Les hippies domineront le monde

Feat Adélia G. Turnac

Parfois, Faust est énervant.
Avec ses gamineries, son excès d'énergie, ses sales petites manies, son caractère qui pourrait fait croire à une immaturité extrême alors qu'il n'en est rien et sa puérilité, beaucoup finiraient par avoir envie de le tuer au bout de quelques heures à peine, si ce n'est moins. Et manque de pot, Natsume n'était pas vraiment patient quand il jugeait qu'on le dérangeait : sa réaction était de quitter les lieux, puisque lever le ton ou finir par faire une crise ne marchait pas, ça se saurait sinon. À force, il s'y était habitué, et la majorité de ses bêtises lui passaient largement au dessus de la tête, à tel point qu'il avait développé une forte immunité à tout ce qui pouvait exister d'absurde et d'étrange. Pas plus tard que hier, il avait sciemment ignoré l'inondation du salon. Enfin, celui-ci avait été envahi par des doses impressionnantes de gélatine, si bien que lorsque l'on marchait on retrouvait ses pieds enfoncés dans une bonne masse de gelée de fraise, voir de la pistache à certains endroits, ce qui, il devait l'avouer, créait des dégradés assez originaux. Et il n'avait même pas tiqué, se contentant de récupérer un de ses scalpels qui avait fini empêtré là-dedans, pour remonter et s'essuyer les pieds dans la salle de bains comme si de rien n'était.
Mais voyez-vous, une seule chose continuait de lui donner envie d'écraser la tête de son cousin contre le sol jusqu'à ce que, telle l'autruche qu'il pouvait être, sa tête se retrouve enterrée sous des kilomètres sous le gravier. Faust avait et garderait toujours cette sale manie de s'inquiéter bien trop, et son petit accident de début juillet n'avait pas aidé à déraciner cette crainte, ce qui lui donnait parfois des crises protectionnistes insupportables. L'impression d'être infantilisé et pris pour une petite chose fragile en besoin d'un sauveur est quelque chose d'insupportable et source d’indignement : autant dire que Natsume ne le supporte que très peu, et qu'il avait vite fait de rectifier le tir à chaque fois qu'il observait des débordements. Si sa santé fragile et fluctuante pouvait être un facteur qui aurait diminué son agacement envers Faust, car il pouvait comprendre son inquiétude, aussi agaçante qu'elle soit, sur ce point, les abus de ces deux derniers mois usaient bien trop sa patience. Par Arceus, il pouvait au moins jouer au baseball avec Alice et ses pokémon sans qu'il n'ait besoin de leçon de morale !

Le ton était monté, et l'éleveur avait perdu patience, finissant par déposer ses affaires en disant d'un ton cassant qu'il avait autre chose à faire, de toute façon, après s'être excusé auprès d'Alice pour la laisser aussi brusquement. Quand Faust lui avait demandé ce qu'il comptait faire, d'un ton qui voulait clairement dire qu'il voyait bien qu'il ne s'agissait là que d'une excuse assez pathétique, Natsume avait sans réfléchir prononcé le nom d'Adélia, justifiant cela par le fait que Tsubaki avait sûrement envie de voir son fils, Lito. Même si au départ son intention était de s'assurer que son cousin n'aurait aucun argument pour le retenir, il se disait que ce n'était au fond pas une si mauvaise idée. Si quelqu'un n'allait pas l'agacer à ce moment, c'était bien elle ; il craignait que le moindre mot en la faveur de la surprotection du plus vieux ne le frustre davantage, et il était déjà arrivé à un point où un scénariste de Saw aurait payé cher pour récupérer ses idées de torture.

Il demanda donc sans plus attendre à Kaito de le téléporter à Amanil, la ball de Tsubaki accrochée bien fermement à sa ceinture. Il grommela un peu en remarquant le nombre d'escaliers qu'il aurait à monter : même si il n'aimait pas l'avouer, même monter des escaliers pouvait être pénible, puisqu'il fallait pour cela faire des mouvements d'étirement, indolores mais pas franchement agréables. Alors qu'il grommelait dans sa barbe inexistante, Kaito leva les yeux les yeux au ciel et le téléporta alors directement devant la porte. Natsume eut au moins le mérite d'avoir l'air gêné par sa propre bêtise.
Mais dans sa bêtise, Kaito avait provoqué quelque chose qui aurait dû être impossible, même si impossible n'est pas Natsume Shimomura. L'Alakazam avait fait la bêtise de le mettre trop près du haut de l'escalier, et voilà qu'il se glissait vers l'arrière, et...

« AÏEUUUUUUUH ! »

Badaboum.

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Feat Adélia G. Turnac

'Aïe. Ouille. Crotte. Ça fait mal. Mamaaaaaaan, ah zut je peux pas faire cette vanne elle est morte et en plus elle a déjà été faite quarante fois'. Telles auront été les pensées qui ont parcouru le brillant (ironie mon amour) cerveau de Natsume pendant ces quelques instants où il gisait là, geignant de douleur au sol comme la chose pathétique qu'il ne pouvait pas nier être sur le moment. Non, parce que en plus du fait qu'il était déjà pas mal douloureux que de dévaler les escaliers par l'arrière (mais pas sûr que faire une roulade avant soit plus agréable, enfin bref), la cicatrice qui le faisait encore souffrir au niveau de l'abdomen n'avait vraiment pas apprécié, au point qu'une douleur sourde et assez intense venait de l’assommer. Vraiment, pensait-il alors qu'il constatait son état d'un regard à la fois blasé et amusé, un rictus sec aux lèvres, il aurait juste manqué que quelque chose de lourd lui tombe sur le dos et qu'il poussa un cri perçant pour finir tout ça. La cerise sur le gâteau manquait encore, ce qui le laissait croire que la situation n'allait en rien s'arranger, et qu'on allait lui amener ladite cerise sur un plateau d'argent.
Et il n'avait pas tort, puisque après avoir senti quelque chose de chaud, vivant et visiblement agité se blottir contre son cou, ce fut une langue de Bulbizarre qui vint faire office d'essuie-glaces pour son visage. Il mit un peu de temps à réagir, et poussa un grognement de dégoût en constatant que son visage était dorénavant couvert de bavouille et de salive. Soigneux comme il était, ce contact n'allait très certainement pas l'enchanter. Il aurait bien voulu repousser la bestiole, car aussi adorable qu'elle était Natsume ne tenait pas particulièrement ce qu'une tonne de salive ne finisse par se retrouver sur sa face. Heureusement pour lui, et la voix d'Adélia arriva à ses oreilles comme celle d'un ange descendu du ciel venu l'aidé dans sa pauvre mésaventure, lui le crétin de service qui arrivait encore à tomber des escaliers alors qu'il était au sommet de ceux-ci. Il manqua presque de pousser un gros soupir de soulagement lorsqu'elle attrapa Lito, mettant fin à son supplice baveux.

Les excuses de la jeune femme firent naître un sourire à la fois amusé et jaune sur son visage encore humide, qu'il essuya grâce à sa manche en esquissant une grimace de dégoût. Et dire qu'il avait cru que supporter les câlins de la Grotadmorv d'April était déjà une forme de torture en soit... Il préférait encore nettoyer le purin des pokémon des élevages, tiens. Au moins il voyait du paysage. Et il avait des bottes. Et des gants. Bon, il avait l'air d'un fermier des années trente, mais quand on aime, on n'y pense pas. Ou du moins on évite de se regarder devant un miroir, parce que vraiment, le chapeau en paille, c'est le pompon.
Il finit par se relever, certes avec difficulté, et leva les yeux au ciel devant l'air blasé de Kaito qui les observait d'en haut. Il rappela l'Alakazam sans plus attendre et finit enfin par se tourner vers l'étudiante en médecine. Avec son sourire un peu bête, laissant transparaître une gêne évidente après son humiliation, il répondit un peu précipitamment.

« Bah... J'avais du temps libre, et vu que Tsubaki voulait voir Lito... Je me suis dit que je pouvais passer. Mais euh, si je te dérange, tu peux me le dire, j'aurais dû appeler quand j'y ai pensé. »

En toute honnêteté, l'appeler il y a quinze minutes, moment où cette idée avait germé dans sa tête, il aurait pu le faire. Mais non, il ne l'aurait pas fait ; lorsqu'il s'était téléporté, il avait cherché une raison pour échapper à Faust sans recevoir de commentaires par la suite, puisqu'il savait son tuteur capable d'appeler Adélia pour vérifier qu'il était bien passé chez elle. L'adolescent se sentait un peu coupable de ses paroles, du coup, mais il devait avouer que en venant la voir, il faisait d'une pierre trois coups : déjà, il s'assurait d'être loin de la maison pendant quelques heures, de deux il permettait à sa Florizarre de voir son fils, et de trois ce n'était très certainement pas Adélia qui allait l'énerver, alors il pourrait se détendre. Tout bénéf, donc.

« Enfin, elle sait qu'il va bien mais... Voilà. C'est sa mère. »

Explication qu'il n'avait pas besoin de développer, et qu'il ne voulait pas développer au vu de son propre vécu : c'était déjà bien assez clair. Sentant sa douleur à l'abdomen revenir, il ne put retenir une grimace.

« Je peux t'emprunter un antidouleur ? Ça me lance un peu, du coup... »

Étant donné que tomber des escaliers pouvait être le genre de choses qui aurait amené sa blessure à se rouvrir, même des semaines après, il aurait dû être plus prudent et aller vérifier que tout allait bien. Mais si la prudence était quelque chose qu'il maîtrisait parfaitement, bien que c'était une de ses qualités à force d'habiter sur cette île, il n'aurait même pas été blesser en premier lieu. Ou alors c'était tout simplement le bon sens qui lui manquait : on ne sautait pas sur des couteaux quand on en avait.

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Feat Adélia G. Turnac

En un mois, Natsume a appris ô combien les tâches de tous les jours avec une blessure à l'abdomen devenaient particulièrement dures à réaliser. Que ce soit monter un escalier (et Arceus, la fois où Isaac avait dit que si ça continuait il allait le porter comme un sac à patates, Natsume avait cru qu'il allait le tuer), se mettre sur la pointe des pieds pour attraper quelque chose ou tout bonnement s'étirer, il s'était rendu compte à ses dépends que ce petit rien de se faire poignarder allait l'embêter de bien des manières. Et vu que la douleur revenait, c'était bien parti pour le déranger pendant encore quelques heures, voir ce soir, si il répétait les faux mouvements. Bah, pas qu'il n'y était pas habitué ; aussi désolant que ce soit à dire, vu sa santé, il s'était fait à la douleur. Depuis qu'il était petit, c'était une constante dans sa vie, une habitude que de sentir une pression coupante dans ses poumons, les virus assaillirent son système immunitaire fragile ou bien encore de voir à quel point malgré tous ses efforts, il restait aussi petit et maigre qu'un fil de fer, ce qui le frustrait toujours plus. Alors au fond, il n'accueillait plus ces moments qu'avec une certaine lassitude et fatigue. Au bout du compte, il était plus inquiet quand rien ne le blessait, persuadé que c'était généralement un mauvais tour de son corps qui lui redonnait tout ce qu'il n'avait pas eu par la suite.
Il ne fit rien remarquer lorsqu'elle l'aida discrètement à avancer, ne souhaitant pas trop protester puisqu'elle n'était pas non plus en train de proposer de marcher à sa place ou de le saisir par le bras, mais. Tant qu'elle respectait les limites que lui imposaient son ego, tout irait bien. Il avait un peu souri en entendant parler de gâteau, car même si il n'était pas non plus un ardent fan des pâtisseries, il ne pouvait pas être entièrement contre une toute petite part, puisque hormis ses créations ratées et carbonisées, il n'en goûtait que très rarement des faits-maison. Katya, en raison de l'avancement de la maladie de Nova, n'avait plus le temps de lui offrir des cours de cuisine ou d'en préparer à l'occasion, comme elle avait l'habitude de le faire de temps à autre, connaissant son amour fou pour le shortcake à la fraise.

Il alla poser son derrière encore endolori sur ledit sofa après avoir récupéré l'antidouleur, soupirant de soulagement maintenant qu'il était assis sur quelque chose de confortable. Il remarqua les magazines situés sur la table, et même en voyant la face de son débile de cousin dessus, ne fut pas particulièrement intrigué par cela, trop naïf qu'il était pour saisir le petit truc qu'il aurait dû comprendre, et en même temps un peu trop désintéressé pour y porter plus attention. Et puis honnêtement, vu que en ce moment sa seule pensée au sujet de Faust était « caca », il n'aurait pas réussi à se concentrer.
Il sourit poliment et hocha de la tête pour remercier la jeune femme, ravi puisque le thé était sa boisson chaude préférée. Sans plus attendre, il prit sa tasse pour en boire déjà un petit peu, tandis qu'il écoutait la plus âgée parler. Il goba par ailleurs le médicament sans plus attendre, pressé que la réaction ne se fasse sentir. En la voyant être concernée par sa plaie, il voulut lui dire mentir et dire que tout allait bien, mais il s'arrêta. La joie qu'il sentit dans ses propos alors qu'elle parlait de son futur le fit sourire doucement. Il l'enviait un peu, toutefois, d'être aussi près que ça de ses rêves. Il n'allait pas faire de comparaison, mais quand il se voyait, à s'inscrire dans une formation alors qu'il n'était pas foutu de savoir sur quoi il voulait exactement se fixer, ni si ses recherches dans lesquelles il se donnait corps et âme l'amèneraient à quoi que ce soit, il ne pouvait pas s'empêcher de se dire qu'il était un peu à l'ouest, encore. Mais ça, vu qu'il n'était jamais satisfait de lui-même sur le plan du travail, ce n'était pas surprenant.

Ses joues finirent par prendre une teinte un peu plus rouge alors qu'il réalisait que si il laissait Adélia vérifier sa blessure, cela voudrait dire relever son t-shirt, et disons pour être à peu près honnête que pour trouver plus pudique que Natsume, il va falloir aller loin, trèèèèèèèès loin. Pour cette raison, il hésita un peu, voir carrément longuement avant de répondre.

« Euh... Je sais pas, juste... Ça tire, du coup... »

Il se tut. Mal à l'aise, il prit quelques instants pour continuer à parler.

« Pardon. Tu peux jeter un œil ? Je préférais éviter la catastrophe. »

Il avait repris un ton plus calme, moins empli de gêne. Plus décontracté, il osait plus parler, dorénavant, et ce fut sûrement pour cela qu'il ne se rendit compte de ce qu'il disait que par la suite.

« J'ai pas tellement envie de rentrer et de me taper un sermon parce que je me serais vidé dans ton salon, ça serait le comble. »

Il gloussa en disant cela, un peu inconscient de toute la frustration qu'il laissait entendre dans ses paroles. Et même quand il le vit, il n'eut pas vraiment envie de se corriger, comme si cela faisait du bien de dire cela sans honte.

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Feat Adélia G. Turnac

Allons bon. Il était parti pour qu'on arrête de le materner et s'inquiéter pour lui, et voilà que justement, il se retrouvait à demander à Adélia de vérifier que tout allait bien. Si ça ce n'était pas de l'ironie en or massif, il ne savait plus ce qui pouvait l'être. Mais de toute façon, il était habitué. Il pesta intérieurement, retenant difficilement sa frustration devant ce corps minable et inutile, trop traître et susceptible de le lâcher d'un instant à l'autre. Il ne répondit pas sur le moment, la gorge nouée à l'entente du prénom de Faust, ramenant à son esprit une envie de rire jaune, très jaune. Tiens donc, il se serait même demandé si cela n'aurait pas fait rire le conseiller que d'apprendre que sa blessure s'était rouverte, comme ça il aurait pu le narguer en lui disant qu'il l'avait prévenu, et encore une fois passer pour le gentil cousin prévenant et aimant pendant qu'il serait le sale gosse malpoli, toujours ingrat. Il avait conscience qu'une grande partie de cette image mentale était purement originaire de son imagination et de son ego blessé à vif par l'idée même de voir Faust un tant soit peu conforté dans sa protection excessive. Mais il ne dit rien, ne souhaitant pas se défouler en posant sur Adélia le poids de sa frustration, même si il était très dur de tenir sa langue face à ses propos. Nulle doute qu'elle n'aurait pas aimé, de plus, qu'il implique que Faust puisse être du genre à apprécier d'avoir raison dans un pareil cas. Il n'avait aucune idée de ce que la brune avait et pouvait avoir eu à l'encontre de son cousin, mais il se rendait au moins compte qu'elle se faisait une haute idée de lui. Ce n'était pas la seule d'ailleurs, et c'était bien pour ça qu'il se retenait de dire ce qu'il pensait les trois quarts du temps. Natsume n'aime pas les conflits. D'une part parce qu'ils prennent de son temps, d'autre part parce que les résoudre en restant pacifiste tient souvent d'une miracle, alors il les évite comme la peste, quitte à fuir parfois.

Alors que ses pensées divaguaient, il ne fit pas énormément attention aux différents pokémon qui avaient commencé à l'entourer, curieux de sa présence sur le sofa, et l'éleveur fut sorti de sa torpeur morose. Il se laissa faire sans trop oser protester, l'air perdu et un peu confus devant cet afflux d'attention et d'affection inattendu. Entre l'Evoli qui le câlinait sur ses genoux, l'Haydaim (sur lequel il gagatait un peu, soyons honnêtes) qui farfouillait dans ses cheveux et les regards de l'Ectoplasma ainsi que de la Gardevoir, il ne savait plus vraiment où en donner de la tête. Aussi à l'aise qu'il était avec les pokémon (on est éleveur ou on ne l'est pas, après tout), il n'empêchait que toute cette affection ne pouvait que le mettre au moins un peu mal à l'aise, puisqu'il n'était jamais particulièrement confiant quant on lui accordait ce genre d'attention. Il était si faible qu'il n'aurait pas été capable de les repousser, en plus de ça ; il n'en faut pas grand chose pour mettre le lapin dans une situation de défaite totale, donc.
Finalement, l'aînée finit par revenir, et fit partir les différents pokémon. Natsume retint de justesse la remarque comme quoi ils ne le dérangeaient pas ; au moins, ce qu'il lui restait de fierté mal placée était encore en place, c'était déjà ça. Néanmoins, il aurait peut-être préféré s'humilier de cette façon qu'à entendre la suite...

La pudeur est quelque chose de naturel chez lui. Ce n'est pas lié à une faible estime de son apparence comme c'est le cas pour beaucoup, quoique il n'en était et on n'aura pas besoin de le répéter pas trop fana, mais plutôt à un principe d'intimité un peu trop développé chez lui, voilà tout. Même Nagisa, durant son enfance, avait été rapidement évincée de la salle de bains dès qu'il y prenait ses douches, et il ne comptait plus le nombre de fois où il avait jeté des bouteilles de gel douche et de shampooing sur les mécréants qui avaient pénétré dedans quand il s'y trouvait encore. Alors certes, enlever son t-shirt n'est pas non plus se mettre à poil (dieu merci), mais ceci expliquait son léger moment d'hésitation et surtout la teinte déjà plus rougie de son visage.
Il détourna le regard et s'exécuta, cherchant maintenant qu'il était mal à l'aise à changer de sujet de conversation au plus vite. Visiblement, du peu qu'il en voyait et qu'il en avait senti, rien n'était endommagé, hormis quelques hématomes qui allaient sûrement le faire souffrir pour les jours qui suivaient. Mais il n'était pas médecin, alors il ne pouvait pas bouger. Enfin, les cours qu'il avait reçu auprès de Mina tenait surtout de la pratique, et pas vraiment du théorique. Ça, il se débrouillait lui-même avec des livres, mais il était loiiiiin d'être à ce niveau.

« Alors, euh... Tu comptes faire quoi, maintenant que t’arrive à la fin de tes études ? J'veux dire, tu dois avoir du c-choix et... Enfin, ça doit pas être simple. »

Il pataugea pendant quelques secondes dans la semoule, cherchant presque désespérément un sujet tandis que la jeune femme s'occupait de son inspection. Son visage plus rouge que rouge, dont on aurait cru qu'il pourrait s'échapper de la fumée, et ses gesticulements maladroits trahissaient toutefois complètement sa gêne.

« Quand on aura fini, faudra que je libère Tsubaki, mais je ne suis pas sûr qu'elle passerait, ici... »

Il finit par grimacer, conscient de son ridicule alors qu'il allait tenter de changer de sujet de façon si visible que c'en était stupidement remarquable. Sa voix était redevenue plus calme, un poil fatiguée tout de même.  

« J'aurais dû y penser. C'était... C'était une idée stupide. »

Il se pinça l'arrête du nez et soupira lourdement. Bon, il n'avait pas l'air très fin, là...

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Feat Adélia G. Turnac

Cramé. Tellement plus cramé que son visage déjà bien chauffé. Franchement, si il avait l'habitude que sa dignité se fasse la malle et qu'il s'était construit une magnifique résistance aux humiliations, restait qu'être lu ainsi comme un livre ouvert ne l'aidait pas à se montrer confiant en lui. Enfin, si cela avait été quelqu'un d'autre, sans doute aurait-il nié, d'un ton plus ou moins sec en fonction de la personne, pour au final détourner le sujet avec un regard froid qui équivalait à une mise en garde. Mais impossible de prendre cet air envers Adélia, vraiment, car il n'arrivait pas à être avec elle aussi mesquin qu'il pouvait l'être avec Faust ou Katya, des fois. Elle était trop gentille pour qu'il s'agace, et sa patience combiné à sa prudence étaient les ingrédients parfaits pour qu'il finisse par lâcher  l'affaire. Même sa fierté stupide qui le poussait à garder tout pour lui pour ne pas avoir l'impression de s'humilier davantage s'était tue, comme si elle avait pris un double highkick dans le ventre. C'était une bonne chose, en un sens, et puis même si il s'était renfermé suite à ce qui était arrivé sur la place, il se forçait tout de même plus à parler quand il le devait. Il faut croire que devoir supporter le regard lourd d'inquiétude de Faust et ses sermons l'avait aidé.
Il aurait bien aimé continuer à se mentir, même si il savait déjà en venant ici qu'il aurait de grandes difficultés à se retenir, vu la frustration engendrée par cette affaire chez lui. Et ce n'était pas la première fois, en plus de ça. Qu'il avait l'air fin, lui, le gamin encore mineur qui paniquait pour des imbécillités alors qu'il n'avait même pas encore la moindre foutue idée de ce qu'il allait faire de sa vie, face à une jeune femme bien plus mature que lui ! Il finit par soupirer, las, alors qu'un rictus jaune s'affichait sur son visage.

« Je ne suis pas discret, n'est-ce pas ? »

Difficile de l'être tout juste une heure après, d'un côté. Il se massa la nuque, cherchant ses mots sans y parvenir, et ne parvint pas à retenir son sourire triste.

« C'est juste... Depuis ce qui m'est arrivé, Faust est devenu chiant. À force, j'ai l'impression qu'il croit que je vais m'écrouler au moindre truc et c'est... »

Vexant. Blessant. Humiliant. Les synonymes ne manquent pas, mais il se rend compte que ces mots sont peut-être trop forts, bien que le sens reste, et qu'il y croit sincèrement. Mais en même temps, puisqu'il peut comprendre en partie il ne veut pas tomber dans l'excès.

« Agaçant. Et puis j'ai l'impression qu'avec ce qui se passe, ça ne va pas se calmer. »

Il fit une petite pause, courte, durant laquelle il parut pensif et plongé dans ses pensées. Qu'il s'ouvre ainsi était suffisamment rare pour qu'on le mentionne, et il avait comme oublié ce qu'il était en train de faire, laissant court aux sentiments qu'il avait pourtant tellement tendance à réprimer pour cause "d'inutilité" ou de "lacunes en logique".

« Il est toujours inquiet, tu sais ? Que ce soit quand je sors ou que je rentre tard, ou quand il y a des troubles dans les villes. »

Il ne l'avait pas forcément dit, mais Natsume avait bien assez vite compris le sens de ces coups d’œil remplis d'angoisse et de crainte de son cousin. Il ne lui en avait jamais fait note toutefois, même si il s'était plus d'une fois disputé avec lui sur ce sujet. L'adolescent baissa le regard un instant, réalisant quelque chose.

« Tout le monde est inquiet pour tout le monde, de toute façon. Mais... »

Trop tard pour s'arrêter, et cette pensée venait déjà d'envahir son cerveau, avec une force surprenante.

« Ce n'est pas ça qui va changer quoi que ce soit, hein ? »

Peu importe à quel point ils pouvaient faire attention les uns des autres ; il y en aurait quand même toujours pour penser que s'entretuer restait la meilleure des solutions. Sous couvert d'excuses pathétiques et lâches, à jurer qu'il n'y avait rien d'autre à faire. Lui n'avait jamais voulu se positionner, avant, ni juger qui que ce soit. Mais depuis ce jour de juillet, il avait cette sensation que tout cela ne pourrait jamais aboutir à rien. Ou du moins rien de bon.

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Feat Adélia G. Turnac

Hormis pour sa mère, Natsume s'était rarement inquiété pour quiconque, avant d'arriver. Seul l'état de Kaori lui avait quelquefois causé des soucis, mais elle avait l'habitude de lui en coller une dès qu'elle appercevait ne serait-ce que l'éclat d'un air apitoyé, alors il avait vite appris à faire attention. En un sens, c'était logique. Ce n'était pas Nagisa, qui pouvait faire pleurer au sol n'importe qui tentant de trop l'approcher ou son père qui allaient lui faire se demander si ils se porteraient bien. Pour l'une, elle était bien assez forte, et pour l'autre, il s'en fichait totalement. Et puis, en plus de ça, il vivait dans un pays en paix. Pas de risque qu'une bombe n'explose, qu'un conflit éclate, qu'un rapt de civils n'ait lieu. De plus, son égoïsme était bien plus développé à cette époque : il n'y avait que lui dont il devait s'occuper (et c'était déjà beaucoup, il faudrait lui avouer ça), donc pas d'inquiétude à avoir. Même sa santé, fragile, qui l'avait condamné à une apparence ridicule de crevette qu'il a encore en travers de la gorge (vous n'avez pas idée d'à quel point), ne l'avait jamais vraiment dérangé, puisqu'il s'y était vite habitué. De nombreuses visites régulières chez d'innombrables spécialistes tirant toujours la tronche devant ses résultats l'avait même amené à une époque à faire un bingo des phrases qu'il entendait à chaque fois ; les 'mieux vaut ne pas se prononcer', 'rien de mortel mais', 'c'est relatif évidemment' et bien autres 'on va vous mettre sous traitement et ensuite on verra', qu'il avait rapidement traduit par 'bon courage pour les six prochains mois'.

Les choses ont changées, évidemment, depuis qu'il est arrivé ici. Si son soi passé lui aurait passé un savon pour s'être transformé en chaussette mièvre et bien trop tolérante (quoique il se serait donné des baffes, si il avait rencontré sa version antérieure, en plus d'un bon gros coup de pied), il s'en fiche pas mal. Il estime que sa situation actuelle est bien meilleure que celle de cet adolescent paumé, repoussant tout le monde par simple crainte et besoin d'une stabilité ainsi que d'une sécurité désespérément recherchée, qui était arrivé chez Faust à l'improviste. Sans tomber dans un sentimentalisme qui l'agacerait et lui ferait lever les yeux au ciel, il doit avouer qu'il est bien plus à même de comprendre ce sentiment maintenant qu'il a lui-même des personnes pour qui s'inquiéter.
Entre Alice, qui malgré ses pokémon reste une enfant, les frasques (souvent idiotes) constantes de Faust et Samaël (à croire que ces deux-là compensaient par ce qu'ils manquaient en lien de sang par une stupidité commune), ses amis qui ne sont, contrairement à leurs dires pas forcément plus en sécurité que lui face à des foutues armes automatiques ou encore des putains d'explosions. Charlotte s'insurgerait et beuglerait sûrement (du moins il en est persuadé) si il osait lui dire qu'il s'inquiète pour elle quand il entend parler de heurts à Zazambes, mais elle ne pourrait nier une chose ; toutes les leçons de karaté du monde ne vaudraient rien face à une arme à feu ou une bombe. Et l'exemple s'applique à toutes les personnes qu'il connait. De seulement sa personne à s'occuper, il est passé à plus d'une dizaine de personnes dont la sécurité le tourmente régulièrement, d'autres plus souvent, certes.

Inutile de de dire qu'à chaque fois qu'il sent son lit se faire étrangement vide en plein milieu de la nuit ou que Faust annule des soirées sans raison valable ou par des excuses minables, son estomac est alors noué pour des journées entières, et son esprit s'emplit d'angoisse ainsi que de pensées noires. Mais il ne dit rien, puisque c'est ce que tout le monde attend de lui, et cela aurait été malpoli de protester, n'est-ce pas ? Après tout, c'était à lui de gérer ces émotions qui le gardaient parfois éveillé pendant des heures, à prier pour ne jamais à voir un autre cadavre de ses proches.  
Alors parfois, quand il prend le temps d'y réfléchir et de mettre de côté son ego durement blessé et pour lequel ce point est extrêmement sensible depuis longtemps, il parvient à comprendre. Mais la compassion qu'il ressent grâce à cette réflexion est rapidement balayée par la colère qu'il ressent face à quelque chose qu'il perçoit comme de la condescendance. Combien de fois a-t-il serré les dents en silence parce qu'on le voyait simplement comme un petit gamin malade, pur et qui ne devait jamais faire quoi que ce soit par lui-même sous peine de se casser encore quelque chose ou de tomber malade ? Car comment diable osait-il prendre des risques et vivre normalement, n'est-ce pas ? La frustration ne partait jamais, malgré toutes les discussions et autres débats qu'il y avait eu.  

Il ouvre donc grand ses oreilles pour écouter Adélia. Il ne le fait pas souvent, ça, d'accepter le débat sur ce sujet, refusant catégoriquement d'admettre ne serait-ce qu'un point à l'autre point de vue, mais il perçoit chez elle moins de brutalité et plus de compréhension que chez bon nombre de ceux avec qui il a pu parler de ça. Il écoute, chose rare chez Natsume qui a tendance à fermer ses tympans dès qu'il a entendu quelque chose qui lui déplaît, et fait de son mieux pour ne pas baisser le regard d'un air piteux. Au fond, il en rirait presque si il le pouvait ; à vouloir fuir constamment, il retombait à chaque fois pile dans ce qu'il évitait.
Elle comprend ; ça, au moins, lui permet de relever les yeux et de la dévisager d'un air peu surpris, mais tout de même compatissant. Au moins, elle, elle comprend. Ce que c'est d'être regardé comme une sorte d'objet à protéger, dont les sentiments personnels et pensées ne comptent pas, qu'il ne faut en aucun cas risquer de briser. Au mieux à enfermer dans une jolie petite cage dorée sans la moindre possibilité de choisir par soi-même. Elle aussi, elle connu cette frustration d'être traité ainsi pour la des raisons stupides ; que ce soit un surplus de gentillesse (que Natsume qualifierait chez lui de pacifisme exacerbé, pas de bénévolence), une ''''''faiblesse'''''' physique supposée ou bien même rien du tout. Il n'ose pas le dire, mais c'est une véritable bouffée d'air frais.

Bien sûr, qu'il sait que Faust est inquiet. Il le voit à longueur de temps. Il y a peu, il suffisait qu'il tousse un peu trop fort pour que le conseiller se précipite vers lui, inhalateur en main, prêt à réagir d'une seconde à l'autre. Il est également au courant que Faust a perdu plus d'une personne : bien trop pour quelqu'un qui n'a même pas trente ans, d'ailleurs. Mais sa patience a des limites, et elles sont bien trop souvent atteintes.  
Il aurait aimé dire quelque chose, sur le coup, une fois qu'elle eu terminé de parler. Mais il n'y arrive pas tout de suite, serrant ses doigts contre sa jambe sans s'en rendre compte, alors qu'il prend une longue inspiration, puis glousse.

« Si tu savais comme comme j'avais besoin d'entendre ça... »

De ne pas avoir à entendre qu'il sur-réagissait. Qu'il devait simplement laisser Faust s'inquiéter. Pouvoir s'exprimer sincèrement, sans retenue sur ce qu'il pense lui fait un bien fou. Il se retient depuis longtemps, maintenant qu'il y pense. Et il sait bien qu'il a arrêté de tout dire depuis qu'il a compris certaines choses au sujet de ses proches, depuis qu'il a compris qu'il y avait bien trop de secrets dans son entourage et qu'il valait mieux les laisser dans l'obscurité, parfois.

« Je comprends. Mais j'suis fatigué, Adé. De devoir me justifier, de devoir prouver que je suis capable de marcher sur mes deux jambes sans casser, de... »

De tout. Car c'est bien un tout, le problème, pas juste quelques petits détails, ou un événement particulier. Une somme de soucis qui, accumulés, finissent par arriver au bout de sa patience déjà limitée.

« J'ai l'impression que quoi que je fasse, il continuera toujours à me traiter comme ça. Tout ça parce que... »

Il se retient durant quelques secondes, comme gêné par ce qu'il va dire.

« Parce que je veux éviter le conflit. Si c'est possible... Je préfère la diplomatie. Et à cause de ça, il prend pour un putain de masochiste qui risque de se faire tuer par n'importe qui. »

Il termine sa phrase d'un ton lassé, mais acide en même temps. Oh, cette supposition, il la connaît. Ce n'est pas la première fois qu'on le lui sort, comme si être un imbécile frappant avant d'analyser quoi que ce soit était une meilleure solution. Oui, il est amer sur ce point, tout particulièrement. On lui a souvent dit qu'il était naïf, qu'il réfléchissait comme un enfant, ou on a supposé qu'il avait un esprit complètement décalé de la ''''réalité'''', trop innocent pour réaliser ce qui '''se passe vraiment'''. Mais c'est faux. Et il serre les dents à chaque fois, frustré de devoir constamment se justifier. Mais il a le sentiment qu'ici, il n'aura pas besoin de le faire. Qu'elle comprendra peut-être, elle, ce qu'il rechigne pourtant à dire à quiconque.

Les hippies domineront le monde

Feat Adélia G. Turnac

Au bout d'un moment, il avait fini par se fatiguer d'écouter les autres. Il avait tenté de dialoguer, de débattre et de faire comprendre son point de vue, sans le forcer sur les autres. On pourrait croire le contraire, vu son caractère et sa tendance à s'emporter quand les choses vont dans une direction qui ne lui plaît pas, mais il avait vraiment fait des efforts. Jusqu'à ce qu'il ne se rende compte que ça ne servait à rien et qu'il ne faisait que parler dans le vent : à partir de ce moment, il avait commencé à clôturer tout dialogue et n'écoutait plus que d'une oreille. Il ferait comme il l'entendait, et tant pis si les désaccord pleuvaient. Le temps perdu, il déteste ça, après tout. Au final, il était devenu exactement comme ceux qui l'avaient dégoûté : obtus, fermé au dialogue. L'ironie était belle, mais il ne l'avait jamais vraiment saisi, vu à quel point il était doué pour se mentir à lui-même. À croire que l'intelligence pour laquelle on le complimentait si souvent n'était plus présente dès qu'il en avait vraiment besoin.
Ainsi, les mots d'Adélia étaient peut-être les premiers qu'il écoutait sur ce sujet depuis longtemps. Il avait toujours envoyer paître les défenseurs des deux camps, ne voyant que de la stupidité dans leur entêtement qui était aussi le sien. Sans rien dire, il la laisse parler, un peu confus par la ferveur de la jeune femme. Non pas qu'il doutait qu'elle serait de cet avis (c'était un peu évident, tout de même), mais il était toujours surpris par ceux qui prenaient autant à cœur leurs idéaux, car il n'était lui-même pas capable d'y mettre autant d'énergie.

Elle mit alors le mot sur le mot qui définissait exactement ce qu'il pensait par rapport à l'usage de la violence. 'Facilité'. En quelques lettres à peine, une grande majorité de ce qu'il pensait était résumé. Pour lui, rien n'est un aussi grand témoignage d'idiotie que de croire que, sur le long terme, frapper bêtement ou chercher à blesser résoudra tous les problèmes du monde. Des exemples, il y en avait tellement. Pour empêcher un chat de miauler, ne valait-il pas mieux essayer de voir ce qui n'allait pas plutôt que de lui donner des coups de pied ? La même logique s'appliquait à ses yeux aux êtres humains. Ce chemin, le plus ardu n'est jamais pratique, mais souvent plus gratifiant et moins douloureux pour tout le monde. Mais il n'osait pas le dire, trop convaincu qu'on le traiterait de naïf, ou pire, d'idéaliste. Cet idéalisme, Natsume l'exècre ; en tant que scientifique, il ne peut pas supporter qu'on pense qu'une seule idée puisse tout guider. Si son pacifisme était assez exacerbé et qu'il faisait de son mieux pour ne blesser personne, il ne peut nier qu'il devait parfois, à contrecœur, faire abstraction de cette règle. Oh, il tentait la diplomatie, le marchandage, mais quand tout cela ne marchait pas, il n'y avait plus que la riposte. Même si cela ne lui plaisait pas.

Il comprend donc le sentiment de frustration qui habite Adélia. Comment supporter un monde plongé dans la violence et le chaos quand on cherche désespérément à protéger le peu d'humanité qu'il en reste ? Il s'était souvent  posé cette question, jusqu'à ce que son optimisme se transforme en pessimisme, et en une forme de misanthropie étrange, mélange entre un dégoût des vices humains et un amour profond pour les qualités de ceux-ci. Lui aussi, il avait été révulsé en voyant les armes sorties, en entendant les coups de feu être tirés. Mais il pensait que c'était prévisible. Évident, même. Pourtant, il avait continué à s'imaginer, dans un petit coin de son esprit, que peut-être que cette marche allait changer quelque chose. Alors même qu'il était déjà préparer à soigner des blessés. Au fond, il avait voulu y croire. Comme toujours. Il pouvait nier, pester, dire tout ce qu'il voulait, mais il le savait. Et cela l'agaçait.
L'exclamation de la jeune femme résonne en lui comme si il s'agissait de sa propre action. En l'entendant, un rictus caustique vint se dessiner sur son visage. Oui, c'était injuste. Comme toujours dès qu'il s'agissait de ce sujet. Les trois quarts du temps, la violence l'emportait. Malgré toutes les tentatives réalisées, il semblait que c'était la direction que prenait toujours le monde, au bout du compte. Mais Natsume n'est pas en colère comme peut l'être Adélia. Il est fatigué, surtout. Lassé. D'essayer et de n'avoir que de minces résultats, parfois même rien. Pourtant...

Il lui laissa quelques secondes, le temps d'organiser ses pensées, sans bouger d'où il était ou  commenter sur les tremblements de son interlocutrice. Le silence ne le dérange pas, aussi étouffant qu'il soit, mais il le poussa à reprendre la parole pour chasser le malaise pesant qui cherchait à s'imposer.

« Tu l'as dit, non ? Ce n'est pas ce qu'il y a de plus facile, mais ce n'est pas pour ça qu'il faut laisser tomber. »

C'était sorti tout seul, et durant une seconde, il se serait giflé d'avoir osé le dire à haute voix, gêné par l'optimisme qui se dégage de ses propos. Natsume n'aime pas sombrer dans l'espoir ; il ne jure que par les probabilités. Mais c'était tout simplement sorti avant qu'il n'y réfléchisse. Il soupira.

« Peut-être que ça ne servira à rien. Je n'en sais rien. Franchement, j'ai des doutes. »

La réussite ne justifie pas tout, pour lui. C'est un simple fait auquel il s'accroche désespérément, sans lâcher prise, comme un chien qui refuserait de démordre de son os.

« Juste... Il n'y a pas grand chose qu'on peut faire, de toute façon, à notre niveau. Si tout le monde acceptait que se battre est inutile, ça résoudrait tout, mais ça n'arrivera jamais. »

Le dire, il y arrive. Mais c'est tout. S'y résoudre est hors de question.

« Ça ne veut pas dire qu'il faut l'accepter, je crois. Enfin, si il peut même y avoir une victime de moins, c'est déjà ça, non ? »

Sa question n'est pas posée directement à Adélia, puisque sa main s'est portée durant une seconde sur son haut, à quelques centimètres de la plaie qui le tire encore de temps à autre. Si c'était à refaire, il prendrait sûrement plus de précautions, mais il recommencerait. April lui en avait voulu de s'être interposé ainsi, certes, mais à chaque fois qu'ils discutaient ou se retrouvaient pour parler de tout et de rien, Natsume ne regrettait pas. C'était toujours une vie de sauvée, et c'était ce qui lui importait le plus.

Les hippies domineront le monde

Feat Adélia G. Turnac

On lui avait fait suffisamment de reproches pendant un mois pour qu'il comprenne que sa petite frasque n'avait pas vraiment plu. Que ce soit par des sous-entendus ou des regards qui en disaient long, il était facile de comprendre que certaines de ses connaissances avaient toujours cet accident en travers de la gorge. De toute façon, il était évident que ce serait forcément le cas, mais même maintenant, il n'accordait pas vraiment d'importance à cela. Même si April lui en avait voulu, elle était en vie au final, et cela valait bien une petite cicatrice sur son abdomen, en plus de quelques instants de douleur. Difficile de faire comprendre ça aux autres, toutefois, et il reconnaissait qu'il avait peut-être agi de manière irréfléchie sur le coup, et qu'il y avait probablement eu d'autres méthodes, mais c'était fait. Point. Et franchement, il pensait qu'il s'en était bien tiré, au final.
Il peut donc comprendre pourquoi Adélia ne regrette rien elle aussi. Objectivement, à sa place, Natsume aurait sûrement frappé avant, estimant qu'une agression était déjà un motif suffisant pour un bon coup de pied ou de poing, sans nécessairement avoir à tuer, même pour la dernière des ordures. Mais n'empêche qu'il avait une petite idée de ce qu'elle avait pu penser à ce moment, de la motivation qui avait dû l'animer et de pourquoi elle avait tant insisté. Pas qu'il n'avait pas été inquiet, ou qu'il n'avait pas souffert de la savoir si proche de la mort (le souvenir de la fugue d'Alice lui restait toujours en travers de la gorge, et il faisait parfois des cauchemars assez violents), mais il n'avait pas été surpris ou même désapprobateur de son geste. En un sens, si il jugeait qu'elle avait tout de même fait preuve d'imprudence, ce n'était pas sous couvert d'un jugement de valeur ou d'un truc du genre. Disons qu'il ne pouvait pas se permettre de juger en sachant qu'il aurait probablement fait la même chose.

Mais peut  importe la raison justement, puisque les avis quant à ces décisions seraient toujours négatifs, quoiqu'il advienne.  Faust continuerait de s'inquiéter, de voir leurs décisions comme animés par une naïveté d'enfant, aussi insultant que cela puisse être. De regarder Natsume comme si il était encore cet adolescent maigrichon, tout juste sorti de sa quinzième année, qui tentait d'étouffer des vieux démons sous des tonnes de déni et d’agressivité refoulée. Pourtant, les choses changeraient, ça, le nippon s'en était persuadé. Que Faust le veuille ou non, il avancerait dans la direction qu'il jugeait la bonne, et tant pis si l'autre continuait de marmonner que c'était souvent une mauvaise idée, ou que quiconque s'agaçait. Après tout, il vivait depuis bien assez longtemps seul pour savoir comment se débrouiller et se gérer : quoi qu'on dise sur « le petit asthmatique malade 1 jour sur 4 », n'empêche qu'il vivait presque seul depuis ses quatorze ans, et se gérait depuis qu'il était en âge de le faire, que ce soit au niveau de sa santé, de ses papiers, de son argent ou de sa scolarité. Mais bien évidemment, ce n'était jamais assez, n'est-ce pas ? Au final, la solution était peut-être tout simplement d'envoyer chier les autres, aussi désespérant que ce soit à avouer.

Toutefois, alors qu'il était plongé dans ses pensées, à réfléchir, des propos d'Adélia le tirèrent de ce qu'il avait en tête. Surpris, ses yeux s'ouvrirent un peu plus, et il fixa la jeune femme d'un air hébété, déconcerté par ce qu'il entendait. Même avec la compagnie très... Affectueuse de la plupart des gens qu'il côtoie depuis son arrivée sur l'île, il restait assez peu expérimentée quant il s'agissait d'entendre des déclarations d'amitié aussi sincères. Cette genre de gentillesse, il ne l'avait vu que chez sa mère pendant quatorze ans, et un peu chez Kaori et Nagisa pendant quelques années, à de rares moments. Son manque d'intérêt expliquait sûrement ses difficultés actuelles à gérer ce type de situations, qui le déconcertent souvent et lui font alors faire des derpfaces et mines embarrassées qui valent leur  pesant d'or. Pas surprenant donc qu'il fasse cette même tête d'abruti à ce moment précis, ne s'étant pas attendu à entendre ça, et qu'une mince teinte de rouge ne vienne colorer ses joues, signe évident de sa gêne.
Ce n'était pas au point qu'il avait envie de se cacher sous le canapé, sous une couette, pour ne plus à entendre tout ça, mais il était tout de même relativement mal à l'aise et le sourire d'Adélia n'arrangea rien, puisque l'adolescent d'ordinaire prompt à la répartie vive, à la blasitude et aux airs un peu condescendants était déjà transformé en un lapin nerveux et timide. Non, parfois, même la joueuse est surprise.

« Euh, j-je... »

Plusieurs secondes s'écoulèrent avant qu'il n'arrive à parler normalement, et il se reprit comme il le put, par un coup de pied mental au cul qu'il se donna par la pensée.

« … Merci. Toi aussi, hein. »

Timidement, un léger sourire doux se dessina sur son visage, vraiment sincère, avant qu'il ne glousse d'un air un peu gêné, rendu mal à l'aise par cette effusion de gentillesse. Pour cette raison, il chercha immédiatement à détourner le sujet, et se rappela par miracle d'un détail qu'il avait quasiment complètement oublié, avec tout ça.

- Enfin, euh, il faudrait peut-être sortir si on veut que Tsubaki et Lito se voient ? Ils n'auront pas de place, ici, je crois. »

Il sourit toujours un peu stupidement, d'une manière qui rappellerait (ironiquement) étrangement Faust, mais il s'agit d'une des rares fois où il sent libéré d'un poids, enfin compris au sujet de quelque chose qu'il n'avait jamais pourtant réussi à exprimer sans se sentir jugé. Cela ne l'empêchait pas de vouloir changer de sujet avec la subtilité presque admirable qui était la sienne.