Ca y est, j'y suis. Mon unique œil bleu saphir se porte sur la bâtisse à laquelle je fais face, l'observant presque affectueusement. Derrière moi, je sens la présence & les regards de mon équipe spécifique, ainsi que de mon compagnon sous l'apparence de Smee pour m'accompagner en ce jour si particulier. J'ai réussi. Un fin sourire s'esquisse sur mes lèvres, alors que ma main droite effleure la poignée de la porte, tandis que l'autre frôle mon ventre arrondi dans un geste complètement inconscient. Le poste est mien, entièrement, officiellement, après tant de difficultés, après le désastre du 10 juillet qui a bien failli me faire tout plaquer, si ce n'est me détruire complètement.


Certes, j'avais failli manquer mon quatrième badge contre Phantom, lorsque je me suis effondrée sans crier gare juste à la fin du premier round, affolant mes alliés qui m'ont aussitôt entourée, & poussant l'arbitre à me déclarer immédiatement forfait avant d'appeler les urgences. Eugène, déguisé en Smee, m'avait aussitôt rejointe en bravant l'interdit du terrain aux spectateurs ; mais je n'avais pas tardé à ouvrir les yeux, la tête tournant, & m'étais au final vite redressée. Cependant, ce malaise m'avait obligée à révéler ma grossesse, & j'étais devenue pendant un temps une espèce de réminiscence de Sunny ; ce que j'avais démenti en affirmant ne pas être Compétitrice inconnue courant les routes & se présentant à la Ligue avec son bébé, mais une apprentie Championne qui deviendrait mère après la prise de son titre. & malgré mon malaise, j'avais fait en sorte de reprendre le match le jour même, dès que les urgentistes avaient accepté au bout d'une heure de me laisser en paix, afin d'obtenir ce badge me rapprochant du droit à prétendre obtenir mon arène.

Le cinquième badge contre le suppléant de Baguin avait été plus simple à obtenir ; nul malaise n'étant venu l'entraver, je veux dire. & j'avais là rempli ma part du contrat, même si mes affirmations de ne plus être une Compétitrice lambda m'empêchait de me présenter réellement à la Ligue.. Car depuis les autorités de la Compétition avaient réfléchi à mon statut, & affirmant que mon accord avec Gloria me faisait Championne officielle sitôt mes cinq badges obtenus, je ne pouvais plus vraiment me présenter comme Compétitrice à la Ligue. Bref, comme ils n'arrivaient pas à trancher sur mon statut à la fin de cette édition de la Compétition, ils avaient rechigné à m'autoriser à me présenter devant le Conseil. Alors en réaction à cette information, qui de plus avait paru dans l'Hebdo de la Compétition, Sunny elle-même était venue se présenter à l'Arène avec l'arbitre officiel de ses matchs, le 8 juillet, & avait demandé à m'affronter selon les modalités qu'elle avait fixées cette année-là pour ses matchs officiels. Ma sœur ne m'ayant pas prévenue, j'avais été surprise de sa deuxième présence dans mon Arène ; mais j'avais saisi la chance qu'elle m'offrait. & je l'avais vaincue. Avec Louna versus Mulan & Toby versus Elinor, puis la lapine méga-évoluée face à l'épée fantômale ensuite. J'avais réussi à vaincre ma sœur cette fois-ci, qui m'avait simplement dit être "Heureuse & fière qu'une Dresseuse de votre trempe reprenne l'Arène de Vanawi & rendent leur véritable prestance aux plantes, Capitaine", tout en m'offrant un regard digne de la plus grande fierté que puisse montrer une sœur. Bien entendu on ne pourra jamais dire si j'aurais pu participer aux Finales en ayant participé réellement à la Ligue puisque nul ne saura donner mes résultats contre les deux Conseillers qu'il m'aurait fallu affronter pour atteindre Sunny, mais ce match démontrait que j'en avais largement le niveau. & au final, je n'avais pas besoin de plus.

& puis deux jours après, tout avait tourné au désastre, & j'avais cru tout perdre ; y compris ma propre raison. Il y avait eu cette marche pacifique, mélancolique & presque accusatrice. Cette marche que mes proches & moi-même savions tous risquée, à laquelle nous étions tous préparés à réagir ; car le Régime ne pouvait laisser passer un tel affront, après tout, ils ne pouvaient pas laisser le peuple protester ainsi leurs méthodes.. & comme nous nous doutions, tout avait dérapé, si vite & si brutalement.. J'étais venue en tant que Captain Hook, faisant partie de ces Elites affichant clairement commencer à se lasser eux aussi, ces figures connues censées frapper l'opinion en démontrant en avoir marre & pleurer eux aussi tous ces morts inutiles.. & alors le chaos avait commencé. Réactive, j'avais saisi mon compagnon pour ne pas être séparée de lui, & quelques instants plus tard à peine, avant qu'il ait eu le temps de me rappeler ma promesse de ne pas prendre de risques & de partir pour protéger notre enfant dès le moindre problème.. J'avais vu, de mes propres yeux, la balle déchirer la chair de Renaud. J'avais vu mon père s'effondrer sur son Persian, ce dernier être écarté de lui & brutalisé. J'avais vu mon père maîtrisé, une lame sous la gorge, alors qu'il était à peine conscient. Sans Storm's Song pour m'intercepter.. Je n'aurais rien écouté d'autre que mon cœur, ma terreur, mon désespoir ; je me serais jetée sur mon père, j'aurais vendu le lien de Captain Hook à la Résistance, j'aurais mis en danger.. Toute ma famille. Je nous aurais tous condamnés. S'il n'avait pas trouvé les mots pour m'apaiser, me rappeler cette dangereuse réalité, je me serais jetée au devant des deux soldats tenant mon père. Grâce à l'intervention de Storm, Eugène avait pu me rejoindre, je m'étais assez raisonnée pour accepter qu'il m'emmène loin de ce chaos, pour reconnaître que je n'avais.. Aucun autre choix que de faire confiance à ceux des miens restés sur place.
& les heures suivantes avaient été les plus longues de toute ma vie.

Aussitôt arrivée à Sunny Manor, point de rendez-vous fixé pour nous retrouver tous si les choses dérapaient, j'avais couru m'enfermer dans une des chambres à l'étage, sans porter attention ni à Crystal, ni à Kijani, ni à Tomy, ni à ma mère & ma grand-mère qui veillaient sur eux trois & la petite Céleste. J'étais incapable de croiser leurs regards, d'expliquer ce qu'il venait de se passer. Incapable de quoi que ce soit d'autre que de fondre en larmes, hurler dans un oreiller, sangloter dans les bras de mon fiancé venu à ma suite sans offrir plus d'explications à ma famille. Je l'avais abandonné, je ne pouvais me sortir cette idée de la tête même si ma raison me disait que c'était la meilleure chose à faire. Je culpabilisais & angoissais, intenable, paniquée, dévastée. C'était horrible.. & j'aurais été pour le moins incapable de dire le temps qui s'écoula avant qu'un cri de douleur me parvienne depuis le rez-de-chaussée, signe clair que d'autres étaient rentrés & que l'information était passée. Quelques éternités, ce me semble. & puis ma mère avait su, avait hurlé sa souffrance. & je m'étais précipitée dans les escaliers, sans réfléchir, manquant de chuter. J'avais déboulé comme une furie au salon, où se tenaient Soledad, Lily, Picq & Edelweiss en plus de ceux qui étaient là d'origine ; les enfants étaient dehors, mais le cri de ma mère les avait menés à la fenêtre en courant. & elle, était effondrée par terre, à genoux, ses bras ramenés autour d'elle alors qu'elle tentait de reprendre le contrôle de ses membres tremblants, des larmes qui débordaient sur ses joues. & j'avais alors admiré sa force, alors qu'elle faisait tout son possible pour se maîtriser, pour ne pas céder à la souffrance. Agenouillée près d'elle, Mamie avait posé une main douce sur ses épaules, & l'avait accueillie dans ses bras dès que Maman avait pu s'apaiser assez pour accepter cette étreinte. & dans un coin de la pièce, la Coordinatrice avait pris ma sœur Médecin-chercheur dans ses bras, ma sœur qui venait aussi d'apprendre la nouvelle & dont le visage restait interdit, alors que ses lèvres tremblaient & que ses yeux brillaient de larmes. Sans compter les réactions des pokémons hors de leurs pokéballs.. L'aînée de ma fratrie, sitôt qu'elle m'eut aperçue, vint me prendre dans ses bras doucement, apaisante, murmurant à mon oreille qu'elle avait vu Mina l'emporter, & que si elle n'était pas revenue c'est qu'elle devait être en train de faire tout son possible pour le soigner. Que c'était signe que tout n'était pas fini, qu'on devait y croire. Mais comment croire qu'un nouveau désastre n'était pas en train de s'abattre sur nous? Papa avait été tellement fragilisé ces dernières années, niveau santé.. & puis les enfants étaient entrés dans le salon, la petite voix de Crystal avait demandé avec inquiétude ce qu'il se passait. & Maelys avait repris sa contenance autant que possible, pour aller s'accroupir devant la fillette, rassemblant autour d'elle aussi les deux garçons & prendre le bébé contre elle. A mots doux & murmurés, elle avait expliqué que leur grand-père avait été blessé ; & alors, la pire réaction était venue. Les cris de protestation de la rouquine, ses larmes, les pleurs de sa sœur affolée.. Même les bras de Tomy n'avaient su la calmer ; quant à moi, mes propres pleurs paniqués avaient été taris brutalement par la réaction de ma nièce, écho de la mienne. Il avait fallu ma mère, pour calmer la fillette. Ma mère & son apparence si calme, si détachée, maintenant qu'elle avait repris son contrôle ; elle que j'avais tant admiré de n'avoir laissé échapper qu'un cri & quelques larmes, qui avait dû impressionner Crystal tout autant pour parvenir à l'apaiser si vite.

& puis l'attente avait repris, dans un silence lourd, assis dans les canapés & fauteuils du salon de Sunny Manor, mes neveu & nièces blottis les uns contre les autres près de leur mère, Tomy tout près de Crystal ; Lys, Abby & Dylane reparties au Centre Pokémon pour gérer le flux de blessés qui allait forcément arriver non sans avoir fait promettre des nouvelles dès qu'on en aurait ; Mamie berçant Maman, en fredonnant une douce berceuse qui mettait une toute petite note un peu moins lourde dans la pièce ; Eugène calé contre moi, présent & rassurant alors que je broyais du noir en continuant de culpabiliser ; tous nos pokémons présents autour de nous ou dans le jardin, silencieux. & puis enfin, Storm's Song était arrivé, non départi de son costume de Résistant. Il avait expliqué que notre frère se trouvait au côté de notre père avec Mina, qu'ils avaient réussi avec l'aide de Doc à le stabiliser, mais qu'il était trop tôt pour dire s'il était tiré d'affaire. & puis le mot si lourd était tombé, murmuré par l'homme à l'air épuisé. "Coma". Ses plaies étaient pansées, il était dans un état stable.. Mais nul ne saurait dire s'il se réveillerait un jour. Alors j'avais éclaté de nouveau, fondant en sanglots ; puis cela avait été le noir.
Je ne m'étais réveillée que le lendemain, dans les bras de mon compagnon qui m'avait aussitôt offert un regard inquiet, un regard fatigué de celui qui avait passé la nuit à veiller. Tout m'était revenu brutalement à l'esprit, les larmes avaient débordé encore une fois. Puis j'avais passé plusieurs jours à me morfondre, broyer du noir, en colère contre moi-même avec toujours ce sentiment de l'avoir abandonné. Je ne sais combien de temps j'aurais pu rester dans cet état, cloitrée au Cottage Sylvestre entourée de mon amoureux & de nos pokémons inquiets présents en permanence, & du reste de ma famille passant régulièrement ne serait-ce que pour qu'on se soutienne mutuellement mais aussi un peu pour me rappeler de vivre, sans l'intervention de Mercedes qui passa un jour -sans doute avertie par Solène de mon état-. Moins interne à ce capharnaüm même si je la savais apprécier & respecter mon père, elle avait été la mieux placée pour réussir à me secouer un peu & me remettre les idées à leur place, de façon efficace qui plus est. Elle avait su me taper sur le coin du crâne de la bonne manière, & me rappeler que je devais vivre, que j'attendais un enfant & qu'il allait falloir me préparer à sa venue.. Ainsi qu'à prendre réellement mon poste de Championne d'ici à la nouvelle édition de la Compétition. & je ne sais pourquoi, peut-être justement parce qu'elle était plus extérieure que mes frère, sœurs & autres parents, à qui j'en voulais sans même m'en rendre compte de reprendre leurs vies si vite -alors qu'ils ne faisaient encore que tenter vaille que vaille de se reprendre & de continuer dans l'attente insoutenable d'évolutions-, de sa part à elle cela avait marché.


& me voici aujourd'hui, presque deux mois plus tard, devant l'entrée de mon Arène que je vais ouvrir incessamment au public, & aux premiers Compétiteurs qui ne tarderont pas à arriver dans les prochaines semaines. Je rampe plus que je ne marche sur mon chemin, je peine à me tenir debout & à avancer droit.. Mais j'essaie. Après tout, j'ai tenu le supplice qu'était le cancer de Maxwell, mon grand frère.. J'ai survécu à Angela.. Je peux bien tenir le coma de mon père, non? Je me suis sentie si fragile, ces dernières semaines, alors que suite à l'intervention de Mercy qui m'avait été tel un électrochoc, j'avais fait tout mon possible pour me remettre sur les rails avec l'aide de mes proches -Eugène & mes pokémons en particulier-, m'insérant dans la boucle de soutient que ma famille formait en l'attente de réponses.. La Vie continue, & je tente toujours de la suivre, malgré les épreuves qu'elle m'a si souvent & brutalement imposées. Mais aujourd'hui, malgré mes peurs qui vont encore & toujours vers mon père, malgré mes doutes, toutes les difficultés semées sur mon chemin.. Aujourd'hui, je suis véritablement fière de moi, heureuse de mon parcours au côté de mes alliés que j'ai portés & qui m'ont portée à cette place à l'Arène. C'est pour eux aussi que je me suis reprise en main après le passage de Mercy, car elle m'a rappelé que ce trajet dans la Compétition je l'avais fait pour eux. & pour eux, grâce à son intervention, j'ai achever d'aller jusqu'au bout ; plutôt que me défiler en dernière seconde comme je le faisais alors malgré moi & sans m'en rendre compte par mon absence. Un sourire se glisse sur mes lèvres, alors que ma main actionne la poignée de mon nouveau royaume, l'océan végétal qui m'attend de l'autre côté & dont Hook est si fière. & simultanément, un bruit sec & trop familier retentit dans mon dos, déclenchant des cris de panique parmi les gens qui se trouvaient dans la rue derrière, faisant détaler les quelques curieux qui s'étaient arrêtés pour me regarder entrer en mon univers. & parmi toutes ces voix, il en est une particulière qui attire mon attention.

- NON!

Au même instant, une douleur lancinante me déchire les lombaires, à retardement sans doute puisque déjà la balle ricoche contre la porte de l'Arène & chute à terre, déjà le sang macule ma tenue de pirate. & mes jambes cèdent brutalement, à l'instant précis où le noir tombe autour de moi.