Quand t'abandonne ton paradis, que te reste-t-il?


Jetée dans la froide cellule, elle s'effondra sur la pierre froide de cette pièce exiguë & sombre, avec une légère exclamation mi surprise mi douloureuse. Revenant doucement à elle à mesure que ses sens s'éveillaient de l'engourdissement dans lequel la brutalité de son enlèvement & de la violente gifle qu'on lui avait assénée pour la faire taire les avait plongés, la fillette se recroquevilla un instant sur elle-même, en position fœtale, pressant ses petites mains sur son genou que la chute venait d'égratigner méchamment. Sa première pensée fut pour Evan qu'on lui avait arraché des bras juste avant de la jeter ici, la seconde alla à Galia dont elle ignorait ce qu'elle était devenue dans l'agitation de son kidnapping. Son regard d'azur parcourut un instant la cellule, perdu, tombant d'abord sur un homme aux cheveux bleus très mal en point, puis.. Sur le responsable de tout ça, celui qui l'avait enlevée & menée dans ce cachot glacial, l'abandonnant à même la pierre dure. & subitement à peine deux ou trois secondes plus tard elle se redressa vivement, grimaçant brièvement quand cela éveilla les douleurs de son écorchure & de son petit corps malmené dans le voyage. Peu importaient les douleurs, la fillette avait sa fierté, un orgueil étonnant pour son jeune âge, & à la vue du responsable une grande colère l'avait envahie toute entière. Se redressant elle avait fait face à son bourreau, le défiant d'un regard où brillaient indignation, insoumission, & une certaine insolence également. Quelques larmes perlaient aussi, de la frustration & de l'inquiétude à l'égard de son pokémon, elle avait peur évidemment, & froid, & mal aussi ; mais oh comme ces débuts de larmes semblaient futiles face à sa rage palpable. Comment une si petite fille pouvait-elle donc éprouver tant de haine à l'égard d'un seul homme, qui de plus s'était déjà désintéressé d'elle pour s'adresser à l'autre occupant de la cellule? Bien malin aurait su répondre à cette question. Mais comme elle le détestait, comme elle le haïssait cet homme! Sa mère l'appelait Nagel, & elle le détestait aussi, elle l'avait souvent mise en garde contre lui. Comme elle avait eu raison, si seulement elle savait à quel point elle avait eu raison.

Silencieuse, portant toujours ce même regard brûlant de hargne sur le blond qui venait de la jeter ici, la fillette espérait au fond d'elle que sa mère sache bel & bien. Qu'elle viendrait bientôt la sortir de là, & peut-être aider aussi cet homme aux cheveux bleus dont l'état lui faisait un peu peur ; en attendant le Nagel pouvait bien rêver s'il espérait de la soumission de sa part. Tant pis pour la prudence, elle était trop en colère. Il avait pris Evan, il l'avait jetée dans ce cachot, il avait blessé Galia -elle avait tout juste eu le temps de le voir avant de sombrer dans l'étrange sommeil qui avait bercé le voyage-, il était juste un monstre! Un monstre, bien pire que ceux des livres que lui lisait parfois sa maman avant de dormir. Un monstre en lequel elle n'avait nulle confiance, & qu'elle se refusait à lâcher des yeux tant qu'il ne serait pas sorti ; même pour voir mieux le visage de celui qui partageait apparemment sa cellule & sur qui le blond psychopatate déversait son venin dévastateur. Ce n'est que quand il évoqua le nom de Solène qu'elle tilta soudain, la surprise venant alors cohabiter avec la rage dans son regard d'azur, sans pour autant qu'elle ne saisisse réellement la situation ou la portée réelle des tirades échangées. Solène. Sa maman, sa chère maman. Pourquoi le monstre parlait-il d'elle à l'autre occupant du cachot? Pourquoi se sentait-elle d'un coup comme un simple objet dans des plans qui dépassaient de loin ses esprits de petite fille? Le monstre la traitait comme une poupée, l'exhibant telle un trophée devant l'autre prisonnier qui s'indignait déjà. La fillette était debout maintenant, ayant discrètement reculé vers le fond de la cellule dans un geste prudent, les poings serrés de colère & de frustration mal contenues. Elle voulait hurler toutes les insanités connues de son jeune cerveau, elle voulait rappeler qu'elle était là & qu'elle l'entendait parler d'elle comme si ce n'était pas le cas, mais sa voix lui faisait défaut, trop nouée par tout le reste. Alors elle regardait le blond avec haine, une haine aussi forte qu'indéniable.

Petite innocente, elle ne se doutait pas d'à quel point ce monstre pouvait en être un, & pourtant elle le savait si bien qu'elle ne réalisait pas le comportement bestial & inquiétant de son compagnon de cellule ; ce compagnon d'infortune qui n'était alors qu'un allié à ses yeux d'enfant, l'unique personne ici qui semblait être du même côté qu'elle. Une larme avait finalement glissé sur sa joue sans qu'elle le remarque. Elle avait peur au fond, mais pour rien au monde elle ne l'aurait clairement montré à son geôlier. Elle serait la digne enfant digne de sa mère, voilà tout. Désormais appuyée plus ou moins contre le mur du fond, près de l'autre prisonnier, elle regardait toujours Nagel avec le même défi dans ses prunelles de petite fille dépassée par des événements au sens trop flou. La tête lui tournait tant la vague de ressentiments contradictoires qu'elle éprouvaient était importante, tant la situation où elle se trouvait dépassait son esprit si jeune. Malgré elle une seconde larme glissa sur sa joue, elle voulait hurler bon sang, l'insulter & exiger qu'on lui rende Evan. Elle n'y parvenait pas, n'y parvenait plus depuis cette violente gifle portée à sa joue désormais rougie. Sa voix avait pris la fuite, bordel, & ce au pire moment. Même quand le Nagel quitta les lieux, disparut dans le couloir où seul résonnait le bruit de ses pas en l'enfermant dans le noir oppressant avec l'autre prisonnier, elle ne parvint à émettre plus qu'un souffle, qu'un faible murmure sans sens particulier ; juste le nom de son Evoli, alors que ses yeux bleus brûlants de rage ne quittaient pas la porte close. S'ils avaient pu lancer des éclairs.. Elle aurait foudroyé ce monstre bien avant qu'il n'ait eu l'occasion de faire un pas pour s'éloigner!

Telle mère telle fille parait-il, & dans le cas de Crystal cela état bien vrai. Mais n'y avait-il pas aussi de son père dans cette attitude si purement révoltée & insoumise, malgré le coup qu'elle avait reçu & qui avait bloqué si longuement sa voix? Pour autant une enfant de quatre ans en reste une. Des sillons aussi humides que brûlants dévalaient désormais ses joues malgré son regard toujours si défiant à l'égard de la porte qu'elle aurait martelé de ses petits poings si son corps lui avait obéit ; les larmes d'une gosse effrayée & complètement dépassée malgré toute sa colère effarouchée. Comme les bras rassurants de sa maman pouvaient lui manquer, en cet instant.

Quand t'abandonne ton paradis, que te reste-t-il?


Le silence était revenu dans la sombre geôle. Pesant. Insupportable. Brisé uniquement par les faibles sanglots d'une enfant agenouillée sur le sol glacial de cette cellule où elle n'aurait jamais dû se trouver. Son regard d'azur, brûlant, n'avait toujours pas quitté la lourde porte qui la tenait enfermée, qui la gardait si loin de sa mère, si inquiète pour Galia probablement blessée, si angoissée pour son Evoli arraché à ses bras. Les poings serrés sur ses cuisses, elle sentait les larmes lui échapper, coulant à flots sur ses joues malgré elle. Pourquoi, mais pourquoi? Qu'avait-elle fait pour que ce monstre s'en prenne à elle, l'utilise comme.. Arme, face à l'autre prisonnier dont elle ne sait rien hormis ce qu'elle a vaguement compris parmi les rares paroles qu'elle a réellement entendues durant son échange avec le Nagel. A savoir, que cet homme connaissait sa mère, & même que peut-être qu'il l'aimait bien. Peut-être. Mais quel rapport avec elle, pourquoi devait-elle servir d'appât? Que les grands étaient compliqué. Au moins chez elle c'était plus simple, sa mère avait toujours veillé à lui épargner le plus possible tout ça..

Elle manqua un sursaut, quand un nouveau son vint briser le silence. Une voix qui la fit enfin détourner le regard de cette porte agaçante, qui lui rendit enfin un peu de mobilité par ce mouvement. Une voix qu'elle avait déjà entendue, avant le départ du Nagel. L'autre prisonnier venait de parler à nouveau, de lui parler à elle cette fois. & pour la première fois elle remarqua qu'il était à terre, lui aussi. Qu'il avait l'air de souffrir ; au point qu'elle ne fit même pas vraiment attention à son état déplorable, voire effrayant. Après tout ils étaient dans la même galère. & il avait vraiment pas l'air bien. Que lui arrivait-il, l'autre monstre lui avait fait quoi? Innocente petite qui ne comprenait en rien le poids de la torture qu'elle pouvait représenter par sa seule présence, bien loin de réaliser le sens véritable des quelques paroles qu'elle avait saisies lors de l'altercation entre le prisonnier & leur geôlier. Sans mot dire, elle porta son regard bleu & plein de larmes vers l'homme, croisant les yeux si semblables aux siens. Il avait dit d'arrêter de pleurer. Il avait buté lamentablement sur son prénom. Mais il avait quoi son prénom, hein? On lui disait toujours que c'était joli pourtant.. Il parla de nouveau, & elle accepta finalement la piteuse explication, d'un petit hochement de tête alors que ses poings toujours serrés venaient essuyer ses yeux, tentant d'endiguer le flot de larmes. Il fallait qu'elle soit forte.. Hein? Ça ne durerait pas de toute façon, hein? Sa maman viendrait bientôt, avec Louna & Ryan & les autres, & elle les sortirait de là. & puis elle devait pas pleurer, parce qu'elle avait juste peur, & le monsieur, Damien ou Dip, lui il avait mal & pourtant il pleurait pas.

Les épaules encore un peu tressautantes, tremblant un peu de toutes ces émotions contradictoires qui lui donnaient encore le tournis, elle parvint finalement à faire taire ses larmes, à les ravaler pour les remplacer de nouveau par sa fierté brûlante. Passant d'à genoux à assise par terre, elle ramena désormais ses genoux contre elle, comme pour se rassurer, pour oublier l'inquiétude qui continuait de la ronger à l'égard de Galia, & de son Evoli dont elle souffla une nouvelle fois le nom sans s'en rendre compte. C'était qu'une question de temps, ça durerait pas. Hein? En attendant elle était avec l'autre prisonnier qui voulait l'appeler Criquet, soit disant pour protéger son nom. Elle comprenait en un sens, sa mère faisait souvent ça pour elle, ayant trois noms différents selon les situations. Mais en même temps, Nagel ne l'avait-il pas nommée Crystal? Il connaissait donc déjà son prénom, alors pourquoi le cacher? Encore la complexité des adultes.. Décidant qu'il y avait des questions plus importante, la fillette décida désormais de tirer définitivement un trait sur celle-ci, & de garder le surnom choisi par son camarade de cellule. Pis bon, c'était mignon Criquet, après tout.

- Dis, pourquoi il est si méchant? Qu'est-ce que vous lui avez fait, ma maman & toi?

Ça lui avait échappé, finalement. Ce n'était pas une accusation ni rien, juste de la curiosité, le besoin de comprendre. Après quelques instants de silence, la question qui a tourmentait le plus s'était envolée dans l'air, prenant la forme de mots prononcés d'une voix mélodieuse d'enfant, quoiqu'un peu brisée par les cris qu'elle avait poussés avant de recevoir cette gifle qui continuait encore de brûler sa joue. Probablement qu'un bleu était en train de s'y développer. Mais peu importe, seule cette question l'intéressait pour l'heure. Puis après tout discuter avec Dip, ça l'aiderait à ne pas penser à ses peurs, hein? D'autant plus que bon, allez savoir pourquoi elle se sentait en confiance, en sécurité auprès de cet inconnu pourtant peu engageant & probablement un peu fou. Sans doute le fait qu'il connaisse apparemment sa maman, ou bien qu'ils soient dans le même pétrin.. Du moins, c'était ce qu'elle pensait.

Quand t'abandonne ton paradis, que te reste-t-il?


Tension ou apaisement.. Quel était réellement le sentiment qui flottait dans l'air actuellement? Bien malin qui aurait su le dire, même les concernés en doutaient. Enfin, la petite était bien loin de comprendre la tension, alors elle mettait ça sur le compte de la souffrance inexpliquée que semblait encore endurer Dip, & qui l'inquiétait de plus en plus au fond d'elle. Qu'avait-il, mais qu'avait-il? Que lui avaient-ils fait pour qu'il semble si torturé, qu'avait bien pu inventer ce monstre sans cœur? Un lien se fit finalement dans son esprit d'enfant, un lien étrange que la plupart des gamins, moins perspicaces qu'elle pouvait l'être, n'auraient jamais fait.. Il avait l'air de souffrir comme sa maman quand elle allait dans les ruines de Baguin. Exactement comme ça. Était-ce la même douleur inexpliquée que sa maman dans ces moments-là? Plus encore, la douleur de sa maman.. Pourrait-elle être liée à cet homme, comme celle de l'homme semblait liée à sa mère? Arf. Elle se perdait dans ses pensées, s'y noyait à force d'essayer de saisir des concepts qui échappaient encore de loin à son si jeune esprit.

La voix de son compagnon de cellule raisonna de nouveau dans le silence qui avait repris ses droits, la tirant de ses réflexions finalement pas si éloignées de la réalité mais dont elle était encore loin d'imaginer la réelle portée. Les mots prononcés par l'homme tournèrent & retournèrent dans sa tête, piteuse explication incertaine suivant un "je sais pas" fort réel. Parce qu'ils étaient trop heureux.. Il y avait vraiment des adultes méchants au point de vouloir faire du mal à ceux qui sont heureux, juste pour ne pas voir ce bonheur qu'ils n'avaient pas? Quel concept étrange pour quelqu'un de si jeune & innocent qu'elle, malgré toute sa perspicacité. Aussi chassant pour le moment cette question, elle préféra se concentrer sur le "nous" qui semblait avoir encore rendu si triste Dip, à en juger par le long soupir qu'il avait poussé. Pourquoi il avait l'air triste en pensant à sa maman & lui comme un "nous"? La question fut vite éclipsée par l'homme lui-même cependant, avant qu'elle ait eu le temps de pousser un peu ses réflexions enfantines là-dessus. Qui était Evan.. Le nom que son camarade avait dû l'entendre souffler plus tôt lui pinça le cœur alors qu'elle se demandait encore s'il allait bien, s'ils ne l'avaient pas touché. Son cher Evoli. Mais la suite la surprit plus, tout de suite.. Maxwell, son père? Mais pourquoi tout le monde croyait ça, franchement? ... Pis pourquoi lui demander ça semblait torturer encore plus Dip?

- Evan, c'est mon Evoli, me l'ont pris en arrivant, pis j'espère qu'ils lui ont pas fait de mal, parce que.. Je crois qu'ils savent faire que ça, du mal, même aux pokémons. Z'en ont fait à tout le monde, je crois, tout le monde que je connais.

Ça, c'était fait. Resserrant un peu plus ses bras autour de ses genoux toujours serrés contre sa poitrine, la fillette soupira. Doucement, discrètement. Ça durera pas, ça durera pas, se répétait-elle en boucle dans sa tête pour se rassurer, espérant sincèrement que son Evoli allait bien lui aussi, que Galia n'était pas trop blessée -voire qu'elle avait rêvé cette blessure-. & bien vite, elle enchaîna pour passer sur ses inquiétudes qui reprenaient un peu trop bien leurs droits au point d'avoir presque fait de nouveau perler quelques larmes à ses yeux, parlant doucement & se laissant entraîner par ses explications enfantines & innocentes.

- & j'ai pas de papa en fait, enfin si sans doute mais j'sais presque rien de lui. Maman elle arrive pas à en parler, Louna dit que c'est parce que ça fait trop mal, donc je sais rien sauf que j'ai ses yeux, parce que ça maman elle le dit souvent. Max, c'est juste son frère, pas son amoureux, pis c'est mon parrain aussi. & même que Lys bah elle râle souvent sur les journaux qui disent que des bêtises sur lui & maman.

Maxwell, son père.. Elle aussi ça l'agaçait quand on disait ça. Oh elle l'adorait bien sûr, c'était son oncle, son parrain & il avait toujours été là pour elle. Mais ça faisait mal à sa maman chaque fois que quelqu'un disait ça, chaque fois que les journaux le hurlaient avec leurs certitudes stupides & infondées, même si elle essayait de le cacher ça n'avait pas échappé à la fillette, qui la connaissait si bien.

Quand t'abandonne ton paradis, que te reste-t-il?


& là, sans crier gare, l'ambiance déjà étrange de la cellule changea d'un coup du tout au tout. L'homme s'était levé, apparemment tendu, quand elle avait évoqué quelques instants plus tôt son inquiétude pour Evan.. Mais là c'était tout autre chose. Avait-elle dit quelque chose de mal en démentant ce qu'il pensait sur le nom de son père? Voilà qu'il reculait, les yeux exorbités & brûlants d'une foultitude de sentiments qu'elle était bien loin de saisir ne serait-ce qu'à moitié, alors qu'il s'éloignait d'elle pour chercher un appui contre l'horrible mur de pierre, le souffle court alors qu'elle le regardait avec l'incompréhension la plus totale. Mais que se passait-il? Qu'est-ce qui l'inquiétait comme ça, qu'est-ce qu'elle avait mal fait? La peur commençait à la gagner, peu à peu, la peur d'avoir perdu son seul soutien, son seul allié dans cet enfer, & ce par une stupidité qu'elle ne comprenait pas. Elle avait beau tourner encore & encore ses paroles dans sa tête, elle ne comprenait pas. Qu'avait-elle dit de mal pour provoquer telle réaction? Cette panique qu'elle ne s'expliquait pas dans le regard & l'attitude de Dip. Il fuyait son regard désormais, son regard si semblable au sien qui semblait trop le troubler après ce qu'elle avait dit. & plus ça allait plus le silence se faisait dérangeant. Mais qu'avait-elle dit bon sang, quel lien avait-il fait silencieusement pour agir ainsi, comme un animal blessé?

La petite resta quelques instants figée, dans une étrange position due au mouvement qu'elle avait amorcé pour se lever elle ne savait plus quand. Arrêtée en plein milieu de ce geste par l'intrigante réaction de son camarade de cellule. Encore & toujours ces questions, ce pourquoi, ce qu'ai-je fait tournait dans son esprit, alors qu'elle achevait finalement son geste, se plantant sur ses pieds en regardant d'un air perdu cet homme appuyé au mur le plus loin d'elle. Fuyant toujours son regard égaré & inquiet, alors qu'il reprenait enfin la parole. L'interrogeant de nouveau, mais sur un tout autre ton cette fois, & sans donner la moindre explication. Son âge.. Mais pourquoi voulait-il connaître son âge, en quoi ça l'intéressait tant? Plus encore, pourquoi son mois de naissance? Elle-même n'était jamais vraiment sûre de le connaître déjà, trop jeune & insouciante pour avoir vraiment retenu sa date d'anniversaire. En quoi ça l'intéressait.. Hein? Qu'est-ce que ça pourrait changer à son état soudain?

- Euh.. D'avril je crois.. & j'ai quatre ans, pourquoi?

La voix un peu tremblante désormais, elle avait fini par répondre timidement, craignant un peu d'empirer les choses puisqu'elle ignorait toujours totalement ce qui avait causé ça, & pourquoi son âge était d'un coup devenu si intéressant. Jouant nerveusement du bout des doigts avec le bout d'une de ses longues mèches de cheveux, emmêlés par toute l'animation de cette journée qui devait bien toucher à sa fin désormais, comme pour se rassurer par ce geste si familier. Elle cherchait le regard de l'adulte, inquiétée toujours par sa réaction violente à ce qui lui avait semblé être des paroles comme d'autres -bien qu'elle n'ait, avouons-le, que rarement confié à d'autres qu'elle ignorait l'identité de son père-. Des paroles innocentes, de simples mots à ses yeux. Oh elle savait que les mots pouvaient faire très mal, sa maman le disait souvent.. Mais là elle voyait vraiment pas ce qui gênait tant, elle n'arrivait pas à mettre le doigt sur ce qui avait pu perturber Dip à ce point. Elle avait parlé d'elle & de sa famille après tout.. Pourquoi ça le touchait autant, Arceus? Plus timidement encore, elle enchaîna sur la nouvelle question qui lui tenait à cœur désormais.

- J'ai dit une bêtise, c'est ça?..

Oui qu'avait-elle mal fait, hein? Pourquoi, pourquoi elle avait l'impression que sans le savoir elle lui avait fait mal, très mal même? Hein? Elle voulait pas le rendre triste elle, au contraire.. Piteuse, elle baissa finalement les yeux. Trouvant soudain un immense intérêt à ses chaussures, dont la contemplation lui évitait de voir à quel point elle semblait avoir involontairement mis mal son vis-à-vis.

Quand t'abandonne ton paradis, que te reste-t-il?


Le silence reprit ses droits, encore. & plus les réactions de Dip s'enchaînaient, plus la fillette se sentait perdue. Reculant finalement vers le mur contre lequel elle se résolut à s'assoir pour attendre, acceptant la requête muette d'un temps pour se ressaisir, requête qu'il lui avait adressée d'un simple signe du bras. Silencieuse, elle entoura de nouveau ses genoux de ses bras, le regardant sans comprendre. Respectueuse de cet éclat qu'elle ne comprenait toujours pas, elle se recroquevilla contre ce mur, voulant détourner à nouveau les yeux sans vraiment y parvenir. Alors elle le regardait, inquiète, refoulant au mieux les larmes qui voulaient monter à mesure qu'elle s'inquiétait de plus en plus d'avoir perdu son soutien, son seul repère dans cette cellule sombre & froide. Alors imaginez sa surprise, son ébahissement, lorsque d'un coup ce fut un rire qui échappa à Dip. Un rire.. N'était-il pas empli d'une sorte de désarroi inexplicable un instant plus tôt? Voilà qu'il riait. Qu'il riait aux éclats, même. Mais qu'est-ce qui lui était passé par la tête vraiment? Oui, plus ça allait & moins elle comprenait. Aussi soudainement qu'il était venu, le rire cessa sous ses yeux égarés, & les épaules de l'homme s'affaissèrent.

& finalement.. Finalement il parla, brisant le silence trop pesant qui avait suivi son rire, un silence plus lourd encore que les précédents. Quelques mots, brefs, mais qui après tout ce qu'elle venait de voir, l'apaisèrent grandement tout en la surprenant. Rien.. Elle n'avait rien fait alors? Rien? Rien de mal en tout cas. Elle lui avait rendu la foi, disait-il. Elle ne savait absolument pas en quoi, n'avait toujours pas compris ce qu'il venait de se passer & l'absence d'explications ne l'y aidait guère, mais au moins elle saisissait pourquoi il s'était soudain mis à rire. Il avait donc trouvé une raison de se battre à nouveau.. Au travers de ses paroles. Bien que cela ait commencé par le retourner complètement, par l'agiter de sentiments & d'émotions qu'elle était bien loin d'avoir déchiffrées même au dixième. Durant de longs instants il en avait semblé fou, il lui avait presque fait peur même si sa plus grande peur avait été, aussi surprenant que cela puisse sembler à tout adulte sensé, de perdre son seul allié. Alors peu lui importait qu'il ait pu sembler fou, ou même qu'il puisse l'être un peu, en fait. Elle retrouvait son repère, ce début de lien qu'elle avait espéré tisser avec son compagnon de cellule, alors qu'il venait s'assoir à côté d'elle, brisant la distance prudente qu'il avait mis entre eux depuis son arrivée & qu'elle avait respecté.

La surprise la figea encore plus quand il se mit à chantonner cette mélodie.. Qu'elle connaissait par cœur. Si souvent, si souvent sa maman l'avait chantée. Avec les paroles, sans les paroles, avec la guitare ou juste sa voix. Si souvent. Cette mélodie avait bercé toute sa petite enfance, la berçait encore à ce jour. & pourtant elle n'avait jamais su de quelle chanson il s'agissait, en ignorait le titre, & tous les enfants qui avaient pu la surprendre à la chantonner n'avait jamais pu la renseigner ; elle en était venue à croire que cette chanson était inconnue du public, qu'elle était un des tendres secrets de sa maman, un secret à la fois dévoilé & farouchement gardé car au final elle n'en avait jamais vraiment parlé. Alors.. Comment la connaissait-il? Savait-il de quoi il s'agissait lui, contrairement aux gosses, ou partageait-il ce secret de sa maman? Elle pouvait presque entendre les paroles, la voix de Solène se mêlant à celle de l'homme qui chantonnait à ses côtés dans cette froide cellule. C'était ça, c'était ça sans aucun doute. Elle l'avait reconnue dès la première note, mais elle ne pouvait absolument pas en douter. Fermant les yeux, la petite suivit à son tour la mélodie. Chaque note, chaque mot, chaque intonation lui était connus. & les paroles défilaient sur ses lèvres alors qu'elle les murmurait doucement.

- .. Jamais je n'aurai pu croire que j'en arriverai là.. Je tourne en rond dans le noir, oui, & je ne pense plus qu'à toi. Comment pourrais-je te l'expliquer, & par où commencer? Dis-moi où aller, tout a changé..

Oui les mots coulaient, de sa petite voix d'enfant, ces mots qu'elle connaissait par cœur & qui l'avaient toujours apaisée d'aussi loin qu'elle se souvienne. Comment en vint-elle là elle l'ignorait, mais à un moment donné alors qu'elle chantonnait elle aussi cette berceuse, elle se retrouva blottie contre l'épaule de Dip, en quête de réconfort. Pauvre petite plus bouleversée qu'elle ne voulait bien le montrer, à la recherche du moindre support qu'elle puisse trouver. Puis au fond son instinct, qu'elle avait toujours appris à écouter, lui disait que lui était un bon point de repère malgré tout l'instabilité qu'il avait pu lui montrer depuis le départ.. Allez savoir pourquoi. Peut-être qu'au fond, elle avait aussi compris sans le savoir. Peut-être que son instinct avait fait ce lien que son esprit ne savait voir malgré toute sa perspicacité.

Quand t'abandonne ton paradis, que te reste-t-il?


Elle avait reconnu la chanson oui, sans mal & avec certitude. Une certitude qui s'ancra un peu plus encore en elle quand la voix de l'homme forma finalement des mots qui se mêlèrent à son chant murmuré, les bons mots, sans faute & sans hésitation. Les yeux toujours clos, elle laissa la mélodie si familière l'imprégner, & dissiper autant que cela était possible ses craintes enfantines. Portée par cette berceuse qui dans toute sa petite enfance l'avait endormie lorsque l'heure était, rassurée quand il fallait, soutenue quand elle en avait besoin. Cette berceuse qui ne lui avait jamais fait faux bond, & qui même dans l'enfer d'une prison qu'une fillette n'aurait jamais du voir venait encore à son secours, au travers de Dip qui la connaissait aussi, qui la connaissait apparemment aussi bien qu'elle. Alors oui, sans savoir réellement quand dans cette chanson qu'ils fredonnaient, elle avait osé appuyer sa tête contre l'épaule de celui qui était son unique repère, & qui au final ne l'avait pas repousser, venant finalement poser une main certes sale mais ô combien rassurante sur sa petite tête, caresser doucement ses longs cheveux de feu comme pour l'apaiser.

Des gestes presque paternels que ceux-ci, tels que ceux qu'avaient son grand-père à l'égard de sa maman lorsque celle-ci semblait plus mal qu'à l'accoutumée, quand elle semblait proche de perdre son éternel contrôle prudent. Des gestes réconfortants dont la petite avait tant besoin en cet instant, dont elle avait sans vraiment le savoir tant manqué toute sa courte vie, & ce malgré les efforts de sa mère pour qu'elle ne souffre pas trop de l'absence d'un père. La voix de l'homme, pourtant rendue un peu rauque par des années de sévices sans en être moins agréable au chant, prenait des tonalités rassurantes pour elle, des tonalités qu'elle acceptait sans hésiter avec une reconnaissance muette mais tellement réelle. Ramenant de nouveau ses genoux vers elle alors que la berceuse s'achevait, elle se recroquevilla un peu plus contre cette épaule qui finalement l'avait accueillie sans rechigner, toujours en quête de cette présence chaleureuse qu'il représentait, de ce réconfort trop précieux qu'elle ne voulait pas voir s'éteindre avec la voix du concerné. & ainsi calée, elle ne bougea plus d'un iota.

Elle ne su pas vraiment pourquoi il s'excusa. Parce qu'elle était en prison à son si jeune âge, pour son comportement inexpliqué de tantôt, pour encore autre chose que son jeune esprit malgré sa perspicacité était encore incapable de déceler? Non, elle ne savait vraiment pas. & ne s'en formalisa finalement pas vraiment. Fini le temps des questions & de l'insatiable curiosité. Son besoin de tout comprendre s'était engourdi temporairement sous la berceuse apaisante, suite aux gestes rassurants qui l'avaient un peu réconfortée. Elle se sentait fatiguée, lasse un peu aussi. Elle ne répondit pas quand il lui suggéra de dormir. Elle n'avait jamais dormi seule à vrai dire, & cette perspective ne lui plaisait guère. Toujours depuis son enfance, elle s'était assoupie avec sa peluche Teddiursa, ou avec ses pokémons qui l'avaient remplacée dès leur entrée dans sa vie. Hors là elle n'avait ni l'un ni l'autre, seulement cette cellule froide & la couchette sombre que lui avait gentiment proposé Dip.

Hochant la tête négativement, elle refusa sans mot dire. Ses yeux voulaient se fermer, mais malgré tout la prison les tenait ouverts. Elle refusait de dormir. Elle ne voulait pas s'assoupir si aisément alors que peut-être Evan n'avait pas sa "chance", que peut-être sa mère mourrait d'inquiétude actuellement sans savoir où elle se trouvait, que peut-être Galia.. Non ça, elle s'interdit d'y penser. Elle ne voulait pas voilà tout, elle ne s'en sentait pas la force malgré tout le courage & la détermination presque insolente dont elle avait pu faire preuve à son arrivée. Ou peut-être était-ce une nouvelle forme de courage un peu stupide? Allez savoir.

- Merci, mais j'suis pas fatiguée..

Faux, évidemment. Mais comment justifier autrement son refus? C'était la seule manière acceptable qui ne justifiât pas d'évoquer ses peurs d'enfant, qui ne justifiât pas de risquer de briser cet instant de réconfort si précieux pour elle, fillette perdue qui pourtant ne demandait rien d'autre que la présence d'un parent, que l'apaisement d'un sourire de sa mère ou de l'existence potentielle d'un père qui l'aimerait lui aussi.