« …lex, Alex! »
« Gheuuuuuuh… »

J’émerge avec ce bruit bizarre et en reniflant bruyamment. Mon premier geste est d’essuyer un gros filet de bave qui coulait du coin de mes lèvres et de regarder sans vraiment y croire le mini-blondinet qui se tient en face de moi et se tortille. Assis sur le fauteuil sur lequel je me suis endormi comme une masse, je me réveille tout en me souvenant peu à peu d’où je me trouve. Ah, oui… l’accident, la ferme, et tout le tralala. Bordel, je suis cassé de partout, et avoir dormi dans une position aussi tordue sur ce fauteuil n’arrange rien à mon état d’encéphalite rectale aigüe. Je cligne des yeux et je regarde Ludwig continuer de se tortiller sur lui-même. Je me frotte les yeux.

« Euhm… Quoi… T’dois aller aux toilettes…? »

Fis-je entre trois bâillements capables de me décrocher la bouche. Le gamin hoche la tête frénétiquement et se tortille de plus belle. Mollement, je l’emmène donc jusqu’à la salle de bain et patiente dans le couloir en m’endormant encore sur place. Je ne me rends pas vraiment compte de ce qui m’arrive. Ludwig est là… j’suis dans la ferme de Soltan… Ouais, dans cet état rien ne peut me surprendre. Sauf le fait qu’un Mastodonte vient d’entrer dans mon champ de vision sans prévenir et que je crie tout d’un coup de manière complètement ridicule.

« Putain, Soltan! Mais qu’est-ce que tu fous là grosse… tarre gluante?! »
« J’suis rentré hier. »
« Hier mais… hier c’était hier et… je t’ai pas vu hier, en rentrant! »
« Ah, c’est normal, ça fait 3 jours que vous dormez comme des loirs. »
« COMBIEN TU AS DIT COMBIEN?! »
« Pas la peine de crier comme ça, andouille. »
« Papa… Il est bête lui, hein? »

Une minimoye sort de derrière la jambe du géant et commence à me fixer avec son regard violet moqueur. C’est qui elle. Ludwig choisit alors le moment pour sortir des toilettes, et pousse un cri terrifié en voyant Soltan, et va attraper ma jambe en tremblant comme une feuille. OUhla… C’est quoi ce plan, je dois faire quoi, là?!

« T’as vraiment une tête de déterré. »
« C’est qui cette gamine? C’est la tienne?! »

Ludwig jette un coup d’œil discret depuis l’arrière de ma jambe, et fixe la gamine manifestement moins âgée que lui qui l’observe intensément, mais avec le sourire. Bien moins peureuse, elle se ramène et commence à poursuivre le blondin en me tournant autour.

« Ah, oui euh… je te présente Marilyn… Ma fille de 4 ans. »
« Ah. Oui. Bien sur. Marilyn. Évidemment. »

Dis-je sans réussir a croire ce que je suis en train de vivre. Et quand je vois la tête de Soltan qui n’a manifestement pas dormi depuis des jours en que j’entends Ludwig dire des « arrêêêêteuh… Alex, la petite fille elle m’embête… » dans notre langue maternelle, j’ai l’impression de faire u nbad trip.

« Eh euh… Si on allait au lac pour les sortir un peu et essayer de comprendre ce qui nous arrive? »
« … Ah… Ouais, pas con… »

Fis-je, distrait. Nous ne tardons pas à partir en direction de la région humide, avec une certain mal dû au fait que Ludwig ne voulait en premier lieu pas grimper sur Lizbeth. Mais d’une certaine façon, la dragonne avait réussi à le rassurer. Quand nous arrivons, les deux gosses commencent à observer avec émerveillement la grande étendue d’eau et même Ludwig me lâche pour aller plonger sa main dans l’onde trasparente. Je comprends qu’il n’a vraiment pas du sortir souvent, et le voila complètement muet en détaillant chaque recoin du beau site. A l’écrat, moi et Soltan nous asseyons sur des rochers, et regardons Marilyn et Ludwig découvrir les lieux comme si rien d’auytre n’avait plus d’importance.

« Euh… ma question va être niaiseuse, mais ça fait quoi d’être papa? »
« ... J'en sais rien. Et toi, être grand frère, ça fait quoi? »
« M’en parle pas, j’comprends même pas ce qui m’arrive. »
« Moi non plus, en fait. »

Awkward.

« Diiis, tu t’appelles comment? »

La fillette de Soltan fut la première à entreprendre un conversation avec Ludwig, maintenant qu’elle semble avoir fini de contempler le site. Elle semble assez turbulente, dans son genre, et a déjà retiré ses chaussures pour barboter en éclaboussant autour d’elle, sans se préoccuper du fait qu’elle est déjà en trin de détremper le bas de son pantalon. Comme il me semble qu’elle parle japonais (la langue maternelle de sa maman, me semble-t-il), Ludwig la regarde curieusement sans comprendre, et n’a pas l’air enclin à lui adresser la parole. La petite prend assez mal cet affront et décide d’insister.

« Hé, pourquoi tu parles pas?! T’es chiant! »
« Marilyn, ton langage. Sa mère lui a vraiment appris de mauvaises manières... »

Ludwig, ennuyé par la petite fille qui gonfle les joues et continue d’insister et lui attrape la manque avec ses mains déjà boueuses et mouillées se débarrasse avec un regard fuyant et revient vers moi. En évitant précautionneusement le regard du mastodonte assis à quelques mètres.

« Alex, je comprends rien à ce qu’elle dit, la petite fille… C’est qui? »
« Papaaaaaa, le garçon il veut pas jouer avec moi! »

Pris entre deux feux, moi et Soltan nous observons brièvement, confus. Et sans oser s'avouer que ces deux là risquent un jour de nous provoquer des crises de foie.

« Euhm… C’est qu'elle ne parle pas la même langue que toi… »
« Tu vois, Marilyn, Ludwig parle allemand et… »
« Allemand! Moi j’connais des mots en allemand! Maman elle m’a appris! Fick! Scheize! Mutterficken! »
« Elle a dit que sa mère lui avait appris des mots en allemand, comme "merde" et "encu- »
« Merci, on avait compris le reste. »
« Marilyn ,ne dis pas ça, c’est pas gentil. »
« Maiiiis… »

La garçonnette, tout de même plus sociable et insouciante quitta deux secondes les genoux de son paternel pour venir vers nous. Ludwig fit la moue en la voyant arriver. Marilyn, en revanche, ne se décourageait pas et tendit une main vers le blondinet, avec un regard déterminé.

« Je m’appelle Maaaa-riiiiii-lyyyyyyyn »

Dit-elle, autoritaire, et en articulant le plus possible son prénom. On dirait que Ludwig avait bien entendu ça au moins, et se redressa, sans cesser d’observer la petite fille aux cheveux sombres. Il me regarda comme pour demander l’autorisation de lui répondre. Je ne répondis rien, ne sachant pas trop quoi faire pour l’aider. Mais, malgré tout, Ludwig se méfiait bien moins d’une enfant plus jeune que lui, et descendit à son tour pour serrer très poliment la main de la petite métisse.

« Euh… Moi c’est Luuu-Dwiiiig. »
« Loudewiche? Il est rigolo ton prénom! »

Marilyn traina donc le blondin par la main jusqu’à la berge, juste à temps pour voir un Magicarpe sauter de l’eau, ce qui fit très peur à Ludwig, qui s’affaissa par terre, mais amusa énormément la fillette qui se mit à lancer des cailloux sur le Pokémon aquatique en criant comme une folle.

« Bon… tant qu’ils jouent ensembles on est tranquille, non? »
« Je crois… »
« Eh. Au fait, elle est où la mère de Marilyn? »

Soltan ne répondit pas tout de suite et jeta plutôt un regard à Ludwig qui tremblait sur le sol après la seule apparition d’un Magicarpe actuellement en train de se faire lapider par une gamine de 4 ans. Le fait qu’il ne réponde pas me fit imaginer une certain nombre de choses, mais je n’allais pas m’inquiéter pour quelqu’un que je n’ai même pas connu. Ludwig avait l’air de surjouer un peu sur le sol, à gémir comme un bébé.

« Plutôt que poser des questions, tu devrais aider ton petit frère, non? »
« Tu vois pas qu’il nous fait des larmes de crocodile? »
« Il est sensible, après ce qui lui est arrivé. »
« Eh, oh, d’où est-ce que tu me dis comment je suis censé m’occuper de mon frère? Arrêtes de péter plus haut que ton cul, ringard! »
« Non mais tu te calmes?! Je dis juste que… »
« Bah, fermes-là, c’est déjà assez compliqué comme ça. »
« Détends-toi un peu. »
« Mêles toi de ton gros cul. »

Néanmoins, si Ludwig insiste à ce point, je peu également supposer qu’il doit avoir besoin de tester sa confiance en moi. Je pourrais comprendre qu’il désire attirer quelque peu mon attention, du fait qu’il se soit senti si seul pendant toutes ces années. Je me mis à soupirer et à marcher vers le mini-blondin en train de gémir en tremblant sur le sol. Avant de lui tendre la main nerveusement, je n’oublie pas de lancer un regard noir à Soltan. Lui a peut-être l’instinct paternel autoritaire, à son âge, mais je l’emmerde! Tch.

« Relèves-toi, Ludwig, sois un grand garçon… C’est juste un Magicarpe, et ces Pokémon ne sont pas dangereux. C'est même parmi les plus faibles du règne Pokémon. »
« Si tu le dis, ça doit être vrai… »
« Je dis beaucoup de conneries aussi. »
« Mais, pour les Pokémon, t’es un vrai champion! »

Assez flatté, je ne pus retenir un sourire victorieux. Je pensais pas qu’être admiré par son petit frère pouvait être aussi gratifiant… Enfin, je l’ai sauvé, j’imagine que c’est un peu ordinaire qu’il me porte aux nues. Je suis assez fier, pour tout dire. Bref. Je lui montre le Magicarpe en train de se faire caillasse par Marilyn, pour lui prouver que ce Pokémon est décidément pathétique.  Doucement, Ludwig cesse de me coller et retourner vers Marilyn, ose à son tour mettre les pieds dans l’eau, et se met à encourager la gamine dans sa langue maternelle. Dans mon dos, j’entends le paternel pousser un soupir distrait, et je me retourne à temps pour le voir s’appuyer sur son coude, et observer les gamins d’un air complètement gaga. Expression dont il se départit immédiatement quand il s’aperçoit que je me fends bien la gueule en l’observant.  Voila qu’un Keunotor se joint à la fête, et Marilyn gueule plus fort encore en japonais des « Kisamaaaaaaaa! » dans tous les sens (au grand dam de son père qui lui reproche de nouveau son langage pas vraiment adapté à une enfant de 4 ans, pas censée connaitre tant de gros mots). Un mot qui va rester gravé dans l’esprit de Ludwig… C’est pas si mal comme premier mot de japonais. Sauf que j’en expliquerait pas tout de suite le sens. Bon. Alex. C’est le moment d’être cool et de te la péter un peu.

« Héééé! Vous voulez voir un truc vraiment cool? »

Dis-je en faisant sortir Charly sur la berge du lac, et entreprend de faire grimper Ludwig, plus réticent que la minimoye métisse qui est déjà perchée sur le gros coquillage violet.

« Maiiis… c’est pas dangereux au moins? »
« Ah, si, c’est dangereux, mais bon, on a qu’une vie. »
« Mais... Mais! »
« VAS-Y BEAU COQUILLAGE! »
« Euh Alex… Qu'est-ce que tu fous, là? »
« J’ai peur, moi…. »
« Moi aussi. »
« Soltan, fais pas ta mère poule! Et Ludwig, j’te tiens! »
« ...Maiiiiiis! »

Sur ces mots, je m’approche de la berge en poussant la Crustabri. Huhu. Qui c’est qui va être le plus cool, le plus classe, le plus génial?! C’est parti, Charly s’élance à toute vitesse sur l’eau en éclaboussant sur les côtés. Les deux gamins hurlent respectivement de délire et de peur, alors qu’un Terminator hurle sur la berge.

« ALEX RAMÈNES-LES TOUT DE SUITE ESPÈCE DE SALE GOSSE! »

Être le mec cool qui n’a peur de rien, c’est le bon plan pour s’attirer l’admiration et la sympathie des gosses… non? J’en sais rien du tout, mais c’est ma seule idée pour le moment. Mais tandis que ma popularité semble s’être multipliée par dizaines dans le monde de Marilyn, je ne peux pas en dire autant de Ludwig. Il est complètement terrifié et je me sens très con au moment ou il se met à sangloter et à me supplier de revenir vers le rivage. Faut faire quoi dans ces cas-là? Non, parce que si le blondinet ne se fait pas un peu violence, j’aurais vraiment du mal à l’élever comme il le faut… Déjà qu’il va falloir rectifier les conneries de nos parents qui n’ont jamais su élever un gosse. Euh mais… En quoi je suis mieux qu’Helmut, dans ce cas? Cette constatation me laisse circonspect, et je plisse les yeux, perdant un instant ma concentration et le contrôle sur Carlotta, au moment ou cette dernière rencontre un Bargantua, et se redresse brusquement vers l’arrière sous le coup de la surprise. La suite était prévisible : nous sommes tous les trois jetés vers l’arrière, moi le premier et les gosses par la suite. L’eau froide me ramène immédiatement dans la réalité et mes instincts, pour une fois, ne me crient pas de sauver ma peau, mais de m’occuper de Ludwig qui galère à nager. Marilyn a été pour sa part repêchée par Charly, mais tremblote d’un air terrifiée, en serrant la Crustabri de toutes ses forces. Je décide de ramener tout ce beau monde sur le rivage, sans écouter les injures du fermier qui est plus furax que je ne l’ai jamais vu. Ce que je ne vois pas arriver, en revanche, c’est l’énorme mandale que je me prends dans la face et dont le claquement fait écho comme dans la scène over-dramatique la plus clichée du monde. Mais je vous jure que ça a vraiment claqué. Et que ça m’a vraiment fait mal.

« Espèce de petit connard! Tu te crois où, là?! »
« Va te faire foutre! Ces gosses ont besoin de vivre un peu après ce qu’il leur est arrivé! »
« Le seul qui pense être encore prisonnier, là, c’est toi Alex. »

J’ouvre la bouche pour l’injurier de nouveau, mais je n’ai rien à dire. Merde. Il a raison. Je détourne le regard comme un gosse qui vient de recevoir une punition. Mais c’est vrai que depuis la baffe retentissante de mon paternel, si forte que j’avais craché une dent, je n’en avais plus reçu de telle. Je grogne et serre les dents, tandis que Ludwig pleure de plus belle, accroupi sur la berge. Il est inconsolable. Putain de bordel de merde. Marilyn ne tarde pas à faire de même et à se réfugier vers son papa. Ce ne sont que des gosses. Mon regard se baisse piteusement vers le blondinet grelottant et pleurant sur la berge. Moi-même, je me refroidis comme je suis tout aussi trempé, mais cours chercher ma veste laissée sur la terre ferme au soleil et aide mon petit frère à enlever sa chemise pour poser la veste chaude sur ses épaules. Ses mains couvrant ses yeux rougies, le gamin de six ans n’arrive pas à sécher ses larmes. Je ne sais pas trop quoi faire, là.

« Eh, Soltan… Vous voulez bien nous laisser? »
« Ne soyez pas en retard pour le repas. »
« Ta gueule. Et ne te comportes plus jamais comme si t’étais mon père. »

Piqué au vif, le mastodonte hoche la tête et accepte de s’éloigner. Quand ils sont partis suffisamment loin, Ludwig sanglote encore, et maintenant que nous sommes seuls, j’ose me rapprocher un peu de lui pour resserrer la veste sur ses épaules et le serrer un peu contre moi. Je sais pas si j’ai trouvé le bouton pour que ça cesse, mais le blondin se calme presque instantanément, bien qu’il continue à renifler.

« Je le referais plus. »
« J’suis trop peureux… Papa me criait tout le temps dessus, pour ça… Que je suis un trouillard et un lâche. »
« Papa dit que des conneries, et en plus il est obèse. »
« ...de quoi? »
« Euh… je veux dire, que euh… tu deviendras plus courageux, un jour. Bientôt. Et puis, l’autre soir, tu as vraiment été courageux, tu sais. Tu en es capable. »
« C'est vrai? »

Je lui envoie un sourire un peu nerveux comme réponse, mais on dirait que ça marche, car le jeune garçon baisse les yeux en souriant timidement, l'air satisfait. Encore trempé, je fais sortir Throfinn qui allume un feu, et fais ainsi sécher quelques habits.

« Eh, Ludwig, tu voudrais aller chercher d’autres Pokémon, après? »