La marche des pingouins

Feat Phoebe Garmon

Besoin d'air. De beaucoup, beaucoup d'air. Clive exhala longuement en quittant son immeuble, le visage blanc et les doigts encore tremblants. Il entreprit de marcher au moins quelques minutes, rien que pour dégourdir ses jambes qui lui paraissaient encore trop contractées sous le coup du choc. Derrière lui, sa Kungfouine continuait de le suivre, mécontente du manque d'attention en provenance de son dresseur. Pas que l'ancien officier s'en occupait, bien trop préoccupé par la nouvelle qu'il venait d'apprendre et le choc qui paralysait encore presque tout son esprit. Mécaniquement, ses pas le menèrent vers une partie plus vide de la ville à cette heure-ci. Après tout, à vingt-deux heures passées, la majorité de la population dînait où s'était déjà couchée. Il aurait pu faire la même chose si il n'avait pas l'impression d'étouffer à chaque fois qu'il s'arrêtait quelque part. Il prit tout juste le temps de prévenir Faust qu'il était sorti pour éviter d'être harcelé toutes les cinq minutes, avant d'accélérer le pas.

Il aurait cru que sa situation n'aurait pas pu empirer, après ce qui lui était arrivé en mai dernier. Il s'était dit, peut-être naïvement, que passer plus d'un mois et demi en prison à se faire torturer était suffisant. Qu'il avait déjà atteint le plus bas point de sa vie, et que par conséquent il n'avait rien à craindre par le futur, vraiment. Erreur. Désespérante, naïve et utopique erreur. Un goût amer lui restait en gorge, de telle sorte qu'il n'aurait pas su dire si il avait envie de se terrer dans un mutisme total ou si il souhaitait simplement hurler. De toute manière, il n'arrivait plus à comprendre ses émotions depuis un moment, même lors des rares fois où elles se montraient claires. Tout s'emmêlait et se mélangeait dans un immonde chaos dont il n'arrivait même plus à percevoir le sens.
Frustration. Simple mais pourtant tellement dure à appréhender pour quelqu'un d'aussi perfectionniste et cartésien que lui. Un sentiment superflu, impossible à supprimer d'un claquement de doigts et pourtant désespérément agaçant.

Après plusieurs minutes à passer à ruminer du noir dans sa barbe inexistante, le châtain remarqua que ses pas l'avaient porté vers le marché. Toujours animé, évidemment, même durant la nuit : Vanawi était connue pour autre chose que ses rues perpétuellement bondées et ses embouteillages, après tout. D'ordinaire, il avait tendance à l'éviter, à cause du trop grand nombre de personnes et du fait qu'il n'était toujours pas à l'aise face à une large densité de personnes, mais il ferait une exception pour aujourd'hui. L'odeur de nourriture et la douce lumière en provenance des stands avaient quelque chose de rassurant en cette nuit bien sombre. En voyant son reflet dans un miroir, un rictus se dessina sur son visage : avec ses cernes et son teint pâle, il passerait pour un zombie, à l'heure actuelle. Il ne fit même pas attention au fait que ses cheveux étaient encore châtains, car il n'avait pas eu la foi de les recolorer depuis sa sortie de prison. Manque de motivation, tout simplement. Et quelque part, peut-être qu'il n'avait même plus envie qu'on le différencie de son jumeau. Sans vouloir être trop dramatique, il n'accordait plus tant d'importance que ça à ce qu'on le reconnaisse.

Clio ne cessait pourtant de chercher à attirer son attention, que ce soit en donnant de légers coups dans ses jambes ou en poussant des geignements agacés. Si la tolérance de Clive était d'ordinaire tout particulièrement bien développée et que l'on aurait pu croire qu'il allait continuer à ignorer les caprices de sa Kungfouine, aujourd'hui était différent. Très différent. Et il sentait bien qu'il ne serait pas capable de persister dans sa tolérance. L'envie de se défouler était bien plus puissante que d'ordinaire, et honnêtement ? Il n'avait pas su résister.
Brusquement, il se retourna, les traits de son visage froncés en une expression courroucée.

« Bordel Clio, ça va, j'ai compris ! Fous-moi la paix ! »

Il avait crié, ne pouvant s'empêcher de cracher sa frustration sur la Kungfouine qui n'aurait vraiment pas dû continuer à lui prendre la tête après ce qui venait de se passer. Sauf que non. Contrairement à ce qu'il croyait, il n'avait pas lancé sa colère vers la jeune femelle mais sur une jeune femme aux cheveux verts aux yeux rouges. Épouvanté, Clive se décomposa sur place et tourna encore plus blanc qu'il ne l'était déjà.

« Oh-oh, je-, euh, pardon, vraiment ! Je ne voulais pas, c'est j-j-uste que... »

Bravo. BRAVO. Pestant mille et une fois contre lui-même, l'ancien officier s'éloigna un peu, ne faisant pas attention aux ricanements mesquins de sa Kungfouine. Il n'avait qu'une seule envie à l'instant : s'enterrer six pieds sous terre, après s'être excusé pendant des heures et des heures. Mais pour l'instant, il pouvait juste essayer de se faire pardonner pour sa stupidité.

« Vraiment, je suis désolé, s'cusez moi. Tout va bien ? »

Lui par contre, il allait probablement faire une crise cardiaque d'ici peu.