Scherzo e Intermezzo
Évolution de Perséphone, partie 1
« Tu aurais dû me dire tout ça bien avant.
- J'aurais dû. »Il ne voulait pas de ce silence. Il ne devrait pas s'étonner de l'obtenir, mais il n'en est que plus frustrant. Il aurait aimé l'entendre en rire, glousser comme il le faisait d'ordinaire pour tout et n'importe quoi, même ce que Clive voyait comme grave. Avoir cet air insouciant, d'éternel gamin qui ne percevait en apparence pas la complexité du monde ou son amertume. C'était quelque chose qui le rendait dingue, et qui lui avait valu de nombreuses années de frustration, mais qu'il ne désirait que voir à cet instant. Il se souvenait de ses journées à se mettre un casque aux oreilles pour ne pas l'entendre, exaspéré, râlant continuellement contre le vacarme que chacun de ses pas paraissait provoquer.
Pourtant, le visage de Faust restait grave. Ses traits sont secs, inflexibles, froids. Il l'inspecte comme on regarderait un inconnu, avec une douleur sourde dans le regard qui se confondrait sans soucis avec de la colère. Clive ne veut pas mettre de mot sur l'émotion qu'il reconnaît, mais elle ne peut pas être plus explicite. La honte lui mord la poitrine, et elle laisse une trace de crocs glacée derrière elle. La voix de Faust résonne de nouveau, sans la moindre douceur, entre les murs du salon. Ses membres sont rigides, ses épaules sont contractées, et il parle comme si il avait un inconnu devant lui. Assis sur le canapé, ils se font face sous la pression d'une atmosphère glaciale.
« Tu as attendu... Quoi, huit mois, pour me le dire ? Pendant tout ce temps, pas une seconde, tu n'as pensé à m'en parler ? »B-bien sûr que si, mais...Mais rien. Car il aurait pu agir, oui, et il ne peut pas le nier. Les occasions n'avaient pourtant pas manqué, mais il n'en avait saisi aucune. Et ce n'était pas comme si l'idée ne lui était jamais passé en tête, car bien qu'il essayait de la chasser, elle revenait de temps à autre, à chaque fois qu'ils se retrouvaient seuls. Même par message, il aurait pu, mais... Non, rien. Chercher une excuse n'était pas très glorieux, et il le savait. Il n'en avait aucune, même, peu importe à quel point il essayait de s'en donner une. Il ne trouva donc rien à dire pour se défendre, et d'ailleurs il n'en avait pas l'audace. Le regard fixe de Faust coupait chaque début d'excuse minable qui pouvait essayait de se former dans le creux de sa gorge. Mais la voix de son jumeau, elle, n'en était pas devenue plus douce : elle fut même plus acide encore.
« Alors quoi, tu ne me faisais plus confiance ?
- Je... Ce n'est pas ça. Bien sûr que je te fais confiance.
- Mais pas assez pour me dire que tu allais avoir un fils. »Trahison, semblait-il vouloir crier. Un rictus jaune, mélange d'amusement et d'amertume, se dessina sur le visage à l'air fatigué de Faust. Il se pinça l'arrête du nez, ne le regardant maintenant plus dans les yeux, tandis que Clive fixait le sol. Il aurait sans doute dû le contredire à ce moment-là, s'assurer que la peine qu'il devait ressentir ne s'aggrave pas par un jeu d'incompréhensions, car c'était dangereusement possible. Mais le ton de Faust est final : il ne pose pas de questions. Il affirme ce qu'il a compris, et l'absence de réponse de son cadet ne le surprend pas. En le voyant le dévisager, l'ancien officier comprend que l'autre cherche quelque chose, et les yeux fuyants du brun lui en disent bien assez.
« Tu avais peur de ma réaction. De moi. »Ses paroles sonnaient presque comme une accusation. Il n'attendait aucune réponse, et Clive sentit sa gorge se nouer en réalisant que non, il ne pouvait définitivement pas nier les propos du conseiller. C'était si insidieux qu'il ne s'en rendait compte que trop tard, lorsqu'il avait la sensation que rien ne pourrait altérer ce sentiment. Les années avaient laissé leur marque, et le plus jeune ne savait pas si les cicatrices disparaîtraient un jour. Tout comme celles sur son corps, elles se réveillaient brutalement, et leur étreinte l'étouffait à petit feu.
Une autre partie de son esprit, toutefois, cherchait une excuse. Balbutiant, il s'essaya à une explication, en sachant qu'à l'instant, et vu la dureté du regard de Faust, rien ne suffirait.
« É-écoute, j'avais déjà du mal à encaisser, alors t'en parler... Je ne voulais pas qu'on m'y fasse penser.
- Ouais, bah si c'était le cas t'aurais peut-être dû mettre une capote au lieu de penser avec ton froc. Il était un peu tard pour faire la diva, à ce stade.
- Comme si tu pouvais me faire la leçon sur les décisions impulsives et stupides, vraiment.
- MES décisions impulsives et stupides ne donnent pas naissance à un être humain.
- Oh oui, tu en tues, c'est bien mieux, toutes mes excuses. On est tellement différents. »Le ton était monté, comme d'habitude. Encore et toujours le même cercle, le même enchaînement. Même lui était exaspéré par sa propre remarque, et il poussa un long soupir fatigué en remarquant à quelle vitesse elle était sortie de sa gorge. Honteux, il serra les dents, tandis que, sans qu'il ne le voit, le regard de son jumeau s'adoucissait. Sans devenir affectueux pour un sou, il semblait que la lassitude avait pris le dessus. Après quelques secondes de long silence, il prit de nouveau la parole dans un ricanement amer, presque une expiration. Désabusé, il ne prit même plus la peine de cacher son cynisme.
« On ne va jamais s'accorder, hein, n'est-ce pas ? »Clive se tendit, mais ne répondit pas. Ce silence fit de nouveau glousser Faust, et il passa une main dans son visage, levé, faisant des pas dans la pièce sans pour autant s'éloigner. Il ne lui avait pourtant jamais paru aussi distant.
« Je croyais que maintenant que tu étais sorti du régime, que l'on était de nouveau ensemble... Peut-être que ça irait mieux. »Sa voix craquela un peu sur la fin, s'étant faite beaucoup plus paisible depuis le début de sa phrase. La colère qu'il percevait il y a peu s'était entièrement envolée, laissant derrière elle une douleur muette et intime, qu'il ne laissait transparaître que par quelques étirements brefs des traits de son visage. L'espoir qu'il avait cru reconnaître était mort dans son soupir.
« Mais en fait, c'est pas possible, hein ? On va juste se bouffer, si ça continue. On ne sait faire que ça. Quoi qu'on fasse, ça finira par casser de nouveau. » Ses mots ressemblent étrangement à des pensées qu'il avait lui-même, il y a deux ans. La raison même de sa première participation à la compétition, qui n'avait fait que le laisser avec plus de questions encore. Il voulait, tout comme lui, éviter d'en arriver à là. Se dire qu'il y avait une possibilité de remonter la machine, de mettre fin au cycle dans lequel ils étaient bloqués, peut-être par simple regret du passé. Clive grimaça.
« Des cachotteries et des mensonges, tout le temps. J'suis fatigué. Je croyais qu'on en avait fini, avec ça. »Moi aussi, j'aurais aimé.C'était une jolie idée. Penser que maintenant qu'ils étaient de nouveau ensemble, maintenant qu'il n'y avait plus le régime qu'entre eux, que leurs idéaux ne risquaient plus de rentrer en conflit, alors il n'y aurait aucune raison pour qu'ils se déchirent. Après tout, cette séparation douloureuse, n'était-elle pas uniquement causée par cela ? Penser que quelque chose de plus profond devait les éloigner était absurde, et cela l'était toujours, n'est-ce pas ? Oui, c'était un beau mensonge. Facile, manichéen, aisé à comprendre et à accepter. Ce n'était pas de leur faute, mais celle du contexte, des idéaux, de la hiérarchie, des autres, des anecdotes. Jamais ils n'auraient pu causer eux-même leurs propres difficultés.
Il laissait un arrière-goût écœurant en bouche, et la chute n'en était que plus brutale. Se rendant compte de la vitesse à laquelle ils tombaient, Clive tenta d'intervenir, et il se releva brutalement, saisissant le poignet de son jumeau qui s'éloignait de plus en plus, tant par ses pas que par ses mots. Faust se crispa, et il ne se retourna même pas.
« Je... !- Laisse-moi, Clive. J'ai besoin d'air, là. »Il ne le regardait pas. Le brun ne le voyait pourtant pas se dégager de sa poigne, mais aucun mouvement de ses muscles ne laissait croire qu'il allait reculer. L'ancien officier ne pouvait voir qu'une fraction de son visage, mais il était presque sûr que ses yeux étaient rougis. Sa voix était rude, désagréable, mordante. Sonné par cette froideur, Clive le laissa s'éloigner petit à petit, et ne sursauta même pas lorsqu'il claque derrière lui la porte de sa chambre, le laissant dans un silence morne et lourd.
Il ravala sa salive et posa une main sur une des tables, souhaitant soutenir son corps. Il avait cru se sentir tanguer, et il n'en aurait pas été surpris : une violente sensation de nausée lui remuait maintenant l'estomac. Il ne remarqua pas tout de suite le petit poids qui lui tapotait sur les jambes, comme anesthésié à tout ce qui l'entourait. Agacé par cette pression régulière, il donna un coup de pied dedans sans réfléchir à ce que cela pouvait être, et fut surpris d'entendre un couinement aigu. Il sursauta alors, comme réveillé de sa torpeur, et la confusion se peignit sur son visage lorsqu'il comprit ce qu'il venait de faire et à qui il l'avait fait subir.
« .. Ah, P-persée ! Pardon ! »Clive se mit à genoux pour être à la hauteur de la Marcacrin et lui caressa doucement la tête, l'air désolé. Grimaçant, il toucha doucement la zone endolorie, et se confondit en excuses, si bien que la petite truie se mit à pousser sa tête contre la main de son dresseur, comme pour lui signifier que ce n'était pas grave. Le hérisson ravala sa salive, sentant un nœud se former dans sa gorge. Il renifla bruyamment, et encore un peu plus quand Perspéphone se colla à lui. Lorsqu'elle se mit à grandir, évoluant dans ses bras, il ne la lâcha pas. Pour le moment, il n'était pas sûr de le pouvoir.