Notice me, senpai

Samaël Enodril

Je ne sais pas trop ce qui m'a pris. Maintenant que c'est dit, je trouve ça tout à coup stupide de lui avoir demandé. On ne devient pas ami avec quelqu'un simplement en lui posant la question, mais par des actes. Les mots sont vains si les gestes ne suivent pas. Il est cependant difficile, pour ma part, d'essayer de regagner sa confiance, alors que j'agis tout sauf naturellement. Ou plutôt, j'agis naturellement pour un petit ami, et pas un ami tout court. Le fait que je reste collé à lui et que je veille toujours à ce qu'il ne manque de rien, en oubliant parfois que je ne dois plus le raccompagner à sa chambre car je n'y dormirai plus comme autrefois. J'en ai perdu le droit à l'instant même où il m'a oublié, comme toutes les autres permissions que j'avais de manière exclusive auprès de lui. Partager ses vêtements, me reposer contre son épaule quand je m'endormais devant un film à cause de la fatigue, ou même simplement lui prendre la main et jouer avec ses mèches de cheveux en souriant bêtement.

Son ton s'est fait moins sec, mais je le perçois toujours un peu comme tel. Il contredit mes paroles, sûr de lui. Je sais à quel point il a envie d'y croire aussi, de retrouver ses souvenirs et de faire sa vie comme avant. Mais à partir du moment où je tairais le lien véritable qui m'unit à lui, une pièce manquera toujours pour compléter le puzzle de sa mémoire. Une pièce qui se révèle importante, mine de rien, mais que je ne lui rendrai que lorsque le moment sera venu pour moi de lui dire, de lui rappeler, ce que je ressens à son encontre. Certes, c'est bien mon copain qui est rentré, aucun doute là-dessus. Chaque fois que son regard se plante dans le mien, je me surprends même à rougir légèrement, tandis que mon cœur bat plus fort. J'aimerais revoir cette lueur affectueuse que j'avais l'habitude de lire dans ses grands yeux marrons, mais j'y discerne, à la place, un éclat taquin à l'image de son début de sourire, l'un des premiers qu'il me tend avec sincérité depuis que je l'ai retrouvé.

Si seulement c'était aussi simple... Mais il ne peut pas comprendre. Il ne peut pas comprendre, parce qu'il ne sait rien de la vérité qui se cache derrière ma fausse apparence de simple 'ami'. 'Si tu es vraiment un ami'... Mais le voilà, le problème : je n'en suis pas un. Ou plutôt, ce n'est pas le rôle que j'ai voulu auprès de lui dès l'instant où j'ai compris que je l'aimais plus que n'importe qui. Plus qu'un ami. J'ai su, malgré moi, qu'il m'aimait aussi. Je n'avais donc aucune raison de me comporter comme il le ferait avec Charlotte, pour citer un exemple. Nous avons partagé ensemble bien plus qu'il ne pourrait l'imaginer à l'heure actuelle, et je rirais presque de son ignorance si je ne souffrais pas moi-même de cette situation calamiteuse pour mon compte et le sien. Avant d'être son petit ami, j'étais avant tout son ami, c'est vrai. Cependant, même un aveugle aurait pu voir que j'étais devenu bien plus proche du Shimomura dès le lendemain de nos déclarations respectives et, il faut le dire, plutôt maladroites. Notre premier baiser n'était qu'un geste, mais il a changé la nature de notre relation, et il s'agissait d'un pas énorme que nous venions de franchir, alors que nous avions chacun peur ce que pouvait ressentir l'autre.

Je feins un sourire, teinté néanmoins d'une certaine peine que je tente d'alléger, et hoche mollement la tête en guise de réponse. J'avais l'espoir que retrouver Faust et les autres lui permettrait d'y voir plus clair, mais il se peut que cela ne l'ait fait que s'embrouiller encore plus. J'espère vivement, en tout cas, qu'aucun des flash-backs dont il m'a parlé ne va trahir ma position vis-à-vis de lui. Ses mots se veulent rassurants, mais ils font l'effet d'un nouveau coup rude au creux de ma poitrine. Je suis conscient que je ne suis pas d'une grande discrétion, mais j'espère au moins arriver à rendre secret ma relation avec lui le plus longtemps possible jusqu'à ce que sa mémoire soit revenue. Je ne tiens pas à m'attirer ses foudres si jamais il venait à apprendre que non seulement je lui ai menti, mais qu'en plus je ne désire par être son ami, mais son amant. Mais c'est compliqué. Tellement compliqué...

Un bruit, soudain, attire son attention et le mien. Quelque chose de vert et grand tournoie dans notre direction sans s'arrêter. On dirait une grosse fleur qui lévite dans les airs. Au moment où cette dernière finit par se poser non loin de nous, je reconnais aussitôt une Vortente, et me tourne immédiatement vers Natsume. Son expression tout à coup admirative et émerveillé arrive enfin à me tirer un rictus amusé et tendre. Voilà longtemps que je ne l'avais pas vu comme ça, tiens. Il faut dire que parmi ses nombreux Pokémons, celui-là ne fait pas parti de sa liste. Je m'empare d'une Rapide Ball vide, avant de la tendre au japonais.

« Ne laisse pas passer cette occasion. »

Mon regard doux et voilé de tristesse se pose vers lui, accompagné d'une expression un peu joueuse.

Modération:

Notice me, senpai

Samaël Enodril

Dès l'instant où j'ai vu cet éclat dans son regard, il n'y avait plus aucun doute. Comment ne pas savoir que Natsume est un fan inconsidéré des Pokémons plante quand on le connaît et qu'on a forcément été victime de ses blablas incessants sur un de ses sujets favoris ? Ses goûts, voilà bien quelque chose qui ne changera jamais, et je n'ai guère été étonné de voir qu'il s'est vite réhabitué à s'occuper de sa trentaine de Pokémons et de son petit jardin aménagé. Il a toujours été bien plus à l'aise avec la végétation et les Pokémons qu'avec les humains, de toute façon. Il suffit de voir la façon dont il nous évite quand l'envie lui prend. Je ne dois pas avoir l'air très fin, à force d'agir comme un parfait stalker. Mais c'est bien tout ce que je peux faire pour compenser l'affection que je ne reçois plus de sa part : le regarder. Un peu trop intensément, certes, mais je ne me contrôle pas. Je devrais à  l'avenir éviter d'avoir l'air aussi insistant ; à commencer par arrêter de le mater quelques minutes quand il est plongé dans le sommeil, car c'est bien le seul moment où je sais qu'il ne me dira rien, ni ne me fixera avec cette expression d'incertitude qui me peine chaque fois que je le lis dans son regard.

Alors bien sûr, je savais que Vortente était un Pokémon que Natsume voulait déjà avoir avant son amnésie, mais le fait qu'il soit peu commun était une réticence qui l'avait empêché de sortir comme bon lui semblait jusqu'aux marécages. Je ne pensais vraiment pas en croiser aujourd'hui, mais c'est une chance qu'il ne peut que saisir, maintenant qu'elle se présente à lui. Cette Vortente sauvage a, qui plus est, l'air tout à fait sympathique et guillerette, alors peut-être aura-t-il plus de chance pour lui demander de faire partie de son équipe qui compte déjà de nombreux membres et qui ne va pas cesser de s'agrandir. Cette lueur d'admiration que je vois dans ses yeux, comme un enfant émerveillé le jour de Noël, fait apparaître sur mes lèvres un sourire mince mais doux mais sincère, qui exprime mon attendrissement fasse au changement soudain du comportement du Shimomura, qui n'est définitivement plus le même quand il a devant lui un Pokémon d'un de ses deux types de prédilection. Sa timidité et son pas non assuré vers la femelle Vortente me fait glousser autant qu'elle me fait fondre, tant il peut être adorable sans le vouloir ; voilà d'ailleurs autre chose qui n'a pas changé.

Alors que j'ai cru qu'il allait d'abord refuser la Rapide Ball que je lui tendais, il l'accepte avec plaisir, avec un peu d'embarras tout de même, et la nouvelle arrivante accepte bien évidemment de rejoindre l'éleveur quand ce dernier lui pose la question. La Vortente finit par se faire aspirer d'elle-même dans la boule, et le japonais se retrouve désormais avec une nouvelle amie à ses côtés. Mais cet échange a l'air de l'avoir gêner, car il tente de se cacher avec les rabats de son manteau -qu'il refuse de quitter depuis le premier jour-, un mouvement que je reconnais assez pour l'avoir vu être effectuée auparavant. En fin de compte, peut-être qu'il avait raison. Il n'y a que sa mémoire qui a véritablement changé chez lui. Mais de mon côté et du sien, c'est bien suffisant pour changer la nature de notre relation, ce dont il ne se rend absolument pas compte, et là est tout le problème que je lui laisse volontairement.
Je ne m'attendais pas tellement à ses remerciements, en fait. Mais j'en suis surpris, autant que j'en suis touché. Je ne suis plus accoutumé à ce qu'il me remercie, depuis son retour. Il faut dire que c'est avec moi que la distance se fait inconsciemment la plus grande, et j'en suis un peu responsable, quelque part, mais je ne regrette rien, en imaginant ce qui aurait pu arriver dans le cas où je lui aurais dit la vérité. Je lui accorde un bref hochement de tête pour toute réponse, avant de lui suivre quand il m'indique quelle direction prendre ensuite.

Sin interrogation me prend au dépourvu. J'ignorais à quoi m'attendre, mais certainement pas à des questions nous concernant tous les deux. J'aurais sans doute préféré qu'il me parle de son lien avec Faust ou même Alice, mais je ne pensais pas qu'il serait intéressé aussi vite par ce genre de détails. Si néanmoins il tient vraiment à savoir, alors ce que ça doit le rendre curieux ; et cette perspective m'honore autant qu'elle me rassure, car je comprends réellement que je ne le laisse pas indifférent. Est-ce parce qu'il y a une sorte de tension étrange entre nous ? Un rien qui est pourtant assez important sans qu'il n'en soit conscient lui-même. Dont tout le monde est au courant sauf lui.

« Eh bien... Cela va faire presque deux ans, maintenant. »

Rien que le dire à haute voix me fait tout drôle. Déjà deux ans que Natsume et moi nous nous connaissons... Un peu plus d'un an que nous sommes plus que des amis et que mon cœur lui appartient, même aujourd'hui alors qu'il ne le sait même pas. Bientôt deux ans que nous évoluons ensemble et que nous ne nous quittons jamais vraiment. Une vingtaine de mois ont passé depuis, avec une telle rapidité et que cela en est presque effrayant. C'est un moment tellement important de nos vies que devoir lui rappeler son déroulement fait naître une sorte de boule dans la gorge. J'ai le cœur lourd d'être obligé de lui remémorer ce par quoi tout à commencé entre nous. Le jour de notre rencontre. Il est marqué au fer rouge dans mon esprit, et il m'arrive encore ces temps-ci de rire de la situation alors, car elle me semble ridicule et amusante quand je considère tout le chemin que nous avons parcouru entre-temps.

« Faust t'avait accueilli chez lui peu de temps avant. C'est drôle, d'ailleurs, car même à ce moment-là, notre rencontre ne s'est pas très bien déroulé, et j'ai réussi à me faire détester de toi dès les premières minutes. Comme lorsque je t'ai retrouvé la semaine dernière, j'ai pansé tes blessures, ce jour-là... »

Mon regard se fait tout à coup pensif, plongé dans mes souvenirs, sans que je ne m'arrête de marcher. La nostalgie s'est emparé de moi d'un seul coup. On ne peut pas dire que cela fait une éternité non plus, mais cela me paraît pourtant si loin que je peine toujours à croire qu'à peine un an et demi s'est écoulé. J'avais encore plus de mal à réaliser une fois que j'ai commencé à sortir avec Natsume, car je me comportais alors de manière plus niaise en sa compagnie que lorsque j'étais juste un ami.

« Mais après quelques échanges et une bataille d'oreillers, c'est tout de suite allé mieux. Et c'est même moi qui t'ai confié Toruru et Ishaku. »

Je place mes mains derrière ma tête, l'esprit plus détendu. J'en suis pas peu fier de ce don. J'étais sûr qu'il ferait un bon dresseur pour eux, étant donné la gentillesse dont il a fait preuve à l'égard de la Balignon à l'instant même où il l'a vue.

« Je suis content... que tu m'aies posé la question. »

Je détourne légèrement le regard en me concentrant sur les arbres et les mares verdâtres qui s'enfoncent avec lenteur sous nos pieds, en ignorant le rose qui a commencé à s'emparer de mes joues. J'ai l'impression que je dois le prendre avec des pincettes, à présent, alors il est devenu difficile pour moi de dire franchement ce que je pense en sa présence. Ne serait-ce que pour mes sentiments amoureux, je dois faire comme s'ils n'existaient pas, mais cela s'avère extrêmement ardu, et surtout, douloureux.

Notice me, senpai

Samaël Enodril

Je ne sais même pas pourquoi je rougis. Enfin... si, évidemment, mais si je continues d'y penser, je vais encore être embarrassé. Si j'étais vraiment un simple ami pour lui, je serais mille fois plus détendu, et surtout je n'aurais pas le rose aux joues. Mais perte de mémoire ou non, Natsume reste Natsume, et bien sûr, rien ne peut enlever l'effet que sa simple vue procure sur moi, même si je n'étais plus habitué à agir comme une midinette chaque fois que je croisais ses beaux yeux noisette. Je crois que le fait de lui parler comme si nous nous connaissions depuis quelques jours me met dans un état plus perturbant que ce que je pensais. J'ai en tout cas bien hâte qu'il se rappelle de tout pour que je puisse me relaxer et arrêter de me faire passer pour le stalker de service. Quoi, comment ça, c'était déjà le cas avant ?!

Je sursaute quand Arbok vient réclamer des caresses de notre part. Je souris tendrement en observant Fran se comporter comme un véritable Ponchiot en manque d'affection. Affection que je lui donne sans sourciller, car les serpents du Shimomura sont les seuls que je peux supporter pour l'instant. Même si Byakuran continue de me faire douter car il ressemble un peu trop aux autres Sévipers que j'ai pu croiser, notamment celui en prison dont le souvenir continue de me faire frissonner encore aujourd'hui. J'essaye peu à peu de me débarrasser de cette peur, car je suis conscient que j'ai des Pokémons qui font largement le poids à présent contre la plupart des créatures hostiles que je peux rencontrer, car mon équipe est constituée de véritables monstres ; mais reste que je dois être en mesure de me débrouiller sans eux quand je ne les ai pas avec moi.
Je donne donc les caresses tant désirées par le serpent violet, en essayant de me concentrer le moins possible sur le japonais. C'est affreux, j'ai tendance à le mater encore plus fréquemment et encore plus intensément qu'avant, et je trouverais ça presque amusant ou excitant. Ce n'est peut-être que mon imagination, mais je me demande si cela a quelque chose à voir avec le fait qu'il ne se souvient plus que je l'aime, et que donc cela faisait comme si je ne lui avais jamais avoué mes sentiments. Ma situation est plutôt triste, alors je pense que ce n'est qu'une manière pour moi de me consoler un peu, même si cela me fait plus ressembler à une héroïne de shojo qu'autre chose.

Je baisse toutefois automatiquement les yeux vers le sol à la suite de sa dernière remarque en me rendant compte qu'il n'a pas tort. Sur beaucoup de points, j'ai une discrétion assez merdique, et c'est d'autant plus flagrant quand il s'agit de mon petit ami, et facile de se douter à quel point cette manie a empiré depuis qu'il a perdu la mémoire, car je ne peux définitivement pas l'approcher avec autant de facilité qu'avant. Je ne peux plus l'aborder à chaque fois avec un câlin et une pluie de bisous, par exemple. Je crois qu'il me verrait très très bizarrement si je me mettais à le cajoler subitement de façon assez ambiguë. D'ici là, il faut vite que je fasse des efforts afin de ne pas éveiller les soupçons, même si je me demande, avec peur, s'il ne finira pas par tout découvrir lui-même, malin comme il est. Quoiqu'il n'a jamais découvert que j'étais amoureux de lui avant que je ne me décide à lui avouer, alors quelque part j'espère que ce sera encore le cas. Mais j'imagine que pendant ce temps ce sera 'no homo, dude' dans sa tête, et je devrais faire comme si c'était également ça dans la mienne.

« Natsume... »

Je n'oublie pas ce qu'il m'a dit en début de phrase. Il est d'accord pour faire un essai, m'accorder un peu de sa confiance comme autrefois. Mes yeux se sont mis à s'illuminer légèrement, emplis d'espoir, à tel point qu'un petit sourire s'est formé. Je me rapproche lentement de lui, tout en conservant quelques centimètres de distance pour ne pas qu'il s'éloigne à cause de la trop grande proximité, car je sais à quel point il est tout sauf à l'aise avec moi, depuis son retour. Et pourtant... Je ferais n'importe quoi pour pouvoir lui prendre la main à nouveau. Il y a quelques mois, je n'aurais pas hésité une seule seconde. Aujourd'hui c'est devenu un peu plus compliqué.

Je me retiens de faire un mouvement vers lui. Un bruit est heureusement là pour détourner mon attention de l'autre, et je tourne la tête, curieux, vers l'origine du son. On dirait un animal en train de courir à travers les marécages. Je ne suis pas loin de la vérité, quand il s'agit en effet d'un Saquedeneu agité. Mais ça, je ne le remarque que lorsqu'une forme bleue plus qu'étrange vient me sauter au visage de façon brusque et soudaine. Rendu aveugle par l'espèce de boule de vignes, je ne regarde plus où je mets les pieds et finis par tomber à la renverse, entraînant malencontreusement mon partenaire (vous savez de quoi je parle) dans ma chute en m'agrippant par réflexe à un bout de sa cape. Natsume et moi atterrissons donc sur une surface mi-boueuse, mi-dure, qui accueille nos majestueux derrières. J'essaye par tous les moyens d'enlever la 'chose' qui s'accroche désespérément à moi, mais plus je tente de la retirer, plus ses lianes viennent m'entourer, me paralysant presque.

En quelques secondes, me voilà qui commence à partir dans un fou rire incontrôlable, chatouiller par les lianes du Pokémon sauvage qui bougent à tort et à travers. Je réussis tout de même l'exploit de le supplier d'arrêter lorsque je peux enfin reprendre mon souffle entre deux rires, mais aussitôt je dois demander de l'aide à mon allié du jour afin de me déloger de la bestiole. Après tout, il s'agit d'un Pokémon qu'il a déjà et qui appartient à un de ses types de prédilection. Avec espoir, je prie pour qu'il ne me laisse pas dans cet état, ne serait-ce que pour se venger de ma séance d'espionnage de tout à l'heure.

Notice me, senpai

Samaël Enodril

Je ne sais pas ce que j'ai avec les Pokémons aux airs louches, mais j'ai l'impression que c'est toujours sur moi que ça tombe. Je ne vais pas comparer mon hilarité au sol due au Saquedeneu à ma peur ressentie lorsque je suis tombé entre les lianes de cet Empiflor il y a trois ans, mais dans les deux cas, je me retrouve paralysé au sol, impuissant. Pas besoin de sortir un de mes Pokémons pour me libérer de cette situation, toutefois. Je suis assez grand pour me débrouiller avec une créature inoffensive, tout de même ; et au pire, j'ai avec moi un spécialiste du type plante et un gentil Arbok qui sait faire usage de sa force si nécessaire.
En priant Arceus de me débarrasser du Saquedeneu, c'est Natsume qui vient à mon secours tandis que je me tortille à terre tel un Chenipan. Peu à peu, je fais taire mon fou rire en même temps que le Pokémon sauvage desserre son emprise sur moi. Avec une délicatesse que je n'ignorais pas chez lui lorsqu'il est en compagnie des Pokémons, surtout ceux de types Plante et Insecte, le Shimomura parle et agit calmement envers le Saquedeneu, un comportement adressé au Pokémon que je jalouse un peu trop fortement. Un pincement au cœur, je sais bien que, avec son amnésie, ce n'est certainement pas avec moi qu'il se conduirait comme ça.

Le Saquedeneu semble se détendre petit à petit au fur et à mesure que Natsume lui parle, et il finit par être reposé au sol pour se coller entre Fran et l'éleveur. Un peu dépité, j'observe la bestiole entourée de nouilles bleues et m'apprête à me relever. La question rhétorique du japonais n'a pas pour but d'être désobligeante, juste de faire passer peut-être un semblant d'humour. Toutefois, j'ai bien vu son sourire disparaître aussitôt son regard tourné vers moi. Il n'y a plus l'expression contrariée qui animait ses prunelles tout à l'heure, c'est déjà ça. Néanmoins je ne peux m'empêcher d'éprouver un début de chagrin en voyant le contraste, certes léger mais que j'ai quand même pu constater. Naïvement, j'ai cru qu'il allait au moins me demander si je ne m'étais pas fait mal en tombant, car la chute était assez douloureuse, mine de rien. Mais malheureusement, je ne suis pas si étonné, au fond, qu'il ne me pose même plus la question.

Stupidement, sa main tendue décroche un très léger sourire sur mon visage. Hésitant, je la prends avec lenteur, savourant le mince, court, et désormais rare contact que j'ai avec sa peau, en me retenant de caresser même du bout des doigts sa paume, puis je me relève en m'époussetant, conscient que je ne pourrais pas enlever toute la crasse qui s'est incrusté dans mes vêtements, sans compter les quelques bleus que nous avons dû gagner en tombant. À mon grand dam, Natsume se préoccupe encore du Pokémon à nos pieds. Je ne peux cacher ma mine un peu ronchon, gêné par l'attention que le Saquedeneu reçoit à ma place. Je sais bien que ce n'est pas de la faute du Shimomura qui est la première victime de mon égoïsme et de ma jalousie ; mais c'est plus fort que moi. J'ai comme un désir de possessivité qui s'est renforcé depuis que je sais qu'il pourrait tomber amoureux de quelqu'un d'autre si nous ne retrouvons pas ses souvenirs rapidement. Oui, je sais, je sais, on parle de Natsume, mais s'il a bien pu avoir des sentiments une fois, rien n'empêche ce miracle de se reproduire. Mollement, je hoche quand même la tête en guise de réponse, en me maudissant de paraître aussi envieux du pauvre Pokémon indirectement responsable, comme Natsume, du mince froid pénible qui s'est formé dans ma poitrine.

Je me retrouve un peu déconcerté par le coup d'œil qu'il me jette soudainement, sans arriver à discerner ce qu'il cherche exactement en me fixant ainsi.
J'ai un truc sur le visage ou... ?
Puis, 'enfin', il me demande comment je vais. Si je suis surpris, je n'en suis pas moins flatté par l'inquiétude qu'il me porte dorénavant, à tel point que j'en ronronne de l'intérieur, heureux qu'il se souci de ma personne pour la première fois depuis nos retrouvailles mouvementées. Ce n'est vraiment pas grand chose, et tant pis si je suis pathétique. Mais rien que cette phrase de sa part suffit pour me contenter.

« Un peu mal à la tête mais ça ira, la douleur finira par disparaître. En attendant, trouvons un endroit calme pour ce petit ! »

Enjoué et souriant, je m'accroupis au pieds de Natsume pour saluer le Pokémon sauvage afin de lui montrer que je suis aussi inoffensif que mon petit... ami. Nous cheminons ensuite accompagné du Saquedeneu à travers les marécages, aux aguets pour repérer le moindre ennemi pour mieux défendre notre protégé du moment. Je fais confiance au Shimomura pour trouver une zone où le jeune mâle sera confortable et à l'abri des Pokémons agressifs qui lui font tant peur.

« Et... Et toi, ça ira ? Je t'ai entraîné dans ma chute, tout à l'heure... »

Ma main vient se poser sur ma nuque et je détourne le regard vers le sol, gêné. Je vois sur ses vêtements quelques marques de saletés, alors que j'ai remarqué qu'il faisait particulièrement attention à la cape qu'il porte sur lui en permanence et qu'il n'a l'air de ne jamais quitter. J'espère ne lui avoir pas trop fait mal. Au pire, s'il a une bosse sous son impressionnante tignasse, il faudra penser à mettre un peu de glace dessus. Mais... c'est ça !...

« Hé-hé dis, au fait... tu aimes toujours les glaces ? Avec Faust on a... on a acheté un gros pot de sorbet à la framboise pour ton retour. Je... Je me disais qu'on pourrait peut-être l'entamer devant un film ce soir ?.. »

Voilà que je recommence à rougir un peu, maintenant. Ah mais ça je sais très bien pourquoi. C'est parce que je ne vais pas arrêter de le regarder pendant le long-métrage s'il me dit oui, je me connais. Mais cette fois-ci, je sais que je ne pourrais pas avoir le plaisir de reposer ma tête sur son épaule, ou même de faire le clown en m'allongeant sur lui pour m'amuser à l'embêter gentiment, pour qu'après ça se suive par une bataille de coussins, afin que nous finissions par nous endormir l'un contre l'autre jusqu'au matin avant qu'on ne se réveille et que Faust ou Alice se décide à nous prendre en photo alors que nous sommes encore dans les bras de Morphée. Ces soirées me semblent lointaines à présent, et Arceus pourtant sait à quel point elles me manquent cruellement.