J'ai cherché l'erreur
Qui trouble mon sommeil..
Que serait demain? De quoi l'avenir serait fait, entre les bombes & la guerre, les tourments & l'incertitude? Damien n'était pas à mes côtés ce matin-là à me faire oublier mes questions & mes peurs de sa simple présence. Crystal n'était pas devant moi à tout me faire oublier d'un sourire éclatant d'enfance & de cette innocence qu'on voudrait tous lui préserver. J'étais seule, seule dans les ruelles de Zazambes, seule avec ma Lockpin balafrée & ma Capidextre. Louna & Cathy. J'avais toujours le costume de Soledad sur le dos après cette simple mission, mais j'en avais quitté le personnage. J'étais seule, plus personne ne m'observait hormis mes deux compagnes, & j'errais sans but précis. Juste désireuse d'un peu de temps pour faire le point sans doute.. Ou sans doute que non. J'étais juste égarée. Cette nuit avait été longue, même si la mission n'avait été ni danger ni même action ; juste rencontres suivant une réunion. Depuis trois heures du matin j'étais dehors, & là alors que pointait l'aube, j'errais dans les rues de ma ville natale plutôt que de rentrer aussitôt. Serrant presque désespérément mon poing gauche pour sentir la bague, cette bague qui me rappelait que j'avais un espoir de lendemain malgré cette guerre incessante, malgré ce maudit Régime opprimant qui m'avait tant volé y compris ma propre paix intérieure. J'allais me marier, épouser l'homme de ma vie, & rien ne pourrait me rendre plus heureuse ; voilà l'unique certitude que j'avais en ces temps de troubles, où un seul pas de travers pouvait conduire à l'anéantissement de ma famille, & donc de mon monde. Je serai brisée si l'on s'en prenait à Crystal. Si je devais encore perdre Damien, je n'y survivrai pas. Ne parlons pas du reste de nos proches.. & chaque jour la peur de voir ces craintes se réaliser, que le Régime trouve une raison de s'en prendre aux miens ou ne retrouve mon fiancé, m'oppressait un peu plus. J'étais terrorisée à vrai dire, complètement terrifiée à l'idée de perdre encore un être cher, traumatisée par ce que j'avais déjà subi à la mort d'Angie, à la disparition de Dam ou à la perte de Rob. Traumatisée car je savais que ces douleurs resteraient à jamais, car je savais que le cauchemar n'étais pas fini & que d'autres souffrances pouvaient s'ajouter. Je le savais trop bien.

La patte de Louna se posa finalement sur mon poignet gauche, sur le tatouage identique à celui de sa première dresseuse. Ma petite jumelle, ma chère sœur perdue. Mon cœur se serra douloureusement, & mon regard noisette se heurta au sol de la ruelle où nous étions alors que je me figeais soudain. Cathy prit mon autre main, doucement, se plaçant devant mes yeux avec un sourire qui se voulait apaisant. & je tombais à genoux, à genoux devant mon amie simiesque qui savait si bien ce que j'avais traversé pour avoir vécu le même genre de tourments avant notre rencontre, à genoux aux côtés de la lapine qui suivit ce mouvement & qui avait subi depuis toujours les mêmes épreuves que moi. La prise de la Lockpin se resserra sur mon poignet, la patte de la Capidextre serra plus fort ma main. Elles m'enlacèrent ensemble, & je les serrais contre moi sans rien dire. Je ne pleurais pas. Je n'en avais pas la force, je n'avais pas de larmes. La nuit avait été longue, j'étais épuisée. Tourmentée par les questions sans réponse sur nos lendemains, ces questions qui revenaient chaque fois que je me trouvais seule, ou du moins loin de Damien & Crystal. Des questions que mes deux sœurs pokémons se posaient aussi, avec autant de force. Je le ressentis dans cette étreinte que nous échangions ainsi à même le bitume ; bien que je le savais déjà depuis longtemps. J'ignore combien de temps nous restâmes là. Un moment sans doute. Jusqu'à ce que je commence à étouffer, lentement mais sûrement. J'avais mal, mal, mal. Le souvenir d'Angela m'était revenu trop fort, trop clair, tout comme ce souvenir déchirant de l'absence de Dam pendant plus de cinq ans. & j'avais peur, une vraie terreur irrationnelle même si je savais les miens à la Pension ou rentrés chez eux, en sécurité en tout cas normalement. Mon cœur battait un rythme effréné dans ma poitrine douloureuse & opprimée à un point fou. J'avais peur, une crise d'angoisse terrible, les bras apaisants de mon amoureux étaient trop loin & la présence de mes deux alliées, même celle de Louna, ne parvenait pas à enrayer cette crise là. Elles le comprirent vite. Sans m'en être rendue compte je me trouvais sur le dos de Ryan, & quelques minutes plus tard effondrée dans l'herbe, à quelques pas de la maison de mes parents, sous le regard des trois leaders de mon équipe qui m'entouraient, me soutenaient. Je me débarrassais de ma cape, de la perruque, de mes lunettes comme si ces trois objets me brûlaient. Je me réfugiais contre le Rapasdepic, vite rejointe par la Lockpin & la Capidextre. Respirant à fond pour me calmer, mon regard posé avec insistance sur la maison qui commençait à s'animer à l'heure qu'il était. Voir les ombres de ma famille derrière les fenêtres m'aida grandement.

Une dizaine de minutes plus tard, enfin en meilleur état, je passais le seuil. Seule avec Louna puisque Cathy était retournée à ma chambre par la fenêtre ranger mes atours de Soledad, puisque Ryan était parti faire un vol de reconnaissance autour des terres de la Pension comme il le faisait souvent. Rouquine dans mes habits bleus (bien que ceux-ci soient plus sombre qu'à l'accoutumée, pour convenir à Soledad), un vague sourire un peu absent aux lèvres ; rien n'aurait pu montrer que je rentrais d'une mission pour la Résistance, ni même seulement de réunion, puisque si les questions demeuraient le gros de la crise était passé. Au salon je trouvais seulement mes parents & Crystal, qui m'apprirent que Damien était occupé ailleurs. La table était déjà débarrassée mais papa me proposa tout de même un petit déjeuner que je refusais, encore trop tourmentée, la gorge encore trop nouée pour avaler quoique ce soit même si je mourrais de faim. Il n'insista pas, sachant bien que ce serait inutile & que me traiter différemment sous prétexte que je rentrais visiblement de mission ou de réunion pour la Résistance ne serait guère une bonne idée ; il s'agissait de ce genre de moments où j'appréciais juste la routine de tous les jours, de voir un peu de paix, & de retrouver simplement mes proches. Regardant ma fille jouer paisiblement dans un coin avec sa Ponchien & son Mentali, j'envisageais les possibilités de venir jouer avec elle ou de rejoindre mon fiancé, deux choix qui m'aideraient assurément à repousser temporairement ces craintes opprimantes & douloureuses même si je savais que ce ne serait que les remettre à plus tard. Je n'eus pas le temps de me décider cependant, car ma mère m'indiqua un carton posé sur la table, attirant mon attention par quelques mots expliquant sa présence. Il s'agissait d'un colis pour moi, arrivé le matin-même, de la part de ma grand-mère Béa. Elle annonça ensuite devoir se rendre à l'Amphi & papa l'accompagna au portail, tandis que j'approchais du colis, lisant le petit mot qui l'accompagnait tandis que Louna ouvrait pour moi le carton, le tout sous le regard de Crystal Margo & Evan qui avaient interrompu leur jeu le temps de voir ce que contenait ce paquet aillant visiblement titillé leur curiosité.

Ma chère Solène,
J'ai appris pour tes fiançailles, ainsi que pour le concours que tu as mené récemment. Ta mère ne tarissait pas d'éloges d'ailleurs, & elle n'est pas la seule ma foi, j'aurai aimé voir ça en vrai. Enfin. Tu as décidé d'avancer, tu t'es engagée sur cette voie, & tu sais que je te soutiendrai à chaque pas que tu feras, comme le reste de la famille. Mais tant qu'à faire, ne fais donc pas les choses à moitié.. Voici un compagnon qui devrait t'être d'une grande aide en cela, j'en suis convaincue, comme tous ceux impliqués dans la décision de te le confier.
Grand-Mère.

C'était un œuf de Togépi, si semblable à celui qu'avait reçu ma chère Angie cinq ans & demi plus tôt. L'enfant de ce dernier probablement, de Toshan qu'avait recueilli ma grand-mère à la mort d'Angela, & de Pandora la Togekiss de Maxwell. Car j'avais bien vu ce qui liait ces deux-là depuis quelques temps déjà, alors les voir parents ensemble ne me surprenait pas. Qu'on me demande d'être la dresseuse de leur premier-né par contre.. Non en réalité, cela ne me surprenait pas non plus. Pas après avoir lu le petit mot joint au colis, du moins. Car pour avancer je ne devais pas faire les choses à moitié. & ce petit œuf, ce bébé symbolisait un peu ma nouvelle avancée, à bien des niveaux. Une nouvelle acceptation de la perte de ma jumelle, après ce concours mené en son honneur, une nouvelle manière de passer l'un des nombreux traumatismes que m'avait laissés sa mort & les actes funestes du Régime. C'était leur manière à eux, Grand-Mère, Toshan, & probablement Pandora & Max aussi, de me dire d'être heureuse enfin, de cesser de regarder en arrière pour enfin me concentrer définitivement sur l'avenir. Sans un mot, juste profondément émue, je tirais le petit œuf de sa cloche protectrice pour le serrer simplement contre mon cœur. Fermant simplement les yeux, un vague sourire indéchiffrable sur le visage. Ce ne serait pas facile, pas facile de tourner enfin la page, de passer outre les traumatismes & l'absence de ma jumelle dont je souffrais depuis déjà des années. Mais cet œuf qui aurait pu me tourmenter, m'apparaissait comme un symbole d'espoir, le symbole que si l'avenir pouvait rappeler le passé, il pouvait en même temps être beau & plus lumineux. Avec ce petit Togépi pour me rappeler cela, avec mon équipe pour me soutenir, & surtout ma fille & mon amoureux à mes côtés.. J'y arriverai, j'y parviendrai enfin. Ce serait probablement long mais j'étais patiente, & déterminée à vivre chaque instant qui nous serait accordé, à réapprendre comment être juste heureuse même si tous mes sentiments se trouvaient complexifiés par ce que j'avais traversé. J'y arriverai. J'en avais la certitude, & entre mes bras ce dernier tout petit brin de motivation qu'il me manquait encore pour cela. Celui qui m'apprendrait à cesser de me souvenir douloureusement d'Angie chaque fois qu'un élément ou pokémon qu'elle avait possédé me la rappelait.

En fait tout est clair, je relève la tête..
Je veux vivre chaque seconde,
Comme si demain était la fin du monde,
Être libre pour de bon.