Lavender's Blue

Aloïs Legrand

- Avec un score de 14 à 18, ce n'est nul autre que le Champion Coordinateur, Mr Prince, qui remporte ce match ! Félicitation néanmoins au challenger qui s'est bien défendu !

Comme d'habitude, on l'acclame, scande son nom, porte des goodies à son effigie, pour les plus passionnés, et il les salue depuis sa place, avec un geste de la main qui les ravi, en particulier quand les fans croient que ce mouvement leur est adressé personnellement. Faisant onduler ses rubans roses, Ange est elle aussi aimée du public, en bonne mascotte de la star de cet amphithéâtre. Ils viennent tous deux de remporter leur Concours de la soirée, contre un jeune dresseur, un dénommé Kévin Delapoutentrelle-Pic-Les-Frites, qui semble être assez déçu de sa défaite. Une défaite qu'il méritait probablement, du point de vue du Français, qui trouvait ses ordres peu subtils et désordonnés. Toutefois, il avait bien vu que la Mistigrix de Kévin avait vaillamment combattu contre la Nymphali et que la femelle aux talents psychiques avait fait son possible pour rendre les combinaisons jolies à regarder, malgré le défaut de son dresseur qui n'arrivait pas à accorder les attaques de sa compagne qui sont pourtant diverses et variées. On pouvait dire que le Pokémon était dans le combat et s'y jetait corps et âme, mais le compétiteur, lui, avait visé la victoire à tel point qu'il n'avait même pas pensé au fait que sa camarade était encore peu expérimentée comparé au niveau du Champion et de sa fidèle alliée, même s'ils font toujours en sorte de ne pas y aller trop fort lorsqu'il s'agit de débutants. La routine, quoi. Une routine qui commencerait presque à lasser Aloïs, qui était vite parti rejoindre les jurys pour discuter un peu avec eux lorsqu'il avait vu le challenger s'en aller fissa une fois qu'il avait compris son échec et qu'il n'allait même pas lui serrer la main, ce que le blondinet trouvait assez impoli et immature, et il n'était donc pas aller chercher plus loin, voyant des coordinateurs tous les jours et fatigué de ces journées qui lui paraissaient de plus en plus banals pour une raison qu'il ignorait mais qui le frustrait. Sans plus écouter les applaudissements, le Prince s'éclipsa dans ses appartements.





Le rideau se lève, alors que la pièce presque pleine de spectateurs entame un silence religieux, prêt à écouter l'artiste sur le point d'entrer en scène. Si c'est un véritable virtuose, l'instrument avec lequel il va jouer ce soir n'est toutefois pas celui qu'il maîtrise le mieux. Il manie cependant le violon et le piano à la perfection, même si depuis quelques mois il n'avait pas eu la tête à jouer. Il est épanoui, c'est le moins que l'on puisse, mais occupé. En effet, avec sa vie de famille, il trouvait de moins en moins de temps à consacrer à l'art de la musique. Sans compter qu'il devait aussi assurer son statut de chef cuisinier, et qu'on l'avait sollicité dernièrement pour participer à des événements culinaires auxquels il se devait d'assister lorsqu'il profitait des périodes où les compétiteurs qui venaient le voir étaient moins nombreux. Mais la compétition a repris depuis peu, et il doit être préparé aux nouvelles têtes qui désireraient l'affronter, même s'il a l'impression que ses collègues lui font de plus en plus d'ombre et qu'il aurait tendance à perdre en notoriété. Pas que cela le dérange, d'ailleurs, à vrai dire il a appris à s'en foutre royalement, du moment qu'il ne commence pas à avoir mauvaise réputation. Il a juste la sensation de 'se faire vieux' malgré son âge, et le fait d'avoir des enfants n'a pas dû aider. Ce n'est en effet pas tant le fait de perdre en popularité qui le gêne à ce propos, mais plutôt le fait qu'il n'arrive plus à avoir de l'inspiration comme il réussissait autrefois, comme un désagréable sentiment d'avoir perdu l'étincelle, la flamme qui l'animait lorsqu'il faisait de la coordination, qui est pourtant sa plus grande passion avec la cuisine.

Alors le blond a décidé d'apprendre à jouer de la guitare. Il faut dire qu'il avait quelques réticences en ce qui concerne cet instrument, préférant de loin les plus 'classiques'. Le Coordinateur pensait néanmoins que cela lui permettrait d'être inspiré en essayant quelque chose de nouveau et de différent de ce dont il avait l'habitude. La plupart des coordinateurs avec qui il combat sont des jeunes dans l'âme, et ils n'écoutent pas forcément du Beethoven ou du Vivaldi comme il se plaît à le faire, notamment lorsqu'il prépare des plats. Il s'est rendu compte en vérité que la guitare et autre batterie prenaient de plus en plus d'ampleur et il a donc cherché à s'y intéresser d'un peu plus près, seulement par curiosité. S'il n'avait pas le talent ni le même amour que Riku pour le deuxième, il s'est mis en tête de savoir jouer du premier, et s'est donc acheté une guitare pour ensuite prendre des cours. Il aimerait beaucoup continuer de jouer avec son traditionnel piano à queue qu'il chérit tant, mais c'était avant de se rendre compte que le bruit que les touches produisaient semblaient déplaire à son jeune fils Noa. La guitare étant un instrument plus 'doux' au son, il s'était dit qu'il pouvait ainsi chanter des chansons à ses enfants sans craindre que la musique soit trop forte pour leurs jeunes oreilles -sans toutefois oublier de leur faire aimer Mozart dès que possible-.

C'est pour cela que, ce soir, il avait décidé de tester ses prouesses et de voir ce que ces derniers mois de pratique de la guitare avaient comme résultats. C'est pour cela que le cuistot avait mis en place une petite estrade et placé devant lui les spectateurs conviés à sa petite démonstration, à savoir ses deux jumeaux et toute leur ribambelle de peluches aux formes et tailles diverses. Il aurait également volontiers pouvoir chanter devant Makenzie, mais il a préféré laisser sa petite-amie se reposer le temps qu'il gardait les enfants, conscient qu'elle avait déjà les Pokémons de sa propre Pension à gérer et espérant qu'elle pourrait avoir de cette façon du temps pour qu'elle se détente. Un jour peut-être auront-ils le temps de trouver un arrangement pour qu'ils puissent habiter ensemble, mais leurs fonctions respectives les retiennent tous deux la plupart du temps chez eux, mais cela ne les empêche pas de se voir très souvent heureusement.

Aloïs n'a pas de véritable scène chez lui, mais il a tenté de s'en approcher en abaissant les lumières de son salon de tel sorte qu'une petit projecteur dirigé vers lui puisse l'entourer d'un halo de lumière, afin de permettre à ses petits invité de mieux le voir. Peu de sûr de lui, s'il sait qu'il va faire de son mieux, il serait quand même un peu déçu de ne pas arriver à gratter les cordes correctement. C'est l'une de ses dernières tentatives pour peut-être regagner l'animosité qui brûlait en lui avant et il désespère de ne pas retrouver ce petit quelque chose qui lui manque pour retrouver l'inspiration ; car ce n'est pas tout de tourner les techniques de l'adversaire en sa faveur, il faut qu'il y mette tout son cœur et toute son âme, et il a bien du mal ces temps-ci à être entièrement possédé par le rythme des Concours, et s'il fait croire à l'assistance que c'est le même que d'habitude, il sait qu'un renouveau dans son style ne serait pas de trop et que ses fans de la première heure arrivent à sentir qu'il est quelque peu 'vide', depuis le début de la nouvelle Compétition. La couture, les films, les romans... Arceus sait tout ce qu'il a essayé, mais rien n'a marché. Alors aujourd'hui il s'en remet au dernier art qu'il n'a pas encore touché dans sa tentative refaire de lui le prince qu'il se plaît à jouer sur scène.

Le Champion se racle la gorge, un peu nerveux, mais prêt à commencer. On pourrait croire qu'après tous les Concours qu'il a fait, il n'aurait aucune raison de stresser pour un truc pareil. Le fait est néanmoins qu'il a tellement voulu éloigné la guitare de lui pour se consacrer au violon que ça lui fait tout drôle de finalement jouer pour de vrai de cet espèce de luth moderne qu'il ne trouvait guère élégant. S'il a finalement réussi à faire la paix avec cet objet nouveau, il continue de se demander s'il a vraiment bien fait de se donner la peine d'apprendre à en faire ; mais son désespoir se trouvant si grand, il a cédé bien vite quand ses options commençaient à manquer.
Se sachant déjà réclamé par sa fille qui tape des mains, comme pour le presser de commencer, il se met à gratter quelques cordes pour entamer une berceuse en anglais que lui chantait sa mère, encouragé par sa Nymphali à ses pieds qui attend elle aussi avec impatience de l'entendre. Même quand ses parents étaient encore en vie, il avait toujours été plus ou moins solitaire, mais c'est un des souvenirs les plus beaux qu'il a d'elle. Sa voix d'ange arrivait toujours à l'apaiser quand il devait travailler tard aux cuisines du bateau. Ce talent en chant, il l'aurait apparemment hérité, mais depuis la mort de sa petite sœur c'est devenu bien plus rare, et c'est seulement devant sa famille ou Ange qu'il s'autorise à pousser la chansonnette.

- Lavender's blue,
Dilly dilly,
Lavenders green.
When I am King,
Dilly dilly,
You shall be Queen.

Who told you so,
Dilly dilly,
Who told you so?
T'was my own heart,
Dilly dilly,
That told me so.

Pour l'instant, ses doigts ne font que peu de fautes, et il est légèrement plus à l'aise que tout à l'heure. Ce n'est pas si terrible, en fin de compte. Plutôt fier de son coup, l'adulte continue avec un peu plus d'entrain, prenant de l'assurance au fur et à mesure. Noa paraissant aimer le son, le regard bleu -pareil au sien- qu'il lui lance le motive à faire davantage d'efforts et il sourit, sûr qu'il arrivera à s'améliorer et qu'il pourra enfin se dire qu'il maîtrise cet instrument.
Malheureusement, ce qu'il n'avait pas vraiment prévu arriva quand même : une de ses cordes finit par casser et saute, le faisant sursauter à tel point qu'il enlève rapidement sa main et manque de faire tomber la guitare, juste avant de la rattraper au dernier moment, non sans jurer intérieurement par cet événement qui fâche quelque peu ses plans pour la soirée. Il soupire, n'ayant pas prévu grand chose d'autre, se demandant si c'était le karma qui lui faisait comprendre qu'il devait changer de disque et aller voir ailleurs s'il voulait trouver ce qu'il cherche.

Couché un peu plus loin, Aurore, qui s'était laissé bercer par le son de la guitare, relève soudainement la tête, comme attirée par quelque chose. Ses oreilles bougent, se tournent dans une direction précise, puis son corps suit et se lève cherchant la source du bruit. Son dresseur remarque son mouvement et la scrute, tendant à son tour l'oreille. Du piano. Quelqu'un jouait du piano, à l'étage inférieur, sur le terrain où il faisait ses Concours. Il avait l'habitude de dissimuler quelques instruments dans les coins au cas où il voudrait les utiliser pour sa mise en scène. En se concentrant, il arrive à distinguer les notes de la musique qu'il était justement en train de chanter. C'est plutôt agréable à entendre, pense-t-il. Il ne se souvenait plus en revanche que Karin savait jouer du piano.
Attiré par la mélodie, le Coordinateur pose son objet à cordes au sol avant de placer ses enfants dans leur berceau, ne séparant jamais le frère de la sœur, et de les entourer de quelques unes de leurs peluches et du babyphone au cas où. Il doit être bien sûr de la personne en train de jouer chez lui en ce moment-même ; car bien qu'il n'y ait vraiment personne dans sa demeure à part lui, ses enfants, ses Pokémons et sa secrétaire, il était vraiment certain d'être le seul à être virtuose dans cette maison. Il se peut qu'il se soit trompé, mais ce n'est pas les habitudes non plus de sa manager d'exercer ses pratiques la nuit. Peut-être a-t-elle voulu lui faire une surprise ?

Aloïs, en compagnie de sa Nymphali et de sa Feunard, marche lentement à travers les couloirs de son amphithéâtre, en suivant la musique qui l'enchante, étonné du niveau artistique du mystérieux musicien. Aurore reste sur ses gardes, méfiante, mais sa compagne Fée n'a pas l'air de s'inquiéter le moins du monde, toujours sereine et curieuse de savoir qui ils vont découvrir. En silence, ils descendent jusqu'au stade où ils peuvent enfin voir l'origine exact du bruit. C'est bien le piano du cuisinier qui se trouve au milieu de l'amphithéâtre, mais ce n'est pas Karin ou même quelqu'un qu'il connaît qui joue actuellement. A vrai dire, vu que le piano à queue est de dos et qu'il ne distingue pas la taille du pianiste, il se dit que ce dernier doit être de petite taille, ce qui l'intrigue de plus en plus. Mais si le compositeur est caché, en revanche, le Pokémon sur de l'instrument noir, il en reconnaît très bien l'espèce.
Cette fourrure blanche et bleue, ces pas légers qui dansent avec grâce, ces douces oreilles ressemblant à ceux d'un lapin... Les Mistigrix possèdent une certaine élégance, il est vrai. Par ses couleurs, Aloïs devine que celui qui bouge au gré de la berceuse est en vérité une femelle, et qu'elle ne semble pas avoir remarqué leur présence. Il ignore depuis combien de temps elle est là, comment elle est entrée, et encore moins pourquoi, mais il ne peut que la contempler, admirant ce petit spectacle. L'homme s'approche, toujours le plus discrètement possible. Envoûtée par l'artiste sur le piano, c'est comme si la Mistigrix inconnue se trouvait dans un autre monde, loin de tout.

Ce qui surprend le plus le blondinet cependant, encore plus du fait qu'un Pokémon ait décidé de se la jouer danseuse étoile chez lui, c'est qu'il ne trouve aucun pianiste, une fois qu'il arrive devant le piano. Les touches s'appuient toutes seules, comme si c'était l'Homme Invisible qui jouait, ou qu'elles étaient possédées par de la magie. Mais vu l'aura rosée qui entoure le Pokémon félin et le clavier, il est évident que c'est lui qui les déplacent avec ses pouvoirs psychiques, ce qui résout ce mystère-là, et démontre que cette femelle a décidément un réel talent. Intriguée, Aurore se calme et observe avec Ange et son dresseur les prouesses musicales de la nouvelle venue. Admiratif, un sourire se dessine sur les lèvres du Coordinateur, n'osant interrompre la pseudo-ballerine dans son fantasme, qui ne peut les voir à cause de ses yeux clos, qu'elle a sans doute fermé pour se créer un environnement de rêve dans son esprit dont elle profite. Elle doit exécuter ce manège depuis que le son du piano a commencé à résonner, mais pourquoi ? Si Prince Fabulous ne refuse aucun Pokémon au sein de son amphithéâtre, cela ne l'empêche pas de se questionner sur la présence de cette chatte bicolore.

Néanmoins, le modeste ballet se termine, et la Mistigrix rouvre les yeux. Mais une fois chose faite, lorsqu'elle constate que le Champion Coordinateur se trouve là, tout près, elle sursaute, pousse un petit cri, et saute du piano pour s'enfuir. Malheureusement elle trébuche sur ses deux queues arrondies et s'étale au sol, confuse. Elle tente de se relever, mais tombe encore, et désespère, avant de se retourner vers Aloïs et de le regarder avec une certaine peur et une certaine panique dans le regard. Embarrassé, ne voulant surtout pas l'effrayer, le dresseur reste immobile n'esquissant aucun mouvement brusque qui pourrait l'intimider.

- Oh, non, non, non ! Tu... Tu n'as pas à avoir peur, je ne te ferai aucun mal. Je ne voulais pas te déranger, je suis vraiment désolé.

La Mistigrix, dont la respiration s'était accélérée, semble se calmer légèrement, alors qu'elle fixe les yeux bleus du Coordinateur, et qu'elle n'y distingue aucune trace de mensonge ou de malveillance dissimulée. Toujours honteuse cependant, elle recule un petit peu, jusqu'à ce qu'elle se rende compte que Ange s'est avancé vers elle pour la renifler, et la rassurer, jouant avec ses rubans et son visage innocent, où se dessine la plus grande sincérité et enthousiasme du monde. La Nymphali sourit, tourne autour de l'étrangère, et se met à faire des petits bonds pour l'inviter à se détendre, essayant de lui faire comprendre qu'elle ne risque rien. La jeune Mistigrix continue pourtant de détourner le regard, comme une enfant qu'on aurait pris en flagrant délit en train de faire une bêtise, ayant oublier de s'arrêter quand elle a vu ce piano par hasard et qu'elle a commencé à y jouer pour chasser sa tristesse ; car cette petite est malheureuse, et Aloïs peut le lire dans ses prunelles jaunes, et notamment par la trace pourpre qui orne sa joue, qu'il n'avait remarqué tout de suite.
Le silence s'installe, durant lequel on peut, au bout de quelques secondes, entendre les gémissements et les pleurs du Pokémon blanc et bleu, qu'il tente de faire taire du mieux qu'il peut.

- Lavender's green,
Dilly dilly,
Lavender's blue.
If you love me,
Dilly dilly,
I will love you.

Let the birds sing,
Dilly dilly,
Let the lambs play.
We shall be safe,
Dilly dilly,
Out of harms way.

Le calme se brise définitivement au moment où la voix du Champion résonne dans l'amphithéâtre et qu'il se met à chanter, sûr de lui, de manière allégée et tendre, espérant délivrer la femelle de sa timidité et la rasséréner. Sa méthode et son ton éthéré semblent être efficaces, et la Mistigrix, ose jouer quelques notes de la mélodie afin d'accompagner le Coordinateur, qui la pousse à continuer avec un geste de la main, l'invitant à être sa partenaire de musique. Cette dernière se relève avec l'aide de la Nymphali, avant d'aller en direction du piano de façon toujours quelque peu craintive, mais en appuyant sur davantage de touches sur le clavier grâce à ses pouvoirs psychiques, rendant la cadence plus assurée. Encouragée par le chant du cuisinier qui l'attire et l'apaise, la Mistigrix reprend sa place sur le grand objet musical avant de se remettre à exécuter quelques pas de danse. Ange la rejoint à ses côtés et les deux Pokémons accordent leurs mouvements pour les rendre harmonieux, fée et psy valsant ensemble avec entrain, tandis qu'Aurore les regarde en faisant onduler ses neufs queues argentées, l'esprit tranquille.

Emporté par la symphonie, le Français ne tient plus et s'en va chercher son violon, une énergie nouvelle s'écoulant en lui, et passe finement l'archet sur les cordes en s'adaptant au tempo imposé pour rendre le tout agréable et euphonique à entendre, voulant exprimer cette sensation qui le prend d'un coup, comme transporté autre part. S'il y a un souci dans la chambre des petits, il le saurait de toute façon, étant donné qu'il ne quitte jamais non plus l'oreillette rattaché au babyphone, mais tant qu'il n'y a rien d'alarmant à signaler, alors il peut se laisser devenir extatique et rêveur, car il a l'impression de se sentir de nouveau vivant quelque part. Sa vie de famille le rend animé et heureux, bien sûr, mais c'est un autre sentiment qui le parcoure à cet instant. Et encore il n'est pas au bout de ses peines concernant les talents de sa nouvelles connaissances.
En effet, comme débarrassée temporairement de sa timidité et de son chagrin d'origine inconnue, la Mistigrix use encore de ses pouvoirs pour faire apparaître une myriade de feuilles aux multiples couleurs qu'elle fait tournoyer dans les airs pour former une tornade qui les entoure et qu'elle fait scintiller. Inconsciemment, le félin se met à léviter et s'envole même, ivre de la berceuse provoquée par son duo avec le Champion Coordinateur, et entraîne avec lui la Nymphali pour continuer de danser avec elle au centre du tourbillon végétal.
Feuille Magik...
Il avait oublié que Mistigrix pouvait l'apprendre. Mais cette vue des deux Pokémons et du typhon arc-en-ciel qui les protège le rend admiratif, et il sent revenir à lui ce qu'il avait perdu ; cette étincelle qu'il cherchait en vain, il la voit lui revenir. Embrasé par cet instant qui l'exalte, il sourit en contemplant l'éloquence de la Mistigrix, avant d'avoir une seconde de bug et de flash, et d'écarquiller les yeux, reconnaissant alors l'attaque que la Mistigrix du concurrent qu'il venait de défaire avait elle-même exécuté. Il aurait dû voir qu'il y avait un lien plus tôt, bien évidemment, mais était-ce vraiment possible qu'il s'agisse de la même ?...
La musique se stoppe enfin dans une note parfaite, faisant disparaître la tornade multicolore et laissant redescendre au sol les deux femelles, fières de leur échange complice qui s'était fait comme si elles s'étaient toujours connues. Elles partagent dans tous les cas la même joie de vivre ainsi que la même curiosité.

- Alors ça, c'était incroyable. Je ne crois pas avoir déjà fait un aussi beau duo de toute ma vie.

Il ne félicite pas seulement les talents du Pokémon, mais ce qu'il a ressenti a travers le son que la femelle prodiguait. Tout comme le blondin, la Mistigrix semble s'être transformé pour revivre, ayant oublié le chagrin qui troublait le Coordinateur il y a quelques instants, et qui le questionne toujours, car il ne croit décidément pas avoir rêvé. Il laisse ses petites amies se remettre de ce moment qu'elles n'avaient en aucun soupçonné, avant d'en avoir le cœur net et de se rapprocher doucement de la chatte aux deux couleurs. Cette fois, elle ne recule pas et l'accueille au contraire avec un sourire ému. Il s'accroupit pour se mettre à sa hauteur, avant de lui caresser doucement la tête. Elle se laisse faire, en ronronnant même. Plus il la regarde, et plus ses doutes se dissipent. Ces étoiles dans les yeux, c'est bien ceux qu'il a déjà pu voir deux heures auparavant.

- Dis-moi, ma belle, tu ne serais pas la Mistigrix de Kévin, par hasard ?

La concernée sursaute, avant de cligner des yeux et de baisser la tête, une lueur de peine illuminant tristement ses pupilles d'or. Secouée de tremblements, elle hoquette, avant de craquer, et de fondre en larmes. Paniqué, le Champion comprend que c'est effectivement en rapport avec le challenger et il regrette aussi sa question. Il s'inquiète vraiment de ce qui a pu arriver au compétiteur pour mettre la jeune femelle dans un tel état. Ce n'était pas un dresseur qu'il affectionnait particulièrement, mais il a beaucoup aimé la farouche volonté de la Mistigrix, et la façon dont cette dernière regardait le Champion Coordinateur, des étoiles dans les yeux, comme s'il était quelqu'un d'important pour elle.
Maladroitement, il tente donc de s'excuser.

- Excuse-moi, excuse-moi ! Je... euh... Est-ce que... Est-ce qu'il s'est passé quelque chose avec ton dresseur ?
- Elle n'a plus de dresseur.
- Comment... ?

La voix froide et tranchante de Karin résonne dans l'amphithéâtre, tandis que Aloïs sursaute et se retourne avant de se relever pour dévisager son assistante, surpris et interdit devant ses propos. Aussitôt, son cœur se serre douloureusement. L'emballement qu'il avait ressenti jusqu'ici s'évapore, laissant à la place une brume inquiétante et obscur. Il ne voit pas ce qu'elle veut dire par là, et a peur de comprendre ce qu'elle insinue.

- Il l'a abandonné devant les portes de l'amphithéâtre après sa défaite contre vous. Je l'ai vu alors qu'il s'enfuyait comme un lâche en la laissant derrière lui.

Milles scénarios se bousculaient dans sa tête, mais la vérité, cruelle, le scinde en deux et tranche l'air ambiant, pendant que la Mistigrix se rappelle douloureusement de la scène et essaye de faire sécher ses pleurs, ne voulant pas se trouver misérable devant le Prince qu'elle admire depuis toujours. La jeune femme s'approche de l'orpheline pour la prendre dans ses bras et la tendre à Aloïs, que celui-ci prend contre lui et la scrute avec amertume, n'arrivant pas à croire qu'on puisse rejeter une amie ainsi juste par frustration. Le cuisinier vient de réellement faire connaissance avec la Mistigrix, mais il voit déjà en elle toute sa détermination et sa candeur. Il constatait déjà sa bravoure sur le terrain, et était persuadé que son dresseur serait fière d'elle, malgré leur score bien en-dessous du sien, mais ce n'était nullement de la faute du Pokémon.

Jamais il n'aurait pu imaginer la souffrance qu'elle avait enduré suite à cela, et il se sent aussitôt coupable. Mais pire encore, sa gorge se noue alors qu'il comprend seulement maintenant que la blessure à son visage devait être dû au compétiteur fou furieux et mauvais perdant, ce qui l'emplit aussitôt de rage à l'encontre de l'effronté qui a osé le défier alors qu'il a traité sa partenaire comme un objet dont on pourrait se débarrasser et sur qui il pourrait rejeter son échec. C'est peut-être aussi pour ça qu'elle se battait bec et ongle lors de ses performances, et que malgré des ordres assez brouillons de la part de Kévin, elle a tenté de rendre ça harmonieux. Il peine à y croire, ne croyant pas le challenger aussi peureux et abject.

Mais la Mistigrix ne veut plus reparler de cette histoire. Elle sèche ses larmes, avant de s'échapper des bras du Coordinateur et de poser ses pattes à terres, pour commencer à partir en direction de la sortie de l'amphithéâtre, la tête basse et désespérée. Doit-elle vraiment partir ? Pourrait-il vraiment la laisser errer, seule, après ce qu'il vient de voir, mais surtout d'entendre ? Elle de grandes capacités, il sait qu'elle serait capable de choses extraordinaires. Ce serait tellement dommage de la laisser s'en aller... Est-ce seulement son souhait ? Si elle est revenu, n'est-ce pas parce qu'elle voulait rester ? Qu'elle n'avait nulle part où aller ?

- Attends !...

Ange n'accepte pas non plus que celle qui pourrait devenir sa nouvelle amie s'en aille de cette façon, et elle la rattrape bien vite, l'entourant lentement de ses rubans pour l'inciter à demeurer ici, parmi eux. La Mistigrix est étonnée, elle qui pensait ne plus jamais être désirée auprès de quelqu'un, l'expérience avec son dresseur l'ayant blessée plus qu'on n'aurait pu le croire, car il avait été son seul lien jusqu'à maintenant, et que tant qu'ils gagnaient, il la gardait dans son équipe, et qu'elle n'avait jamais été solitaire. La chatte bleue et blanche se tourne avec une lassitude extrême en direction du blondinet, qui a tendu une main vers elle, comme pour la retenir. Il ne sait pas comment formuler ça, mais il aimerait bien qu'elle accepte. Avec elle, il se sent de nouveau inspiré, animé de cette flamme qui s'était éteinte et qui l'avait rendu vide.

- Dis... Tu ne voudrais pas... rester ? Devenir un membre de mon équipe et faire des concours avec moi ?

La proposition étonne la femelle psy, qui ne s'attendait pas le moins du monde à ce qu'on puisse encore vouloir d'elle, et surtout pas le Champion qu'elle rêvait depuis un certain temps de rencontrer. Aloïs s'avance jusqu'à la Mistigrix délaissée afin de se mettre à sa hauteur et de prendre doucement ses pattes avant dans ses mains.

- Je ne veux te forcer à rien, bien entendu. Mais si tu décides de rester, je te promets que tu ne manqueras de rien, et que jamais je ne te quitterai, même si tu venais à perdre. Tu m'as offert un peu de ta magie ce soir, alors je voudrais t'offrir à mon tour un foyer, pour que tu puisses montrer cette magie à tout le monde, afin qu'elle inspire tous ceux qui viendraient ici, comme elle l'a fait pour moi aujourd'hui.

Muet, le félin est touché par les paroles du Prince. Sans doute n'avait-il jamais entendu d'aussi belles paroles depuis longtemps, si ce n'était la première fois. Mais pendant tout ce mince temps qu'il a passé en compagnie du Champion, il s'est senti bien, comme s'il avait temporairement trouvé une place, par cette courte collaboration, et en présence de la belle Nymphali qui a su le détendre. Cependant, il préfère rester silencieux, et ne dit rien, avant de glisser des mains du Coordinateur et de se retirer avec lenteur. Ses yeux se ferment, et il se dirige vers la sortie pour disparaître définitivement derrière la porte, devant le regard attristé mais compréhensif d'Aloïs qui ne peut qu'accepter la décision de la Mistigrix après avoir eu vent de ce qui lui est arrivé. Il espère néanmoins la revoir un jour, si le destin le lui permet. Lui, en tout cas, ne bouge pas. Elle pourra toujours le retrouver si elle le désire.

Dans un soupir fatigué, et peut-être un peu déçu, le Français monte à l'étage supérieur, jusque dans sa chambre, accompagné de Ange et de Aurore. Il se dirige vers le berceau des jumeaux pour voir s'ils se sont endormis, et constate, en effet, que Noa fort profondément. Sa sœur, en revanche, semble refuser de trouver le sommeil, et tend ses petits bras vers son père, qui fond immédiatement, ne pouvant refuser le câlin qu'elle demande. Tout est silencieux dans la pièce, et seuls les étoiles phosphorescentes, une veilleuse accrochée au mur en forme d'Evoli, et le rayon de lune qui filtre à travers la fenêtre, permettent le faible éclairage. Le cuisinier caresse les cheveux noirs de Maëlle, tout en la berçant.

- I love to dance,
Dilly dilly,
I love to sing.
When I am Queen,
Dilly dilly,
You'll be my King.

Who told me so,
Dilly dilly,
Who told me so ?...

Mais il s'arrête en baissant progressivement le ton, croyant avoir entendu un bruit. Maëlle s'est enfin blotti dans les bras de Morphée, il peut donc la déposer délicatement auprès de son frère, pour vérifier l'origine du bruit. Ange et Aurore l'ont également entendu, et la première montre, à l'aide de ses rubans, la fenêtre qui laisse voir le ciel étoilé. Le loquet se soulève comme par enchantement, et les vitres s'ouvrent, laissant flotter les rideaux graciles, tandis qu'une silhouette se dessine dans la lumière de l'astre lunaire. Empli d'espoir, Aloïs reconnaît la Mistigrix, venue peut-être pour lui annoncer qu'elle a changé d'avis. Il ne la contraint à rien, mais il a le droit de rêver. Dans le cas contraire, il voudrait également lui dire qu'il sera là pour l'aider si jamais elle en aurait besoin, qu'elle reste avec lui ou pas.
C'est avec un sourire tendre et accueillant qu'il la reçoit dans sa chambre. Dans le plus grand silence, sûrement pour ne pas déranger les petits qui dorment, la Mistigrix arrête sa lévitation et se pose avec légèrement sur la moquette, ses yeux jaunes brillants d'une étrange lueur. Elle s'empare à l'aide de la télékinésie d'un crayon et d'un papier, sur lequel elle écrit juste quelques mots. Quelques mots qui changeront son existence et celle du jeune homme avec qui elle est sur le point de créer un lien spécial.

« Veux-tu bien toujours de moi ? »

- Quel homme censé ne le voudrait pas après t'avoir vu. Bienvenue dans ma famille... Anna.

La Mistigrix étouffe un hoquet, émue, puis hoche la tête pour confirmer le nom dont son nouvel ami la baptise. Le premier qu'on lui ait donné dans sa vie, référence à cette princesse courageuse qui ne recule devant rien. Elle n'est peut-être pas exactement comme elle, mais c'est une sorte d'encouragement, un but qu'elle se fixe, pour ne pas qu'elle plie malgré les difficultés qu'elle peut rencontrer. Oui, un jour, elle sera cette princesse brave et généreuse.
La nouvelle nommée, si elle ne l'aurait jamais osé au début, saute enfin dans les bras du Champion Coordinateur dans une étreinte reconnaissante. Ce dernier lui répond avec tendresse, heureux et fier d'avoir trouvé une nouvelle amie et de lui permettre de lui donner une nouvelle chance afin qu'elle soit heureuse ; car si Anna avait peur de céder son cœur trop facilement, elle ne regrettera au final jamais son choix.