Moi qui ne crains pas d’être entouré de type en noir armés, je me sens au pied du mur face à un gamin de cinq ans aux regards incertains et aux propos hésitants. ‘Faut pas essayer de comprendre le paradoxe. Moi-même, j’ai abandonné de chercher la moindre logique dans mes faits et gestes. Mais quand même. Je tente de penser à autre chose. Présentement, je m’inquiète pour mes alliés laissés au château. Pour Irma et Stein, surtout, je n’ai pas pu m’informer de leur état après être parti pour mes aventures nocturnes avec Helmut il y a quelques nuits. J’ai demandé à Chris d’aller les prévenir, bien entendu, et je pense pouvoir les laisser encore un peu seuls. J’ai beaucoup à faire après cette balade, à commencer par organiser les réparations de mon château. Je pense peut-être même faire quelques extensions… Et… Merde… Faudra faire une chambre pour Ludwig. Glups. Comment pourrais-je faire cette chambre. Enfin, je vais ne pas mettre du papier peint avec des étoiles et des petits princes dessus et des étoiles fluo au plafond, non, non, je veux rester sobre. Et il la décorera lui-même mais.. Merde, elle ressemblait à quoi ma chambre quand j’avais six ans? Euhm… A rien. Franchement à rien. Un époque ou vraiment rien ne m’intéressait et en conséquence, ma chambre était vide et inanimée. Bien trop grande, et je trainais souvent dans un coin à regarder fixement le mur opposé en tergiversant vers des pensées noires et glauques, domptant petit à petit mes désirs de destruction et d’autodestruction. C’que j’étais dark, z’avez vu. Enfin, je digresse, et au final ,je n’arrive pas à briser la glace avec mon petit frère. D’ordinaire, ça ne me tourmente pas tant, mais je me sens en quelque sorte investi d’une mission envers lui, désormais. Je dois l’élever, et être meilleur que nos parents à cela. Il faut que j’assume cette histoire jusqu’au bout. Sauf que pour commencer, je n’ai pas grand-chose à dire. Je vais pas faire des blagues de cul à un gamin de 6 ans pour détendre l’ambiance. Je suis peut-être con, mais pas trop quand même. Enfin. Je pense que les habits seront secs, puis la chaleur fera le reste du travail. Et Ludwig ne grelotte plus.

« Bon… on va faire cette balade? »

Le gamin me regarde un petit moment et reprend ses habits pour me suivre alors que je progresse déjà sur les berges du lac. Je devrais lui dire quelque chose, vu où nous en sommes. M’intéresser à lui, lui, tenter de le faire se sentir moins inquiet et seul. Le blondin a beau avoir l’air de se sentir mieux maintenant qu’il est à mes côtés, il doit porter de lourdes séquelles des années précédentes, être complètement perdu. Maladroitement, je lui présente un peu les lieux, et ce que je sais de l’écosystème (c'est-à-dire pas grand-chose, à part qu’il fait éviter de bouffer les trucs roses à pois blancs), je préfère m’attarder sur les Pokémon présents dans le coin. Ce qui me faire trouver une idée de conversation de manière assez évidente. J’essaie finalement d’éviter beaucoup de chose, comme les questions sur le passé de Ludwig dans la demeure Nagel, ou sur notre famille.

« Au fait… T’aimes quel genre de Pokémon? »
« Euh… Je sais pas… »
« Ah. Euh… Bah alors, euh… »

Zut. C’est rapé. Mon sourire déjà nerveux diminue et mes oreilles se mettent à fumer à force de réfléchir. On est mal partis.

Je n’ai aucune idée de ce dont je pourrais parler avec un gamin de six ans. Je ne peux pas parler de conneries de beau temps, il doit s’en foutre, ni de politique ou d’histoire ou de… J’en sais rien, en fait. Et lui, il ne m’aide pas beaucoup non plus. Il semble terriblement intimidé. En même temps, il a du passer une enfance à devoir la fermer sans arrêtes, cela expliquerait bien sa nature apparemment timorée et réservée. Et ma foi, je ne saurais pas me mettre à sa place, à six ans, comme je le disais, je me foutais de tout, à ce moment là. Et je n’allais pas lui dire des choses du genre « tu sais, à ton âge j’adorais écraser et dépiauter des fourmis et d’autres insectes pour voir si eux aussi pouvaient souffrir ». Non. Pas une bonne idée. Finalement, je décide de continuer sur cette voie.

« Pourtant, les Pokémon ça doit t’intéresser, non, si tu suivais un peu la compétition? Non? »
« Si, si, mais, je sais pas si… »
« Quoi? »
« Je ne sais pas dresser un Pokémon, moi. »
« Mais, je te demandes juste lesquels tu aimes… Les rapides, les offensifs, les plus robustes? »
« Je sais pas… J’aimerais bien un Pokémon gentil. Qui pourrait être mon ami. »

Ah, je vois. Évidemment. Il n’a pas du avoir de contact avec d’autres enfants. Ou alors, très peu. Cela a du lui manquer, à son âge. Il doit certainement désirer se faire des amis. Enfin, pour ça… je peux certainement faire quelque chose pour lui. Je pourrais lui trouver un super Pokémon rien que pour lui, ce serait la méga classe!

« Dis, Ludwig, ça te ferait plaisir si…  Je t’en trouverais un, d’accord?  »
« Quoi? »
« Ce sera… comme un cadeau. D’accord? »
« Papa et Maman ne m’ont jamais fait de cadeaux comme ça… »
« Oui, ça, je m’en doute. Je ne suis pas comme eux, tu sais.  Enfin, je vais pas non plus te couvrir de cadeaux, hein. Mais… c’est parce que tu es arrivé et que tu en as besoin et… voila. »
« C’est vrai, tout ce que tu dis? »
« Bah…Ouais. Bien sur! »

Oh bon sang, il a l’air trop heureux, d’un coup. Son regard est rempli d’espoir et il ne s’arrête plus de me fixer. Je m’en ses pas mal embarrassé, d’ailleurs, et je lui envoie un sourire nerveux. J’ai fait quoi pour mériter ça? Bon, je ne veux pas l’acheter, non plus. J’aimerais bien discuter de manière plus naturelle, si possible. Enfin, au moins, le gamin sourit, maintenant.

« Alex… tu marches trop vite… »
« Ah. J'vais ralentir. »

Dis-je en ralentissant le pas, jusqu’à ce que Ludwig me rattrape. Je l’observe courir un peu. Il est plutôt maigre, sans être famélique ou avoir la peau sur les os, enfin, il est loin d’être gras, il a l’air presque un peu fragile.

« Tu fais quelle taille? »
« Euh je sais pas… »
« T'es pas très grand, en fait.. »
« Mais! Je suis pas petit! »

Dit-il avec une mine boudeuse plutôt amusante. Je rigole franchement en voyant sa tête, mais c’est vrai qu’il n’est pas grand pour son âge. Il m’arrive juste à la taille, et Marilyn est presque aussi grande que lui. Je pense bien qu’il grandira bientôt, et je passe une main dans se cheveux, d’un geste qui me vient naturellement, sans que je ne puisse l’arrêter. Je retire ma main un peu vivement pour observer mon geste… Hmmm… C’est quoi, ça, c’est dans le kit? C’est un truc qui va devenir automatique?

Après ce court épisode de la caresse sur la tête de mon petit frère, j’ai retiré ma main un peu précipitamment et mon regard s’est reporté vers les cimes des arbres. J’ai repris ma marche un peu rapide, et continuant de regarder le ciel, tout en regardant si Ludwig parvient à suivre. Hmmm… Donc, dans le pack « Ludwig », l’option « ébouriffage cliché de cheveux » est inclus? Je ne sais pas trop quoi penser de cet automatisme affectueux. C’est pas comparable, après, mais c’est un peu le même genre de réflexe bizarre que quand je prenais le main de Sky de temps à autre quand on était juste tous les deux et… Non bah, bref, quand je faisais ça c’était pour le faire taire, comme après, il gagatait. Pourquoi je repense à ça, moi? C’est mièvre! Je titre une moue dégoutée et aimerais me gifler pour ma niaiserie. Bordel ce que ce con a pu me rendre débile. J’aurais du le tuer, juste pour cette raison. Après bientôt un an, pourquoi est-ce que je pense à lui, déjà. Mes pas progressent, et je ne me rends pas compte que j’accélère, perdu dans mes pensées. Mes yeux n’aperçoivent pas le Mustébouée en train de jouer avec des cailloux,  qui capte en revanche beaucoup l’attention de mon jeune frère sans que je m’en rende compte. Bordel , faut vraiment que je pense à autre chose que les fesses de mon ancien amant, là. Même si elles étaient… Breeeeef. On va éviter ça en présence de Ludwig, quand même. Quelle ironie, n’empêche. Moi qui détestait Peter, me voila en train de tenter désespérément d’élever un blondinet. J’en connais un que ça ferait bien marrer.  Mais moi, ça me fait pas franchement rire, actuellement. Car le silence prend de nouveau toute la place. Je suis tiré de mes pensées par une lourde goutte d’eau qui me tombe sur la tronche. Puis une autre. Ah, les averses de la région humide, évidemment…

« Ah, merde, il va falloir s’abriter. »

Dis-je sans encore me retourner. Je suis tout de même surpris de ne pas avoir entendu la pluie arriver. Maintenant, elle gagne en puissance, et l’averse sera bientôt à son paroxysme. Throfinn est rentré lui-même dans sa balle, de manière à ne pas être mouillé.

« Ludwig, viens par-là, on va trouv- »

Je me retourne finalement en prononçant cette phrase, mais mes yeux ne rencontrent ni chevelure blonde, ni aucun gamin de petite taille pour son âge.

« …Ludwig? »

Fis-je, perdu. Je ne le vois nulle part. La pluie redouble alors de violence et dix secondes sont largement suffisantes pour que je suis trempé et qu’un vent froid se mette à souffler. Merde, merde, merde, comment est-ce que j’ai pu le perdre?! Il était derrière moi, tout ce temps et… J’ai fini par l’oublier, un court moment, mais ce fut trop. Je me mets à jurer en donnant un coup de poing rageur dans un arbre adjacent. C’est pas le moment de rager. Je rassemble mes esprits et décide de partir à la recherche de mon jeune frère. Il ne peut pas être bien loin! Mon pas s’accélère à mesure que je retourne en arrière, sans jamais que la pluie ne puisse m’affaiblir. Me voici à l’endroit ou je l’ai vu pour la dernière fois. La panique m’envahit. Il n’est pas là. Est-ce qu’il est tombé à l’eau? Oh, bordel, mais quel con…

« Ludwig! Réponds, bordel! »

J’envie immédiatement Carlotta, Kaiser, et Persephone à l’eau pour y chercher mon frère, si ce dernier est tombé, et quand à moi, je continue de l’appeler. Par Giratina, Ludwig, ou est-ce que t’es passé..?

Je n’aime pas ça, je n’aime pas ça du tout. J’ai totalement perdu Ludwig de vue, Charly et Persée sont revenues bredouille du lac, et il pleut des hallebardes. C’est quoi le pire : que je sois inquiet pour une autre personne que moi-même ou que je suis stupide au point de pas pouvoir veiller deux minutes sur un gamin de 6 ans? Les deux me navrent avec la même puissance. Mes appels restent sans réponse, et le ciel s’obscurcit encore de nuages. Je sais que c’est passager et que ce sera fini dans cinq minutes, mais bordel… comment rassurer Ludwig après un épisode pareil? Encore faudrait-il le trouver. Accompagné de Kaiser qui est revenu à son tour du lac, je commence à fouiller les bords du lac. La pluie ne cesse pas encore, et j’ai l’impression de chercher depuis des heures déjà, sans rien trouver. J’ai froid, en plus, on va rentrer au bercail avec une putain de crève carabinée. Les eaux sont définitivement vides d’après mes alliées, du moins, pas de Ludwig à l’horizon, Carlotta fait sortir un Viskuse de l’eau et elle et l’Hyporoi se mettent à l’interroger nerveusement, avant de re-balancer le mollusque ailleurs, dans l’absence de réponses. Elles reviennent toutes deux me voir une nouvelle fois en secouant la tête.

« Bon, au moins il ne s’est pas noyé… Merci les filles. On va continuer à chercher. »

Dis-je en leur donnant congé. Kaiser soupire à mes côtés, plutôt peu motivé par la perspective de devoir retrouver un gosse. Je continue mon chemin sous les goutes toujours en train de fuser en tous sens. La pluie s’arrête, mais le ciel reste gris, et cela ne m’étonnerait pas que ça recommence. J’appelle de nouveau Ludwig, sans succès. Comment a-t-il pu aller si loin sans que je puisse le voir. Je sors mon portable de ma poche, mais me ravise immédiatement. Non, appeler Riku ou Soltan serait comme abandonner et m’avouer vaincu. Je me remets à mes recherches immédiatement, à la recherche d’un abri où le blondin aurait pu se réfugier. Je me fous de ce à quoi tout ça peut ressembler, je dois le retrouver, c'est tout.