Un ordre est un ordre
Feat Easton Brady
« Raiden, mes papiers. »Le Négapi poussa un geignement agacé en se relevant, embêté d'être dérangé durant sa sieste, mais Clive n'écoute pas, se contentant d'agiter sa main pour faire signe au pokémon électrique de s'activer. Le lapin de foudre grommela et leva ses petites pattes pour amener à son dresseur la feuille qui était tombée de son bureau, non sans un regard un peu frustré. L'officier le remercia brièvement avant de retourner à ses affaires.
La paperasse n'était jamais ce qu'il préférait. Trop de complications, entre les rapports à terminer, les comptes à faire, la partie budget qu'il devait gérer en même temps que les locaux, les accidents à dénombrer, les demandes à faire passer aux autres services... Sincèrement, il se demandait parfois, vu le temps qu'il passait à régler ces soucis, si il n'était pas plus un comptable ou un secrétaire glorifié plus qu'un véritable combattant. Il assurait tout de même ses services durant les entraînements, au grand dam de ses subordonnés qui comprenaient bien vite qu'ils allaient souffrir quand c'était son tour, mais le temps qu'il passait « sur le terrain » était toujours nettement inférieur. Remarquez, vu le bordel incroyable de ce département... Car celui des assassins, si il était composé de l'élite des combattants, ne nécessitait pas vraiment d'être très regardant question moralité de ses membres. La santé mentale stable était un obligatoire, mais quand on est responsable de meurtres à la chaîne ou d'arrestations, on fait forcément des dégâts collatéraux. Il ne pouvait alors que se sentir coupable de diriger sans assumer les conséquences directement, mais il fallait quelqu'un pour faire office de figure de référence. Il avait assumé son rôle depuis un petit bout de temps maintenant, ignorant les commentaires qu'il pouvait entendre au sujet de son âge relativement faible par rapport à son poste, et il défiait quiconque de lui faire la moindre remarque sur sa gestion.
Bien sûr, à diverses occasions, quand il avait besoin d'un peu d'aide pour des missions bien moins extrêmes, comme des vérifications et des petites enquêtes, il pouvait se permettre de réquisitionner des soldats par le simple pouvoir du grade. L'armée avait beau être un bordel incompréhensible, au moins elle n'avait pas les travers de l'administration et ses interminables formulaires ; si on voulait quelque chose, il suffisait d'avoir un peu d'expérience derrière soi pour que ce soit fait.
Parfois, il arrivait néanmoins qu'il ait tellement de choses en tête qu'il finissait par oublier ce qu'il avait de prévu. Lorsqu'il avait demandé à Radius d'aller chercher un soldat à peu près compétent, il s'était quelques secondes après empressé de retourner à son travail.
Et forcément, au bout d'un moment, il s'était accordé une petite pause d'une vingtaine de minutes. Il pouvait bien le faire, vu qu'il était en avance de cinq jours et trois heures, après tout, même si une toute partie de son cerveau continuait de pleurnicher. Il avait donc relâché la page word sur son écran, où il écrivait un rapport particulièrement dense sur une grosse opération de démantèlement d'un réseau de trafiquants d'un quartier d'Amanil pour quasiment se précipiter vers ses jeux. Oui oui, c'est mal d'utiliser son ordinateur de travail pour ses petits loisirs personnels, mais personne ne venait jamais vraiment l'inspecter, et cela lui évitait d'avoir à dépenser des fortunes pour du matériel hors de prix.
Une petite partie de Rayman Origins n'avait jamais tué personne, et ce n'était pas ce jeu-là qui allait lui attiser les nerfs, s'était-il dit naïvement. Oui, sauf que à son grand malheur, il ne s'était pas rendu compte que ses « talents » vidéo-ludiques allaient être inutiles face à un niveau particulièrement retors. En retenant son calme, il pesta et jura plusieurs fois, avec des formules qui aurait fait pâlir ses parents, sans se rendre compte que sa prise s'était crispée autour de sa manette. Enfin, si il s'en rendait compte, il n'y accordait guère d'importance.
Toutefois, alors qu'il retenait de justesse un hurlement de rage, on toqua à la porte qui fut ouverte tout juste quelques secondes après. Surpris en plein délit de flemmardise aiguë, Clive eut un mini arrêt cardiaque et se dépêcha de ranger ses affaires, en en faisant tomber une bonne partie au passage, dont sa manette. En voulant la rattraper, il tomba à la renverse, se frappant la tête sur le sol dans un grognement douloureux.
Après avoir dit mentalement au revoir à sa dignité morte assassinée brutalement, il finit par se relever sur sa chaise. Avec un sang-froid bâti sur des années de mésaventures plus ou moins ridicules, il porta enfin son regard sur les soldats qui étaient entrés. Dès lors, une question fit son bout de chemin dans sa tête.
Pourquoi est-ce qu'ils sont là, déjà... ?
Ezekiel ouvra un œil, curieux de l'introduction, tandis que le regard du Négapi se portait sur le l'un des deux avec émerveillement, n'ayant jamais vu de cheveux blancs auparavant vu son jeune âge. Clive, quant à lui, fit de son mieux pour essayer de se rappeler ce qui avait pu lui passer par la tête, avant qu'ils rappellent qu'ils avaient été convoqués. Avec une pokerface assez respectable pour quelqu'un qui s'était rétamé quelques secondes avant, il finit par se souvenir de quelque chose et retint comme il le peut l'envie de prononcer un « aaaaaaaah oui ». Il se racla la gorge pour prendre la parole.
« Oui, effectivement. J'avais besoin de quelqu'un pour aller faire un tour dans le quartier est de la ville : apparemment, il y a quelques problèmes, pas vraiment urgents, mais qui demandent une inspection pour vérifier l'ampleur du souci. »
Il haussa les sourcils derrière son masque blanc, signe commun à tous les régimeux, par pur réflexe.
« Enfin, du coup, j'avais demandé une seule personne, ce qui serait bien plus pratique pour la discrétion, hm... »
Il resta quelques instants à réfléchir, avant qu'une idée, dont il se sentait un peu coupable certes mais quand même, lui traversa l'esprit. Il pointa du doigt le soldat qui accompagnait Easton, pour la simple raison qu'il avait encore son dossier ouvert dans un des tiroirs de son bureau. Pour l'autre, il faudrait qu'il rappelle à Radius de dormir ou de boire un café avant de faire passer ses ordres... Le manque de sommeil devait lui embrouiller l'esprit, mais Clive n'allait pas vraiment hausser le ton. Il était très rare qu'il le fasse sérieusement, après tout : les entraînements ne comptaient pas, vu que c'était obligatoire dans une formation militaire. On ne devenait pas soldat sans devenir extrêmement humble et discipliné, c'était tout le but de la formation. Mais en dehors du strict nécessaire, l'officier essayait de se montrer plus tolérant et "humain" que ses collègues, bien que personne ne lui aurait donné la réputation d'être tendre. Apparences, tout ça.
« Vous, vous irez faire une ronde dès maintenant, jusqu'à la soirée. Vous avez de l'expérience, donc vous connaissez les ordres habituels : discrétion, pas d'intervention, et retrait immédiat si jamais les choses se compliquent. Ce n'est pas une mission suicide. »
Dès qu'il eut fini, il lança un regard réprobateur à son Négapi qui s'approchait des deux soldats, l'air prêt à partager son affection, et celui-ci gonfla les joues avant de retourner aux côtés du Démolosse. Il se tourna vers l'autre.
« Quant à vous... Attendez un peu, j'ai peut-être quelque chose à vous confier. »
Il fit signe au second soldat de partir, et dès que ce fut fait, il hésita quelques secondes à prendre la parole, avant de parler d'une voix plus décontractée et moins sérieuse que celle qu'il avait employé pour expliquer la situation.
« Bon, je dois avouer que ce n'est pas très professionnel mais... Au lieu de vous envoyer faire une mission à deux balles alors qu'il n'y a rien sur le feu mais que vous avez un service à assurer, tout de même... Donnez-moi un coup de main pour terminer mon jeu vidéo ? »
Derrière son masque se tenait une derpface assez majeure. Il était inhabituel pour un pingouin comme lui de proposer une activité collaborative ou même de demander de l'aide tout court, mais il était capable de faire des exceptions pour les urgences extrêmes, pour les "cas majeurs". Et sauver son honneur perdu face à un foutu jeu vidéo était un cas majeur.