Être engagé dans le Régime vient forcément avec certaines obligations : celles de se plier aux ordres de sa hiérarchie. Le Régime est ainsi : un petit troupeau bien réglé, avec des gros poissons et des petits poissons. Parmi eux, il y a des soles qui frôlent les murs, des blob fish qui végètent dans leur bureaux planqués derrière leurs privilèges, il y a les requins qui sont là pour casser des nuques, bêtes et méchants, mordant sous les ordres de leurs supérieurs sans réfléchir, mais incapables de voir les anguilles électriques, les poissons clown ou les venimeux aux déguisements trompeurs. Quand je m’ennuie, il m’arrive de faire de belles métaphores, oui. Quoi, y’a des rabas-joie dans le fond qui ont encore pas aimé? Roh. Enfin. Tout poisson clown que je suis, je reste un subalterne bien forcé de parfois me plier aux ordres. Cela m’arrange bien quand ça me permet d’aller prendre du bon temps incluant mes couteaux, du sang, et d’autres joyeusetés. Mais, parfois, vous savez, les risques du métier ou de la maladie opèrent, comme par hasard sur les postes les plus barbants, et on est forcé d’un sale coup de pied au derrière d’y aller, pour poireauter toute la journée comme des glandus. Et c’est naze, surtout quand la mission doit s’opérer dans cette horrible région trop chaude du Titak. Si on avait une piscine des cocktails et des serveuses sexy, pourquoi pas mais visiblement on ne peut pas tout à voir! Sans blague? Plus sérieusement, je n’ai pas à me plaindre, on peut tout de même nous poser dans notre préfabriqué non-isolé à la chaleur étouffante, et je peux lire mes scripts sans soucis. Donc, je ne m’ennuie peut-être pas tant que ça. En un sens, comment pourrais-je m’ennuyer avec un tel regard insistant posé sur moi, et qui me prévient un peu de me concentrer sur ces textes à apprendre en vue d’un prochain casting.

Je ne sais vraiment rien de ce gamin à l’air complètement paumé que j’ai rencontré lors des évènements joyeux du 10 juillet dernier. Il m’avait semblé être un soldat servile de plus. Mais il n’a pas ce regard de poisson mort aliéné par les ordres, il semble un peu trop joyeux et même carrèment niais pour faire partie du troupeau général. Mais il ne semble pas aspirer non plus à changer son état actuel, ce qui fait de lui un personnage assez étrange à mes yeux, mais surtout… Extrêmement relou et irritant. Voila des mois qu’il me colle au train avec la discrétion d’un mammouth en tenue de danseuse étoile dans un palais de justice, et je déteste cette invasion de mon espace personnel. J’ai pensé à l’éliminer, mais impossible de faire ça de manière discrète… D’autant plus que les gens d’en haut n’attendent que ma prochaine bavure, aussi insignifiante que soit la victime, m’attaquer à un collègue ne me sera pas bénéfique pour mon cas, surtout à l’heure actuelle. Il me faut donc me modérer dans ce blocage irresolvable pour le moment, chose que j’ai fini par apprendre au fil du temps. Dans ce préfabriqué, donc, le Soldat Jake et moi-même sommes en charge de la douane qui fut conçue aux environs des ruines, à l'entrée du désert, une route artificielle par laquelle est acheminé, par une piste entourée de grillages, des marchandises pour les équipes sur place, cela de manière régulière, plus ou moins 2 ou 3 fois par jours. C’est aussi par ici que passent les généraux ou d’autres personnalités importantes lorsqu’ils leur faut aller faire leurs inspections. Enfin. Nous voila donc douaniers d’un jour, dans cette douane où personne ou presque ne passe, à part environs trois camionnettes par jour. Notre mission est de vérifier les titres de Régimeux, les cargaisons, de signaler et d’arrêter tout ce qui paraît suspect, bref, des vrais petits suisses douaniers. Heureusement, nous n’avons que deux jours à tenir ainsi, et c’est déjà l’après-midi du second. Et avec tout ça, le petit gros est toujours entrain de me dévisager. Je pose donc mon tas de papier sur la table et le fixe en retour de mon regard glacé.

« Arrêtes de me mater, c’est lourd, je te l’ai déjà dit hier. Je sais que c’est formidable de bosser avec moi et que tu m'aimes beaucoup, mais tu commences à me courir sur le haricot, le gros Jake! »

Je pense que les supérieurs savent quand même qu’ils me font chier en me mettant avec ce type toute la journée dans un préfabriqué. Il n’est pas spécialement pénible pour la plupart des gens, mais je suis du genre instable comme le mercure, moi. Pourquoi nous avoir mis ensembles, d’ailleurs? Oh, probablement pour mettre le simplet et le perturbateur de service ensembles… en espérant qu’ils se tuent pour s’en débarrasser. Néanmoins, je n’ai toujours pas détaché mon regard du sien. On va jouer à ça, le premier qui regarde ailleurs a perdu, ça passera toujours le temps.

Ahah, oui, des gros os, hein ! J’ai déjà entendu ça quelque part... On se demande de la bouche de qui! Mais à côté de lui, le gros Jake passe presque pour anorexique. Et il fait de l’exercice, au moins, le petit. Enfin, j’avais presque oublié que mon subordonné du jour n’est pas très éclairé ; probablement pas assez pour s’offusquer de mes paroles et aller pleurer dans un coin sombre. Le mieux serait probablement de l’ignorer, ce serait le plus efficace pour lui faire fermer son clapet. Mais encore une fois, je n’arrive pas à piger d’où peut bien sortir ce pauvre gamin. Qu’est-ce qu’il fout là? Certes, je ne suis pas celui qui crachera contre plus de "soldats-poudre-à-canon", mais lui n’a vraiment rien à faire là. Est-il si bête que cela pour ne pas se figurer ses actes. Probablement qu’il n’a pas eu le choix. Mais il n’a pas l’air assez mort de l’intérieur pour se rendre compte de ce qui lui arrive. Probablement car il est aussi trop idiot pour faire autre chose qu’obéir à des ordres. Mais je ne suis pas là pour le cerner, il n’y a pas grand-chose à comprendre là-dedans, je vais plutôt me faire un plaisir de l’ennuyer et de jouer un peu pour passer le temps et… C’est quoi, ce nouveau surnom?! Jamais entendu ça, moi! Quoiqu’on en dise, je dois certainement posséder une sorte de charisme étrange, pour me recevoir autant de surnoms chaque semaine. Je devrais tous les noter et décerner des médailles en polystyrène qui grincent bien fort, et forcer les gagnants de les manger.. Ou alors les faire à base de matière fécale pokémonesque et du colorant alimentaire pour cacher et rendre le tout appétissant… hmmm…  Enfin, Idiot Silvery, ils ont déjà trouvé mieux. Cela risque de me ramollir tout de même un peu, d’être une telle célébrité et une telle source d’inspiration (pour le meilleur et pour le pire) au sein de mon entourage professionnel! Il ne faut pas que je me laisse faire! Je suis déjà l’égérie de Cassey-Gwen La Rouge, et maintenant, de ce gamin un peu concon? Quelle vie!

« Eh, mais, attends! Tu sais qu’en fait, « Idiot », ça vient de « Idée » et de « Dio »? Car Dio, c’est des bons tuyaux, Dio a toujours des bonnes idées! »

…Je tourne dans bien trop de pubs ces temps-ci, je crois. J’ai déclamé ces dernières lignes dramatiquement, à la manière d’un jingle télé totalement stupide, ça me prend des fois. Peut-être qu’avec tout cela, je pourrais tourner la chose en petite répétition, je vais exercer mon superbe jeu d’acteur en guise d’entrainement, fabuleux! Pour ceux qui s’inquiètent (ou pas) du fait que je devienne schizophrène avec tout ça, pas d’inquiétudes, mon cerveau et mon esprit sont déjà suffisamment mal barrés. Je gèèèèèère. Et me battre et gueuler par cette chaleur ne me feraient que suer d’avantage et perdre mes ressources dont je pourrais avoir besoin si on doit se battre dans l’après-midi. RAMENEZ-VOUS, MOI VOULOIR BOUM BOUM BAGARRE GUERRE AGROUH! Bref. Je me suis levé pour tourner un peu dans la pièce, et me retrouve à espionner par-dessus l’épaule de Jake en train de dessiner… Qu’est-ce qu’il est en train de… Oh. Mais c’est un scoop, ça! D’un geste vif, je prend la feuille du bout des doigts pour la brandir au-dessus de ma tête en ricanant méchamment.

« Waaaaaah! C’est moi, ça?! Mec, eh, c’est comme ça que tu m’imagines tout nu dans ton lit? Trop sexy! »

Je continue de ricaner en le narguant et en sautillant dans la pièce (quand j’ai dit que je ne m’agiterais pas par cette chaleur, j’ai menti). Les dessins de Ludwig sont tout de même bien plus beaux, adorables et mignons que celui-ci, y’a pas à dire (sans commentaires)! Mais, comme quoi, même quand je suis pas super bien dessiné, cubisme, bonhomme bâton ou patate, je reste beau et bien fichu, z’avez vu ça? Diantre, mais je ne peux point faire d’infidélités à Cassey en tant que modèle, ce serait injuste! Mais je suis pas fidèle, je n’appartiens à personne, je suis indomptable je suis liiiiiibre! Wow, je suis parti loin. Ce doit-être la chaleur, à force de gigoter, je commence à perdre les pédales de ma pensée. Enfin, non, ça… c’est tout le temps.

Alors, oui, je sais par expérience que certaines personnes n’apprécient pas du tout qu’on puisse les espionner en pleine séance de dessin. Moi-même je m’assure toujours que personne soit dans les environs quand l’envie m’en vient, même si je dessine surtout des bâtiments et des plans d’architecture. Je ne sais rien dessiner d’autre, j’aime la précision, et cela me vide la tête. Enfin, pour prendre un exemple plus criant, je n’aimerais pas non plus que l’on me surprenne alors que je répète et prépare mes scripts ou textes à voix haute, avec le ton et l’intention de jeu. Ludwig non plus n’aime pas quand on observe ses dessins avant qu’ils ne les ait finis. Et à la façon dont réagit mon collègue à mon geste insolent et gratuitement méchant, j’ai la confirmation qu’il n’est encore qu’il gamin dans ses attitudes, et probablement dans sa tête également. Bon, ce n’est pas un secret que Jake est un imbécile heureux visiblement plus « imbécile » qu’ « heureux » par moments, mais là, le crois que c’est clair. Bon, d’accord, je joue également au sale gosse, en ce moment, et ce serait malvenu de nier l’immaturité dont je fais preuve. C’est vraiment d’une envie gratuite d’emmerder le monde que je me suis mis à courir dans la pièce en gueulant comme un salopard avec ce dessin dans la main, et voila que le gros se met à me poursuivre en pleurnichant.

« Fallait mieux le cacher, abruti!! »

Ahlalala, je ne vaux pas mieux qu’un autre des bullies du pauvre petit Jakounet, en ce moment. Et alors? Tant pis si je manque d’originalité, emmerder le monde, c’est fun. Forts, faibles, pas doués, maitres, apprentis, c’est toujours drôle de les torturer. Cette séance d’emmerdement ne se fait pas à sens unique très longtemps, cependant. Et à vrai dire, je ne pouvais pas rêver mieux pour tuer mon ennui. Dans un élan de vivacité, le gros Jake parvient quand même à se jeter sur moi et à me coincer pour réclamer son très cher dessin. Mon sourire, contrairement au sien,  ne prend pas congé. Je n’ai pas peur, je veux juste m’amuser à ses dépens. Enfin, le jeune homme récupère son du en le déchirant au passage. Oh, dommage! Je ricane brièvement et reçois une pluie de papier déchiqueté sur la face avant de pouvoir souffler. Et, il faut bien le dire, j’aime le regard que me lance mon collègue. Ça n’aura pas été difficile de lui faire dévoiler sa vraie nature. Sans le quitter des yeux, je me concentre d’avantage en silence dans le cas ou le châtain en viendrait à riposter une nouvelle fois, je l’esquiverais ou l’enverrais rouler plus loin. Avec ma consistance moins… Plus maigrelette disons (même si je ne suis plus du tout anorexique comme avant, néanmoins), j’ai appris quelques trucs qui me permettent de m’opposer à mes adversaires plus grands et plus épais. Non, je ne vais pas lui faire le coup de l’Officier qui se sert de son grade pour le menacer, ce serait me rabaisser (si, si, c’est possible).

« Hé, tu sais, si tu les regardais tous comme ça, tu les ferais fuir en courant, tu sais! J’parle tous ces types qui t’ennuient à longueur de journée et te donnent des choses ingrates à faire. »

Première leçon : ne pas se tromper d’adversaire… Euh, attends, depuis quand j’ai commencé à donner des conseils, moi? Bah, mon esprit va où il veut bien, pas la peine d’aller chercher plus loin. Et rien ne m’empêche d’en profiter pour autant.

« Enfin, c’est bien. Montres-moi un peu comment tu leur donnerais la féssée, à ces gens qui sont si « vilains » avec toi. Aller! Ça va être rigolo! »

Dis-je en lui faisant signe d’approcher, dans des mots plu ou moins adaptés au niveau mental de Jake, à la façon d’un vieux maître. Je suis en garde et prêt à parer une attaque bourrine et irréfléchie. Tant qu’à apprendre, autant qu’on soit deux, non?

Proposer ce genre de chose, c’est la porte ouverte aux attaques en traitre, j’en suis conscient. Et si mon collègue semble ne plus être en colère, la lumière joueuse d’excitation qui vient de naître dans ses yeux ressemble à celle d’un toutou qui veut jouer sans avoir conscience de sa force. J’imagine donc que prudence est mère de sureté s’il faut assumer ma proposition stupide, je suis prêt à voir l’attaque arriver et elle vient… D’en bas. Un coup qui me semble un grand classique dirigé vers mes bijoux de famille. Ah, non, hein, c’est à moi, ça! Je ne suis suffisamment pris des coups à ce niveau là par le passé, et je peux vous dire que je n’accepterais pas qu’on maltraite encore mon précieux service trois pièces! Non, j’avais pas laissé entendre que je me laisserais toucher pour autant. Surtout à cet endroit. On sait tous à quel point ça fait mal! Et après tout, ne dit-on pas « froid de décembre », cache ton membre? Bah, si. Même si ici il faut pas froid car on est à côté du desert. Bref, cette digression a déjà duré trop longtemps, et j’en étais au moment ou j’esquive le pied qui manque de peu de percuter mes parties, avec un « oups ! » passager joueur. Je suis pas encore maso à ce point! Mais ça, c’est sur que c’est une stratégie adaptée, autant pour les adversaires masculins que féminins.

« Oui oui, c’est une bonne tactique de viser par là. Par contre, maintenant, je peux faire ça! »

Dis-je en attrapant la jambe encore en l’air sous mon bras, et en débarrassant le soldat de sa chaussure et de… Oh bordel ça pue là-dedans! Et ce pied est énorme. Vous savez ce qu’on dit par rapport aux grands pieds?! Bon, sinon, je vais me taire, ce post est déjà suffisamment dirigé vers la chose comme ça. Bref, je le débarrasse très, très vite de cette chaussette qui pue et la balance sur la tronche de son propriétaire pour commencer à lui chatouiller la plante des pieds. Honnêtement, peu de personnes résistent à ce coup suprême de la mort qui tue. Attends, on était pas censés jouer à la bagarre, plutôt? Hm… Mouais. Bah… Toute façon tenir sur un pied ce n’est pas évident, et je suis moi-même en déséquilibre, donc ce qui devait arriver arriva, et nous voila tous les deux le cul par terre, avec le pied du gros lard toujours sous mon bras. Bon bah…

« Eh, tu vois, c’était ma technique secrète Mawashi-judo-guilis! Maintenant, tu es bloqué! Prends-en de la graine! »

.. J’ai pris des mauvaises habitudes à jouer avec un gamin de six ans, moi. En même temps, vu que mon collègue ressemble à un gamin de six ans… Bah, c’est pas évident d’être sérieux, j’vous l’dis!

Honnêtement, j’ai reçu suffisamment de coups à cet endroit là par le passé que je sais désormais comment les protéger. Ou plutôt comment esquiver les coups de ce genre. C’est le genre de choses que j’attends quand je me bats, peut-être un peu au dépourvu du reste de ma vigilance de temps à autre. J’aurais eu l’air malin s’il s’était agi d’une feinte. Mais bon, je ne vois pas bien mon « ami » de bagarre s’amuser à me feinter, il est du genre direct, n’est-ce pas? Si vous voyez ce que je veux dire? En un sens, les imbéciles ont ce talent de ne pas hésiter, ne pas se compliquer la vie, et de foncer dans le tas. Honnêtement, j’envie un peu cette franchise qui m’aurait bien servi à certains moments, plutôt que tourner inutilement autour du pot en discours dramatiques et en réflexions pseudo-philosophiques sur l’hypocrisie de mes adversaires. Eh oui, Alex, parler quand on se bat c’est la meilleure manière de se recevoir une balle avant de finir sa phrase! Ah, hélas, j’aurais aimé naître plus bête que je ne suis! Pour cela, je ne déprécie pas le gros Jake. Il n’est pas faux, lui, il est simplement plus ignorant que la moyenne. Et probablement plus innocent également. C’est un gamin. Et moi aussi, et ces derniers temps, avec les accès fraternels vis-à-vis de Ludwig, ce côté à tendance a ressortir alors qu’il me faut jouer à l’adulte à la maison. Du coup, bah, au lieu de surveiller ce qui se passe à l’extérieur, je suis en train de chatouiller un pied gras comme un gros débile. Hm.. Non, j’ai pas régressé. C’est un écart. Ça arrive aux plus grands. Que serait un souverain sans les anecdotes un peu honteuses qui lui sont liées, hein?! Il n’intéresserait personne! Le Roi a beau être tout puissant à chatouiller la plante des pieds de son sbire, eh bien, il ne s’attendait pas à la suite.

A mon tour? Hein, quoi?! Quand je vous dit que je manque de vigilance! Non, non, non, non, c’est pas bon, ça, pas bon du tout. Il y a une raison assez évidente je pense au fait que je m’arrange toujours pour être celui qui chatouille. Car moi aussi je suis chatouilleux. J’ouvre la bouche pour lui hurler d’arrêter, mais… Non, je resterais digne et accepterais la torture, hm! Si c’est pas de la fierté mal placée, ça… Surtout que rester digne avec un postérieur de type éléphantesque sur la tronche, c’est un peu compromis. Techniquement, je devrais plus m’inquiéter pour ma respiration maintenant que je me trouve là. Et aussi des risques potentiel d’intoxication olfactives, si vous voyez de quoi je veux parler. Bref, me voila en fâcheuse position quand on commence à me chatouiller à mon tour, et que je ne peux décemment pas bouger vu le poids qu’on m’a mis sur le dos. Si je me mords la lèvre très fort au début, je finis par ricaner haut et fort en me débattant comme Giratina à la vue de la crinière fabuleuse d’Arceus.

« COMMENT OSES-TUUUUUUUUU?! PAS ICIIII, NAAAAAAAAAAAAAAAAN! »

Me mis-je à crier d’une voix probablement plus fluette que ce que j’aurais aimé prétendre, ce qui alerta le type empoté chargé d’ouvrir les barrières au passage d’un camion qui irait vers le désert. Un type des plus mous au teint bronzé, que la chaleur a toujours semblé moins déranger que nous, étrangement. Je crois qu’on a du le réveiller dans sa sieste, comme il entra dans le cabanon, et nous vit alors l’un sur l’autre. Une expression fort mitigée passa sur son visage incrédule en nous voyant dans une position quelque peu compromettante.

« Mais qu’est-ce que vous foutez?! »
« Bah, on joue à la dinette, ça s’voit, non? »

Le type se tait et je frappe sur le postérieur de mon subordonné en lui grommelant de se relever, plus sérieux. La récréation est terminée! Et en effet, on dirait qu’un véhicule s’approche de notre cabane, et qu’on va avoir du travail. Je peux enfin me relever et remettre ma chaussure ? C’est malin, je crève encore plus de chaud, maintenant. Je souffle en m’éventant avec ma main.

« Bon, Jakouille, fini les papouilles pour le moment. On va avoir du travail. »

Dis-je, déjà pressé d’en finir, alors que je prends soin de m’armer pour sortir, et de passer mes lunettes de soeil adaptées à ma vue. Car on sait jamais. Là, on attend que le camion n’arrive, sous le caniard, et je pense un peu sérieusement que j’aurais du emprunter la casquette de Ludwig. Mais bon, autant pas trop avoir l’air d’un touriste. Le camion s’arrête devant la barrière, et le conducteur qui semble être le plus gradé descend pour nous montrer sa carte de régimeux, conformément à la procédure.

« Okay, t’as l’air en règle même si ta gueule me revient pas du tout. Donc, maintenant, mon coco, tu nous montres le chargement, tu nous présentes tes petits copains, et on décidera si tu peux passer ou pas. »

Et un grand sourire de faux-cul, un! Le type de la camionnette a déjà l’air agacé. Je suis un douanier véreux. J’adore faire chier jusqu’au bout les types qui passent en leur faisant vider tous leurs chargements même les plus inutiles, histoire de les voir remballer ensuite en grommelant. Oui, je peux être atrocement patient si il s’agit d’emmerder mon prochain. Et puis, il faudrait toujours faire ça, c’est comme ça qu’on laisse passer des choses si on est pas assez pointilleux. Et c’est aussi la meilleure façon de repérer des attitudes suspectes. Je fais signe à Jake de me suivre tandis que je m’avance vers la camionnette pour faire cette inspection de cargaison.

Ils s’y croient, ces cons, comme ils se la racontent? Je trouve tous les monde suspect, certes (et même si ils ont l’air innocent, j’irais quand même les emmerder, c’est plus simple et marrant comme ça, na), mais le type là l’est vraiment. Pendant que je fais mine de noter l’inventaire en interrogeant le type du camion, je détaille l’homme en face de moi avec prudence, et sans omettre un seul truc. Un peu trop bien boutonnée la veste, par rapport à son visage pas vraiment soigné. Son pied tape très discrètement sur le sol pendant l’attente. Pas de sueur à signaler… peut-être un pantalon un peu grand pour lui? Hm, c’est mieux de pas les porter trop près du corps, dans cette chaleur, en un sens. Peut-être est-ce aussi moi et ma réputation qui les met dans cet état. Huhuhu! Continuons de nous lancer des fleurs de cette façon, c’est bon pour mon égo! Bref.

Jake pour sa part est parti bravement inspecter le chargement de plus près, et son silence semble signaler qu’il n’y a pas de soucis. J’attends ses dires en tapotant nerveusement le formulaire contre ma cuisse, toujours la main sur mon arme, défiant du regard le conducteur à quelques mètres de moi. Je ne soupçonnais pas vraiment ce qui allait bientôt arriver, alors, bien que les caisses couvertes d’un drap blanc me paraisse un peu gros. Mais après tout, plus c’est gros, mieux ça passe. Et, justement, raison de plus pour vérifier. Eh, je vous l’ait dit, je suis chiant, moi, en douanier. C'est pas si ennuyeux, finalement, quand on attend pas en plein caniard, ça a sa dose d'adrénaline et de tension et de pan-pan boum-boum potentiel, que demander de plus? Si le Régime vient à tomber, je chercherais à sauver ma peau en premier lieu (tout en zigouillant gaiement tout le monde pour foutre la diarrhée et laisser l’ambigüité s’emparer de la question de mon engagement, et rendre ainsi mes adversaires perplexes et hésitants, mouahahaha ; du genre « je suis méchant, mais en fait je suis gentil, mais en fait je suis méchant, mais en fait je suis un connard, tchuss »), donc techniquement, je devrait un peu me foutre de toutes ces procédures et laisser passer à la one-again ces imbéciles suspects. Mais, le boulot, c’est le boulot, et pour apprécier ce boulot, je dois le rendre passionnant. Et pour ça, je dois emmerder les gens et jouer avec leur patience et la tension ambiance. Et comme ça ils seront satisfaits et me donneront plus de gens à zigouiller. Eh ouais.

« Bon, Jake, alors, tu fais copain-copain avec le chargement, ou quoi?! »

Qu’est-ce qu’il fabrique, là-dedans, l’autre? Je soupire un peu, plus impatient qu’autre chose. Le gars du camion est toujours fébrile en face de moi, et je raffermis ma prise sur mon holster, prêt à dégainer le premier si il le faut.

« Oublie pas de regarder sous le drap, ça me paraît un peu gros, cette histoire. »
« C’est bon, sale fouineur! On t’as dit qu’on transporte que de la bouffe, tu sais pas lire le formulaire?! »

Mouais, si il était de la maison, il aurait su qu'on m'appelle "Silvery" ou "Ducon" ou "Petit con débile de fils de chien d'affreuse plaie au fondement postérieur". Donc, il vient de se vendre. J’étais sur le point de dégainer, mais je suis pris de court par la situation. En un éclair, le type suspect détourne son regard du mien et file vers le camion, tandis que notre collègue de tout à l’heure m’enserre par derrière. Sans prendre le temps de l’insulter (ce qui serait probablement trop bon pour lui), je plante mes dents dans son bras et dégaine le couteau contenu dans mon holster, que je lui enfonce dans le flanc bien profondément. Le type hurle et s’affaisse sur le sol. Dans le doute, je lui subtilise son flingue et le laisse se rouler sur le sol, avant de me précipiter vers le fourgon dont le moteur commence à vrombir. Eh, oh, la fête ne commencera pas sans moi! J’agrippe le rebord et grimpe à mon tour, et le camion démarre alors en trombe.. en espérant passer le grillage sur post de douane. Pas de bol, il a été prévu pour ne pas céder si facilement! Du coup, le conducteur freine brusquement, et les trois passagers que nous sommes tombent vers l’avant, formant un joli tas d’humains en bordel au fond de l’espace de stockage du véhicule. Mon cri de chute est d’ailleurs fort ridicule mais plutôt lyrique façon castafiore, et encore une fois, mon corps délicat rebondit gracieusement sur le vendre rond de mon collègue Jake. Fort heureusement, le type suspect de tout à l’heure, que j’appellerais dorénavant "Jean-Eudes Labranlette" pour mieux me repérer me tombe lui aussi dessus, ce qui nous facilite grandement la tâche. Bon, par contre, ça sent le cadavre par ici, et j'crois bien qu'on est  sur le corps mort d'un mec.. Va falloir mettre tout ça au clair, et vite! C'est pas comme si on était dans un camion conduit par des probables Résistants planqués pas censés passer la douane, et qu'il va nous falloir mettre hors d'état de nuire au plus vite!

« Eh, gros Jake, passe par le hublot et dis au couillon qui conduit d’arrêter le véhicule sinon on va se retrouver dans la pampa! Mets lui ton fusil sur la tête, tu verras, c’est magique, il deviendra très obéissant! »

Pas que les dérapages dans le sable ce soit pas marrant, au contraire, on s’amuse comme des petits fous, là! En attendant que mon collègue s’exécute, l’entoure le cou de Jean-Eudes de mon bras et le tient en jou avec mon couteau dans ma main libre. Le camion continue de s’ébrouer pour sa part, et semble cette fois-ci vouloir fuir vers la ville… Bon, bah, c’est parti pour l’aventure!

Je n’ai pas vraiment mal au cœur dans les transports, et surement pas actuellement, alors que l’adrénaline obstrue mes sens actifs et monopolise mes neurones (même si eux, ça fait un bail qu’ils sont tous grillés). Enfin, c’est vrai que ça bouge dans tous les sens, que j’ai aucune foutue idée d’où on va, et que je sais pas ce que fabrique Jake. Et dans des conditions pareilles, ce n’est pas très facile de tenir Jean-Eudes tranquille, et je n’ai probablement jamais autant joué à rouler-bouler avec un autre homme qu’avec lui. Mais passons car pendant qu’on s’amuse à se prendre les murs et les boites dans la tronche, bah, zut alors, Jake a bloqué ses grosses fesses dans le hublot. Remarque lui lui suffisait de passer le bras pour.. Enfin, tant pis, on y est, on y est.

« Débrouilles-toi, j’peux pas trop t'aider là-aaaah! »

Et boum, je repars à l’autre bout du camion avec Jean-Eudes dans les bras. Tout semble se passer crème quand je comprends que Jake a tiré dans le mec à l’avant du camion, plusieurs fois, et que pour ma part, Jean-Eudes a finit par s’assommer en retombant lourdement sur le sol, en plein sur une boite ouille. Je le départis de son armement histoire de surveiller nos arrières et j’entends alors l’appel à l’aide de mon collègue. Je n’avais pas vraiment capté à quelle vitesse on se déplaçait comme j’étais occupé à valser avec un autre, mais en regardant vers l’arrière, je constate qu’on est quand même en plein désert. En un sens, ça pourrait être pire, on risque moins ici qu’en pleine ville avec le risque de se prendre des murs et d’exploser avec le camion. Enfin, là inutile de dire que pour arrêter le véhicule qui en plus semble accélérer, ça va pas être évident. Bon, pour commencer, on va tirer mon camarade de ce hublot ou il n’a pas pu passer et ensuite… on improvise.

« Bon, commences par sortir de ce—GNNNNN! »

Dis je en prenant appui des deux pieds sur la carcasse tout en tirant sur le fond de la culotte de mon collègue. En tirant très fort, je crois que je termine par réussir de le débloquer.. Le souci c’est que je me retrouve écrabouillé en dessous, et que par l’effet du contrecoup et de l’accélération croissante du véhicule, bah, on se retrouve à rouler vers l’autre bout du camion, jusqu’à l’arrière et puis… Bah, à tomber tous les deux du camion lancé à toute allure comme des gros sacs de viande. Je me prend la face dans le sable, je roule, je dégringole, zlagadabardane, je roule encore, je sens mes bras s’érafler au passage et mon corps atterrir cul par-dessus-tête en plein caniard. Quand j’ouvre les yeux, j’ai perdu mes lunettes et le soleil m’aveugle à moitié, allongé sur le dos, je fais craquer mon cou et vérifie que je suis entier. Je crois que je me suis un peu tordu quelques trucs, mais on dirait que je ne suis pas en 15 morceaux, et c’est plutôt cool. Le sable aura amorti la chute, même si il est franchement bouillant et que je vais en garder des rougeurs. Ouille, ouille! Je me relève en hâte histoire de ne pas me brûler plus longtemps, et crache du sable tout en espérant retrouver mes lunettes. A défaut de cela, je ne retrouve que le flingue, et je suis bien content que mes trois Pokéball n’aient pas quitté ma ceinture. Bref, en gros, tout va bien. Après une bonne minute encore à terre sous le soleil, je me redresse sur mes pieds en titubant quelque peu.

« Eh-ooooooh?! Gros Jake, t’es ooooù? Si t’es vivant, tape dans tes mains! »

Je commence à monter en haut de la dune au pied de laquelle je suis tombé, en faisant sortir Scylla, ma Crocrodile, qui me rafraichit les idées d’un jet d’eau sur la tête. Bon, je sens qu'il va falloir partir à la recherche de ce camion.. Ou alors on rentre à la douane pour demander de l'aide dans nos mésaventures. Dans les deux cas, d'un côté, le camion roule encore dans la pampa (il finira bien par se casser la gueule), et de l'autre, le péage. Quel choix cornélien, entre le caca et le vomi... Sans vouloir devenir vulgaire.

Bon, bah, au moins l’autre est vivant, ça fait un paragraphe de moins à écrire dans le rapport et aussi un nombre considérable de paperasse et de démarches pénibles qui s’annulent. Qu’il ne me fasse pas l’affront de mourir et de me donner plus de boulot.. Je veux quitter cette affectation au plus vite pour retourner à la douceur de mon Bloc R2! Mais chaque chose en son temps,  très cher Alex, on dirait que vous êtes tous les deux d’accord pour aller chercher le camion, histoire de boucler la boucle. Quand j’arrive à la hauteur de mon collègue, ma Crocrodile se charge de lui lancer à lui aussi un jet d’eau à la figure pour lui éviter temporairement le dessèchement. Je cligne des yeux sous en protégeant mon visage du soleil d’une main, tout en essayant de détailler le paysage flouté par ma myopie, et retrouver la forme du camion blanc au milieu de la pampa. Je crois que compter sur un de mes alliés pour nous porter là-bas sera encore le plus efficace. Tandis que je réfléchis, je suis pris au dépourvu quand Jake semble galérer, et je me retourne pour voir une scène digne d’un Evil Dead de mauvais goût. Sauf que c’est en vrai donc même si c’est pas cool mais, en quelque sorte.. C’est encore mieux?

« Eh bah, Jean-Eudes, t’as pas l’air frais! »

Bah il était là, lui! Quel coquin, il s’était caché sous le sable! Argh, ça doit picoter un peu, les grains dans les cicatrices et la poussière de partout, quand même, j’aimerais pas trop être à sa place, moi qui déteste cordialement le sable.. Enfin, pendant que les deux autres jouent à la petite maison dans la prairie, et que Jake est pas très loin de se faire trancher la carotide en bonne et due forme, bah, je reste quelques instant à les observer sous le coup de la surprise.. Et parce que j’avoue que pour le coup, je risque rien, et je me demande si ça serait pas mieux d’attendre que Jean-Eudes s’épuise totalement pour terminer de le descendre sans problème. Bah, oui, c’est lâche, vous vous attendiez à quoi, j’ai pas vraiment que ça à faire, là. Jake se débat comme un ver, je ne bouge pas et c’est là que Jean-Eudes trouve le temps de m’envoyer une menace. Mais quel andouille, il vient de me donner ce que j’attendais!

« Tu vas faire tout ce que je te dis, sinon je lui coupe la… »

Zut je crois que ma main a bêtement dérapé et que je lui ait maladroitement envoyé un couteau dans la tête pour le faire taire, et ça a marché.

« Non mais, ta gueule, Jean-Eudes… Rahlalala… C’est bon, il est mort, t’es vivant, tu peux te lever, mon gros. »

Sérieux, si il est con, aussi.. Chaque mot qui sortait de sa bouche me donnait envie de le fouetter avec des orties fraiches et lui faire manger des endives au jambon par la force. J’espère simplement que prouver les méfaits de ces mecs ne sera pas trop galère, les supérieurs ne m’ayant pas dans leur faveurs, mais je crois qu’en ce sens j’ai bien fait de garder Jake en vie.. Ca me fera un témoin, un alibi pour éviter de me faire lyncher ou zigouiller par les vieux cons, alors qu’il s’agissait de légitime défense (et aussi d’un acte sanguin parce que l’autre m’énervait, mais bon, on dira que je voulais protéger la vie de mon subordonné, que c’était mon devoir en tant qu’officier et yada yada, je vais encore devoir bisouiller des fesses, si c’était pas pour mon boulot adoré que j’aime j’aurais déjà démissionné si je le pouvais, mais bon ,c’est pas si facile et j’ai appris à me tenir un peu tranquille.. bref cette parenthèse est bien trop longue).. Bon, espérons donc que tout ça ne me porte pas trop préjudice. Ma patience arrive à ses limites

« Bon, je commence vraiment à en avoir ras-le-bol! Donc on va chercher ce camion tout de suite, on rentre, on appelle le QG, on rassemble les preuves et on leur explique l’histoire. Oh, et si t’as prévu une soirée pyjama ce soir, annules, car ça va durer longtemps, ce merdier administratif. »

Bordel, peut-être que j’aurais du laisser Jean-Eudes en vie… Enfin, il nous faut le camion pour ça,  pour le chargement, et pour le cadavre qu’on sait pas encore si il est vraiment mort.

« T’as un Pokémon vol, pour nous faciliter la tâche? Ou un truc costaud? »

Dis-je pour ma part en faisait sortir Lizbeth, ma Bruiverne en l’absence de Chris, ainsi qu’Harald, mon Steelix, qui nous sera d’une grande aide pour transporter le camion. On commence donc à diriger jusqu’à la carcasse qui s’est finalement arrêtée, fumante, en s’enlisant dans le sable. Je m’en vais vérifier l’état du conducteur. Pas de doute, il est bien mort, lui aussi. Va falloir se trimballer des cadavres à la morgue. Si ça continue, je vais appeler le baby-sitter pour qu’il garde Ludwig plus longtemps ce soir.. Pendant qu’Harald extirpe le véhicule des sables, et commence à le pousser vers le haut des dunes, Scylla la Crocrodile continue de son côté de nous hydrater. On sera bientôt revenus au péage, en ramassant Jean-Eudes au passage pour le mettre dans le camion. Il ne me tarde pas d’appeler la base, bon sang de bonsoir.

« Du coup Jake, les supérieurs vont te poser beaucoup de questions sur tout ce qui s’est passé. Tu leur dis exactement ce que tu as vu, et tu n’oublies rien, ok? Sinon, on va vraiment être dans le caca. »