Ah, la nature au calme! Il n’y a rien de plus beau que cette multitude d’arbres, le silence, et l’absence de choses à faire. La solitude est encore plus appréciable depuis ces derniers temps où ma vie de famille est devenue routinière. Ils sont bien plus nécessaires et d’autant plus savoureux. Ludwig est à l’école, Riku a son amphithéâtre, et je peux prendre du temps pour moi avant de réfléchir à ce que je cuisinerais ce soir et peut-être prendre quelques heures pour chercher un foutu Kaiminus qui se cache encore de moi. Tss. Je ne sais pas encore si je le détesterais ou l’adorerais, ce machin. Enfin, pendant que je profitais de ma tranquillité, j’aurais du me douter que ce serait de court durée… Surtout quand un pas lourd arriva comme une fusée jusqu’à mes côtés, et que je reconais immédiatement un fermier bien connu.

« Putain mais y’a pas moyen d’être seul deux minu »
« SSSSHHHHHHT! Ne dis rien, on se planque! »
« Euh, attends, c’est quoi le… »

Soltan ne prend pas le temps de m’expliquer et plaque une main contre ma bouche avant de m’entrainer derrière un massif assez grand pour le cacher et moi avec. En mordant dans la main qui obstrue ma voie buccale, je trouve quelques secondes pour enchainer deux mots… Mais pas plus car on me fait taire à nouveau, et qu’un cri caractéristique retentit dans la forêt.

« C’est quoi ce b- »
« Tais-toi, elle arrive! »
« Sooltaaaaaaaaaaan? »
« Holy cow. »
« LAISSES MOI P- »
« TAIS-TOI! »

Les cris de la jeune femme sournoise se rapprochent et nous ne tardons pas à entendre arriver Shizune devant notre buisson. Attends, c’est moi ou l’autre con à les mains moites, en plus. C’est dégueulasse! Je me débats mais il tient bon, et heureusement pour nous (?), la jeune femme ne perçoit pas notre présence et s’éloigne. Quand plus aucun bruit ne franchit les murs d’arbres, le mastodonte me libère en fin.

« Bordel de merde, gardes ta main moite autre part! »
« Pardon, il le fallait. »
« Bordel, mon gars, si elle t’attrape, tu vas y passer… Euh, mais à ton âge c’est quand même bien qu’elle soit encore… »
« Non, ce n’est pas bien! »
« Oh, c’est bon, papy. T’es devenu une fiotte ou quoi? »
« Non, j’en ai juste marre de jouer à cache-cache avec une gamine de 40 ans. Je te jure que c’est atrocement embarrassant. »
« … Ça se tient. Bon, si elle réapparait je t’aiderais à la maitriser. »
« Oh, merci. »
« Me remercie pas, je peux pas la sentir, ta nana. »

« … Et ça se passe bien avec Ludwig? »
« Comme d’habitude. »

Je réponds assez sèchement comme à mon habitudes aux interrogations maladroites du fermier. Il n’a pas à se forcer pour être sur que je ne lui fausse compagnie et que je le revende à sa petite copine en gueulant pour l’alerter de notre position. Sans façon, j’ai pas envie de la voir. Et puis, autant être prudents et parler le moins possible. Un bruit aquatique me fait faire volte face et presser le pas pour observer la berge… Ou ne se trouve aucune espèce que je recherche. Juste un Viskuse a l’air patibulaire. La ressemblance avec le mastodonte qui m’accompagne me fait d’ailleurs émettre un court rire, avant de repartir à travers bois. En décrochant quelques feuilles des arbres sur mon chemin, je deviens pensif et fais passer mes instants de promenade comme si Soltan n’était pas là. Au moins, dans le contexte actuel, il parlera encore moins que d’habitude. Enfin, il peut devenir extrêmement bavard et chiant, je le connais. Mais bon, au moins, il comprend comme peu de gens mon besoin de solitude et de silence, histoire de me mettre un peu à distance de ma routine habituelle. Le silence s’allonge pour continuer de laisser place aux bruits de la jungle, cela jusqu’à ce que l’autre reprenne la parole.

« C’est quoi ton problème avec Shizune? »
« Tu sais ce que c'est. »
« A part le fait qu’elle est stupide et irresponsable et extrêmement irritante, je veux dire. »
« Pas besoin de poser la question, donc. »

Je comprendrais jamais le concept de couple. Surtout avec celui de Soltan comme exemple le plus évident. Et y'a mes vieux aussi mais eux... C'est autre chose. Je ne sais pas si je dois admirer la patience de mon ami de vivre avec une telle tête de chiotte ou si je dois juste le plaindre, ou encore me foutre de sa série de mauvais choix.

« Mais justement, c'était pas la question. »
« Eh, laisses tomber. Mêles-toi de tes fesses. »
« Je pensais que vous vous entendriez bien, pourtant. Vous vous ressemblez. »
« Pardon?! »

J’éclate d’un rire narquois et lance un regard noir au fermier resté perplexe. Je secoue la tête sans quitter mon rictus amer et continue de fondre à travers les arbres. Je ne ressemble pas à cette abrutie. Peut-être que Soltan nous associe car nous n’avons pas de code de psycho-rigide comme lui en a lorsqu’il faut éliminer des gens. Parce qu’on est des grandes gueules, peut-être. De plus, on ne s’entend pas forcément avec les personnes qui nous ressemblent, ce serait un peu facile. Et, non, je suis tout de même plus évolué que cette fichue femme des cavernes. J’ai de l’ambition.

« Avoue que tu rages uniquement car elle s’entend bien avec Riku. »
« Bordel mais vous allez arrêter de m’emmerder avec ça?! »
« Arrêtes, Alex, tu es transparent. Tu as peur qu’elle te remplace aux côtés de Riku. »
« Et qui te dit que ça fait pas partie de son petit manège? Je te rappelle quel serment elle a fait à l’encontre de tout ce qui s’appelle "Nagel" ?  J’invente rien, c’est toi qui m’en a parlé, tocard. »
« Moi vivant, elle ne fera rien ni à Riku ni à Ludwig. »
« Ah, ouais? Et elle était pas censée faire de bavure, aussi? Regardes le résultat. Elle nous a remis dans la merde. Je te préviens, je ne veux pas avoir Helmut sur les bras à nouveau, vous vous démerderez sans moi. »
« C’est plus compliqué que ça. »
« Ah, non, elle l'a avoué elle-même. C'était un coup de nerf. Et je suis bien placé pour savoir qu'il n'y a pas de raisonnement complexe derrière ce genre d'acte. Tu la protèges aussi car t'es devenu une merde, Soltan. Vous êtes tous tellement aveugles… »

« Je sais que j’ai dérangé ton moment de calme mais je te conseille de descendre d’un ton, Alex. »
« Depuis quand tu te prends pour mon père, toi? Je fais ce que je veux et estimes toi heureux que j’ai pas encore gueulé pour te vendre à ta chère petite copine qui te mène à la baguette. »
« Tu devrais éviter de continuer de te la mettre à dos ainsi. Elle peut-être beaucoup plus renarde que tu ne le penses. »

Oh, il commence à me les gonfler singulièrement, ce gros abruti. Je n’ai pas adressé trois mots à Onizuka depuis qu’elle est arrivé. Des simples « salut », ce n’est pas comme si je lui avais sauté à la gorge dès qu’elle est apparue. De plus, c’est elle plus que moi se fait des films. Entre ce qu’elle s’imagine entre Soltan et… Bordel je veux même plus y penser. Et aussi le fait qu’elle est persuadée que je vais me défouler sur elle car elle a tiré sur ma moman, eh bien, je dois dire que pour une fois, je n’ai rien fait pour me la mettre à dos.

« Je l’aime pas, c’est tout. J’ai pas besoin de me justifier par une rédaction de 5 pages! »
« … Certes. Mais ce que j’essaie de te dire, c’est qu’elle n’en a pas après Riku, donc tu peux te calmer un peu quand elle est en face de toi. Car un pangolin en train de se gratter à Madagascar pourrait sentir ta méfiance tant elle est claire. »
« C’est le but. Je veux qu’elle comprenne qu’elle n’a pas intérêt a faire le moindre faux geste avec Riku ou Ludwig, car je l’attends au tournant. »

J’entends le mastodonte soupirer dans mon dos. Je sais que cet abruti est tout à coup extrêmement préoccupé par sa vie familiale et comme moi, j’imagine qu’il en fait un peu trop par moments. Il se tape un syndrome du papa poule et même moi il faut que je subisse. Il me colle dès que je suis dans le coin et ça me gonfle. En même temps, je suis pareil et on est aussi paumés l’un que l’autre alors que le reste de nos smala respectives sont extrêmement spontanés.

« Vous venez manger à la maison, ce soir? »
« Soltaaan, t’es lourd. »
« Ah, non, là, c’est juste que quand vous êtes là, Marilyn est bien plus calme, et ça me fait des vacances. »
« … Tu devrais accrocher ta gamine par les pieds au plafond. Et ta nana aussi. »
« Shizune a déjà essayé, ça, pour la gosse… Ça s’est pas bien terminé. »
« … T’as un vrai problème, mec. »

Je ne comprendrais jamais, je crois.

Les repas chez Soltan et compagnie ne me mettent pas trop à l’aise. Je n’ai jamais aimé les repas de famille. D’une part car dès mes 14 ans, on ne m’y conviant plus car je ne pouvais m’empêcher de mettre le souk. Les repas de mon enfance et ceux-là ne sont certes pas comparable, mais cette ambiance me met toujours mal à l’aise. J’imagine que c’est pour les repères de Ludwig et aussi car ça fait plaisir à Riku (et aussi pour me faire servir) que je fais le sacrifice de ma bonne humeur dans ces soirées là. Je pense aussi que Soltan se plaît à s’imaginer comme une famille de substitution à mon égard, et c’est probablement ce qui me met le plus mal à l’aise. C’est forcé. Je pense que contrairement à moi, ce type a véritablement besoin d’une vie de famille et qu’il l’a désiré toute sa vie. Du moins, de ce que je sais de lui, la famille est une valeur importante pour lui plus que pour ma part. Je préfère ne rien dire et cesser de comparer.

« Je sais que ça te fait chier. C’est juste pour les repères de Marilyn. »
« Je sais. J’suis pas con, j’comprends tout seul. »
« Enfin… vous viendrez? »
« J’en sais rien. Ludwig est crevé après sa semaine d’école. »
« Hm.. »
« Soltan, tu pourrais être moins mou?! Non parce que, sérieux, c’est chiant, là! »
« J’ai toujours été mou, hein. Je me repose. »
« Arrêtes de faire ton soumis. »
« De quoi je me mêle? »
« Ouais, de quoi tu te mêles?! »

Je fais volte face pour croiser le regard de geais de la coupable de tout ce bordel. Sous le coup de la surprise, je grogne et lance un regard mal avisé à la brune. Eh merde... Il est temps de me barrer avant de faire cramer la foret entière pour me calmer, je crois.

« Ah. T’es là, toi. »
« Ouais, c’est quoi cette histoire de « mou », là?! »
« Si tu t’imagines encore des choses je te jure que je t'attache à un arbre et tu attendras ici jusqu'à ce qu'un clampin croise ton chemin et veuille te libérer. pas sûr, cependant, car tu emmerde tout le monde. »
« Naaaaaan mais c’est… Hm... M’attacher? Graouuuuh... Grand fou! »
« ... Oui car visiblement ça te feras pas de mal une douche froide sous les pluies tropicales. »
« … T’es con, quand tu t’y mets. »
« Et… Alex, tu te barres où, comme ça? »

Pourquoi il a fallu qu’il me voit me casser, lui, je voulais juste me barrer poliment et les laisser dans leur scène de ménage.  Et retrouver ma tranquillité.

« Vous êtes lourds. »
« Tu viens manger ce soir, oui ou non? »
« Non. »
« Rooooh, mauviette! T’as peur de moi, hein, avoue! »

Bon. Je crois qu’on va en avoir pour toute la nuit.