Je pense que celle que j’étais en arrivant sur Enola rêvait comme une petite fille rêve d’être une princesse de ce qui va se passer aujourd’hui. La célébrité, les interviews, les paparazzi tout ça, j’en rêvais en arrivant. Je sais pas, je rêvais d’être cette espèce d’idole intouchable que les petites nanas admirent en regardant la télé. La fille que les mecs mattent en bavant. Aujourd’hui quand je me regarde d’un regard si calme dans le miroir, conversant tranquillement avec ma maquilleuse, je me demande un peu où est passé cette espèce de gamine insupportable aux caprices de princesse. Et en même temps, je ne ma regrette pas trop. Je crois qu’elle a simplement rencontré la réalité, qu’elle se l’est même prise assez violemment dans la face il y a plus d’un an désormais. Je ne regrette pas que cela ait du être presque nécessairement violent. Certes, mon monde de gosse de riche a volé en éclat. Je me croyais intouchable, ou plutôt je préférais me croire ainsi, alors qu'un rien suffisait pour me briser. Et là… Un coup de feu, la lame d’un couteau aiguisé qui brille au point de m’aveugler, et deux corps par terre, inertes ou appelant le nom de leur mère. Bang. Ta gueule, la gamine pourrie gâtée qui demeure encore dans ce corps. Tu auras tes foutues émissions, tu auras tes interviews et même tes paparazzi si tu cherches bien… mais ce n’est pas en fumant des joints toute l’année pour fêter tes victoire et en te reposant sur le seul talent que t'as peut-être que tu t’en sortiras. Plus que devant un tueur sans cœur, j’étais devant quelqu’un qui s’était battu toute sa vie pour réussir a vivre à peu près normalement.. Et qui continue de se débattre jour et nuit pour trouver un semblant d’équilibre. Je me suis battue, je me suis entrainée toute cette année. Des victoires, une défaite pour clore la dernière saison. Une telle défaite qui m’aurait probablement fait tout abandonner par fierté si elle était arrivée il y a deux ans. Je crois que j’aurais quitté l’île sans plus tenter ma chance, sans plus me chercher à travers cet art qui m’était prédestinée. Et sans me préoccuper une seconde de ces rencontres enrichissantes que j’aurais faites. Sans me préoccuper de la place que j’allais finir par me trouver ici bas. Ça n’a pas été facile, mais voila ou j’en suis. Et maintenant que se profile ce plateau-télé d’interview, cette émission probablement débile, me voila extrêmement calme.

Je n’ai pas spécialement hâte, et j’ai même un peu de trac, je crois. J’ai conscience que je vais servir d’appâts à médias, ici, et qu’aujourd’hui, on va juste servir à faire tripper les spectateurs, Charlotte et moi. Bah, j’ai qu’à être moi-même, et ça ira. On m’a affublée d’une robe rouge et noire à tartan un peu déchiré, d’un style un peu métalleux avec quelques chaines qui me correspond très bien. Je suis bien contente qu’ils m’aient en revanche laissé mon manteau rouge fétiche! Après tout, que serais-je , que serait Anarchy, sans lui? Cette rencontre avec ce manteau remonte, mais j’ai la sensation qu’il a marqué ma renaissance, entrainé le déclencheur de mon évolution. Oui, c’est ça, c’était comme un level-up, aussitôt que je l’ai enfilé! La maquilleuse qui vient de finir son devoir m’interroge lorsque j’éclate de rire dans mon coin en me remémorant ces souvenirs qui ne sont plus si mauvais que ça, et elle m’indique que je serais bientôt appelée à monter sur le plateau avec la championne d’arène de Zazambes. Étant donné que nous officions dans la même cité, je connais cette jeune femme de vue. Nous avons presque le même âge, et nous ne sommes toutes les deux pas bien grandes, donc, je l’aime bien. Je n’ai rien à foutre de ce que les médias semblent marmonner à son sujet ces derniers temps, j’ai juste hâte de faire sa connaissance. Et alors que je compte profiter de ce laps de temps pour sortir me fumer une clope, je tombe justement sur Charlotte Laurens. Enfin, ça, c’est plutôt Charlotte Laurens étouffée dans une Pandarbare.

Je reste un instant interdite, ne sachant comment réagir devant cette scène de huggy hugs entre la championne miniature et de sa maman ours. Enfin, c’est plutôt que Charlotte (je pense que c’est bien elle, il n’y a qu’elle parmi l’Elite qui est aussi naine que moi), elle ressemble à un nain de jardin à côté de son énorme Pokémon.

« Hey, girl, ça va? »

Dis-je après avoir entendu un reniflement venant du câlin. Peut-être que la jeune femme a le trac? Bah, ça se comprendrait, et puis,  ça arrive à tout le monde. Certains en font même des crises d’appendicite et vomissent dans la poubelle, huhu. La clope éteinte dans la main, je me tiens là et pose une main avenante sur la main de la championne combat, tout en lui envoyant un sourire encourageant pour le moment où elle se retournera.

« Tu sais quoi, Charlotte, si ces gros pleins de fric veulent te forcer à monter sur le plateau, j’te jure que je leur nique leur race et que je t’aide à fuir d’ici! »

Enfin, dans cette histoire, je crois que c’est surtout Charlotte qui sait casser des culs. N’empêche que personne nous empêchera de faire ce qu’on veut. Et si Charlotte veut fuir ce plateau, eh bien, je vais l’y aider! Enfin, je crois. Je risque d’avoir la trouille dès qu’un type avec une perche se pointera.

« Sinon, euh…. »

Je désigne la grande panda avec un doigt tremblant de convoitise.

« On a qu’à toutes les deux la câliner pour se donner du courage? Huhu. »

Je veux huguer cette Padarbare a l’air si maternelle et adorable!

Tout le monde a le trac, ce n’est pas une légende. Certains l’ont juste plus intense que d’autres, regardez mon cousin l’air si confiant pour ne pas le nommer qui vomissait systématiquement ses trippes avant de partir sur le terrain. Comme quoi, on n’aurait pas dit à première vue et pourtant… Pour ma part je ressent une sorte de boule dans ma poitrine, et une sorte de vibration à la fois paralysante et grisante m’envahit toute entière. Ma respiration se fait plus difficile, et je n’arrive toujours pas à savoir si cette sensation me fait du bien ou non. Si on voit ça sur un plus long terme, j’imagine que ce trac m’a toujours bien aidée, car il m’enivre également et me permet de me donner toute entière dès que je débarque sur la scène. Si je n’avais plus le trac, je me poserais des questions sur mon engagement par rapport à mon nouveau boulot! Aussi, bah… oui, j’ai aussi besoin de courage, car je ne suis pas fana non plus de ces entrevues et de ces émissions dans lesquels il faut sourire, bien paraître, faire gaffe à tout ce qu’on dit (ça, par contre, je sens que je vais encore me foirer et me compromettre, bonjour mes paroles déformées dans les journaux). Bref, je comprends la détresse de Charlotte. Cette dernière n’a pas vraiment l’air d’apprécier mon contact un peu cavalier et mes mots, pour le coup, mais sa Pandarbare, elle, me câline déjà, et j’affiche un sourire béat. C’est fou ce que son contact me détend! Enfin, je vais pas lâcher la rouquine pour autant! Mais c’est peut-être pas si mal parti que ça, comme cette dernière commence à exploser de rire devant la scène du câlin. Je ne pige pas son hilarité de suite, mais je ricane aussi bêtement par réflexe. Ma collègue se calme vite pourtant, ne pouvant dissimuler son anxiété derrière son rire bien longtemps.

« Bah quoi? J’suis humaine et j’ai la trouille aussi! Sérieux, c’est vrai, je suis une grosse flipette, en vrai, je chiale tout le temps! »

Fis-je avec une sincérité qui pourrait presque forcer le respect. Je me détache d’Astrid pour le rapprocher de la championne, pas consciente que je puisse devenir un peu lourde, avec mon attitude cavalière et mes sourires débiles. Mais je suis comme ça, j'aime pas la morosité, et je veux toujours la chasser, même si ça signifie d'avoir l'air d'une grosse chieuse.

« Tu devrais revoir tes clichés sur les coordi, ma grande! Héhéhé! Roh, je te charrie, c’est pas sympa. C’est vrai que j’aime bien être sous les projos, mais les interviews, ça m’emmerde un peu… J’arrive jamais à éviter de trop parler, et ça me retombe dessus. »

Je continue de ricaner bêtement, puis lance un regard circulaire sur ces coulisses désertes de techniciens. C’est vrai, quoi, on nous surveille à peine! Par contre, Charlotte semble venir de réaliser la situation, et se retrouve par terre, l’air totalement perdue et paniquée. Ne sachant que faire devant ce revirement soudain, j’observe une dernière fois autour de moi et m’accroupis devant la Championne d'Arène, lui tapotant l’épaule d’une main encourageante. Faut pas se laisser aller comme ça, c’est justement ce qu’ils attendent, ces rapaces : nous déstabiliser pour avoir un os à ronger! Rah, les connards!

« J’suis sérieuse quand je dis qu’on a qu’à se sauver! Ça leur fera un bon petit scoop et ça leur fera fermer un peu leur gueule, tu penses pas? Chiche! Imagine leur tronche si ils se ramènent et… "oh meeeeerde, "nos" p'tites championnes se sont fait la maaaalle!". »

Et au pire ça leur fera un bon scénar de télé-réalité.. "Championnes en fuite", imagine le tableau! Comment vont-elles survivre? Pendant que j’étalonne ce petit scénario en ponctuant mes propos de grimaces et de voix débiles pour imiter nos cheeeers organisateurs qu’on adore détester. Et puis, en plus, qu’est-ce qu’ils vont nous poser comme question « c’est quoi votre genre de mec? », « qu’est-ce que vous faites en dehors de vos matchs? », « quel est votre parfum de barbapapa favori? », du fanservice, toujours du fanservice! C’est pas comme si on se présentait nous-mêmes! j'ai jamais trop compris pourquoi ce genre de questions avaient tant de succès chez les lecteurs ou téléspectateurs assidus... J’imagine que ça leur permet de s'associer, ce genre de bêtise.

« Hm… Ou alors, pour les emmerder, on répond n’importe quoi! Ils passeront pour des imbéciles, et ça fera bien marrer les gens qui regardent, et en plus on garde notre vie privée en sécurité! Alors, je suis un génie, non?! »

Fuck, yeah, I am a fucking genious. C'est alors qu'un bruit se fait entendre aux environs de la scène, et que des voix se rapprochent de notre position. Ok, c'est maintenant ou jamais.

« ...B-Bon! On fuit ou on reste pour les emmerder? Now or never! »

Seule, aurais-je osé penser à de telles alternatives de fuite ou de moquerie? Probablement pas. J’ai besoin d’impressionner ma cadette, comme mes propres ainés m’impressionnent au point que j’aimerais devenir comme eux. Est-ce que si je continue de faire la fière ainsi devant Charlotte, la championne dresseuse finira par m’aduler comme me fascinent Winwin ou Maxwell? Aussi superficiel que ce genre de souhait puisse paraître, j’aimerais que ce soit le cas. J’aimerais être le modèle de quelqu’un, pas dans le sens d’être adulée, non, mais pour me convaincre d’être finalement une personne à part entière. Comme une autorisation d’assumer ce que je suis, de me fixer, moi qui ne puis pas tenir en place. Certains trouveront ça stupide ou absurde, encore un caprice de gamine, mais dans mon esprit c’est très pertinent et presque absolument nécessaire. Mais pour cela, il faut que Charlie accepte de marcher dans mon jeu.. Et on dirait qu’au vu de son expression lorsqu’elle relève des yeux noisette remplis d’une soif de défi dans ma direction, elle est finalement partante pour ce joyeux bordel. Alors… Qu’est-ce que ça va être?

La dresseuse est la première de nous deux à se relever quand les éclats de voix se rapprochent, elle s’empresse de prendre ma main dans la sienne fermement pour s’élancer dans les entrailles d’un labyrinthe interminable de couloirs. Me prenant plusieurs fois les coins car la championne va trop vite pour moi et mon manque d’exercice, je déambule tant bien que mal, déjà prête à décéder devant cette cadence que mes jambes ont bien du mal à gérer toutes seules. Est finalement ouverte la première porte de sortie qui croise son chemin. La Pandarbare couvre notre course, et une lumière qui me semble irradiante m’aveugle, surgissant de derrière le battant de métal. J’ai la sensation étrange de sortir d’une prison d'acier, et de ne plus avoir vu le jour ni senti le vent depuis des siècles avant cet instant. Mais nous n’avons aucune seconde à perdre, nos poursuivants vous nous rattraper, sinon, et ce, dès qu’ils se seront aperçus de notre disparition! La championne s’emmêle les jambes en s’arrêtant, et je ne passe pas loin de me ramasser par-dessus-elle, suivie de la Pandabare qui nous emboitait le pas. Ah, si il en avait été ainsi, je crois que j’aurais pu dire trois Ave Cresselia et un Pater Arceus et paix à l’âme de Charlotte… Plus hilare qu’autre chose devant cette chute spectaculaire et soulagée, je prends une courte pause avant d’entrainer ma copine fugueuse autre part, et je vais aussi lui refiler une de mes paires de ray-ban. On va être trop incognitooos. Charlie pour sa part sautille déjà dans tous les sens, et je suis bien contente d’avoir eu la bonne idée (ou pas) si cela la réjouit à ce point..

« Yeah, girl! Bon euh, on va courir par contre parce qu- UWEEEEEEEEEEH! ? »

C’est… c’est.. c’est quoi, ça, c’est du sang? Ew.. Ewwwwwww! Au secours! Je déteste le sang, j’y rattache bien trop de souvenirs douloureux et traumatiques pour certains pour l’apprécier, ça me donne la nausée à chaque fois. Mais, là, je dois rester sur mes jambes, d’autant plus que la championne semble encore plus effrayée que moi par ces éraflures. Sauf que là… J’en mène pas large.

« P-Pandarbare! Portons-là dans un endroit abrité! »

Ordonnais-je en mettant quand même des lunettes sur le nez de Charlie et même sur celui de ma Pandarbare, pour qu’elle non plus ne soit pas reconnue. Astrid s’exécute et je la suis au pas de course jusqu’à une ruelle adjacente. Derrière moi des cris retentissent « elles sont passées par là, poursuivez-les! ». Les pauvres clampins ne nous ont cependant pas vues tourner et les voila qui passent sans nous voir devant la rue, continuant leur chemin. Je m’autorise à respirer de nouveau et retourne vers Charlie en appliquant un mouchoir sur ses éraflures qui me paraissent immense alors que c’est bien peu de choses.

« T’inquiètes, tu vas pas mourir, Charlie! »

Ma voix ressemble à la doublure surjouée d’un mauvais remake du Soldat Ryan. Les eraflures nettoyées, j'agite le mouchoir comme une petzouille par-dessus le visage de la championne pour lui faire de l’air. Plus de peur que de mal, mais j’ai quand même un peu pleuré. J’attends que la rouquine reprenne un peu plus ses esprits derrière les lunettes noires jumelles aux miennes et a celle d’Astrid, avant de m’adresser de nouveau à elle, entre deux gloussements de gamine fière d’elle.

« Et voila, on est officiellement des déserteuses, sergent! C’est la classe, nan?! Le monde est à nous, tu veux faire quoi? »

Je crois que j’avais toujours rêvé de faire une bêtise pareille, en réalité.

Eh, qu’elle ne brise pas mes rêves ! Je suis une viking, moi, agrougouh! Je montre les dents, je mords, je griffe, je crie! Je fais super peur! Hm. On va essayer d’y croire, hein. Si je continue a me répéter ce genre de trucs à longueur de journée, probablement que ça finira par marcher! Ou alors j’aurais juste l’air creepy à répéter des trucs comme une débiloïde dans mon coin. Ce serait donc… à moitié réussi, j’imagine? J’aimerais nier les propos de Charlie qui me remet dans le monde de la réalité. Mais je ne sais pas si j’ai les arguments pour. Ce serait se foutre le la charité d’assurer haut et fort que je n’ai pas hurlé en voyant ce « peu » de sang qui m’a pourtant paru une vraie cascade. Car j’ai hurlé comme une débile. Mais pour une fois j’ai pas été trop foireuse et j’ai fait ce qu’il fallait (je crois..) Mais je veux y croire, je suis une guerrière, moi, une putain de japonaise qui a de la famille chez les yakuza, non mais, je viens d’une famille de grands guerriers! (c’est beau d’y croire, hein, mais je pense pas que ces gênes-là m’aient vraiment été transmis..). Bref. Je suis très enthousiasmée par l’idée d’aller prendre une glace en scredd avec la championne dresseuse. Dire que les autres abrutis ne nous ont pas vu. Si ça se trouve… Ils vont finir par faire un avis de recherche et les plaquer sur tous les murs de Zazambes, et des tueurs à gage voudront notre tête! Il nous faudra nous exiler avec nos alliées combattants, envers et contre tous! Ouais, je regarde trop de films et je fréquente probablement trop Shizune ces derniers temps, pour qu’il me vienne de pareilles idées. Enfin.

« C’est parti, alors! »

Je sort de la ruelle la première, en prenant bien précaution de regarder de gauche à droite discrètement si la voie est libre. Il nous suffit de toute façon de nous fondre un peu dans la foule, et tout ira bien. J’ai également demandé à Kalafina de surveiller les environs du ciel, ainsi la Pokémon psy pourra m’avertir de notre lien télépathique pour nous prévenir de l’approche de nos poursuivants. Les échoppes défilent et l’enseigne du glacier apparaît dans mon champ de vision au moment où Charlotte me pose une bien étrange question. Ah… euh… peut-être que j’en ai trop fait, encore une fois? Nerveuse, je pince les lèvres, sur le coup, je me sens trop honnête pour lui mentir.

« Pas vraiment non… C’est pas le genre de truc que je ferais seule, j’aurais trop peur! Et en fait euh… Tu te foutras pas de moi? »

Dis-je en m’apprêtant à enchainer la suite de mes paroles, de plus en plus embarassée. Je me mords la lèvre avec une gêne apparente.

« Comme t’avais pas l’air bien, me suis dit qu’il fallait que j’ai l’air trop de la nana trop cool qui a peur de rien! C’est con, hein? »

Je lui envoie un air un peu désolé, c’est un peu la faute de mon égocentrisme, si elle se retrouve ici, finalement. Nous sommes devant le glacier, désormais, et je me sens coupable.

« Prends ce que tu veux, c’est pour moi, pour me faire pardonner! »

Fis-je en sortant mon porte-monnaie Darumacho d’emblée, et en demandant pour ma part 6 boules de toutes sortes sur un cornet, comme on a l’habitude d’en prendre avec mes cousins, et qu’il ont envie d’abuser de mes invitations. Probablement que les glaces auront raison de mon porte-monnaie, à force!

Nous allons nous installer dans le restaurant, incognitos. Je trouve vraiment cette escapade excitante, j’espère qu’il en est de même pour ma pote fugueuse! Sinon, bah, ce serait un peu bête et… Je risque de me faire attraper pour avoir entrainé la Championne Dresseuse dans quelque lubie de chevauchée fantastique et ça, c’est probablement pas bon! J’ai pas envie de me retrouver en prison! Décidément, je suis flippée de la juridiction, ces derniers temps, il faudrait que je me calme dans mes visionnages. J’sais pas. C’est étrange.  J’observe le temps de deviner quand choix de parfum a fait ma collègue, et bombe le torse fièrement sur mon cornet rempli à ras-bord, qui risque de  me tomber sur la tronche si je ne le mange pas tout de suite! Je ne sais même plus quels parfums j’ai commandé, juste que j’ai gardé la straciatella et la menthe-chocolat pour la fin, quand elles auront bien fondu l’une sur l’autre… Yummy! Je passe donc de parfums en parfums avec une vitesse de dégustation frénétique. C’est le moment ou Charlie commence à s’excuser de ses préjugés de tout à l’heure, cela me laisse un peu perplexe, car j’ai alors du mal à me souvenir d’une telle conversation que tous aurions eu… On s’est disputées? Je ne pense pas. Peut-être parle-t-elle de ses mots à mon égard, lorsqu’elle me croyait quelqu’un de facile devant les caméras. Hm… je n’ai pas le souvenir d’en avoir été offensée. J’oublie et je pardonne bien trop facilement pour me mettre en colère, de toute façon, c’est probablement pour cela qu’on me traite de naïve, avec mon optimisme indécrottable! La bouche encore pleine, je fixe mon interlocutrice avec des yeux ronds, sans aucun jugement dans le regard, juste de la surprise qu’elle ait fait si grand cas de tout cela. Je tape d’une main amicale sur son épaule, avec un sourire plein de dents blanches.

« Hey, viking, c’était pas la peine de t’inquiéter  autant! Sérieux, t’es trop mignonne, mais pour être totalement franche, j’avais oublié, car je l’ai pas mal pris du tout. Peace! »

J’ai une petite moue dégoutée en repensant au sang en revanche. Ew. C’était violent, ça, oui, j’ai eu la trouille. Ma voix tremble un petit moment et je lâche un « gniiiih » débile alors qu’elle me rappelle la scène.

« Tout b-b-baigne, copine, tout baigne! Profites de ta glace, my pleasure! »

Je comprends vraiment la peur de la rouquine du sang. Ca a beau être rouge (et surprise, j’aime le rouge!) c’est… brrr. J’aime pas ça. La peur de mon propre sang ne me fait rien, mais voir les autres blessés, même dans un film, ça me dégoute très facilement. Une de mes nombreuses, très nombreuses peurs, en fait… Mais les compter ici prendrait vraiment trop de temps, en fait, il faudrait mieux me demander de quoi je n’ai pas peur! Mais, c’est humain, non? Et ce n’est pas la peur qui doit nous empêcher d’avancer, je l’ai appris à mes dépens, et surprise, je suis toujours bien vivante!

« Si je trouve que c’est dur…? »

Une drôle de question, un peu tricky, aussi. Je ne suis peut-être pas championne depuis assez longtemps pour en juger. Mariana m’aide pratiquement pour toutes les démarches administratives (je lui achèterais des chocolats pour me faire pardonner d’avoir posé un lapin à l’interview, quand même, j’espère qu’elle n’aura pas eu de soucis par ma faute).

« J’sais pas trop… Je trouve ça toujours insurmontables quand j’ai des tonnes de papiers à signer, et aussi quand je me mets face à mes responsabilités, j’ai l’impression parfois que tout me tombe dessus, que je devient un peu une pub à moi tout seule… »

Mes mots doivent sembler un peu flous. Mais en même temps, je pense que j’ai eu accès à ce rôle au bon moment de mon parcours.

« Mais j’crois que c’est aussi pour ça que c’est le bon moment d’être dans l’Elite que cette année. Avant ça, je crois que je me serais laissée prendre complètement par mon rêve de petite princesse de gloire, d’amour superficiel et de beauté. »

S’il y a un truc dangereux dans ce métier, c’est probablement ça.

« Enfin, toi, t’es pas comme ça. Tu veux te faire apprécier pour ton talent, et ils finiront à comprendre et à arrêter de faire courir des rumeurs débiles sur toi et tes amours pour te tester… tss. Sorry, je mets un peu les pieds dans le plat. Mais si tu veux te défouler, go! »

Je commence enfin à savourer le cornet et le mélange straciatella et menthe-chocolat qui a coulé à l’intérieur. C’est vrai, je peux comprendre qu’après ce moment de pression, Charlie veuille un peu crier un coup. Enfin, je ne veux l’obliger à rien, après tout, c’est aussi sa vie personnelle. D’ailleurs, peut-être que j’aurais pas du remuer le couteau dans la plaie. Je me sens un peu coupable et n’ose plus dire grand-chose, pour le coup…

Charlie a peut-être plus d’expérience que moi dans son métier de championne, mais j’ai la sensation qu’elle en est un peu au même point sur certains trucs : une adolescente encore en train de se chercher. Enfin, si se chercher était une caractéristique qui n’appartient qu’aux ados, alors, tout le monde aurait 15 ans dans sa tête pour toujours, il y a bien des adultes qui s’égarent encore passé la quarantaine. C’est la vie. Et être face à Charlie me rassure véritablement, je me sens moins seule quand je m’adresse à elle, et vraiment proche, d’une certaine façon. Son silence face à mes affirmations et ses sourires me font me sentir comprise dans mes peurs et mon côté un peu paumée dans cette grande aventure qu’est la vie. Et ça fait du bien, vraiment, elle n’a pas idée. Pas que je ne me sente pas comprise à la maison, avec ma petite famille.. C’est juste que depuis quelques temps, on est un peu chacun dans notre coin, pas qu’on se lasse, on découvre juste chacun un peu notre vie d’une autre manière. Ça arrive. Je me suis défoulée à ma façon, c’est un peu le tour de Charlotte, désormais, on est là pour chigner tranquilles autour d’une glace, non?! Ça ne peut faire de mal à personne!

Et bon sang, je savais que la spécialiste du type combat avait son caractère, mais je ne me serais pas attendue à une telle explosion. Tout d’abord surprise, je trouve finalement la réaction un peu « over the top » de Charlie touchante, car par-dessus tout très humaine. Je sens qu’elle en avait besoin… Et bon sang que je peux la comprendre! Ce que ça m’avait frustrée et irritée quand ces abrutis passaient leur temps à me poser des questions sur ma relation avec Marco d’Anula ou même avec mon propre cousin, alors que tout ce que j’aimerais, c’est de parler de mon art, de le partager avec d’autres personnes talentueuses ou simplement amateurs, intéressés par le sujet! Mais, c’est probablement trop demander aux gens de la compétition de s’intéresser à ça.. Bah, oui, dès qu’on ne parle pas de cul, y’a plus personne, et les gens s’endorment devant leur télé, ou zappent! Au pire, si ils ont besoin de ça, ils devraient organiser des lectures théâtrales de fanfictions sur plateau, ça les soulagerait! Peut-être que je devrais soumettre mon idée à Alex… Je pense qu’il ferait ça très bien, avec son ami Aloïs. L’un jouerait Monsieur Image, et l’autre pourrait jouer… Chérazade? Eww… ça craint, Maxwell est bien trop gay pour ça… N’empêche que j’aimerais voir comment les deux idiots joueraient la scène du baiser. Enfin bref. Dans le fond, mon amie de fugue a raison, c’est glauque, d’être indiscret par rapport à nos vies privées ainsi!

« Fuck them, Charlie, just fuck these pricks! »

Ouhla, je deviens vulgaire, moi, en plus?! Charlotte est majeure et vaccinée, en principe donc tout baigne, enfin, je voudrais pas la choquer. Même si elle est la première à avoir juré. M’enfin, en quelques sorte, ça résume bien tout ce que je pense et à quel point je suis d’accord avec la rouquine.

« Ce que j’aimerais les envoyer chier, des fois! Mais, bon, je tiens à mon nouveau job. Imagine le fail : « Miss Anarchy : à peine arrivée déjà virée »! Mais t’en fais pas, hein, rien ne pourra jamais me détourner de la coordination ou de mon boulot, je vis dans un rêve, depuis plusieurs mois! »

Y’a que du bon, au fond, dans tout ça, donc on n’a pas trop d’autres choix que de prendre notre mal en patience. Déjà, là, ça va bien leur foutre les glandes qu’on leur ait échappé, j’espère que ça leur a bien fichu la pression ! Cela faisait un bail que j’avais envie de leur faire subir ce truc, il ne me manquait qu’une partenaire de crime! N’empêche que je risque de passer pour une conasse après avoir parlé de tout ça, mais mon côté curieuse et intéressée me donne quand même envie de poser d’autres questions… Girly talk time?!

« Dis, Charlotte, euh, réponds pas si ça te gêne mais, finalement… t’as un chéri? »

J’ai dit la phrase à voix basse, un peu pour qu’on ne nous remarque ni nous entende ? Après tout, nos glaces sont finies, on pourrait changer de crémerie.

« … Si on allait en parler en allant acheter des sous-vêtements?! Il me faut des nouveaux boxers à tout prix, et c’est trop fun ces magasins… parfois y’a des trucs trop laids! »

Ouhla, Riku, si tu savais! Tu vas perdre notre Championne dresseuse, là! Je suis déjà debout, avec ma veste fétiche sur le dos et mes lunettes sur le nez, prête à partir!

Comme je traine généralement avec des personnes disons… plutôt libertines et dont la priorité n’est pas de se prendre la tête dans des relations « sérieuses », j’en viens un peu à oublier ce que c’est d’avoir quelqu’un qui est là « pour soi » de cette façon. Enfin, je n’ai jamais eu ce genre de relation, car je suis également du genre à esquiver toute forme d’ennui ou de prise de tête, au risque de blesser les personnes qui en attendent plus que moi. Mon égocentrisme fait que je préfère me préserver de ce qui ne me fait pas envie ou ce qui me fait peur. Je ne suis pas quelqu’un d’assez patiente ou aventurière pour me lancer dans ce grand bain et accepter de me donner à ce point à une autre personne, en quelque sorte vivre cet espèce de «vie à deux» métaphorique et physique. On me reprochera probablement de ne pas prendre assez de risque, mais en attendant, avec mes quelques brèves conquêtes régulières, je me dis que rencontrer la personne qui me plaira vraiment arrivera peut-être un jour. Dans le cas de Charlie, son Cesar est manifestement un véritable pilier pour elle. A la fois son meilleur ami et son amoureux, pas besoin de trop chercher pour comprendre dans quelle mesure il a su prendre son importance dans sa vie. Je ne peux bien entendu par m’imaginer les véritables origines de leur relation et me les visualise plus aisément amis d’une certaine date ayant peu à peu développé des sentiments plus fors l’un envers l’autre. Je ne sais rien non plus de ce fameux Cesar, mais même dit ainsi, il me semble tout de suite mystérieux à sa façon.

« Tu le connais depuis longtemps? Il est comment, il est beau? Il est sexy? Il est gentil? T’as des photos?  »

On dirait une collégienne! ..Pour le coup j’assume, je crois. Et je ne pense pas que Charlie me le reprochera vraiment. Je ne la connais pas assez pour la juger, mais je retrouve certains de mes côtés « gamin » en elle. Je m’étais déjà levée pour partir vers notre nouvelle destination et vois la petite rouquine (enfin, n’exagérons rien, elle est a peu près aussi grande que moi) m’arrêter dans mon élan. Oh. Oui, ça ma gène peut-être. Hm, dans tous les cas ça nous permettra de marcher un peu. Je me demande ce qu’on devrait faire, maintenant, après tout, nous sommes encore en fuite. Je remets par conséquent mes lunettes sur mon nez. Je hausse les épaules, on est pas obligées de passer par-là, après tout. Charlie finit par me rendre mon interrogation. Je rigole brièvement.

« Non, j’ai pas d’amoureux. Je crois que j’ai pas trop d’occasion de m’en trouver un, et j’ai deux cousins qui me prennent déjà trop de temps! Ils seraient rien, sans moi, tu vois! »

C’est vrai, parfois ça donne l’impression d’être platoniquement mariés avec un gamin! L’un comme l’autre nous n’aimons pas vraiment faire semblant, et savons parfois à quel point i lest difficile pour le bon développement de Ludwig de lutter contre notre propre nature. Mais c’est comme ça, même si ça fait ne pas toujours rire. Mais, actuellement, je m’en amuse quand même. Ceci dit, j’attends toujours les photos si Charlie en a! C’est mille fois plus intéressant que glander dans des magasins de sous-vêtements.

Je ne sais pas si cela me réjouit vraiment de parler famille, ces derniers temps, à vrai dire. J’ai beau rire à gorge déployée en évoquant ceux avec qui je vis, et qui font parfois de belles conneries dans leurs maladresses (et je ne suis pas en reste à cet égard), je me demande bien trop souvent pourquoi il faut que tout se soit compliqué. Ce n’est pas que je n’aime pas Ludwig ou notre vie actuelle, mais je pense que je préférais avant. Avant que ce salopard ne vienne tout cramer le jardin, que Soltan ne retrouve Shizune et n’ait plus ce temps d’être une épaule sur laquelle me reposer depuis. Je n’ai pas eu le temps de respirer dans cette histoire et tout s’est enchainé… Je n’ai pas eu le choix, non plus. Un gosse, une famille biologique, une origine jusqu’à maintenant qui me sont tombés dessus. Non, c’est faux, ce ne sont pas de mauvaise choses, ce n’est qu’une question de temps avant que je ne m’habitue. Et après tout, ne suis-je pas Championne comme j’en rêvais, maintenant? Mon sourire revient. Peu importe, finalement, je peux tout supporter, si ça, c’est fait. Et personne ne m’empêche de réaliser mes rêves, c’est l’essentiel. Je peux bien prendre un peu sur moi sur certaines choses contraignantes, à ce rythme, non? De toute façon, aucune famille n’est facile. Mais tout de même… C’était quand même plus simple avec Klaus et Liza. Quoique cette dernière aussi commence à me prendre la tête modèle géant. Aurais-je vraiment un problème. Oh et puis zut, on s’en fout, on a une photo de joli garçon sous le nez, là, on va pas faire la tronche, en plus!

« Il a vraiment l’air cool et mignon, ton copain. Je t’envie un peu, j’dois dire! Mais t’en fais pas, j’touche pas aux mecs déjà pris, hm… quoique, je pourrais changer d’avis après des descriptions si flatteuses! »

Je souris sincèrement en regardant la photo de ce bonhomme à la couleur de cheveux atypique et au visage rayonnant de joie. Ahah, si Alex pouvait sourire comme ça au lieu de faire la tronche tout le temps! Je tease un peu volontairement Charlie sur la fin de ma réplique, l’air de plaisanter, elle saura bien déchiffrer que je blague. Je ne suis pas une de ces poufiasses qui se mettent en tête de désespérément séparer un couple qui s’aime, quand même ! Et je ne l’est jamais été, je suis une nana cool, moi, je ne me tente pas à déranger les gens heureux. Puis, comme j’ai parlé de la mienne, Charlie parle de sa famille à son tour. Mon regard s’éclaire. Bordel, si je suis tata un jour, c’est que Liza a complètement pété les plombs! Elle et les gamins, jamais!! Je ne parviens pas bien à imaginer Charlie avec un bébé dans les bras, il me faut bien l’avouer, et même en voyant la photo de sa sœur ainée, l’image a du mal à venir. M’enfin, je ne me rends pas compte, je ne sais pas vraiment ce que c’est, j’ai toujours été la petite dernière de ma famille et de mes cousins, je ne sais pas ce qu’assister à une nouvelle naissance peut produire, ou ce que ça peut avoir de si incroyable… Enfin, ça me paraît un peu dégueu, là, à imaginer. Après, j’aime bien les gamins de manière générale, mais je n’aimerais souvent pas qu’il s’agisse des miens!

« Wah, génial, un bébé! J’aurais bien aimé avoir un petit frère ou une petite sœur, moi… Mais c’est surement pas mon père qui fera un lardon, ni ma sœur qui me fera un neveu ou une nièce! C’est cool, ça veut dire que tu as une famille bien, tout ça! »

Malgré moi, une ombre passe sur mon visage. Je sais bien qu’aucune famille n’est parfaite. Mais tellement de mauvaises histoires gravitent autour de la mienne! Je ricane tout de même en imaginant Klaus se retrouver papa… Ce serait difficile pour cet homosexuel convaincu de faire un gamin biologique, quoi, logique. Je sourie en coin sur les encouragements de Charlie. Mouais… peut-être un jour. Mais pour trouver quelqu’un, il faut vouloir le trouver.

« Peut-être un jour, ouaip. Et tant mieux pour toi, c’est super.. Enfin, je suppose que ce genre de situation avec quelqu’un que tu aimes ça doit être… Super! »

Je manque cruellement de vocabulaire. J’occulte un peu volontairement l’affirmation sur mes cousins, n’étant pas certaine de vouloir reparler d’eux, vu l’effet de malaise que cela a tendance a produire sur moi ces derniers temps. Jalousie, probablement, je dois arrêter d’être une telle gamine. Ce n’est pas faute d’essayer de gagner en maturité, pourtant, depuis plusieurs mois. Peut-être que je m’en demande trop, et peut-être aussi que je dois cesser d’être si envieuse. Dans tous les cas, si le programme de continuer de glander incognito me tentait vachement, je ne pensait pas hurler si fort en voyant ce regard doré croiser le mien.

« AAAAAAH! FUCK SHIIIIIIIT! »

Criais-je en sautant verticalement à au moins 3 mètres du sol (du moins de l’intérieur, c’est l’impression que j’en ai eu), car Mariana, mon assistante vient de nous retrouver.. Oh, et la rouquine de l’Arène de Charlie est avec elle! C’est une coalition d’assistantes contre nous, les championnes! Je balaye les environs du regard… On dirait que les caméras ne sont pas dans le coin et que ce ne sont qu’elles, heureusement. Et encore ma volonté d’être cool qui revient.

« Charlie, cours, je vais faire diversion! Mariana, Madame l’assistante de Charlie.. YOU SHALL NOT PASS!! »

Dis-je en tapant du pied, Nagel Style. Vite, Charlie, fuiiiiis! Fuis pour ta viiiiiiie!