Il y a des souvenirs qu'il vaut mieux oublier

Évolution d'Elijah, partie 1

Il y a des fois où Clive se pose des questions sur sa vie. Rien d'habituel me direz-vous, c'est même classique et ordinaire, mais le fait est que aujourd'hui, il est VRAIMENT persuadé qu'il a dû merder quelque part. Comprenez bien que du haut que de ses dix-sept ans (vive la magie des flashbacks, oui), il est dans une période où on s'interroge beaucoup sur son futur et les événements qui vont suivre, mais disons que ça, il ne l'aurait pas prévu. Si il avait l'habitude d'être la cible des tours de son jumeau et d'Isaac, il n'avait toutefois pas vraiment prévu que ce genre de trucs pourrait lui arriver. Il croyait que cela faisait partie des menaces fantasques de son frère, et que jamais, ô grand jamais, il ne lui arriverait une pareille chose. Sauf que voilà, Faust était une saleté. Et encore plus lorsqu'il avait une rancune dont il ne s'était pas débarrassé, ce qui était le cas ici ; Clive avait en quelque sorte mis du sel dans le café de son frangin parce que celui-ci avait malencontreusement renversé du sirop sur l'un de ses plus gros et coûteux bouquins d'histoire. L'accident en question n'était pas clair de tous soupçons, et au fond, si on remontait à chaque fois, cet événement n'était que le résultat d'une succession de crasses toutes plus idiotes les unes que les autres qu'ils se faisaient sans le moindre remord et sans se soucier un seul instant qu'ils étaient de par ces faits particulièrement puérils. Même Isaac avait cessé de tenter d’apaiser les tensions, s'étant rendu compte qu'il était tout bonnement naïf de croire que quiconque pourrait calmer les jumeaux une fois qu'ils étaient d'humeur à se disputer. Néanmoins, il n'allait pas se priver de s'allier avec l'un lorsqu'il pouvait embêter l'autre.
Et aujourd'hui, eh bien... Comment dire que là...

« Je m'en fous, c'est hors de question !
- Clive, je te le répète, si tu ne mets pas cette robe, j'irai dire à ta prof d'allemand que tu as triché au dernier devoir ! »

Un juron particulièrement coloré s'échappa de la bouche de l'adolescent aux cheveux noirs. Saleté d'Isaac qui avait sûrement lâché ce petit détail contre un paquet de bonbons quelconque ; il avait beau être majeur, restait que le suédois avait encore le comportement d'enfant et Clive se jura de ne plus JAMAIS lui demander de conseils.

« Quoi, tu vas me dire que c'est mal ? On reparle de cette fois où tu avais truffé tes affaires d'antisèches pour un bac blanc de maths ?
- Ouais, sauf que toi, ça te ferait bien chier si tu te prenais un zéro !
- Tu peux pas comprendre, toi c'est une habitude de les accumuler !
- Gniagniagnia, je m'appelle Clive et je me plains comme un gamin de cinq ans parce que je suis un gros bébééééééé !
- FAUST, ferme-là, t'es chiant !
- Ranaf', tu vas enfiler cette robe, t'avais pas qu'à pas mettre de sel dans mon café !
- Tu avais renversé du sirop sur mon bouquin !
- Pas de ma faute si ça traînait par terre !
- Il était sur mon BUREAU !
- JE M'EN FOUS ! »

En toute réponse, Clive l'insulte, entraînant par conséquent une longue série d'injures envoyées contre l'autre durant quelques minutes, jusqu'à ce que cela se termine par des grognements sans aucun sens. Mais finalement, le cadet des jumeaux doit déposer les armes et finit par enfiler cette foutue robe du diable que lui a apporté Faust, et il préfère ne pas se demander où il a pu en trouver une. Rien qu'à se voir dans la glace, il manque de mourir de gêne. Il a l'air ridicule, comme ça, dans une robe blanche digne d'une mariée, et en plus, il sait qu'il va devoir finir par sortir de cette foutue salle de bains.

« Alleeeeeez princesse, montrez-nous donc à quel point elle vous va bien, cette robe ! »

Après avoir ravalé cinquante-six fois sa fierté et tenté d'oublier la douloureuse blessure que cela infligeait à son reste de dignité, il prit finalement son courage à deux mains et ouvrit la porte pour sortir. Faust et Isaac l'observèrent quelques instants sans rien dire, silencieux, avant que leurs traits ne commencent lentement à s'étirer et que quelques gloussements ne se mettent à s'échapper de leurs lèvres. Puis, finalement, ils éclatèrent de rire et leur hilarité fut si grande qu'ils durent tenir leurs côtes pour ne pas s'écrouler à cause du fou rire incontrôlable qui les prenait.
Clive grommela et couvrit son visage avec ses mains pour dissimuler la rougeur brutale de ses joues. Il avait l'impression qu'il allait mourir de honte, et le fait qu'Isaac et Faust ne cessaient pas de rire n'arrangeait absolument rien ; ils commençaient même à manquer d'air, comme Clive le remarquait par leurs visages aussi rouges que le sien, quoique ce fut pour une raison différente. Il vit brièvement sa mère passer, et lorsqu'elle rencontra son regard, elle se contenta de hausser les sourcils avant de reculer comme si elle n'avait rien vu.
Puis, après avoir reprit son souffle, Faust reposa son regard sur lui, se retenant visiblement difficilement de ne pas se remettre à rire en se mordant les lèvres.

« Ce rêve bleuuuuu- »

Il ne fut pas capable de terminer sa phrase, puisqu'il éclata une nouvelle fois de rire, et Isaac fut comme achevé par cette phrase. Ils reçurent dans leurs têtes... Des déodorants, des brosses et autres objets, mais cela ne calma pas les autres idiots. Alors qu'il était presque sur le point de se mettre à grogner, Clive ressentit une certaine pression sur son ventre, comme si on le lui écrasait et...
… Bordel de merde, un Crocrodil qui vous sautille dessus pour vous tirer de votre sommeil, ça fait mal. Clive poussa un juron avant de repousser le pokémon, qui tomba au pied de son lit alors que l'officier se massait la nuque. Après quelques secondes, il reposa son regard sur le lézard d'eau et cligna des yeux, surpris. Eh bien. Ça, c'était de l'évolution stupide. Évoluer pour le réveiller. Le hérisson leva les yeux au ciel et écrasa de nouveau sa tête sur l'oreiller, en soupirant tout juste en sentant le Crocrodil se blottir contre lui. Ce petit idiot l'attendrissait définitivement trop, et ce même sous cette nouvelle forme.