Notice me, senpai

Samaël Enodril

Les marécages n'ont jamais été trop mon truc, je dois avouer. Ma maladresse fait que j'arrive toujours non seulement à m'y perdre, mais en plus à m'y plonger. Je suis bien plus à l'aise dans les airs ou sur la terre ferme, là où je suis sûr de ne pas m'ensevelir dans des mares boueuses. Fort heureusement, à part les Pokémons, il n'y a personne pour me voir quand je fais une malencontreuse petite chute. Ce n'est pas comme si j'allais beaucoup dans ces environs, en même temps. Je considère que mon équipe est déjà suffisamment complète comme ça et que je n'aurais pas besoin de plus pour espérer gagner la Ligue cette année. Bien sûr, si je finis par craquer au dernier moment, je me résoudrai à faire une exception, mais inutile d'avoir autant de Pokémons que Natsume. Je ne comprends d'ailleurs pas comment il fait pour tous les gérer, celui-là. J'imagine qu'un éleveur doit s'habituer à prendre en charger plusieurs Pokémons à la fois, mais je reste malgré tout impressionné par la force de caractère dont fait preuve le Shimomura. Même après son amnésie, c'est comme s'il avait gardé certains de ses réflexes d'avant.
Comme celui de se tenir loin de nous, par exemple...
Une habitude que le japonais avait perdu au fil du temps, mais qui avait été présente les premiers jours, et j'ai pu en faire les frais. Nouvellement arrivé sur Enola, j'imagine que le fait d'avoir perdu la mémoire lui fait le même effet. Alors forcément, il ne veut pas traîner avec des gens qu'il ne connaît quand bien même ils font partis de son passé, mais justement. S'il veut retrouver ses souvenirs le plus rapidement possible pour combler les trous de sa mémoire, s'isoler n'est sans doute pas la meilleure solution, et pas besoin d'avoir fait des études dans le domaine pour le savoir. Nous sommes la clé qui lui permettra peut-être de retrouver tout ce qu'il a perdu, alors pourquoi s'osbtine-t-il à vouloir créer une distance entre nous ? Est-ce à cause de moi ?

C'est vrai que j'ai essayé de me rapprocher un peu de lui, mais en même c'est censé être mon copain, alors quoi de plus normal ? Je ne fais rien de mal à le coller 'un peu' de temps à autre, après tout. Je veux juste l'aider comme je peux et m'assurer qu'il ne manque de rien, voilà. Ce n'est pas comme si je le suivais partout comme un toutou, que je lui demandais toujours si ça allait ou que l'affection qu'il me donnait autrefois me manque à tel point que j'en oublie encore le soir pourquoi je me retrouve dans mon lit et pas dans le sien. Non, il ne se passe rien de tout ça. C'est pas vrai. Je nie toutes responsabilités. Et puis non, je ne le stalke pas ! Je vérifie seulement qu'il ne disparaît pas une nouvelle fois et qu'il peut se débrouiller tout seul en territoire sauvage. Voilà, c'est tout. Rooh, arrêtez de croire que je suis un menteur, je vais finir par le perdre de vue par votre faute !
Bon, bien sûr, même si je finissais par ne plus le retrouver dans ces marécages, je ne pourrai bien évudemment pas l'appeler. Il est important que je me fasse le plus discret possible pour pouvoir le suivre sans qu'il ne s'aperçoive de ma présence, et même si Fran commence à avoir des doutes, à force de se retourner sans arrêt dans ma direction, je crois que son dresseur n'a rien remarqué pour l'instant et que je mène à bien ma mission jusque là.

Je sursaute en entendant toutefois que l'éleveur donne la permission à Fran de jouer dans les environs, ce qui signifie rien de bon pour moi si jamais il me découvre tout à fait. Je voyais bien que l'Arbok commençait à avoir des doutes, mais j'ignorais s'il avait pu me repérer grâce à son odorat. Je respire plus lentement pour ne pas qu'on m'entende respirer trop fort et avance plus doucement pour suivre la piste de ma cible qui continue de bouger entre ces marécages lugubres et infects. J'ai eu vent à de nombreuses reprises que cette endroit cachait cependant des Pokémons particuliers, comme des insectes et des plantes qui pourraient intéresser le Shimomura. C'est ici d'ailleurs que j'ai capturé Tsume. Ce doit bien être le seul souvenir agréable que j'ai de ces lieux. Enfin 'agréable'... Pas que l'Azumarill soit un ange, loin de là, mais il est assez puissant quand on se penche d'un peu plus près sur son cas.
Mon cœur bat vite, sans doute à cause du stress que provoque cette mission d'espionnage que je me suis donné. Je n'aime pas le 'fliquer' de la sorte, surtout depuis notre discussion il y a deux ans à ce sujet, mais ce n'est pas comme si le principal concerné nous laissait beaucoup de choix. Espérons juste qu'il ne me remarque p-...

« Whouahouaaaaah ! »

J'ai trébuché. Lamentablement. En sentant quelque chose frôler mes pieds et en baissant les yeux pour m'apercevoir qu'il s'agissait d'un truc rampant, j'ai immédiatement fait un bond sur le côté, avant de me rater sur une racine grossière un peu surélevée, provoquant un plongeon direct dans un des marécages vaseux pour faire résonner un « splash » assez ridicule qui éclaboussa les alentours. Grillé. Je suis définitivement grillé. Et pas au sens propre du terme, pour une fois. Si Natsume n'a pas entendu le bruit de ma déchéance, moi, je suis le maître de l'île. Mais si je relève ma tête hors de l'eau pour ne pas boire la tasse de cette eau ragoûtante, je n'ose cependant pas lever le regard sur l'asiatique qui a dû se rapprocher, perturbé par le son de mon magistral 'fail'. Ma poitrine tambourine quand je me rends compte que je ne peux pas vraiment sortir une excuse qui serait valable. Je lui ments déjà bien assez à mon goût. Impossible néanmoins de lui faire face pour me dépêtrer de cette situation. Alors, au comble de mon désespoir et de ma panique, mon cerveau ne trouve rien d'autre à faire que de faire bouger mon corps à moitié dans l'eau et d'imiter le regard d'un poisson mort pour exécuter une chose tout à fait logique et intelligente (#sarcasme).

« … Magicarpe, magicarpe. »

Notice me, senpai

Samaël Enodril

Si vous me posez la question, sachez que je vais très bien. Je ne suis absolument pas en train de gigoter comme de la poiscaille en imitant le Pokémon le plus inutile du monde parce que j'ai soudain très chaud en sentant le regard blasé que l'autre a posé sur moi. Même les caresses de Fran n'arrivent pas à me détendre à l'heure actuelle, aussi adorable soit l'Arbok qui a de plus en plus des airs de chiot et dont l'affection à mon égard me touche. Mais si seulement la réaction de l'éleveur était calquée sur celle de son serpent... Je ne serais probablement pas en train de mourir de honte alors que je viens de foirer mon coup en beauté et que je me souviens, avec ignominie, de ce qui s'est passé la dernière fois que j'ai fait quelque chose de semblable. Et je comprends tout à fait qu'il n'apprécie vraiment pas qu'on le surveille de cette manière. Moi non plus je n'aimerais pas que quelqu'un espionne mes moindres faits et gestes, et je me doute que c'était pour être tranquille que le lapin a décidé de partir en balade avec pour seule compagnie son reptile violet.
Je suis désolé. Sincèrement. Je sais à quel point il déteste quand je fais ça et je ne peux absolument pas le blâmer. Ne pouvant l'ignorer plus longtemps, mon regard doré croise finalement le sien. Mais aussitôt, je regrette ce choix. Je rentre légèrement la tête dans les épaules, comme un animal après avoir fait une bêtise, lorsque j'aperçois les éclairs dans ses yeux bruns que j'aime tant. Je déglutis, tentant de ne pas faire attention à la douleur qui me compresse la poitrine. Cela faisait un bail que je n'avais pas vu une telle lueur de mécontentement briller à mon encontre dans ses prunelles chocolat.

Même Fran se stoppe quand l'indignation du cadet se fait de plus en plus palpable. Je suis pathétique ; et ce depuis toujours. Le pire, c'est que j'en ai conscience et que je ne fais rien pour arrêter cette manie de me rendre ridicule. Le Shimomura ne décroche pas un seul rire. Il me trouve grotesque. Il a raison. Je sais en plus que, même s'il avait retrouvé ses souvenirs, il m'en aurait voulu de l'épier de la sorte. Je tente un sourire gêné, honteux, avant de détourner un peu les yeux et de réfléchir à ce que je peux bien lui dire. Rien n'excuse mon comportement. Mais il me détesterait probablement s'il savait la vérité, alors je fais mine de garder le silence pendant quelques secondes. Je crois qu'il ne porte pas trop dans son cœur à l'heure actuelle, mais ça serait sans doute pire. Une partie de moi gémit, souffre de cette méfiance et de cette colère dirigée contre moi.

« Je... Je ne voulais pas... »

Je ne trouve pas mes mots. Arrête. Arrête de me regarder comme ça. Je ne veux pas. Je ne veux pas.

« Je... je voulais juste... »

Je ne peux continuer. Je n'ai rien à dire. Tout ce que je pourrais annoncer le rendrait automatiquement furieux. Toutefois, un bruit, près de nous, me tire temporairement de ma panique interne. Et un éclair se jette brusquement entre nous deux.

Modération:

Notice me, senpai

Samaël Enodril

Sans en avoir réellement conscience, je me suis mis à trembler légèrement. J'attends probablement qu'il déverse sa colère sur moi pour que je puisse ensuite me tirer d'ici sans rien demander de plus. Maintenant qu'il m'a découvert, je ne peux pas faire grand chose à part le coller ou le fuir. Il se peut que le peu de confiance qu'il m'accordait vole en éclat à cause de cette histoire, ce qui ne serait vraiment pas bon pour moi. Déjà que je suis censé être seulement un ami, je n'arriverai à rien avec sa mémoire s'il ne peut pas croire à ce que je lui raconte, quand bien même je ne lui ai raconté qu'un seul mensonge et que le reste n'était que pure vérité. Mais je ne supporte pas le regard froid qu'il m'adresse. Cela ne lui ressemble tellement pas...
Pourtant, s'il semblait assez irrité il y a quelques minutes, il change tout à coup de comportement et s'exprime bien plus 'amicalement' que ce que j'aurais cru. Il ne lui en veut donc pas ? Natsume déteste être fliqué, surtout quand cela me concerne, mais néanmoins, il a l'air de passer presque au-dessus pour cette fois. Je suis à la fois soulagé mais extrêmement surpris de constater qu'il a changé d'avis et qu'il envisagerait possiblement le fait que je reste avec lui plutôt que je rentre à la maison afin de le laisser tranquille. J'espère au fond de moi que cela signifie que je ne le gêne pas tant que ça et qu'il reste un peu de mon copain en lui, mais ce serait trop beau pour être vrai et je me suis promis de me montrer patient en ce qui concerne ses souvenirs.

L'éclair en question qui nous a interrompu se trouve en fait être un Lixy. Je ne sais pas à quoi je m'attendais, mais c'est déjà bien si on est pas tombé sur un Pokémon trop dangereux. Cette boule de poils bicolores ne paraît pas très menaçant, même si des éclairs assez dangereux s'échappent de son pelage et qu'il fait le gros dos en nous voyant, comme s'il nous défiait. Mais dès lors que le chaton gronde, Natsume, subitement, me tire par le bras pour me relever avant de se placer devant moi comme s'il voulait me protéger d'un quelconque risque. Mais je crois qu'il s'agit simplement de mon imagination, car après ce qu'il vient de se passer, cela me paraît bizarre que, d'un coup, le japonais veuille me défendre. Pas comme si j'avais besoin de protection, surtout avec l'équipe de Pokémons que j'ai avec moi, mais on aurait dit qu'il se souciait enfin de ma personne. Ou alors fait-il uniquement ça car je pourrais lui servir à quelque chose ? Il a compris que j'étais quelqu'un d'important à son passé, même s'il ignore le véritable lien qui m'unit à lui, alors il n'est pas anormal qu'il veuille me garder en état pour lui apporter deux ou trois réponses de plus.
En dépit de la situation, je ne peux m'empêcher d'être rassuré en me rendant compte qu'il ne reparle plus pour l'instant de ce qu'il vient de se produire et que j'ai peut-être une chance de lui montrer que je ne suis pas si pathétique que j'en ai l'air.

« Ne t'en fais pas, ce n'est qu'un Lixy. Il n'a pas l'air très dangereux. »

Si on me demandait de sauter d'une falaise, il est évident que je ne le ferais pas. Il n'empêche que je reste très con quand je le veux et que c'est l'air de rien que je m'avance vers le petit chat électrique pour tenter de le caresser. Naïvement, je pensais que le félin serait comme les chatons dont ma mère s'occupe et que je pourrais alors m'approcher du Lixy sans qu'il ne risque de me faire du mal. Mais j'en oublie que les animaux et les Pokémons sont très différents en plusieurs points, et que si j'ai eu la chance de pouvoir côtoyer une portée l'autre jour pour fondre comme un gros niais sur des bébés chats, il est vrai que ces petits de quelques mois n'avaient pas d'attaques électriques, eux. Et ne possédaient pas non plus de dents aussi développés. Je m'accroupis donc à la hauteur du jeune mâle pour essayer de le caresser.

« Tu vois ? Il est adorable. Ado-... WAAAAH ! MAIS LÂCHE-MOI ! »

Ce que je n'avais pas calculé, c'est l'esprit combatif qui sommeille dans le Lixy sauvage en question. Alors quand j'avance ma main avec un sourire débile sur le visage, je ne prévois pas tellement la suite. En effet, profitant de ce moment, le Lixy mordille mon bras. J'aurais sûrement trouvé ça mignon si cela ne me faisait quand même pas un petit peu mal et que le chaton voulait bien me lâcher. Malheureusement, j'ai beau secoué mon bras dans tous les sens, la bestiole s'agrippe férocement comme si j'étais une proie.

Modération:

Notice me, senpai

Samaël Enodril

Euh... bon d'accord. Qu'on se le dise, ce n'était peut-être pas la meilleure idée que j'ai jamais eu. Il faut dire qu'avec l'équipe de monstres dont je dispose, ce n'est certainement pas un chaton un peu bagarreur qui me ferait peur. Mais mine de rien, il a de la force pour sa petite taille, le bougre ! Et ses crocs ont l'air bien aiguisés, pour un félin aussi petit. J'ai supporté pire douleur dans ma vie, certes, mais reste quand même que ce n'est pas forcément agréable et que je ne suis pas un emo insensible non plus. J'aurais espéré que faire gigoter mon bras aurait suffi à calmer la 'bête', mais celle-ci se révèle plus tenace que prévu et me donne du fil à retordre pour la faire s'en aller. Aussi, malgré mes efforts, j'envisagerais presque de m'enfoncer dans les marécages en espérant que cela fasse fuir le Lixy, mais étant donné qu'il s'agit d'un type électrique, j'ai un peu peur qu'il utilise son type pour m'infliger une décharge. L'idée de faire sortir un de mes Pokémons s'impose, mais tandis que je continue à pousser des petits cris assez peu distingués, je sens quelque chose s'agripper à mes épaules et me tirer en arrière pour m'immobiliser. Croyant qu'il s'agit d'un autre Pokémon sauvage, je bouge encore plus, mais sentant contre moi l'odeur plus que familière et plaisante de mon petit ami amnésique, j'ai bien vite fait de me calmer et d'oublier pendant un instant les dents plantées dans ma peau.

Fran agit également à son tour en entourant le Pokémon sauvage avec sa queue afin de le détacher de mon bras, pour le jeter un peu plus là la tête la première dans les eaux boueuses. Je soupire de soulagement, esquissant une grimace à la remarque de l'autre. J'ignore comment j'ai pu être assez stupide pour croire qu'une bestiole aussi adorable pouvait cacher un caractère aussi coriace. Quoique... Cela me rappellerait presque quelqu'un à ses débuts, tiens... Mais le concerné ne pourrait pas comprendre à quoi je fais allusion si je lui en parlais maintenant. En tout cas, cela m'apprendra à sous-estimer même les créatures les plus mignonnes. J'aurais dû comprendre la leçon depuis le temps, mais je ne sais pas ce à quoi je m'attendais. En moins de quelques minutes, j'ai réussi à me rendre ridicule à deux reprises devant lui. Je dois vraiment faire des efforts si je veux qu'il me prenne de nouveau au sérieux, comme lorsque je l'ai récupéré et qu'il semblait boire mes paroles.
D'un mouvement de tête, je le remercie silencieusement, préférant ne rien rajouter de plus, et enfile les gants qu'il me tend, trop soulagé qu'il ne me rejette pas au final et qu'il veuille bien supporter ma présence à ses côtés pour cette fois, malgré son irritation de tout à l'heure. De plus, je serais ravi de lui rendre service et de pouvoir lui être utile.

En considérant la légère blessure à mon bras, je manque de lui dire que ce n'est pas la peine et que cela peut attendre. Mais en voyant son air blasé au possible et sachant que c'est dans sa nature de vouloir soigner les autres, je ne dis mot et vais m'installer sur la souche qu'il me désigne, en cachant un sourire réjoui à l'idée que Natsume s'occupe de moi, même si pour lui il s'agira toujours de quelque chose de banal et que je suis conscient que je ne suis pas tant un privilégié que ça en ce qui concerne ses soins. Connaissant sa situation, toutefois, je compte profiter de ce moment avec lui pour passer du temps en sa compagnie sans devoir me cacher de façon maladroite. Je préfère de loin ne pas à l'espionner dans son dos, surtout que je suis très mauvais à ça, ou du moins quand il s'agit de lui. J'attends donc qu'il me rejoigne, comme un gamin impatient, et le laisse gérer les traces de morsures. Mon regard se porte longuement sur lui pendant qu'il exécute sa tâche, et je me remets à l'observer comme tout à l'heure, avec un sourire doux. Je ne veux pas le mettre mal à l'aise, mais je n'arrive pas à me détacher de lui alors qu'il est si proche. Je tourne néanmoins la tête, remarquant par hasard le Lixy sauvage sortir de l'eau, le pelage trempé, et détaler entre les lianes en poussant des miaulements mécontents. Un silence de plusieurs secondes se poursuit, jusqu'à ce que je décide de le briser de manère incertaine.

« Je... »

J'hésite. Je me mets à fixer le sol comme si cela devenait la chose la plus intéressante au monde. Je ne sais pas exactement ce que je veux lui dire, mais je veux lui parler. Je veux briser tout ce qui peut se mettre en travers de nous. Rétablir cette connexion que nous avions autrefois, même je sais que l'absence de ses sentiments ne le permettra pas tout à fait. Mais nous possédions une réelle complicité. N'y a-t-il pas moyen de le retrouver ?

« Je comprends que tu veuilles rester seul, parfois. »

Personne ne peut véritablement lui en vouloir de mettre de la distance entre nous. Il débarque dans un endroit dans lequel il a peu de repères, entourés de gens qu'il est censé connaître mais dont il n'a pratiquement aucun souvenirs, si ce n'est des flashs sans queue ni tête auxquels il doit faire face alors qu'il n'y comprend rien. Comment, après tout, recoller des morceaux qui n'ont aucun lien entre eux ? Si seulement je pouvais entrer dans sa tête pour mieux comprendre... Je le pourrais peut-être, d'ailleurs, mais si jamais cela devait se révéler utile, je ne pense pas que Natsume accepterait de me laisser voir dans son esprit alors qu'il tient assurément à garder ce qu'il a vécu pour lui. Il a forcément vu ou subi, et n'a pas spécialement envie d'en parler ou même de ressortir cette période de sa vie. Les marques que j'ai aperçu dans son dos en disent bien assez elles-mêmes. Je suis très inquiet, mais je ne peux rien faire.

« J'aimerais croire que, peu à peu, tes souvenirs finiront par revenir. Mais je sais que ce n'est pas aussi simple. »

Je pousse un bref soupir, en tentant un léger sourire, sans doute un peu attristé par la situation. Mais ce n'est pas de sa faute.

« Je n'aime pas t'espionner, tu sais. Je suis juste... maladroit face à ce qui se passe. Nous parlions avec une telle facilité autrefois... Mais j'ai toujours peur que... que tu t'en ailles, et que tu disparaisses de nouveau. »

J'ai raffermis un peu ma prise sur le tissu de mon pantalon. Je ne sais pas ce qui se passerait si jamais il devait encore s'envoler dans la nature. Je crois que j'en deviendrais fou. Nous avons déjà passé deux mois assez insoutenables comme ça, mais même après le retour du Shimomura, nous n'étions au final pas encore tranquilles. J'attends, avec hâte, le moment où nous aurons enfin retrouver la paix. Un peu plus loin, je suis toutefois interloqué par une voix qui résonne dans les marécages. Avec une grimace, je découvre que j'ai enfin trouvé quelqu'un qui chanterait encore plus faux que moi.

Notice me, senpai

Samaël Enodril

Je ne me suis pas attendu à ce que ses souvenirs reviennent d'un coup ; ma naïveté a des limites, mine de rien. Je savais que cela allait probablement prendre du temps, même si cela m'aurait arrangé que tout soit plus simple et que cette histoire se termine assez vite. Un mois, un an, qui sait. Je ne peux rien faire d'autre, hélas, si ce n'est lui venir en aide. Mais en veut-il seulement, de mon aide ? S'il se met à s'éloigner de nous petit à petit pour venir chercher une solitude qui est sans doute plus réconfortante que la chaleur que nous pourrions lui apporter mais qui ne lui est plus du tout familière, le contact que nous essayons d'établir ne s'éveillera jamais chez l'éleveur. Comme pour Clive, je dois le côtoyer régulièrement, désormais, cependant il semble fuir ma présence. Le problème du Shimomura est différent de celui du Donovan, mais il est plus grave pour ma part quand on considère le lien affectif qui nous unit, et dont le principal concerné ignore tout. Des flashs ont beau lui revenir en tête à des moments hasardeux, s'il ne peut les comprendre, je ne sais pas si cela a une grande utilité à part peut-être lui donner des maux de tête. Il faudrait qu'il se confie à nous, mais pour l'instant, je ne crois pas qu'il ait assez confiance pour nous parler de ce qu'il a sur le cœur, même si je pense qu'il a deviné que nous sommes effectivement liés à son passé et que le comportement de ses serpents en dit déjà long sur le sujet.

Sa question rhétorique fait naître un léger espoir en moi, et je mentirais si je disais que ses mots ne me rassurent pas. Oui, c'est bien vrai, il n'aurait nulle part où aller. Chez Faust, il a un endroit où dormir, manger, travailler, se détendre, et possiblement récupérer une partie de la mémoire qui lui a été enlevée. Tant qu'il ne se sentira pas menacé dans la demeure du Conseiller, je veux croire qu'il n'aura aucune raison de partir. Mais sur ça, je suis rassuré ; car nous sommes bien les dernières personnes à vouloir lui faire du mal et les premières à désirer son bien-être. Même si sa voix était amère, je me concentre sur le côté positif de la chose sans me préoccuper, égoïstement, du dérangement que cela provoque chez lui. Oui, je viens de dire que je m'inquiétais de son bonheur alors que je pense également à ma poire quand je suis content qu'il veuille rester parce qu'il n'a pas le choix et que cela ne l'enchante pas particulièrement. Mais quand tout rentrera dans l'ordre, il nous remerciera de l'avoir gardé le plus possible auprès de nous. Mais bon, soyons honnête, je crois que son jardin personnel est un argument assez lourd pour qu'il ne s'en aille pas à la première occasion.

Je ne peux m'empêcher de me sentir blessé par son ton sec, même s'il a raison. Je ne suis pas habitué à ce qu'il me parle de manière si brusque, même si je sens que je vais devoir m'y faire, vu comment les choses progressent. Ce n'est pas demain la veille qu'il se remettra à me parler d'une voix douce et rassurante comme à l'accoutumé. En même temps, ce n'est pas ainsi que tu es censé t'adresser à un 'ami'. Mais il ne me considère même pas comme tel. Je suis la chose collante, pour le moment. Ni un allié, ni un ennemi. Si ça se trouve, je le fais plus fuir que l'inverse. Il faut dire que j'ai des manières assez spéciales d'approcher les gens en général, vous vous en êtes rendu compte. Jusqu'ici, pourtant, je n'avais jamais été confronté à une telle situation, à savoir 'jouer l'ami devant mon copain et faire comme si tous les moments que nous avons passé ensemble et que j'ai chéri se sont envolés comme une traînée de poudre dans son esprit par je-ne-sais quel moyen'.
Mon regard affiche une lueur de tristesse, que je ne cache même plus. Cela ne servirait à rien, de toute façon. Au bout d'un certain temps, la peine que je conserve jalousement pour moi sera visible de tous, tant elle grossit au fur et à mesure que je fais connaissance avec le nouveau Natsume, celui qui est devenu un mystère. Je reste toutefois silencieux quand il se lève, ne lui accordant qu'un bref mouvement de la tête pour le remercier de ses pansages. Pendant un court instant, j'ai pu oublier qu'il ne se rappelait plus de moi, et me suis contenté de sentir sur lui une certaine délicatesse malgré tout, dont il fait preuve quand il s'agit de faire attention aux autres. Cela doit donc être ça. Quand je me fais mal, il prend soin de moi.

« Tu avais raison sur un point, l'autre jour. »

Je peux reconnaître dans ses traits, durant quelques secondes, ceux de l'éleveur dont je suis tombé amoureux. Un moment qui ne dure pas, et que je vois s'achever quand il me tourne le dos afin de ramasser de quelconques plantes. Puisque je suis ici et que j'ai perturbé sa bien-aimée solitude, le moins que je puisse faire est de me rendre utile. Alors je me lève à mon tour et cherche ce dont il pourrait avoir besoin. Je crois reconnaître de la menthe aquatique. Je la prends par la racine, comme il l'a si souvent indiqué lorsque je l'aidais dans son jardinage, et la porte à mon nez pour sentir son parfum. Oui, il s'agit bien de menthe. Une odeur semblable à celle que portait Natsume quand il se couchait contre moi, après avoir pris son bain. Mon Natsume. Celui que je ne suis pas prêt de revoir de sitôt.

« Ton caractère est resté le même, mais le fait que ta mémoire ait été effacée te rend différent du Natsume que j'ai connu. »

Le dire à haute voix, et même le penser, me coûte plus que ce je pensais. Mais c'est pourtant vrai. Je me tuais à me dire qu'il s'agissait du même Natsume. Mais c'est impossible, et je le sais, car l'autre m'aimait. Sans le scruter directement, mes yeux sont rivés sur la menthe, dont la tige roule entre mes doigts. La menthe... utilisée pour ses vertus aromatiques, qu'il m'a dit un jour. Le parfum qui se dégage des feuilles me rappelle les premières nuits que nous avons passé ensemble, lorsque j'avais cette sale manie de sentir ses cheveux car je les trouvais particulièrement agréables non seulement au toucher mais aussi à l'odeur, à tel point que j'en étais venu à piquer un peu dans son shampoing, ce que j'ai regretté, au final, quand je me suis rendu compte que je préférais sentir cette douce effluve sur le corps de mon petit ami plutôt que directement sur moi.
Un voile de mélancolie se dépose sur mon regard et l'assombrit faiblement, le rendant morne.

« Alors j'aurai beau te dire qui je suis pour toi, rien ne pourra te le prouver à toi-même, et ce n'est pas comme ça que tu me feras confiance. J'imagine que les épreuves que tu as traversées ne t'ont pas aidé à te rendre moins méfiant vis-à-vis des autres. »

Mes prunelles dorées se tournent vers lui, et un petit sourire presque malheureux et néanmoins empli d'espoir apparaît sur mon visage.

« Mais un jour, si tu le veux aussi, j'espère que nous pourrons redevenir amis. »

Et plus si affinités, mais il s'agit là d'une autre histoire...

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