Mariana n’est pas du genre à me sauter à la face pour m’assassiner verbalement, mais je la sens fatiguée. Elles nous cherchent probablement depuis tout à l’heure, et je culpabilise un peu à cette pensée. Mon accès chevaleresque infantile ne décide pas Charlie à s’enfuir, on dirait qu’elle préfère rester pour me supporter, et pour parler avec nos deux assistantes histoire d’arranger les choses. Bon j’imagine que c’est tout de même mieux que fuir. J’ai encore voulu faire mon intéressante, mais au fond, je me sens juste un peu paniquée et carrément péteuse. Quand est-ce que ça cessera, à la fin? Je grogne. Faut vraiment que j’enterre cette gamine docile et stupide qui est en moi, car je l’assume de moins en moins. Et pourtant, je baisse les yeux tel un enfant puni quand Mariana me sermonne et m’explique qu’elles nous ont cherchés, et me demande mille fois ce qui nous a pris. Elle me parle comme à une gosse, ce que ça m’énerve! Alors qu’elle me prend le bras pour avoir mon attention, je m’en débarrasse froidement, tandis que Charlotte est en train de s’expliquer avec sa propre conseillère.

« Fous-moi la paix Mariana, j’fais ce que je veux! »

La blondine soupire. Non, c’est pas des façons de me comporter si je veux être crédible. En même temps, je n’ai pas arrêté de faire des efforts depuis des mois, et personne ne le voit, ils continuent tous de me traiter pareil qu’avant. Peut-être aussi suis-je simplement mal entourée. Pff. Et c’est là que me murant dans le silence, j’entends ma camarade de fugue parler pour moi. Derechef, je me tourne vers elle. Je voudrais vraiment croire qu’elle dit cela pour m’aider, sans aucune arrière pensée, honnêtement, je suis certaine que Charlie ne pense pas à mal. Alors pourquoi suis-je obligée de prendre cette phrase sous sa plus mauvaise connotation et de me remettre plus en colère contre elle qui n’a rien fait. Je suis vraiment trop conne.

« Parles pas à ma place, toi! Qu’est-ce que t’en sais?! »

Je suis pathétique, je le sais. Pourquoi c’est si difficile, à la fin?! Fuck! Coupable, je regarde mes pieds, incapable encore de m’excuser. Je lance à Charlie un regard peiné et plein de ressentiment envers moi-même. Je voulais juste avoir l’air de la meuf cool devant ma « cadette ». Je voulais juste être admirée. Pourquoi je suis obligée de tout gâcher avec mes idées foireuses? Je sais pas ce que je veux dans cette histoire. Un silence pesant s’est ramené entre nous, que je n’ai pas la force de briser. Pourtant, il le faut.

« ..C’était mon idée. Ne grondez pas Charlie. »

Nouveau statut quo. J’agrippe nerveusement mon avant-bras droit avec ma main gauche, et renifle, l’envie de pleurer me venant.

« Va pour l’entrevue, une prochaine fois. On pourra toujours la faire ensembles, si c’est ce qu’ils veulent. »

Je n’ai plus trop envie d’être là, j’aimerais rentrer à la maison et oublier, dans l’immédiat.

Je n’aime pas du tout la façon dont cette belle rencontre avec la Championne Dresseuse doit se terminer par ma faute. Je suis remplie d’amertume, me voila revenue dans mon cercle vicieux habituel. Je n’aurais pas du le faire subir à Charlie de manière si virulente, je regrette beaucoup, et je comprendrais d’avoir déçu la rouquine en l’agressant de la sorte.  Je me suis mise à fixer le sol, honteuse comme une enfant dont les parents viennent de découvrir la bêtise. Quoique, peut-être qu’au fond, j’aurais aimé avoir des parents qui me grondent de la sorte. Je serais montée dans ma chambre pour bouder, puis on se serait réconciliés dès le diner, car papa aura fait des frittes, et maman sera aller louer un film pour un plateau télé. Je me demande si mon enfance aurait été ainsi, si Sachi et Akito, mes véritables parents, avaient pu m’élever? A la place, je n’ai gagné que les anxiétés permanentes de Klaus et de ses issues familiales et fraternelles. Oh, non, Klaus n’a pas été un mauvais père. Mais j’imagine qu’il n’aura pas pu remplacer un foyer ordinaire confortable à lui tout seul. C’était une autre expérience, mais peut-être que j’aurais aimé la normalité, moi. Tout le monde ne se conforte pas de ses tares comme Alex en se disant que de toute façon, on ne peut pas tomber plus bas. Je ne veux pas tomber « plus bas ». Ce n’est pas ce que je veux, renvoyer mes propres bêtises dans la tronche d’une potentielle amie avec qui le courant est véritablement bien passé. Et qui me comprend potentiellement, ça, j’ai l’impression que nous sommes faites d’un bois commun, Charlie et moi. Peut-être est-ce aussi pour ça que j’ai eu si peur qu’elle parle à ma place.

Ma main va mollement vers la sienne, s’apprête à la serrer, et mon regard fuit dès que je croise ses yeux noisette. Je m’en voudrais longtemps. Puis, elle et Aeryne commencent à s’éloigner. Mariana remarque sans mal ma détresse, et pose une main réconfortante sur mon épaule, m’envoyant un sourire encourageant avant que nous repartions vers l’amphithéâtre. Pourtant, soudain ,je m’arrête, fais volte-face et cours dans la direction opposée. Je rattrape Charlie déjà partie à quelques dizaines de mètres et attrape son bras, pour poser mon numéro de portable inscrit sur un bout de papier dans sa main.

« On s’appelle, okay? »

Mon sourire est faible et un peu forcé, mais bon, ainsi, j’aurais moins de remords. Je dois un peu me battre contre moi-même, quelques fois, si je veux réussir!