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« Et... Et alors, il devait bien jouer, non ?
- Oh... C'était magnifique. »

Oui, magnifique, c'était le mot. Heureuse qu'il ait gentiment accepté ma demande, je buvais tranquillement mon thé en le regardant faire. Retenant mon souffle lorsqu'il commença à s'installer derrière le piano, je ne fus pas déçu le moins du monde dès le premier instant où il posa ses doigts sur les touches blanches et noires. Je ne suis pas experte en musique ; je n'aurais pas su dire quel morceau il jouait. Peut-être un de sa composition ? En tout cas, c'était très beau. Non brusque ou violent, il y avait là un rythme doux très agréable à l'oreille. Je fermais les yeux pour apprécier davantage le son, tandis que je ne voyais pas le temps passer. La nuit pourtant se mettait progressivement à tomber. Mais quelle importance... C'était un cadre confortable, où je me sentais à l'aise. Et peu à peu, une image se mit à se former au milieu des ténèbres que me donnait mon regard clos. Je voyais aussi un piano. C'était ton père, cette fois-ci, qui le dirigeait. Il a autant aimé que détesté ses leçons de piano que son tuteur lui imposait, car il fallait qu'il soit doué à quelque chose. Il n'aimait jouer que pour ceux qui comptaient pour lui, et quoi de plus naturel. Je le voyais dans notre salon, faisant résonner la musique à travers notre maison, pour meubler le silence que seule ta surexcitation quotidienne -quand arrivait des matchs de la Compétition- pouvait combler. Je me souviens, avec nostalgie, de ses mains qui glissaient parfois à une vitesse folle sur le clavier et parvenaient à en tirer des mélodies fluides et calmes. Comme celle de Clive, dont la performance me faisait honneur lors de ce début de soirée. Et j'aurais pu me laisser bercer par cette musique encore longtemps s'il avait continué... Seul. Mais c'est une voix qui me sortit de ma rêverie. Douce, claire et puissante, elle accompagnait le piano dans un duo coordonné, et c'était sans doute l'une des plus belles que j'ai pu écouter. Aussitôt, j'avais ouvert les yeux pour connaître sa propriétaire. Je pouvais dire qu'il n'y avait pas que sa voix, qui était jolie, mais tout ça était bien subjectif. La japonaise aux côtés de Clive n'était pas difficile à reconnaître, quand je savais que sa mère travaillait avec lui. C'était elle, Kagami Donovan. Elle avait, tout comme moi, vécu des moments douloureux dont la perte d'un mari ; souffrance que nous partagions et que je ne pouvais que comprendre. Il y avait un moment, en vérité, que je désirais la rencontrer, ne serait-ce que pour la remercier. La remercier d'avoir donné naissance à Faust qui reste encore aujourd'hui un guide et un ami indispensable pour toi. Je voulais en savoir plus sur cette femme qui était sa génitrice. Cette femme qui devait s'occupait de l'auberge familial du mieux qu'elle le pouvait alors qu'elle était veuve et qu'elle avait dû s'occuper de ses quatre garçons. Une femme que je trouvais courageuse et admirable. J'ignorais cependant qu'elle savait chanter aussi bien, et je fus surprise mais chanceuse d'avoir droit à une telle aubaine alors que je n'en demandais pas tant. Mais je fus charmée et transportée par la paire qu'ils formaient à ce moment-là. Alors même après avoir fini mon thé depuis plusieurs minutes, je restais là.

Lyra ne raconte pas tous les détails à son fils, mais elle lui dit le plus important. Elle ne tient pas à lui faire une audio-description non plus, car ce serait complexe et peu intéressant, mais elle se rappelle bien cette journée un peu particulière.

« Et ensuite ? Qu'est-ce qui s'est passé ? »

L'italienne sursaute. Elle ne pensait pas que le jeune Maître serait autant intrigué par son histoire, mais elle ne peut que s'amuser des grands yeux brillants et curieux qu'il lui adresse, désireux de savoir la suite, et probablement la fin. Mais ce qu'elle ne lui dit pas, c'est comment elle a revu Ikaël dans son imagination. Comment elle s'est vu danser avec lui sur la musique produite par les Donovan. Comment elle a dû ainsi dire adieu à celui qu'elle avait aimé, celui avec qui elle avait fondé une famille, élevé un enfant, et celui dont elle a dû se séparer brutalement, par un coup du sort qui ne leur a pas été favorable. Une manière d'avancer, mais pourquoi ce soir précisément ? Parce qu'il s'agissait peut-être ici d'un renouveau, et que la gérante de l'auberge sur laquelle elle était tombée n'allait pas être étrangère à tout cela, que ce ne serait que le début.

« Hm... Par la suite, j'ai peut-être un peu... Craqué.
- 'Craqué' ?..»

'Pleuré' était le mot juste. Lorsque le fils et la mère eurent fini, j'aurais dû applaudir, car je le voulais. Je voulais les saluer et les remercier pour m'avoir accordé cette faveur, mais aucun de mes membres ne voulait bouger. Je ressentais, à la place, un profond mélange à la fois de tristesse, de nostalgie, et d'apaisement. Et les larmes, malgré moi, s'étaient échappées toutes seules. Je ne pouvais les retenir, et j'avais le besoin de ne pas le faire. Elles se libéraient d'elles-mêmes, mais sur mon visage, un mince sourire s'était dessiné. En constatant que je m'effondrais sur place, Clive et Kagami s'étaient aussitôt arrêtés, pour me dévisager avec des regards où je discernais leurs inquiétudes. Non, vous n'avez rien fait de mal, pensais-je, c'est à moi de faire le pas. Et je le fis. Je me leva de ma chaise, pour me diriger silencieusement vers eux. Ma vue pouvait être brouillée, mais je la reconnaissais quand même à travers mes yeux humides. Sans trembler, je faisais face à la mère de Faust. C'était peut-être impoli et inattendu de ma part, mais... Je l'ai prise dans mes bras. Et je l'ai enlacée, un peu trop fort, sans doute. Et je pleurais. Mais je souriais.

« Merci. »

« Wouah... »

Je suis resté silencieux, bouche bée, les yeux ronds comme des soucoupes, Couaneton toujours dans mes bras à garder le sommeil. Mais je ne savais pas quoi dire d'autre. Je ne savais pas que tout ceci était arrivé quand j'étais encore à l'hôpital, à profiter de l'attention offerte par mon copain, et que cela dure, en outre, plus de deux ans. J'ai fait de mon mieux pour nous redresser la tête sur les épaules après la mort de Papa, mais j'avais bien remarqué que quelque chose avait changé du côté de Maman. Elle semblait se montrer plus souriante, plus honnête, et récemment, plus vivante que jamais. J'avais bien remarqué qu'elle sortait davantage, qu'elle se préparait plus longtemps pour aller dîner dehors, et qu'elle avait regagné un peu d'entrain. En réfléchissant bien, je ne crois pas lui avoir un jour demander qui elle voyait, même si j'avais déjà des doutes quant au type de relation qu'elle entretenait. Cela me faisait un peu bizarre, au début... Je l'ai toujours connu qu'avec Papa, faut dire. Mais si ma mère retrouve le bonheur, cela me va tout aussi bien, et si je mettrais peut-être un peu de temps avant de totalement m'habituer à quelqu'un de nouveau, je ne peux qu'espérer que Maman soit heureuse comme autrefois. C'est probablement aussi ce qu'a souhaité mon père de là où il est. Je ne pouvais toutefois pas imaginer que ça puisse être quelqu'un comme la mère des jumeaux. C'est une coïncidence assez drôle, même si Maman ne me l'a jamais évoquée officiellement et que je ne sais pas encore comment je pourrais considérer la Donovan.

« Donc... Après ça, vous êtes restées en contact ?
- Eh bien... Le soir même, comme je savais que tu ne rentrerais pas à la maison, je... J'ai demandé à rester à l'auberge le temps que tu te rétablisses. C'est comme ça que j'ai un peu mieux connu Kagami. Et par la suite je... Aheum, j'ai demandé son numéro pour pouvoir la rappeler, voilà. »

Elle conclut en accélérant un peu vers la fin, ce qui me fait sourire, amusé. Je ne me souviens plus de la dernière fois que je l'ai vue gênée, mais... Heureuse. Ses yeux bruns regardent le courant de la rivière d'un air distrait. Puis elle sursaute et se lève, comme si elle avait remarqué quelque chose dans l'eau transparente.

« Regarde, Sam ! »

Cheza et Espoir ont elles aussi émerveillées par le Pokémon un peu particulier qui nous a rejoint.

« Un Ecayon chromatique ! Ça alors... Qu'est-ce qu'il est joli ! »

J'ai déjà vu des Pokémons chromatiques, ce n'est guère le premier que je rencontre. Mais ça me fascine toujours. Cela reste si rare, en vrai... Enfin surtout les sauvages, comme celui-là. Je m'accroupis pour mieux le regarder. Ses écailles spéciales brillent d'un éclat rosé peu commun pour son espèce. Lentement, j'approche une main pour caresser sa peau lisse. L'Ecayon n'a pas l'air très sûr au départ, puis se laisse faire peu à peu lorsqu'il se rend compte que je n'ai pas l'intention de le blesser. Ma Herbizarre et ma Farfaduvet s'approchent à leur tour, curieuses.

L'Ecayon glisse entre mes doigts et joue à tourner autour de nous, comme s'il n'avait pas du tout peur. Je crois même l'apercevoir rire un peu alors que Cheza et Espoir tentent faussement de le pourchasser. Mais mon petit interrogateur concernant ma mère ne s'arrête pas là. Je ne compte pas la laisser fuir sans qu'elle me raconte quelques légers détails.

« Est-ce que ça veut dire... Que vous sortez ensemble ? »

À ma question, elle sursaute, prise de court. Elle triture ses mains, embarrassée, et n'ose plus lever le regard vers moi. J'ignorais qu'une telle situation pouvait la gêner à ce point. Je la vois de nouveau rougir, ses yeux portés vers les flux de la rivière qui lui servent à m'affronter sans vraiment le faire.

« Oh... Euh... Haha ! S-Sortir ensemble, c'est un bien grand mot. Mais... Euhm...
- Mais tu es amoureuse d'elle, hein, M'man ? »

Je la sens se crisper, puis devenir aussi rouge qu'une tomate. Ce genre de question, elle n'a plus eu l'habitude de se la poser, probablement. Faire un deuil amoureux, je n'ose imaginer comme cela doit être difficile. J'ai bien vu l'état de ma mère lorsque je lui ai annoncé la terrible nouvelle, et je ne compte pas oublier sa détresse qu'elle tentait tant bien que mal de me cacher pour ne pas m'accabler davantage, ou du moins, de ce qu'elle pensait. Je réussis lentement mais sûrement à remonter la pente de mon côté, mais ce n'est que grâce à mon entourage sur lequel je peux compter. Si Maman peut avoir le même soutien pour elle, alors peut-être qu'elle pourra de nouveau être heureuse comme elle l'était il y a encore quelques années.
Son regard se fait tout à coup mélancolique, et ses mains viennent distraitement jouer avec ses cheveux, signe chez elle que quelque chose la chiffonne, l'empêche de penser qu'elle pourrait effectivement avoir de tels sentiments.

« Oh, Samaël, voyons, une femme aussi élégante... Non, non, je... Elle a bien mieux à faire, et déjà tant de choses à gérer, je ne veux pas l'importuner avec ça.
- Ooooh allez, ça ne coûte rien d'essayer ! »

Je ne voulais pas l'obliger ou insister auprès d'elle, mais qu'elle fasse une tentative, au moins, avant de me dire que c'est impossible ; qu'elle ne peut pas avoir ce genre de relation à nouveau. Car j'ai bien vu comme son humeur avait effectivement changé depuis quelques temps ; comme elle sortait autant que moi à présent lorsque j'allais voir Natsume. Je pensais qu'elle voyait des amis, mais peut-être qu'en fait, elle avait des rendez-vous avec Kagami pendant tout ce temps. J'aurais sûrement dû lui demander déjà à ce moment-là ce qu'elle faisait, car j'étais curieux. D'où provient son sourire, me demandais-je. Et les quelques appels devenus de plus en plus fréquents que je la voyais passer. Des heures parfois à parler de tout et de rien avec un destinataire sur lequel je n'ai jamais osé l'interroger, ne voulant pas l'embarrasser avec ça si elle n'allait pas m'en parler d'elle-même, et m'immiscer dans ses histoires plus personnelles si elle n'était pas encore prête à m'en faire part. Je l'aurais laissé faire sa vie en attendant qu'elle fasse une nouvelle rencontre pour changer son quotidien. Et peut-être qu'elle tient, là, ce quelque chose qui va la bouleverser, dans le bon sens du terme, cette fois. Jusqu'à présent, elle m'a surtout vu grandir de mon propre côté et croître vers la voie de mes rêves. Aujourd'hui, je veux qu'elle puisse continuer aussi à avancer positivement, car Maman le mérite. Elle le mérite tellement. Mais ce dont elle a besoin, ce n'est certainement pas ma récente entrée d'argent fulgurante qui pourra le lui donner. Le bonheur ne s'achètera jamais, mais elle a une chance de le gagner, et j'espère qu'elle osera faire le pas adéquat pour l'atteindre. Alors quand je la vois hésiter, je m'inquiète, je prends peur. Combien laisserait-elle de personne s'en aller simplement car elle ne voudrait pas les accabler de quelconques sentiments ? C'est une pensée bien ridicule. Certes, je n'ai pas été mieux quand il a fallu ouvrir mon cœur à mon petit ami, mais j'ai appris de mes erreurs, et je ne veux jamais laisser passer une occasion quand elle se présente, désormais. J'ai bien failli tout perdre à cause de ma timidité et de ma modestie.

Maman reste silencieuse, mais garde un léger sourire incertain. Elle doit peser le pour et le contre. Si elle est comme moi, alors son cœur balance d'un côté, tandis que sa raison de l'autre. Je la sais, néanmoins, plus courageuse que je ne le suis, alors peut-être qu'il y a un espoir. Je pourrais probablement demander l'avis de Faust également. Si je le disais à Clive, je pense qu'il ferait une crise cardiaque. Mais je me demande ce qu'en penserait mon frangin. Héhé, on risque de le devenir presque pour de vrai, qui sait. Le Couaneton dans mes bras s'est réveillé, mais veut rester contre moi, semble-t-il. Il se love à la manière de mes Pokémons quand ils veulent réclamer de l'attention ou dans leur plus jeune âge. Ouais, il a l'air pas mal, là. Sa mère le regarde d'un air attendri, comme soulagée par quelque chose. Un son la fait toutefois sursauter, et je relève la tête en reconnaissant des bruits de sabots qui claquent contre la rivière. C'est une Girafarig qui nous rejoint en trottinant autour de nous, avant de baisser sa tête pour boire un peu. Je me rappelle alors que c'est ici, en vérité, que je suis venu chercher le tout premier Pokémon d'Alice, ce n'était pas il y a si longtemps, mais j'ai l'impression que ça date d'une éternité. Je n'ai pas vu le temps passer... Mais cette réflexion, j'y pense, me revient constamment à la figure ces temps-ci depuis que je suis devenu Maître. Une nomination à laquelle j'ai eu beaucoup de mal à croire, mais je m'y fais progressivement. Encore cinq ou dix ans, et possible que je réalise tout à fait qu'il ne s'agit pas d'un rêve éveillé, et que mon omniprésence dans les médias, en tant que gagnant ou en tant que Maître, devrait être un rappel suffisant en temps normal.