« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 
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 Partir de rien III

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Natsume Shimomura
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Natsume Shimomura
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MessageSujet: Partir de rien III   Partir de rien III EmptyVen 1 Avr 2016 - 8:33



Partir de rien III

Éclosion de Yu

La main sur mon arme, j'essaie d'avancer sans laisser la crainte m'envahir l'esprit. Ignorer l'odeur qui m'infeste les narines alors que je sens ma poitrine se soulever dans un haut-le-cœur est une tâche que je ne suis pas du tout capable de réaliser. Mais je n'ai pas vraiment d'autre choix, et j'essaie d'écouter la voix de la raison qui me pousse à rester discret. L'endroit est bien trop calme pour que ce soit dérangeant ; d'ordinaire, c'est le boucan causé par Yann et Jean qui m'indique que tout va bien, ou même les cris furieux de Max devant leurs conneries. Mais rien. Rien pour l'instant pour me rassurer, pour me faire comprendre que je ne fais que m'inquiéter inutilement, que j'imagine sans doute des risques inexistants et qu'il vaudrait peut-être mieux que je me calme. Ce serait un mensonge éhonté que de chercher à s'en persuader, et je suis au courant.
Mon entrée dans la salle arrière, par laquelle nous passons toujours car j'ai blindé la porte principale de pièges pour calmer les ardeurs des potentiels voleurs, se fait dans le silence complet. Et c'est finalement en entrant dans ce qui nous sert de salon (avec deux fauteuils et une cheminée, on finit par y croire) que tombe nez-à-nez avec le spectacle que j'essayais tant d'ignorer.

Max est écroulée par terre, un trou dans l'abdomen, du sang coulant le long le long de ses plaies. Elle inspire et expire difficilement, de telle sorte que j'entends d'ici les sons aigus et étouffés en provenance de sa gorge. Plus loin, Jean est inerte contre le sol, et je serais incapable de dire si il est simplement assommé ou... Ou pire. Yann est debout, les mains en l'air, et je le vois de dos, immobile. Son calme m'étonne, mais je comprends vite en remarquant ce que ses yeux fixes ; Laure, la gorge serrée par le bras d'un homme la retient sans échappatoire possible. L'arme à feu pointée sur sa tempe ne lui permet sans doute pas de faire un geste pour tenter de se déloger non plus. La gorge serrée, je m'étonne de l'apathie générale dont mon corps fait preuve, et bénit quiconque a eu l'idée de mettre une étagère à cet endroit-là exactement, car il m'a donné une cachette (temporaire, certes) mais parfaite. De ce que je vois malheureusement, l'agresseur n'est pas seul. Deux autres types, quoique il me semble que le second est en réalité une femme, barrent les sorties et tiennent Max et Yann en joue, au cas où ils voudraient faire ne serait-ce qu'un mouvement. Vu que leurs visages sont cachés, je ne pourrais pas dire qui ils sont.

Fran et Hatori sont restés en arrière, et un signe de la main de ma part leur fait comprendre de rester là ; je n'ai pas besoin qu'ils fassent du bruit et nous mettent tous en danger. En parlant de cela, j'essaie de contrôler plus ou moins tout ce que je peux pour ne pas alerter les intrus de ma présence, en essayant de respirer le plus lentement possible et en comprenant si possible leurs intentions. Au vu du cran d'arrêt qui est au sol, il ne m'est pas dur de comprendre que quelqu'un a essayé de s'en servir. La balle qui troue actuellement le ventre de Max n'est sûrement pas étrangère à ça. Je me demande d'ailleurs comment j'arrive à rester aussi calme en pensant à ça, comme si ce n'était qu'un fait parmi tant d'autres. L'apathie dont je fais preuve me fait autant peur qu'elle me rassure.

« La thune, putain ! Arrête de faire chier et crache où elle est, ou on vous fume tous les deux ! »

La raison de la menace m'importent peu pour l'instant, alors les cris des intrus me passent au dessus de la tête. La main contractée autour de mon arme, j'essaie d'imaginer ce qui se passerait si je choisissais d'agir maintenant. Sans doute que j'aurais le temps de toucher quelqu'un, mais alors je risquerais surtout de causer la mort de nous tous, sans pour autant avoir résorbé la menace. Si je choisissais de prendre le temps de faire le tour pour les avoir à revers, idem. De plus, je n'ai installé aucun piège dans le salon, par souci de confort ; je n'ai donc rien pour les arrêter sans prendre le moindre risque. Si je peux même réussir à faire ça, et vu que je suis seul contre trois, j'en doute un peu. Merci bien, mais j'ai jamais été Batman, ça j'en suis au moins sûr.

Je n'ai pas beaucoup de temps, toutefois, alors les considérations et les hypothèses devront malheureusement attendre. En essayant d'oublier comme je le peux mon cœur tambourinant, je remets les choses en place dans mon esprit, en essayant de trouver une faille, quoi que ce soit, un rien qui pourrait m'aider. Si au départ rien ne semble me venir à l'esprit, c'est en jetant un œil à Fran que me vient alors une idée. Je déglutis, peu certain de ce que je m'apprête à demander de lui. C'est risqué. Et probablement le seul plan avec un peu de viabilité au bout de la ligne ; ça ne me plaît donc absolument pas. Je déteste cette sensation de ne rien contrôler à ce qui m'arrive, mais ma frustration personnelle devra rester sur le côté pour cette fois. Bordel, je suis un imbécile. Pourquoi est-ce que je n'ai pas pu imaginer quelque chose de plus intelligent ?!
Sans trop me concentrer sur le fait d'apprendre comment je connais les signes des mains que je fais en direction des serpents pour leur faire comprendre mon plan (une autre preuve que contrairement à ce que j'aimerais croire, je n'ai pas appris qu'à soigner), je les exécute rapidement et en espérant du fond de mon cœur qu'ils aient tout compris. Une seule erreur et nous ferons tous office de passoire. Si je ne m'en sors pas vivant, j'aurai à jamais le regret de ne pas avoir terminé le pot de glace restant. Bordel que c'est pathétique, comme dernier regret. J'expire une dernière fois et donne le signal à Fran.

Aussitôt, un épais brouillard aussi opaque que noir emplit la pièce. Les paroles paniquées des intrus résonnent alors qu'ils se mettent à chercher ce qui peut avoir causé cela. Si leur vision n'était pas obscurcie par la Buée Noire de l'Arbok, sans doute auraient-ils pu remarquer sa silhouette ramper au sol pour se rapprocher de l'homme retenant Laure en otage. Il s'enroule alors le plus discrètement possible autour de sa jambe, profitant de sa petite taille et de sa maigreur pour ne pas être repéré, et prend alors un grand élan pour entourer la jeune femme de son corps, au même moment où il invoque un Abri puissant censé les protéger tous les deux. Je n'ai plus qu'à prier qu'il ait eu le temps de le faire avant que ne résonne le premier coup de feu ; je ne peux pas vraiment me permettre de vérifier maintenant.
Si mes yeux ne sont pas épargnés par le brouillard, j'ai toutefois vu bien assez clair pour savoir où se trouve ma cible. Étonnamment, j'arrive toutefois  à remarquer l'expression horrifiée et surprise de la personne que je viens de saisir dans le dos. Je ne me gêne pas vraiment pour la maintenir immobilisée grâce à un bras plaqué légèrement sous la poitrine, lui coupant donc la respiration (merci la science), et pointe mon arme chargée vers son cou. Je l'entends inspirer sous le coup de la peur, et je ne peux pas m'empêcher de lever les yeux au ciel face à sa crainte. T'inquiètes pas, sale petite merde, j'ai pas envie de te buter. Par contre tu vas mettre longtemps avant de ne plus ressentir l'envie de te tordre de douleur jusqu'à ce que la saloperie que je viens de te mettre dans les veines ne disparaisse. En temps normal, je refuserai catégoriquement de m'en servir face à un opposant, mais ceux-là ne sont pas des petites frappes. De toute façon, c'est inoffensif. Ce n'est qu'un paralysant ; la créature à qui j'ai pris ce venin aime bien tuer par elle-même avant de dévorer sa proie, mais c'est un autre sujet. L'homme à qui je viens de faire son vaccin tombe au sol en quelques secondes à peine, sans même que j'ai eu besoin de raffermir ma prise, comme un pantin désarticulé, complètement inexpressif. Oh, si son visage est bloqué par une paralysie faciale laissant statique son expression apeurée, il est bel et bien conscient. Et je me sentirais presque coupable d'imaginer qu'il ne peut par contre par hurler la douleur qui le parcoure. Pauvre petit, j'en verserais presque une larme.

Il en reste deux, toutefois. Mais Hatori suit parfaitement mes ordres et libère un puissant Dracochoc en direction de la femme positionnée sur la gauche de l'homme qui tenait Laure en otage. Celle-ci est assommée et envoyée plus loin sur le coup. Je dois avouer avoir haussé les sourcils en voyant que celle-ci avait percuté le mur, poussée par l'énorme vague d'énergie créée par le Majaspic. Ne reste plus que le dernier, donc, qui tire dans la direction de l'onde, mais inutile ; le serpent est protégé par le mur, que le dernier intrus restant ne peut pas voir avec le brouillard. Si j'étais cruel, je me permettrais même de jouer avec le feu pour le narguer et satisfaire mon envie de vengeance. Mais mon cerveau se rappelle alors à moi, et les secondes sont cruciales ici. Si quiconque d'autre a pris une balle et que je veux sauver Max, je ne peux pas me permettre ça, d'autant plus que ce serait inutile. Mon ego attendra.
Le dernier perd son calme, je l'entends. Il continue de tirer encore et encore dans la même direction, comme terrorisé par l'idée qu'il lui arrive la même chose que sa collègue. Puisque le brouillard s'est un peu dissipé grâce au Dracochoc, je peux me permettre de prendre le temps de pointer mon arme en direction de son cou. Ma visée n'est pas exceptionnelle et il apparaît clairement que c'est loin d'être ma spécialité, mais la fléchette se plante sans résistance. Je me baisse alors immédiatement, vu que l'individu tire dans ma direction avant d'essayer de retirer l'objet. Même si il réussit, c'est trop tard. Trois secondes et le liquide s'est déjà déversé dans ses veines. C'est fini.
Néanmoins, un de ses derniers tirs s'accompagne d'un cri de douleur. J'écarquille les yeux, soudainement glacé par la peur. C'est la voix de Yann qui vient de percer le silence morbide dans lequel j'ai plongé la pièce.


« Mes conditions n'ont pas changé. Ça se trouve pas facilement, les médicaments. T'as une idée des risques que l'on prend pour les trouver ? »

Le visage inexpressif, je n'accorde à mon interlocuteur qu'un air désintéressé et apathique. Ses yeux bruns cherchent à voir si je vais me débiner ou reculer, mais je ne peux pas me le permettre. En temps normal, c'est Yann qui s'occupe du troc. Mais dans l'état actuel des choses, j'étais le seul capable d'assurer ce travail. En fait, ironiquement, je dois bien être le dernier debout, maintenant que j'y pense. Mais peu importe le fait que je sois peut-être presque deux fois plus petit que l'homme avec lequel je discute et ses compagnons qui pourraient écraser ma tête dans leurs mains ; j'ignore leurs regards d'avertissement avec un dédain presque méprisant.

« Globalement. Néanmoins ce n'est pas mon souci : mon offre reste la même. »

Je joue peut-être avec le feu en faisant preuve d'autant d'insolence, mais je n'ai pas vraiment d'autre choix. J'essaie comme je peux d'ignorer leur crispation et le fait qu'ils pourraient sans que je puisse faire quoi que ce soit me tirer une balle dans la tête et en finir ; même la présence de mes serpents, restés à côté de moi et portant leurs lourds regards rouges sur nos interlocuteurs, ne suffirait pas à éviter le massacre.

« Très bien. Luke, Thomas, on rentre. Si ce guignol ne veut pas voir la réalité en face...
- Attendez. »

Je n'ai pas haussé le ton, mais ma voix est devenue plus forte. Je ne peux pas encore rentrer bredouille. Mes collectes, déjà difficiles à enchaîner à cause du manque de bras qui posent des problèmes sur la sécurité du refuge, sont de plus en plus maigres avec les jours qui se suivent. À cause du bordel causé par les révélations sur les manigances du Régime, les gens se mettent à fuir, à se cacher, et emmagasinent toutes les provisions qu'ils peuvent trouver. Les gens qui fouillent dehors ne sont pas différents et ils ont donc bien plus tendance à préférer stocker un maximum de denrées, ces temps-ci. Par conséquent, nous sommes clairement handicapés et j'ai absolument besoin que cette séance de troc mène à quelque chose.
Échanger dans une décharge n'est pas très classe, mais je me suis assis, tout comme l'homme qui se fait face, sur une vieille chaise trouvée tout près. Néanmoins, la situation est loin de tourner en ma faveur, actuellement. Si je me mets à le montre clairement toutefois, ce sera fini ; dès qu'une image s'effrite, on perd la face et les négociations sont alors surtout une bataille pour voir ce que vous pourrez sauver du peu que vous obtiendrez

« Qu'est-ce que vous voulez, donc ? »

J'ai peut-être une idée. Ce n'est pas sûr, et je suis presque sûr qu'il y a un bon pourcentage de chances pour que j'échoue, mais qui vivra verra. Et au pire, peut-être que Jean pourra sauver la situation, même si il ne fait qu'observer la situation derrière moi pour l'instant. Bon sang, pourquoi m'a-t-il laissé faire ça ?
L'homme esquisse un rictus, satisfait, croyant sans doute m'avoir coincé. Oh tu peux sourire, mon gars, mais fais un seul mauvais pas et tu vas t'engouffrer dans un piège dont tu ne te sortiras pas. Et quand ça sera le cas, je vais prendre un de ces pied à imaginer ta tête déconfite.

« Une caisse de conserves. Pas plus, pas moins. »

Je me retiens avec difficulté de lever les yeux au ciel. Ben voyons. Presque une semaine de provisions pour nous. Grossièrement, ce doit être tout ce qui nous reste, en estimant largement. Il serait complètement inconscient d'accepter un tel marché, mais je ne crois pas que la personne à qui je parle en ait quelque chose à faire. Ce n'est pas quelque chose que je méprise : c'est chacun pour soi après tout, dehors. J'ai eu plus que souvent l'occasion de le constater, entre les alcooliques agressifs, les gens complètement perdus sous l'effet de la drogue, ceux qui n'arrivent pas à survivre à cause d'un manque même de motivation, les paumés... J'essaie d'aider comme je le peux, mais là, ce que j'essaie de faire, c'est de sauver mon groupe. C'est la seule chose que j'ai, pour l'instant, alors autant ne pas foirer le tout hein ?
J'inspire avant de répondre, priant pour ne pas flancher sur le chemin.

« J'ajoute cinq boîtes. Pas une de plus. »

Il lève les yeux au ciel et claque de la langue, visiblement à bout de nerfs.

« Tant pis. On aura essayé.
- Minute. »

Mon ton est calme, mais je suis sur un fil très, très fin. Acquérir ces médicaments est d'une importance capitale, plus que tout ce que j'ai fait depuis que je me suis réveillé. Je sens mon pouls s'accélérer mais fait fi de ma gorge nouée pour parler, toujours sans rien montrer.

« De ce que j'ai compris, nous ne sommes pas vos seuls clients, n'est-ce pas ? »

Il hoche de la tête, un sourire puant l'orgueil sur son visage, et je lui coupe la parole rapidement, ne souhaitant pas entendre des logorrhées verbales qui n'auraient pas d'autre objectif qu'une auto-glorification.

« Bien. Dans l'idée, tout à fait hypothétique bien sûr, que quelqu'un disposerait de ce qu'ils cherchent et leur offre à très bas prix, vous vous retrouveriez dans une situation compliquée, n'est-ce pas ? »

Je crois qu'ils commencent à comprendre où je veux en venir. Mais je n'ai pas terminé, et je compte bien aller au bout.

« Évidemment, toujours hypothétiquement, vous vous retrouveriez alors dans une situation très cocasse. Sans aucun échange possible, vous prendriez d'énormes risques et j'en serais très, très chagriné. »

Oh, qu'il est beau, ce visage qui se décompose de plus en plus... Je ne peux empêcher un léger sourire de s'afficher sur mon visage, qui est tenu par une de mes mains.

« N'oublions pas que sans contacts, le moindre besoin urgent vous prendrai de court. Il me semble même que d'après quelques rumeurs, vous seriez en manque de bandages et d'alcool pour désinfecter ? »

Vraiment, je me remercie Yann de m'avoir encore et encore poussé à faire des recherches quand il me demandait de venir avec lui ; sans doute voulait-il que je prenne sa place quand il ne pourrait plus le faire. Je retiens mon envie d'y penser et fixe alors mon regard sur mon interlocuteur, en m'assurant bien de me montrer moins sympathique, d'un seul coup. Le coup de froid que j'ai lancé par mes propos s'est transformé en blizzard. Mon sourire factice n'a pas disparu.

« Bien sûr, tout cela n'est que supposition. Ce serait vraiment une situation déplaisante, n'est-ce pas ? »

Les têtes grimaçantes des personnes face à moi me donnent toutes les réponses dont j'ai besoin. Satisfait, j'esquisse un rictus un peu prétentieux, en ignorant un peu le fait qu'ils veulent sûrement repeindre les murs avec ma cervelle. Si ils voulaient le faire, ils pourraient sans doute me blesser, mais je devais prendre ce risque. Pas le choix

« Qu'est-ce que tu veux, morveux ?
- Ce que j'ai demandé à la base contre ce que j'ai proposé. Rien de plus, rien de moins. »

J'aurais presque honte, presque. Si j'étais un hypocrite, je dirais que je me sens coupable, mais je suis pour l'instant trop satisfait de moi-même pour accorder de l'importance à cela. En les voyant hocher de la tête, je me permets de faire un grand, très grand sourire.

« Ravi de voir que nous sommes arrivés à un accord.

Je me lève donc, les reptiles derrière moi, ceux-ci veillant d'ailleurs à rester prudent au cas où l'un des types déciderait de me tirer dans le dos. Je laisse à Jean le boulot de récupérer ce que nous sommes venus chercher et je ne peux pas m'empêcher de sourire un peu, amusé par l'enthousiasme soudain qui l'anime. En dépit des jours déprimants que nous avons traversé, il arrive néanmoins à garder sa bonne humeur.

« Bordeeeeel ! On va t'amener plus souvent, t'es presque aussi efficace que Yann !
- Mouais, c'était juste, tout de même... Pas franchement exemplaire.
- Ouais fin peu importe ! Parce que... Wow. Là ils peuvent t'appeler papa.
- Pardon ? »



« Lève le bras. »

Max s’exécute sans silence alors que je passe une compresse sur ses points de suture qui ont quelques jours à peine. La plaie n'est pas très belle, sincèrement, mais j'ai fait de mon mieux au moment donné. La blonde n'a pas dit un mot depuis que j'ai commencé à appliquer les soins habituels nécessaires à sa guérison. Ce que j'aime bien chez elle, c'est qu'elle a compris, depuis le temps, que je préférais éviter de parler inutilement. Enfin, c'est surtout que j'ai toujours du mal à me comporter normalement ; la sensation de confusion constante n'aide pas à mettre de bonne humeur.

« Tu arrives à te déplacer normalement ?
- Un peu dur mais ça s'arrange... Je crois. »


Le sourire joyeux et gai qu'elle m'offre me fait baisser le regard alors que je marmonne un 'de rien'. Et je vous emmerde, je ne suis pas du tout mis mal à l'aise par la reconnaissance d'autrui. C'est pas vrai. En soupirant, j'essaie d'ignorer le fait que je n'ai pas pu faire des coupures très propres, sur le coup de l'urgence. En remarquant mon expression, elle cligna des yeux et prit la parole immédiatement.

« Hé, déprime pas ! Si t'avais pas fait ce que t'as fait, je serais sans doute morte à l'heure actuelle. »

J'essaie de sourire pour lui faire signe qu'elle a raison, mais sans succès. Afin de ne pas m'éterniser ici, je lui fais donc signe de descendre son haut pendant que je range mes affaires. Néanmoins, avant que je n'ai eu le temps de partir, elle attrapa un de mes poignets pour me retenir. Immédiatement, je m'immobilise sur place, tendu et retenant de toutes mes forces la voix dans ma tête qui me hurle de m'éloigner. Je pourrais le faire sans difficulté, mais arrêter de penser à ma conscience qui a peur du danger est plus ardu que cela en a l'air.

« Ris... ? Tu sais qu'on est tous là l'un pour l'autre, hein ? »

Je ne peux empêcher un sourire jaune de s'étirer sur mon visage. Ahaha, la bonne blague. Les bons sentiments et les mièvreries ne sont pas ce qui vont me ramener mes souvenirs, au contraire. Parce qu'à chaque fois qu'on me sourit, à chaque fois que l'un d'entre eux essaie de m'aider ou de rigoler avec moi, je n'arrive pas à leur rendre leur affection. Impossible, tout bonnement : le trou dans ma poitrine ne fait que gonfler. La sensation de honte que je ressens ne laisse pas de place à quoi que ce soit d'autre. Je ne peux pas, tout simplement, faire partie du groupe. Et j'ai pourtant essayé. 39 jours d'essais, tous infructueux.

« Ouais, je sais. »

C'est un mensonge, évidemment, mais je n'ai pas envie d'entendre un long discours, d'autant plus que mon esprit me hurle de m'éloigner de cette conversation.

« Tu as parlé à Laure ? 
- J'ai essayé, oui. Mais elle continue de se blâmer pour ce qui est arrivé. Elle croit encore que personne n'aurait été blessé si elle n'avait pas eu des liens avec ces types.
- Conneries.
- Je sais, je sais. Vous vous ressemblez un peu sur ça, à croire ce que vous voulez bien croire et rester dans votre coin. »


Aïe. Je grimace et détourne le regard, la gorge serrée, ne pouvant nier ce que je viens d'entendre. Qu'elle m'énerve, à lire en tout le monde comme dans un livre ouvert ; inutile de dire que ce genre de chose ne peut que me déplaire. Mais je n'ai pas de réponse à lui opposer qui ne soit pas de la mauvaise foi.

« Tu sais, quand on t'a retrouvé... »

Elle joue avec l’œuf de pokémon que j'ai laissé à côté d'elle, et qui repose bien tranquillement dans ma 'chambre' depuis lors. Je préfère porter mon regard sur lui que sur son visage, d'ailleurs.

« J'avais un peu peur. Je veux dire, t'étais couvert de sang, armé, et en plus de ça tu n'avais pas vraiment un air de gentille petite chose. »

Les sourcils haussés, je lui adresse toutefois un air un peu confus. Bon, certes, je sais que ma tête n'est pas la peinture de la chaleur humaine (et j'y peux rien, ma tête est comme ça), mais tout de même...

« Bah quoi, tu croyais qu'avec ta tête blasée tu inspirais la sympathie ? »

J'expire avant de lever les yeux au ciel. Allons bon, voilà qu'elle riait maintenant, cette quiche...

« … Mais bon, au final, ça s'est bien passé, non ? C'est peut-être pas l'idéal, ce qu'on vit, et je comprends que tu te sentes perdu mais... Peu importe qui tu étais avant, tu ne pouvais pas être quelqu'un de mauvais. J'en suis intimement persuadée. Et il doit forcément y avoir des gens qui tiennent à toi et qui te cherchent en ce moment-même, parce qu'on ferait la même chose si tu disparaissais. »

Merde. Uppercut en plein cœur. Elle s'en rend compte et je le sais, mais elle vient de me porter un coup bien plus brutal que quiconque n'aurait  pu le faire. J'ai senti ma gorge se serrer et me rendre muet, incapable de lui répondre, si bien qu'il faut que je mette toute ma force dans le fait de montrer le moins possible que cela me touche.

« C'est ce qui t'inquiète, n'est-ce pas ? De ne jamais retrouver la mémoire ? 
- Merci Sherlock. »


Mon sarcasme est tout à fait pathétique à l'heure actuelle et j'en ai pleinement conscience, mais c'est la seule chose que j'arrive à dire. Peut-être en a-t-elle conscience ou pas du tout, mais elle vient d'ouvrir une plaie que j'avais tenté d'enterrer. Elle avait réveillé une peur qui ne m'a pas lâché depuis le moment même où j'ai redécouvert le monde. Parce que j'étais seul, sans même un souvenir pour me guider, et que j'ai toujours l'impression de l'être, comme bloqué par un mur invisible qui m'empêcherait d'être l'ami qu'ils voudraient que je sois.

« On va essayer, Ris. Je te promets qu'on finira par trouver quelque chose. »

Sa promesse me fait rire jaune durant un instant. Je cherche désespérément un moyen d'éviter cette discussion, et quand je l'ai enfin trouvé, je détourne complètement le regard.

« Si tu le dis. »

Épargnez-moi les discours du genre 'bouh t'es un lâche', je me les fait déjà moi-même. L’œuf que je surveillais tant depuis plus d'une semaine s'est mis à bouger. Curieux, je me retourne vers celui-ci, oubliant complètement la conversation pourtant lourde que nous venions d'avoir pour observer la chose bouger de gauche à droite, animée par des petits soubresauts. Avec une expertise que je ne me savais pas posséder, je bouge un peu l’œuf pour le poser latéralement, de sorte que le pokémon qui est à l'intérieur puisse sortir plus facilement. Et c'est finalement au bout d'une petite minute et mouvement qu'une boule de poils brune se dévoile en poussant un cri aigu, un peu perdu.
L'Évoli qui vient de naître me fixe avec ses grands yeux bruns, inconscient de tout ce qui l'entoure. Par réflexe, je retire le gant qui était encore sur ma main pour passer une main incertaine sur la tête du pokémon et lui offrir sa première caresse. La petite créature se laisse faire et se pousse même contre celle-ci, l'air curieuse.

« Il est mignon, en tous cas. »

Je hoche de la tête, assez d'accord avec ça. L'Evoli finit par se rapprocher de moi et se colla contre mon torse, cherchant probablement un peu de chaleur après avoir quitté celle rassurante de son œuf. En soupirant, je passais un bras autour de lui, si bien que Max se mit à rire, amusé par la gentillesse dont je faisais soudainement preuve. Bah quoi, j'étais supposé l'envoyer chier ?

« Hé bien ! Si j'avais su qu'il suffisait d'un petit pokémon pour te transformer en grosse guimauve... »

Pour la forme, je lui écrase le pied. Bien fait.


« Dis, euh, Ris... 
- Hnhn ?
- Tu peux dire à ta bestiole d'y aller doucement, un peu ? »


Je termine de poser ce que j'ai ramené pour porter mon attention sur Jean, et j'hausse les sourcils en constatant qu'une petite bestiole brune s'est accrochée à la tête du grand blond et ne compte visiblement pas la lâcher.

« Il est énergique, au moins.
- Tu m'étonnes, ça fait deux heures qu'il me colle ! Reprends-le, tiens ! »


L'autre homme me tend le petit Evoli que je laisse alors s'accrocher à mon épaule, et je ricane un peu en voyant qu'il s'est déjà mis à ronronner. Malgré la morosité ambiante qui a suivi le fameux accident qui nous pèse encore, Yu arrive à mettre un peu de bonne humeur. Un peu de naïveté attendrit plus ou moins tout le monde.

« Si t'as fini de te plaindre, tu vas pouvoir venir m'aider, nan ?
- Ouais ça va, ça va... »


Pour ma surprise (et mon plus grand bonheur), Jean s'active à la tâche. Tant mieux. Mes muscles me tirent encore et mon dos continue de me jouer des tours depuis quelques matinées, sûrement à cause de l'humidité, du coup je ne vais pas dire non à ce qu'on réduise un peu mes corvées. Le tout risque de prendre du temps, néanmoins, j'en ai conscience.

« Dis, euh, au sujet de ce dont on a parlé la dernière fois... »


Je lève les yeux au ciel, déjà agacé alors même qu'il n'a pas terminé sa phrase.

« Je t'ai dit que tu t'adressais à la mauvaise personne.
- C'est juste que... ! Enfin je voulais juste savoir si elle t'avait dit quoi que ce soit sur moi. »


Je hausse les sourcils l'air franchement las de ce que j'entends, et soupire bruyamment.

« On a pas vraiment causé de toi ces derniers temps, nan. D'autant plus qu'elle est assez stressée comme ça avec ce qui s'est passé. Et puis pourquoi tu viens me parler de ça ?
- Hé bien, c'est-à-dire que... Comme toi et Max, vous passez beaucoup de temps ensemble, me suis dit... »


Je crois que mes sourcils sont partis faire un tour en dehors de la stratosphère, à ce niveau.

« Mais bien sûr. On s'astique mutuellement le joint tous les matins avant d'aller faire un footing, tu savais pas ? »

J'admets que je suis allé trop loin dans mes propos et que ma voix était inutilement acide, mais la tête indignée de mon interlocuteur et son air immensément gêné suffisent à me faire me dire que j'ai bien fait d'employer la manière forte.

« Ris !
- C'est tout ce que tu voulais me dire, sincèrement ? »


L'expression de Jean s'est assombrie, et je me rends soudainement compte qu'il y a peut-être quelque chose derrière ses paroles anodines. Même Yu a posé de grands yeux attentifs sur la montagne de muscles.

« Dis... Tu as entendu parler du truc avec le Régime, là ?
- Plus ou moins. »


Impossible de ne pas en entendre parler, même dans notre cas. Ce sont des bruits de fond, surtout, des 'on dit' invérifiables, des murmures ici et là et des interrogations sans réponses, prononcées sans vraiment être comprises à la base. Moi-même, je devais m'avouer plutôt perplexe.

« Enfin, du coup, est-ce que tu sais quoi que ce soit ? Je veux dire, t'es scientifique pis t'es dans la résistance, alors peut-être que... »

Je me permets un sourire jaune. Je n'ai pas approché de la résistance depuis le mois dernier, déjà parce que j'étais trop faible pour faire quoi que ce soit d'un peu physique (j'avais après tout manqué de rouvrir mes plaies plusieurs fois), et ensuite parce que j'aurais été incapable d'agir de manière naturelle quand a mémoire était encore remplie de trous. C'est toujours le cas aujourd'hui, mais j'ai appris à faire avec, à prétendre que tout fonctionne plus ou moins bien chez moi, sans penser au fait que c'est un éhonté mensonge. C'est néanmoins ce qui marche et me permet de continuer sans vraiment me torturer l'esprit.

« Absolument pas. Et pour l’instant, ma priorité est plus la survie que ce qu'une bande d'inconscients est en train de faire avec ses nouveaux joujous qui vont très certainement leur exploser à la gueule. »

Je m'étonne de constater à quel point ma voix est devenue sèche. Je n'apprécie pas le Régime ; difficile d'aimer un gouvernement totalitaire pour un pacifiste, me direz-vous, mais ce n'est en aucun cas lié à mon appartenance à la résistance. Non, c'est un dégoût interne sur lequel je ne saurai pas mettre de mot.

« Ça sent pas bon, ouais.

Euphémisme du siècle. Je caresse machinalement la tête de Yu, me retenant de dire qu'il aurait fallu que j'ai quelque chose de stable pour pouvoir m'inquiéter. Je ne veux pas le vexer, du coup je ne prononce pas un mot, mais je soupire en constatant que la pensée a quand même fait son bout de chemin dans ma tête.


Les seuls souvenirs qui me reviennent sont souvent flous. Sans vrais repères ou logique, j'essaie alors, sans succès de les décrypter et d'en tirer quoi que ce soit. Mais rien. Encore et toujours, je me heurte à un véritable mur infranchissable, en dépit de tous mes efforts, et j'étouffe un grognement en mordant mon oreiller pour que personne ne m'entende hurler de rage.
Je ne sais pas qui est la jeune femme aux longs cheveux et au ton impérieux que j'ai cru entrevoir, mais je sais qu'elle apparaît souvent, bien plus que ce qu'on pourrait croire. Mais à chaque fois que je crois reconnaître quelqu'un dans un de mes souvenirs, ou qu'un détail me revient, je n'ai plus que l'envie de rire jaune. À quoi est-ce que cela sert, au fond, quand ce ne sont que de minuscules portions ? Quand je sais pertinemment que les choses ne risquent pas de s'améliorer si je continue dans cette optique ? Que je ne fais que me mentir en croyant naïvement que je finirai par retrouver ma mémoire, à force de patience et de persévérance ?
J'y croirai presque, à ce mensonge. Il est tellement joli, il faut dire. Simple, innocent, il ne fait de mal à personne et c'est bien la seule raison qui fait que j'ai voulu y croire. Sûrement que j'avais besoin de m'y raccrocher, après m'être fait torturer. C'était toujours plus rassurant que la douleur intense qui me parcourait à chaque fois que je faisais ne serait-ce qu'un seul pas. Mais maintenant je sais. Et j'ai besoin de quelque chose pour oublier, juste un peu, un rien qui me permettrait de ne pas penser au creux dévorant dans ma poitrine.

J'attrape mon foulard, relève ma capuche, appelle Byakuran et Hatori, et m'assure que mon arme est  bien à ma ceinture. Quitte à jouer un rôle, autant aller jusqu’au bout, hein ? Si je ne suis qu'Athéris, autant jouer mon rôle jusqu'au bout. Ce soir, je retourne sur le front.


« Tu étais supposé te reposer, cette nuit. »

Je m'arrête lorsque la voix un peu lasse de Laure arrive à mes oreilles. Dans l'entrebâillement de la porte, elle m'observe avec un rictus un peu triste. Je n'ai pas honte, mais j'ai instinctivement détourné le regard.

« Pas plus que toi. Retourne dormir, tu as encore besoin de repos.
- Je risque surtout d'assassiner quelqu'un si on me pousse encore à faire des siestes
- Tu es-
- Je suis cardiaque, pas en sucre. On parle de ton asthme, dans le même registre ? »


De tous les membres du groupe, Laure est peut-être la seule qui rivalise avec moi en matière de répartie. Elle vient de le prouver une nouvelle fois et je me surprends à me taire durant même quelques secondes, temps qu'elle utilise pour reprendre la parole.

« J'vais pas te faire la morale, mais t'es sûr de ce que tu fais ? »

Non, absolument pas. Un mois que j'agis sans savoir vers quoi j'avance, sans avoir même l'impression de progresser. Pourtant, même durant un instant, j'ai cru que faire ce que j'ai fait me permettrait de me rendre utile, d'avoir quelque chose pour oublier.
Je la laisse s'approcher et baisser ma capuche, même si je suis relativement mal à l'aise. Un sourire triste fait son chemin sur son visage.

« T'es bien trop jeune pour ça... »

Je ne cherche pas à la contredire. En soupirant, je retire mes gants encore tâchés du sang de ceux que j'ai soigné, en cherchant comme d'ordinaire à ne pas penser à ceux pour qui je n'avais rien pu faire, ni au fait que retourner sur le champ de bataille ne m'avait rien apporté de plus que de la fatigue.

« Personne n'est assez vieux, pourtant. »


« Maaaax ! C'est pas assez salé !
- J'ai fait ce que j'ai pu, sers toi tout seul si ça te plaît pas !
- Faut dire qu'avec de la bouffe périmée...
- C'est déjà mieux que rien, bande de difficiles. »


Je me permets de ricaner un peu de leurs frasques alors que je termine de vider ma conserve de raviolis. Le goût est totalement insipide et j'ai vaguement l'impression d'avaler du papier humide, mais cela calme au moins un peu ma faim. Bizarrement, si j'ai maigri (on n'accumule pas les jeûnes sans inconvénient), je m'y suis habitué et je n'entends plus mon estomac réclamer que lors des périodes prolongées où je ne mange rien. Mais les repas de groupe sont devenus un moment que j'ai fini par attendre, étrangement, et même si je n'ai pas l'habitude de prendre la parole, je me surprends à rire plusieurs fois.
Mais généralement, je suis toujours le dernier à terminer, spécifiquement parce que je fais plus ou moins exprès. Au final, tout le monde finit par partir dormir avant moi, et je peux alors en profiter pour donner la moitié de ce que j'ai à l'Evoli que j'élève. Mes serpents se nourrissent seuls, puisqu'il chassent les rongeurs trouvables en ville, mais celui-ci n'a ni les capacités de chasser seul, ni de manger des animaux crus. C'est encore un bébé, il a donc besoin de se nourrir pour avoir une croissance à peu près normale. Moi en revanche, je suis déjà une demie épave, alors bon... Je ne suis plus à ça près. Yu, trop jeune pour comprendre ce que je fais, ne pose pas de questions et saute sur la portion que je lui donne, affamé. Sans trop le vouloir, je souris d'un air attendri.

« Je savais bien que tu traficotais quelque chose. »

Merde. Merde. Meeeeeeerde. Comme un cerf surpris par les phares d'une voiture, je fixe Yann d'un air gêné, mortifié par le fait qu'il m'ait vu. Malgré son bras tenu par  des bandages en raison de la balle qui lui a traversé l'épaule la dernière fois, il n’apparaît pas moins énergique que d'ordinaire. Oh, j'ose à peine imaginer le savon qu'il va vouloir me donner...

« Nan franchement, t'es une princesse disney, en fait. Tu fais poto avec les petits animaux et t'aimes les plantes. Tu veux pas tenter une petite chanson avec une choré pour qu'on vérifie si t'as la sainte trinité ? »

Mon air blasé lui répond tout de suite, et Yu ne s'en préoccupe pas. Le pokémon est davantage concentré sur son repas, ce que je veux bien comprendre.

« J'suis mort de rire. Regarde, j'vais rouler dans cinq secondes, laisse-moi juste le temps de t'écrire un éloge pour ton humour. 
- Héhéhé, tu sais que t'aimes ça en vrai, mens pas.
- Et en plus t'as des phrases de gros dégueu. Bravo.


Il ricane et vient s'asseoir à côté de moi, et nous observons l'Evoli sans rien dire, tous deux fatigués et exaspérés par tout ce qui se passe. Je remarque seulement maintenant qu'il tient un tissu soigneusement plié dans sa main.

« J'ai une fille, tu sais. »

Je hausse les sourcils, incertain de la raison qui a pu le pousser à me dire ça, mais je constate vite que son regard est trop distant pour que mes questions puissent l'atteindre.

« Une bonne gamine. Pas exemplaire à l'école, elle a fait quelques conneries et elle me prend la tête de temps en temps, mais c'est quelqu'un de bien et ça me suffit. Je compte plus le nombre de fois où elle a essayé de venir me faire vivre chez elle et son copain. »

Il rit un peu, les yeux fixés sur le tissu qu'il tient. Je ne l'ai jamais vu si calme, lui qui est d'ordinaire plus prompt à la désinvolture que quoi que ce soit d'autre.

« Mais je suis resté ici. Qu'est-ce que je ferais dans un appart quand je peux à peine m'assurer de survivre seul, hein ? Comment est-ce que je pourrais vivre en sachant que je suis juste un poids lourd ? »

Ses paroles résonnent bien plus en moi que ce j'aurais pu croire. Je ne peux que comprendre ses pensées, et soupire d'un air triste.

« Après, peut-être que j'ai tort. J'ai cru que sa mère m'aimait, mais c'était pas le cas. J'ai cru que j'avais fait le bon choix de sacrifier ce que j'aimais faire pour gagner plus d'argent, mais au final j'suis à la rue. J'ai rarement raison, en fait. »

Son état ne m'inquiète pas, mais il me préoccupe au moins un peu.

« C'est juste que... Ben, je me demande comment des gamins comme toi et Max allez vivre dans un monde pareil. Parce que, n'empêche, on vous laisse un sacré monde de merde, nous les vieux. »

Il sourit d'un air un peu amer.

« Meh, je suppose que ça sert à rien d'y réfléchir, hein ? J'veux dire, ça va rien changer. Je sais même pas pourquoi j'te parle de ça.
- Je suis le meilleur psychologue du monde, apparemment.
- C'est surtout que t'as l'air de t'en foutre. »


Pas faux. Je ricane un peu, amusé par le ton plus léger qu'il vient de prendre en quelques secondes. Je le sens alors passer sa main dans mes cheveux pour les ébouriffer, que je repousse comme je le peux, ne pouvant m'empêcher de grogner et de pester par la même occasion.

« Fais pas cette gueule, j'suis pas venu pour parler de ça de toute façon !
- Et t'es venu pour quoi, exactement ? »


Il sourit un peu, l'air très fier de lui, et déplia le tissu qu'il tenait. L'objet était un long manteau noir, si long qu'on aurait pu croire qu'il s'agissait d'une cape. Je haussais alors les sourcils, une moue moqueuse sur mon visage.

« Je suis déjà pas psychologue, mais je suis encore moins critique de mode.
- Fais pas le débile, ç'pour toi ! »


Hein ?

« Bah tu crois que je l'ai pas vu ? Tu crèves de froid tous les soirs, pis c'est pas le truc que tu mets parfois qui va t'aider à dissimuler ton identité. Du coup je me suis dit que t'avais besoin d'un truc confortable ET pratique, j'ai fait un peu d'échange dans un marché, et... Voilà ! »

Je n'arrive pas à lui répondre, déconcerté, et le fixe d'un air confus. C'est con, mais je ne m'y attendais pas. Du coup je lui laisse me le passer, l'observe sans trop savoir quoi en penser, puis je l'enfile en me disant que j'aurais sûrement l'air ridicule dedans. À ma grande surprise, il est parfaitement à ma taille et je rajuste juste un tout petit le col du haut qui, si il semble large, ne m'embête pas. Quand je repose mon attention sur Yann, celui-ci me regarde avec un grand sourire.

« J'étais sûr que ça t'irait bien. On dirait presque un adulte, notre petit bébé a grandi ! »

Oh, mais quel idiot. Et pourtant, je ne peux pas m'empêcher d'être touché par son geste, aussi niais soit-il. Je me permets d'expirer quand Yu, prenant sûrement le vêtement pour son nouveau drap, se permet de se caler sous le col. Bah, rien ne peut l'arrêter quand il en a décidé ainsi, de toute manière.

« Enfin, euh... Merci. C'est cool. Même si... »

Je prends un instant pour continuer. Yann me fixe d'un air curieux. Pour faire oublier cette interlude niais, je n'ai pas pu m'empêcher de repenser à ce qu'il avait dit tout à l'heure.

« J'espère sincèrement que tes enfants seront moins prématurés que ton jugement
- ... Ingrat. »



Je déglutis difficilement en bouclant la sécurité sous mon cou, m'assurant ainsi que ma capuche reste solidement attachée à ma tête, comme il faut qu'elle le soit. J'ignore comme je le peux le regard incertain d'Hatori, et même celui bien plus triste de Fran. En soupirant, je me cale contre un mur d'une habitation en ruines et essaie de bloquer les sons de mitraillette et d'armes à feu dans ma tête. Les détonations que j'entends n'ont pas cessé depuis tout à l'heure, et je doute qu'elles cessent vraiment un jour. Les choses ne s'améliorent pas par ici, ou du moins pas sans rien.
D'un air fatigué, je relève mon foulard et saisit une des bombes de fumée qui se trouve dans une des poches de mon manteau, incertain quant à son utilisation. Trois heures déjà que je suis retourné sur le champ de bataille, et une partie de moi-même continue de me hurler que je suis en train de faire une grossière erreur. Mais je ne l'écoute pas. Je ne l'écoute plus. Rien ne progresse, rien ne s'améliore, et j'ai conscience que je ne fais que prolonger un status quo qui finira irrémédiablement par se briser. Ou alors si je ne le brise pas moi-même, il me gardera prisonnier.  

J'expire lentement en chargeant mon arme pour la troisième fois en vingt minutes. Je ne reviendrai pas, c'est décidé. Passer ma vie à chasser des souvenirs qui ne reviendront pas ne me plaît pas, et je ne peux pas me rendre utile sans laisser de côté ce qui me retient. Ou du moins j'essaie de m'en persuader, parce que je sais très bien ce que je suis en train de faire et j'ai désespérément besoin d'une raison pour me justifier. La culpabilité ne va pas disparaître avec quelques faux arguments pseudo rationnels. Et pourtant, il faudra bien.
J'esquisse un mouvement vers la droite, et ignore la plainte de Fran alors que nous nous éloignions définitivement de ce qui a été l'équivalent d'une maison pendant plus d'un mois. J'aurai toute l'occasion d'avoir honte plus tard.
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Partir de rien III

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