Oublie pas que tu es là pour une cause qui t’interesse, Alex, n’oublie pas. Qu’est-ce que je donnerais pas pour hurler, en ce moment même. Putain de monde trop petit. Le pire dans cette histoire, c’est que j’ai de bonnes raisons de me pointer chez lui. Je voulais un œuf de Ningale, et m’adresser à une pension était le plus simple. Bizarrement, le type de la pension de Vanawi porte le nom de… Emilio. Emilio Rainbow. Tiens, l’ex de Sky ne s’appelait pas comme ça? Putain de coïncidence. Bien sûr, je savais pas que Sky l’avait revu y’a peu de temps, enfin, qu’ils s’étaient retrouvés. Pourquoi? Pourquoi, bordel? Ce type ne devrait pas me mettre dans un état pareil. Je ne devrais même pas penser à lui. Il ne devrait même pas exister. Ouais, c’est peut-être pour ça que je suis là. Parce qu’il ne devrait pas exister. Je le voudrais mort. Mais je ne peux pas le tuer. Jamais. Jamais je ne pourrais tuer ce gars parce que… Parce que si je le tue, je perdrais Sky. Rainbow. Emilio Rainbow. C’est quoi ce putain de nom à la con. Rien que ce prénom, ce nom, toutes ces jolies petites choses roses qu’il renvoie, ça me donne envie de gerber. Ses parents l’auraient appelle Idéal Juste Dujolijardinfleuri, ça aurait été pareil. Vous savez ce qui est vraiment chiant dans tout ça? C’est moi le mec de Sky, maintenant, pas lui! Alors, pourquoi… Pourquoi je sens cette putain de boule dans ma gorge dans mon ventre quand l’idée me vient que Sky doit penser à lui, quelques secondes, tous les jours? Et parce que je sais aussi que si ce débile s’était montré plus tôt, il n’aurait pas hésité, c’est Rainbow que Sky aurait choisi, pas moi. Sky est à moi. Je l’aime plus… Je l’aime des milliards de fois plus. Je suis certainement des milliards de fois meilleur au lit. Je suis des milliards de fois plus beau. Et surtout… Je peux me défendre tout seul, bordel. Pas comme lui, là! Enfin, c’est ce que j’interprêt, que ce mec sait pas se démerder tout seul.
Voila, je suis devant la porte de sa maison. Grande baraque champêtre au milieu des champs, ça correspond bien à l’espèce de hippie qu’il semble être. J’ai aucun cutter sur moi, aucun flingue. J’ai fait exprès de pas en emmener, parce que je sais que si je les avais pris, j’aurais pas pu éviter de m’en servir. On y va. Je sonne à la porte. L’œuf de Ningale, Alex, pense à l’œuf de Ningale. Pas au  cadavre de Rainbow dans le fond de la cuisine. Même si ça te fait du bien, n’y pense pas, parce que sinon, tu vas faire une connerie. Bordel, mais que j’ai envie de faire cette connerie! Des pas pressés accourent jusqu’à la porte, et un grand Scarhino m’ouvre. Il m’observe un instant et courre à l’extérieur. On dirait qu’il veut me guider quelque part. Oh non, punaise, je veux pas connaître le jardin de ce type par cœur. Détestable. Ce putain de jardin et cette super baraque. Détestable.  Le Scarhino interpelle son maître et lui… Il ne tarde par à répondre.

« Nono? Aaaaaah! Notre client est là ? »

Cette voix… Une vois douce mais suffisamment virile, sans imperfection, une voix mélodieuse, sympathique, le mec a qui elle appartient est forcément... Détestable. Il sort de la serre et mes poings se referment sur eux même jusqu’à en faire blanchir mes phalanges. Bordel de merde. Ce visage souriant, ces yeux verts pétillants, cet air jovial et la bonne humeur qui s’en dégage… Ces cheveux couleur blé souples et brillants au soleil… Comme j’ai envie de le défigurer. De lui virer ce sourire de la face immédiatement, et de lui lacérer la chair pour l’entendre chialer, le harceler jusqu’à ce qu’il m’implore de lui donner la mort.

« Bonjouuuuur! Monsieur… Nagel, c’est ça? J’ai votre œuf de Ningale, il est tout prêt, je crois qu’il est bientôt sur le point d’éclore, il faudra le surveiller dans les jours à venir, ok? J’arrive tout de suite, je vais chercher de quoi encaisser l’argent et… »
« Je paye en cash. Maintenant. »

Pas question de perdre du temps ici. Ce type m’insupporte, au cas ou si vous l’avez pas encore pigé, et encore, le mot est un milliard de fois trop faible.

« Ah… Je… Vous être pressé, monsieur Nagel? »
« Plutôt, oui. »

Sourire meurtrier. Et l’autre qui me renvoie un sourire pleins de dents blanches comme si ne rien était. Il capte rien, ma parole. Il s’assoit sur une table de jardin près de la véranda et m’invite à m’asseoir d’un geste de la main. Je le vois qui sert du thé. Ah, ouais, et tu veux pas qu’on aille jardiner ensemble, aussi?! Le Scarhino m’entraine vers la chaise, et ils ont réussi a me faire m’asseoir là, finalement. Putain. Pas le temps. Je sors mon portefeuille à la seconde, pas question de discuter de la pluie du beau temps, de l’amour  et de la vie sexuelle des Coxyclaque et autres Fermite avec ce type, ce… Rainbow. Il porte bien son nom, on peut bien lui accorder ça, y’a qu’a voir ses fringues. Détestable.  Je lui mets les sous sous le nez alors qu’il finit de me servir le thé.

« Ah ! Euh… Eh ben… Merci monsieur! Mais dis… Tu- euh, vous… Tu veux pas rester prendre le thé? Euh, pardon, vous… »
« Je veux pas… Je veux pas de ta putain de pisse aux herbes sauvages abruti! »

Oups, j’ai craqué. Fallait pas me retenir. Silence de mort. Rainbow a stoppé son geste en plein milieu et le thé coule maintenant à côté de sa tasse. Les secondes passent et je peux voir son sourire disparaitre, ses yeux se vider soudain de leur étincelle vivace. Ca ne dure pas longtemps. Le voila qui crie en voyant que le thé coule par terre et il rigole en nettoyant.

« Euh… Si tu n’aime pas le thé je peux… »
« T’avises même pas de me tutoyer, espèce de débile. »
« …Dites, monsieur… Nagel… J’ai fait quelque chose qui vous a pas plu? Je ne veux pas d’ennuis, moi vous savez…. Ici c’est un lieu de…. Un lieu de paix. »

Bordel, pourquoi il a envie de savoir si j’ai un soucis avec lui? Un mec normal s’écrase et prend l’argent point barre. Et j’attends encore mon œuf, moi! Je t’en foutrais de ton lieu de paix! Enfin, c’est trop tard, je suis lancé. Mon sourire empoisonné grandit sur mes lèvres et je me penche vers l’autre blond en appuyant le plat de ma main sur la table.

« Je couche avec Sky. Tu sais, le mec qui t’as lâché. »
« …… Je... Sky? »
« Ouais. Sky, c’est mon mec, maintenant. Tu piges? »
« Alors… Ah, mais oui, c’est toi Alex! Sky m’a parlé de toi! Mais il… Il sait que tu es là? »
« Qu’est-ce que ça peut te foutre? Mais non, pour ta gouverne, il ne sait pas et donc non, il ne m’a pas dit de te faire des câlins pour lui! Saches que j’ai pas besoin d’un chien chien qui sache ou je suis toute la journée, comme certains! »
« Je… Je ne sais pas quoi te dire. C’est bien… C’est bien pour vous deux si vous… Si vous êtes bien ensembles, je… »
« Je m’en branle de ta bénédiction, mon couillon. Si tu savais avec quelle force. Surtout si t'en penses pas un mot. T'immagines même pas à quel point les hypocrites, je déteste ça! »

Au point de les tuer, ouais. Mais c’est bien ce qu’il me semblait, ce mec est vraiment trop naïf. Il suffit de voir sa gueule pour comprendre qu'il aime pas le fait que je sois avec son ex. C’est pas possible, sérieux, comment Sky a pu apprécier un type aussi mou et niais? Le Scarhino commence alors à s’agiter et s’impose soudain dans notre joute verbale (que je mène largement, n’est-ce pas). Son maitre secoue la tête et lui demande de se calmer. Il envoie alors le Scarhino chercher l’œuf. Ouais, je préfère.

« Je sais pas si t’avais besoin d’être si agressif, Alexander… Je trouve que tu est un peu trop… »
« Oh, mon pauvre chéri. Trop violent pour toi peut-être? Oh oui, j’ai salement violé ton lieu de paix, c’est ça! Et gratuitement en plus. Ahah. Sache que Sky adore ça, lui, quand je suis un peu... Pas brutal mais, quand je prends les choses en main, disons. »
« …Ne lui fais pas de mal. »
« T’es en train de t’imaginer quoi, là? Que je suis un gros manipulateur qui veut le tirer vers l’enfer? Eh, réveille-toi, connard, on vit pas chez les bisounours! Faut arrêter d’être aussi naïf et de trier les gens en mode "toi t’es gentil, moi je suis méchant". Puis Sky est pas con, il peut se défendre tout seul, lui! Sérieux! Je suis juste honnête avec lui et moi-même. J’y peux rien, si ta jolie petite gueule me donne juste envie de te hurler dessus! »
« … Tu l’aimes énormément, hein. »

Le Scarhino arrive alors avec un œuf entre les pattes, je fais sortir Irma pour qu’elle le transporte et le garde au chaud par la même occasion grâce à ses flammes et me lève enfin pour dégager d’ici. Je lui ait donné la thune, plus besoin de rester.

« Que je recroise pas ta gueule d’abruti, j’espère que t’as bien compris… »

Voila, j’ai du disparaitre de son champ de vision, maintenant. Détestable. Je hais ce mec du plus profond de mon être et jamais je pourrais me débarrasser de lui. Tout ça pour Sky. Tout ça pour Sky. Tu l’aime énormément. Merde. Bien sûr que je l’aime. J’aurais pas envie de te tuer, sinon, espèce de gros couillon! J’ai couru jusqu’en bas de la route de sable, ou attend ma voiture. J’y fonce et démarre comme un fou. Je roule trop vite. J’en peux plus, je vais devoir aller très, très vite au bloc, ou alors trouver un péquenaud à étriper. Ca devrait être possible dans tous ces monts de terre, des petits bourgeois, comme dans ce film, là, avec les deux gars qui s’incrustent chez une gentille famille et dézinguent tout le monde dans la soirée.  Si je fais ça dans le coin, ça sera juste pas discret. Merde, merde et re-merde! Irma à l’arrière de la voiture n’est pas rentrée dans sa ball tranquillement. Elle sent mon énervement et enroule un de ses bras spectraux de candélabre sur ma main tremblante de colère, serrée sur le levier de vitesse. Si j’avais pu le crever… Ce que j’aurais voulu le crever!

Je finis par freiner à l’entrée d’un champ complètement envahi d’herbes folles. Plus cultivé depuis longtemps à mon avis. De l’herbe a même poussé sur le sol. Je me laisse tomber sur le dos et observe le ciel parsemé de nuages… Merde… En fait… Je m’en fous de ce mec, nan? Je devrais tellement rien en avoir à battre. Je ris, maintenant, secoué encore par des tremblements de colère, mais tout s’échappe bientôt dans mon fou rire bruyant qui se disperse dans l’air. Je peux tellement me fouttre de la gueule de ce Rainbow, maintenant que je sais à quoi il ressemble. Ridicule ce gars. Aucun moyen de comparer, ou de prétendre a être mieux que moi. Comment il peut espérer faire le poids contre moi! Je suis euphorique, maintenant, et on sait  à quel point c’est encore plus dangereux que la colère, chez moi, dans certaines situations. Sky… J’aime Sky, et il m’aime aussi, bordel!

Irma m’interpelle. Elle est sortie de la voiture pour venir à mes côtés, et je me remets doucement sur mes pieds. J’aperçois quelques coquilles d’œufs par terre, qui tracent vers l’intérieur du champ. Scheize. Si le Ningale s’est déjà barré… Bah, il a pas pu aller bien loin. Je file quand même en poussant les herbes hautes le chercher a travers les broussailles, mais finalement, c’est lui qui me trouve en premier, car il me saute carrément dessus comme un toutou qui fait la fête à son maitre. Sauf qu’avec une araignée bizarre c’est pas tout à fait la même chose.  Pas que j’ai peur des araignées, enfin. Bref, cet énergumène n’est pas long à la détente et ça me plaît! Déjà vif pour courir dans les champs à la naissance, c’est plutôt classe.

« Blitz. Ca t’ira bien j’crois! Nan, c’est certain! »

Enfin, le gros bébé est déjà crevé apparemment, après avoir joué avec ma cravate avec ses mandibules, il a fini par somnoler. Le soleil se couche, il est temps de rentrer à Amanil, c’est vrai, assez passé de temps dans cette région de péquenauds!