« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 
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 Fermer la Porte |OS| (contenu adulte et sensible)

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Mercedes L. Blanchett
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MessageSujet: Fermer la Porte |OS| (contenu adulte et sensible)   Fermer la Porte |OS| (contenu adulte et sensible) EmptyMar 5 Mai 2015 - 14:06


♦ FERMER LA PORTE ♦feat. Miller


«Arrêtez! Arrêtez!»

Lorsque je reprends enfin conscience, je n’ai plus seize ans. Je suis étendue contre un fauteuil allongé, auprès d’une Gardevoir dont la main s’est posée contre mon crâne. Me voyant subitement éveillée, elle se retire, s’approchant de sa collègue et dresseuse qui observe la scène à une distance d’un mètre. Je tremble aussi fort qu’à ce moment que je viens de revivre grâce aux pouvoirs du Pokémon psychique aux côtés de la thérapeute. La pièce entière tangue sous mes yeux, une nausée terrible me traverse si bien que je redresse, m’écroule et rampe jusqu’à une corbeille placée non loin du fauteuil. Un haut-le-cœur me secoue, me plie en deux au-dessus de cette poubelle où je recrache une bile âcre avant de m’écrouler près d’elle en position fœtale. Sous mon crâne vibrent encore les images cinglantes de ce souvenir auquel j’ai refusé de m’attarder dans le passé. Voici la cinquième séance pendant laquelle nous revivons ce moment, la psychologue et moi. Je la sens qui accoure à mes côtés, venant me cueillir du sol pour m’assoir à nouveau. Une bouteille d’eau envahit mes mains et je bois, par réflexe, avant d’éclater en sanglots. Mademoiselle Miller, ma psychologue, frotte mon dos pour me rassurer. Voilà ce qui m’a charmée chez elle depuis la première séance à ses côtés et qui a arrêté mon choix sur elle, ce côté humain presque maternel.

«Victoria, qu’avez-vous vu?»

«Je me suis vue, à seize ans, lorsque Jonas m’a… il m’a…»

«Dites les mots. Prenez votre temps.»


Je me laisse tomber contre mon dossier, complètement épuisée. Lorsque nous avons débuté ces séances d’exposition, Miller m’avait prévenu que ce serait difficile et pénible. Au fil des semaines, j’ai réussi à affronter mon souvenir de plus en plus longtemps, jusqu’à aujourd’hui, à vivre la scène presque en entier.

«Jonas m’a violé. J’ai vu comment je ne me suis pas défendue. C’est ce que j’ai vu.»

Lentement, la psychologue acquiesce.

«Regardez-moi, Victoria.»

Je lève les yeux vers elle. Elle est jeune, peut-être plus que moi. Plus petite aussi, une silhouette un peu ronde mais sans plus, un visage rond, de petits yeux d’un gris-bleu très sombre encadré de lunettes. Son regard est plein de tendresse si bien que je ne peux m’empêcher de lui sourire.

«Lorsque Jonas vous a prise de force, vous ne vous êtes pas défendue. Pourquoi?»

«Je ne sais pas. Je l’aimais. Plus que moi-même. Quelque chose en moi s’est brisé. Je…»


La nausée me reprend. Je scrute le sol en tâchant de reprendre contenance sur ce corps balancé au gré des tempêtes de mes émotions. J’inspire profondément, telle qu’elle me l’a appris.

«Je n’ai plus jamais été la même. J’ai perdu l’envie de vivre lorsqu’il m’a frappée. J’avais orienté tous mes espoirs autour de lui. Après cet incident, je me suis promis. Je me suis promis que plus personne au monde n’aurait cette emprise sur moi. Que plus personne ne me serait indispensable.»

«Comme Weston.»


Il ne s’agit pas d’une question. Mais d’une affirmation certaine. Je me suis promis, ce jour-là qu’aucun homme ne me posséderait complètement. Qu’aucun d’entre eux ne serait mes jours, mes nuits, l’homme de ma vie, ma raison et ma voix. Comme Weston. Weston qui aujourd’hui me tend les bras vers cet avenir que je lui avais promis et dont je me désiste à présent. C’est ce que tente de me dire la psychologue. Je le sens. Elle soupire un bref instant avant de rejoindre son propre fauteuil, face au mien.

«Cette décision que vous avez prise vous affecte dans vos relations interpersonnelles. Elle vous a éloigné de votre mère, de vos amis et à présent, de votre amoureux. Cette décision, Victoria, qu’en pensez-vous?»

«Elle a été prise pour me protéger du mal que Jonas a pu me faire.»

«Mais encore?»

«Elle…»


Je déteste ces moments où elle pousse ma pensée, ma réflexion, jusqu’à sa limite. Mon front se crispe sous l’effet de la concentration alors que je repasse en revue les différents éléments qu’elle m’offre depuis le début de notre échange, les éclats cachés de mon passé dans le souvenir que je dois subir à chaque séance désormais. Je sens que ce qu’a compris la psychologue me concerne directement, qu’elle a enfin assemblé les dernières pièces du puzzle qui retient ce gros merdier qu’est mon existence désormais. Miller a su décortiquer mon parcours, tracé ce qui m’a mené ici, devant elle. Je scrute son visage, le regard dur, dans l’attente interminable de réponses. Or, encore une fois, elle me met au défi de la décrocher moi-même, de me l’approprier. Mon expression venimeuse ne suffit pas à ébranler cette confiance qu’elle place en moi. Je me sens me tendre.

«Cette décision est du passé. Je suis différente à présent. Enola m’a changée. J’ai des amis sur lesquels je peux compter, une famille, un amoureux. Tout est différent.»

«Nous savons toutes les deux que c’est faux, où nous ne nous trouverions pas respectivement ici, qu’en dites-vous?»


Je retiens un juron. Sans se départir de son calme, elle m’observe alors que j’évite soigneusement son regard. Elle a bien raison, c’est le plus douloureux. Je n’ai pas confiance en les gens qui m’entourent. Je le réalise à présent. Je ne me confie jamais à Weston, et les rares moments où j’ai osé m’ouvrir à Faust m’ont coûté énormément de courage et s’en sont suivis de terribles remords. J’aime Solène telle ma famille, mais je lui garde toujours cette réserve, encore plus présente depuis la naissance de Céleste. J’agis telle une protectrice envers mon frère, ma cousine, Yumi, Samaël et non telle une amie ou un membre de la famille. Je ne m’ouvre jamais aux autres, je le sais.

«D’accord. Vous voulez que je vous le dise? Je n’ai confiance en personne parce que j’ai peur qu’on me fasse du mal comme Jonas m’en a fait. J’ai peur d’aimer quelqu’un et de le perdre. Je suis terrorisée à l’idée d'épouser Weston parce que je n’ai pas confiance en lui. Ni en personne.»

«Vous avez confiance en moi.»

«Ce n’est pas pareil. Vous êtes une psychologue, je vous paie pour que vous m’écoutiez radoter mes petits problèmes.»


Un sourire amusé s’esquisse contre ses lèvres. Elle passe une main dans ses cheveux d’un châtain-roux, probablement un peu dépassée par mes paroles. Serait-ce possible que j’aille bouché la professionnelle? Elle hausse les épaules.

«C’est vrai. Vous me payez pour vous écouter. Mais vous auriez pu ne rien dire, Victoria. Or, vous vous êtes ouverte à moi, de plus en plus, dans les dernières semaines. Avez-vous senti votre progrès? Ce genre de progrès peut se faire avec les gens dans votre entourage. Je ne vous mentirai pas, vous vivrez encore des déceptions, certaines amères. Mais vous devez vous accorder le droit de dire oui aux autres.»

«J’ai dit oui une fois de trop, Madame Miller. Une fois et regardez où j’en suis.»


«Pensez-y bien. Vous avez ouvert votre vie à votre fiancé, Weston. Vous êtes maintenant en couple avec lui depuis plus d’un an. Vous lui avez dit oui. Vous avez dit oui en cherchant vos origines, en créant des liens durables sur l’île d’Enola, comme par exemple votre ami Faust. Il est précieux pour vous, cela se devine à vos paroles. Vous lui avez laissé de la place dans votre cœur, lui comme beaucoup d’autres depuis votre arrivée ici. Avez-vous souffert à leur contact?»

Non. Bien sûr que non. Si Weston m’a déjà fait du mal, il m’a aussi apporté énormément de bien. Il m’a secourue lorsque je n’avais nulle part où aller, après mon passage en prison. Solène m’a ouvert les portes de sa vie, de sa famille, d’Enola. Faust m’a soutenue dans mes heures les plus sombres sans jamais poser de questions qui lui aurait permis de comprendre. Une larme coule contre ma joue.

«Parfois. Mais j’ai aussi connu le bonheur.»

Mademoiselle Miller se recule contre son dossier, me laissant assimiler ce que je viens de dire. Les gens que je côtoie ne me feront pas souffrir. Ils m’aiment. Tout comme Weston. Mais je suis incapable de leur faire pleinement confiance. Incapable de me dire qu’ils ne sont pas, même en partie, un peu comme Jonas. Je crains d’encore devoir me recomposer avec la poussière de mon être, balancée aux quatre vents. J’enfouis mon visage dans mes mains en secouant ma chevelure rose.

«Qu’est-ce que vous allez faire maintenant que vous sachez ceci?»

«Je vais… je vais tenter de m’ouvrir.»

«Ne laissez pas Jonas vous dicter votre existence, Victoria. Vous êtes jeune, belle, populaire, une véritable vedette. Vous avez la vie devant vous. Vous le savez n’est-ce pas? Vous n’avez plus seize ans. Répétez-le avec moi.»

«Je n’ai plus seize ans.»


Ces mots me déchirent la gorge. Je n’ai plus seize ans. Je ne suis plus cette gamine fragile qu’on a détruite. Je suis une jeune femme de vingt-quatre ans qui a la vie devant elle.

«Je crois que vous avez assez souffert pour aujourd’hui. Je vous libère. Pour la semaine prochaine, j’aimerais que vous pensiez à ce dont nous avons discuté toutes les deux aujourd’hui, à la décision que vous avez prise dans votre adolescence et la façon dont elle affecte votre vie aujourd’hui. Notez-le bien dans votre carnet si des idées vous viennent.»

Je me redresse, complètement épuisée. Évidemment, je noterai mes idées pour la psychologue, je le fais attentivement chaque semaine, aussi difficile puisse être l’exercice. La professionnelle se lève à son tour, me présentant sa main qu’elle serre avec une poigne solide. Je m’éloigne ensuite en direction de la porte, me retournant au dernier moment vers elle.

«Merci.»

«Merci à vous de me faire confiance, Victoria. À la semaine prochaine.»


Je souris discrètement avant de refermer la porte derrière moi. La porte sur ces souvenirs.
(c)Golden


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