut liberté & justice pour elle, pour sa famille, pour sa patrie. De nouveau, je retins un soupir, & Lockpin posa une douce patte apaisante sur mon poignet gauche. Discrète mais bien présente, elle mon pilier, mon soutien inébranlable durant toutes ces années de troubles & de tourments, à œuvrer pour une cause qui me tient à cœur, dans une guerre qui jamais n'aurait dû naître. Jeunesse brisée. Tant de dommages irréparables.. Malgré toutes nos batailles, tous nos efforts, pourront-nous vraiment espérer un jour réparer même la moitié des dégâts occasionnés par ce Régime oppresseur & intrus? Souvent, j'en doutais, l'espace de quelques instants. Puis je repoussais ces pensées sombres pour continuer à me battre, ne pas m'effondrer. Alors, oui, je comprenais ces larmes. J'avais tant & tant versé de pleurs semblables, dissimulée dans les ombres, là où personne ne pouvait les voir.. Personne qui ne me serait assez proche pour les comprendre, du moins.

Des larmes secrètes, de rage & de douleur, de haine pour ceux qui ont détruit notre chère Enola. Des larmes dissimulées à bien des gens, mais que j'avais en cet instant du mal à contenir, moi aussi. Le masque de Soledad m'était d'ailleurs un atout précieux pour ne pas craquer, pour rester forte ; mais je n'étais pas de marbre, non. Hors des batailles, Soledad semblait toujours plus empathique, & cette fois ne faisait pas exception à la règle.. J'étais même peut-être un peu plus expressive qu'habituellement. Enfin, sans compter les lentilles atténuant grandement les étincelles de mon regard & le masque noir dissimulant une grande partie des quelques mimiques que je ne pouvais contenir. Malgré cela, à entendre la jeune femme s'excuser & confier des mots qu'elle ne devait sans doute pas livrer à tout le monde, je laissais subitement tomber une bonne part de ma réserve, pour laisser voir la part apaisante & presque chaleureuse de Soledad. Celle offerte aux gens découragés, blessés physiquement ou moralement. Celle dont je me servais pour offrir mon soutien ou rassurer, car malgré tout je restais humaine, & même sous le masque distant de miss solitude, je ne pouvais m'empêcher d'être altruiste. Tel était le contraste de mon identité résistante. Un contraste que je lui offris en tendant les mains vers ses épaules, doucement, pression légère & encourageante.

- Ce n'est rien. Nous sommes tous sous tension, & dans un tel contexte, méfiance & prudence sont compréhensibles. Ces qualités devraient t'aider à éviter les dangers que tu crains.

Rejetant mes propres troubles, toujours farouchement dissimulés & d'autant plus lorsque je portais ce costume, j'esquissais un léger sourire en coin. Une mimique se voulant assurée & rassurante, peut-être même un peu protectrice. Tête haute, garde courage, garde espoir. Je ne pouvais la pousser à s'exposer & ne absolument comptais pas le faire, mais contrairement à ce qu'elle disait, son retour ne pouvait pas être insignifiant ou vain. Elle était une Turnac, & rien que ce nom avait mille sens pour les enolians.

Ce sourire en coin léger s'étira quelques peu alors que la jeune femme répétait les deux qualités propres à la protéger que je venais de lui énoncer dans un conseil bref mais sincère. Car le fait de répéter ces mots était acceptation de leur sens, de leur utilité, & que je n'avais pas besoin de plus ; mes quelques souvenirs d'elle me suffisaient à supposer que sa propre nature ferait le reste, qu'avec ceci & la suggestion prononcée plus tôt d'apprendre à cacher ses ressemblances flagrantes avec sa mère, elle s'en sortirait sans doute parfaitement. Certes elle paraissait frêle, même fragile par instants, mais je me rappelais d'un mental bien plus puissant & droit que sa stature, & j'avais devant les yeux le courage qui l'avait poussée à réapparaître après six ans, devenue adulte ; j'ignorais totalement ce qu'elle était devenue entre temps, mais son peu d'expérience dans l'art de se dissimuler me laissait imaginer qu'elle avait dû être très bien cachée, totalement hors de vue des oppresseurs. Désormais elle devait apprendre à faire avec le monde de danger qu'était devenue son île natale, mais je l'en pensais capable, j'étais persuadée qu'avec les bons conseils elle pouvait s'en sortir sans mal ; en plus d'avoir déjà eu quelques aperçus de sa personnalité, je savais que les Turnac étaient des battants en général, implacables.

Lorsqu'ensuite elle se retourne vers moi, son regard indescriptible aurait aussi bien pu me désarçonner, si Soledad n'était pas préparée à à peu près tout & son masque clairement ancré sur mon visage. La patte de Lockpin se resserra sur mon poignet, soutien muet, alors qu'aussitôt la jeune femme murmurait une phrase presque inaudible, tremblante. Une question que l'on pouvait aisément deviner comme étant difficilement contenue depuis bien longtemps ; six ans désormais. Une question mille fois compréhensible, autant que les émotions qui l'accompagnaient. Évidemment, je savais qui étaient May & Lucas. Les deux autres enfants d'Eliza Turnac, la sœur & le frère de celle qui se trouvait devant moi ; & qui ainsi venait de m'avouer être bien celle que j'avais devinée, Adélia. Tout le monde ne se souvenant pas forcément de la différence d'âge des deux sœurs, ni de qui était la plus âgée, je n'aurai pu affirmer avec certitude son nom sans risquer de trahir me souvenir d'elle plus que par sa ressemblance avec sa mère ; enfin, peu importait, ce n'était pas comme si je lui voulais du mal. Mon sourire devenant plus fantomatique, j'échappais un soupir léger. Longtemps j'avais cherché ce qu'étaient devenus les Turnac dont on ne savait rien, d'autres résistants en avaient fait autant & nous mettions souvent en commun nos résultats ; mais jusqu'à aujourd'hui, nous n'avions jamais rien trouvé de probant, qui puisse nous apprendre le sort précis des enfants ou de la fratrie de l'ex présidente.

- Je l'ignore.. Mais comme on dit ; pas de nouvelles, bonnes nouvelles.

Je savais bien que la seule citation de ce dicton ne pouvait suffire ; j'avais connu la disparition d'un frère aussi, sans avoir jamais su ce qu'il devenait avant son retour quasi miraculeux. J'avais perdu l'homme que j'aimais durant plus de cinq ans, emprisonné par nos bourreaux à tous, ce maudit Régime, avec pendant ce temps comme seuls liens me retenant véritablement à la vie, notre fille & l'espoir de le retrouver. Pendant un peu moins de 24 heures, ma petite puce elle-même nous avait été volée, emportée par un tortionnaire honni & jetée dans la cellule de son père ; la pire journée de ma vie sans nul doute, à craindre pour elle, pour mon amoureux secret, & que notre plan d'attaque sur la prison enfin localisée puisse échouer en les condamnant tous deux au pire. Ma sœur n'est pas utile à mentionner ici, puisqu'elle a rendu son dernier souffle dans mes bras ; pour elle, j'avais tout de suite su que c'était fini, que nul espoir n'était plus à avoir. Alors oui, j'imagine que je pouvais aisément comprendre son sentiment, son inquiétude.. & à quel point un simple dicton ne pouvait l'apaiser, pas sans explication ; que je donnais, évidemment. Après quelques deux ou trois secondes de silence, le temps de trouver les mots.

- Beaucoup pensent que ce silence signifie qu'il n'y a plus rien à espérer. Ceux-là ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, ou ne réfléchissent pas un instant. Au contraire, je pense que s'ils les avaient tués, s'ils les tenaient.. Ils s'en seraient vantés depuis bien longtemps.

& ma voix ici contenait une grande conviction. Ils n'avaient jamais caché tenir Eliza Turnac, se servant d'elle comme moyen de pression pour tenter de faire cesser les soulèvements, les actions Résistantes ; jusqu'à la pendre en place publique pour tenter d'abattre l'espoir, ce qui n'avait fait que provoquer un soulèvement de plus & plus de colère encore. Ils n'avaient jamais caché avoir abattu sans ménagement son époux le jour même du coup d'état, emplissant un peuple déjà traumatisé par les bombes de plus d'horreur encore. Alors oui, très sincèrement, je croyais fermement que s'ils savaient où étaient leurs trois enfants, s'ils tenaient ne serait-ce que l'un d'eux ou si l'un d'eux était déjà perdu.. Les enolians seraient au courant depuis très longtemps.

Le petit sourire qui lui vint, espoir, s'effaça bien vite au profit d'un ton brisé, alors qu'après un remerciement bref elle formulait une requête.. Fort compréhensible. Il était inutile qu'elle poursuive ; même si elle se tut avant d'avoir énoncé ce que je devais dire à sa fratrie dans le cas où je les trouverai avant elle, je savais précisément ce qu'elle me demandait. Car dans sa position j'aurai offert la même supplique, même que je l'avais sans doute fait une ou deux fois, lorsque je cherchais mes proches disparus, mon frère & mon âme-sœur. Inutile de prononcer les mots, je les connaissais déjà. D'un simple hochement de tête, je promis de les formuler pour elle si je devais rencontrer son frère ou sa sœur, de leur exprimer toute son affection visible dans son regard douloureux de leur absence, de leur indiquer comment la retrouver.
Alors, soudain farouches, ses yeux se posèrent sur moi avec une détermination certaine, tandis que sa voix plus assurée désormais affirmait son désir de se battre elle aussi, pour notre île & contre ce maudit Régime destructeur. Ses sentiments mêlés, vacillants entre force, douleur, témérité, fragilité, me ramenèrent six ans plus tôt, & un fugace sourire m'échappa alors qu'elle se détournait pour faire quelques pas vers l'infirmerie improvisée, s'en retournant sans doute travailler. Une mimique brève & fantomatique, qui avait déjà disparu lorsqu'elle se retourna finalement vers moi avec une ultime question, un simple mot qui m'arracha un profond soupir. Car je n'avais pas le pouvoir de lui répondre vraiment, ni le droit de le faire. Je ne pouvais pas lui donner la réponse qu'elle espérait, seulement quelques conseils parallèles. & une indication tout de même, pour le jour où elle saurait ; elle, pas moi.

- Vis. C'est de loin le plus important. Vis ta vie, deviens forte, apprend à te préserver. Ainsi, montre-leur qu'ils ne pourront jamais nous priver de notre libre arbitre. Je ne peux t'en dire plus, car ce n'est pas à moi de te dire que tu dois te battre d'une manière ou d'une autre ; & encore moins de te dire comment faire. Mais sache que si tu trouves un jour une réponse à cette question & que prendre part à ce combat est bien ton souhait, alors je t'y aiderai bien entendu. Autant que possible.

Je pensais là chacun des mots que je venais de prononcer. Décousus? Peut-être un peu. Je ne savais vraiment pas quoi lui dire de plus, j'avais toujours refusé de jouer les propagandistes ou d'encourager quiconque à faire la guerre ; trop pacifique & attachée au libre-arbitre, je ne pouvais m'y résoudre. À vrai dire, je n'approuvais vraiment que les campagnes de sensibilisation pour faire ouvrir les yeux, telles celles menées par Godot avec le journal ou par Nighty avec la musique. À l'inverse, je réprouvais ceux qui allaient à la rencontre des gens pour les convaincre de s'engager ; pour moi, un recruteur devait guider ceux voulant se battre, pas tenter de poser de force notre drapeau dans les mains de tous. Aider des volontaires, je le faisais volontiers, même qu'on m'informait sur chaque newbie, mais hors de question de désigner : rejoindre la Résistance, se battre pour la liberté, était un choix qui ne pouvait être fait que seul. Personne n'avait droit d'intervenir en disant que faire ou comment, ni de pousser un indécis à prendre parti ; fut-ce Arceus lui-même. La jeune Turnac seule pouvait choisir de se battre & trouver comment.
Soupirant encore, je levais les yeux sur le ciel sombre. Malgré moi, j'étais épuisée, un peu lasse aussi. Contre mon esprit, je sentais celui de Gardevoir, quêtant le droit de me rejoindre avec Metamorph désormais qu'ils avaient fini, mais un instant je la retins, baissant de nouveau les yeux vers la jeune femme. Une petite poignée de secondes à peine avait dû s'écouler depuis mes derniers mots lorsque je repris la parole, d'un ton plus bas mais encore assez audible pour elle.

- Je ne suis pas si solitaire que le suggère mon nom, quand on y pense, n'importe quel Résistant saura te le confirmer. Si tu as besoin de me trouver un jour, évoque les Couleurs de l'Espoir. & surtout, souviens-toi qu'on peut toujours écrire l'Histoire. Qui qu'il soit, s'il est bien des nôtres, il comprendra.

Une petite énigme assez simple en réalité, inspirée d'une mélodie que je chantais souvent sous mon vrai visage, & qui me semblait parfaitement adaptée à sa situation. Un peu réfléchis & ainsi replacés dans l'ordre, les mots que je lui indiquais là devenaient un vers de cette chanson, "Écrire l'Histoire dans les Couleurs de l'Espoir". Voilà le message que j'allais passer aux Résistants pour la mener à moi, une simple phrase qu'il lui suffirait de répéter à n'importe quel membre du mouvement pour me rencontrer rapidement, si elle devait en avoir besoin un jour.

- Évidemment, il ne saura pas qui lui parle réellement.

Référence directe à son identité bien sûr, que je ne comptais pas divulguer un seul instant même en donnant ce code aux résistants ; ils sauraient qu'une jeune femme l'employant devait être conduite à moi sans attendre, rien de plus. Même à ceux cherchant comme moi le sort des Turnac depuis six ans, je ne dirai rien de plus que 'l'un des enfants vit & est en sûreté'. J'étais déjà convaincue de leur compréhension quant à ce silence, & du fait qu'ils ne poseraient pas de questions ; pas même mon propre père qui savait pourtant que je lui portais une confiance aveugle. Le secret était essentiel pour tout le monde, & celui-ci n'étant pas le mien, je n'avais aucun droit de le divulguer.
Saluant la jeune femme d'un léger hochement de tête, je tendis le bras aux deux Gardevoir qui quittaient le bâtiment pour nous rejoindre, désormais que je leur en avait donné le droit. L'un d'eux devint aussitôt Métamorph, regagnant sa pokéball, & la seconde, couverte de suie de la tête aux pieds, prit ce bras ainsi que celui de Lockpin, nous téléportant sans plus attendre en ma demeure. Il ne fallut qu'un instant, sitôt arrivées, pour qu'une fillette brûlante d'inquiétude & de soulagement bondisse dans mes bras, se blottissant contre moi alors que je la rassurais doucement. Le temps suspendu à Vanawi m'avait paru éternel ; désormais, je ne rêvais que de partir avec elle vers Baguin, retrouver son père & sa sœur.

Donnez-moi du bleu, pour dessiner d'autres cieux ;
En or & blanc, j'inventerai le printemps!
Pour un nouveau monde, pour un nouveau monde..
Écrire l'Histoire, dans les Couleurs de l'Espoir!
Pour un nouveau monde..