Remonter la pente avec des échasses si il le faut
Évolution de Clifford, partie 2
« Je t'avais prévenue. »Il ne reçoit en échange qu'un regard agacé et vaguement exaspéré alors qu'il ferme la porte de l'appartement derrière lui. Il n'y a pas à dire, Nova n'est pas son élève pour rien, et l'éducation stricte qu'elle a reçu n'a rien changé à son naturel désorganisé. Faust retient tout juste un gloussement lorsqu'il jette un coup d’œil circulaire dans le salon où tout traîne dans tous les sens. Tandis que la suédoise laisse le percolateur préparer le café dans un ronronnement régulier, elle jeta un regard mauvais à son mentor qui se contenta de soupirer. Il savait que remettre du sel dans la plaie n'était pas une idée intelligente, mais en apercevant le verre cassé et les éclats autour, en plus de l'état discutable de l'appartement, il n'a pas mis longtemps à comprendre ce qui avait pu se passer ici il y a tout juste quelques heures.
Lorsqu'il était revenu à la maison pour trouver Natsume en train de lire un livre avec une Katya à l'air horriblement peinée en train de se reposer contre lui, il avait compris que quelque chose n'allait pas, et les explications de la Peterson avaient confirmé ce qu'il avait supposé. Il avait fait mine de ne pas savoir et de découvrir l'information, en étant infiniment heureux d'être doué en matière de mensonge et de théâtre, de sorte que personne n'avait deviné quoi que que ce soit, et surtout par le fait qu'il était le seul à être au courant de tout ça depuis le début. Il n'osait même pas imaginer ce qu'auraient pensé Isaac et Katya de ça, voir même Natsume, et se préparait déjà à subir le courroux de ces trois-là quand il avouerait la vérité. Mais sur le moment, mentir avait été plus intelligent. Pour sa survie, du moins, et il n'était pas encore d'assez bonne humeur pour supporter leurs reproches.
En sachant ce qu'il savait, il avait donc décidé de venir la voir au lendemain. Il savait où se trouvait l'appartement de Nova de toute façon, et n'avait pas eu de difficultés à rentrer.
« Écoute, je veux bien que tu n'aies pas envie d'en parler, mais reste que... »Et tandis qu'elle récupère les deux tasses de café en lui en tendant une, Faust remarque enfin ses yeux rougis, gonflés, brillants, et son teint presque cadavérique. Il poussa un long soupir peiné.
« Un sucre et demi et une petite dose de lait. C'est bien ça ? »Son ton est si sec et brutal que Faust n'a pas besoin d'être un génie pour comprendre qu'il s'agit d'une façon plus ou moins polie de lui dire de fermer sa bouche et d'arrêter de l'ouvrir. Il hoche alors de la tête et récupère sa tasse avant de se poser sur le canapé, juste en face de Nova qui vient de se mettre sur un fauteuil.
« Pourquoi es-tu venu, hormis pour mettre du sel dans la plaie ?
- Je voulais te voir. Après ce qui s'est passé, je me demandais si tu voulais de ses nouvelles, ou si tu tenais le coup, tout simplement. »Il ne prend pas en compte son ton amer et puant l'agressivité, sachant mieux que quiconque qu'il valait mieux faire comme si c'était normal et ainsi ne pas rajouter de l'huile sur le feu, ce qui, vu l'état mental et psychologique de Nova aujourd'hui n'était pas une bonne idée du tout. L'évocation des nouvelles suffit à la calmer un peu toutefois, et ses yeux s'emplissent d'une lueur d'intérêt que Faust sait reconnaître immédiatement. Pour peu, il serait presque attendri, mais la situation est telle qu'il est plus las qu'autre chose.
« Comment est-ce qu'elle va ? »La question de Nova est posée avec un ton si fragile et hésitant que Faust hésite un instant à mentir ou à diluer la vérité pour amortir le choc que ses propos vont provoquer, mais n'étant pas du genre à ménager ou à faire dans l'excès de sensiblerie inutile, il se contenta de lui épargner l'affreuse sensation d'angoisse que provoquait l'attente, non sans une certaine rudesse. Mais de toute façon, Nova étant son élève, il refusait de la materner excessivement.
« Elle va aussi bien que quelqu'un qui vient d'apprendre par accident que la personne qu'elle aime n'a plus qu'un an à vivre, et que la personne en question n'avait pas l'intention de lui dire grand chose. Elle va aussi bien que peut aller quelqu'un qui a été au plus bas et qui y retournerait tête la première si il n'y avait pas des gens pour réparer les pots cassés. »Il le sait qu'il est trop sec, et que ses propos sont presque cruels, mais il s'en fiche complètement. Il savait que ce jour finirait par arriver et la faute était tout autant la sienne puisqu'il s'était fait complice du silence de la jeune femme, mais il ne peut pas s'empêcher d'être en colère lui aussi. Voir Katya dans un pareil état lui avait fait bien trop mal, et l'entendre pleurer avait été encore pire. On pouvait dire qu'elle était devenue une de ces personnes pour lesquelles il serait prêt à beaucoup, et qu'elle soit ainsi blessée ne lui était pas supportable. Alors peut-être mélangeait-il sa colère contre lui-même et sa colère contre son élève qui devenait finalement un peu son défouloir, mais il était déjà plus calme que hier soir. Et bien plus calme qu'Isaac.
Ses propos ont touché pile là où il le fallait, apparemment, puisque la jeune dresseuse a baissé les yeux, honteuse et peinée. Elle regarde dorénavant sa tasse comme si elle contenait toutes les réponses qu'elle cherchait désespérément, et Faust constate avec étonnement que même son café ne l'intéresse pas, à l'heure actuelle.
« Je... Je ne voulais pas lui faire de mal...
- Ce que tu voulais ou pas, peu importe. Le mal en question est fait, maintenant. »
Désagréable, il l'est. Son manque d'empathie pourrait étonner, mais il n'est pas d'humeur à se perdre dans des considérations tristes. Et de plus, il faut comprendre que lui, il sait depuis longtemps, et qu'il a eu le temps d'accepter l'idée que son élève était une véritable bombe à retardement. De toute façon, il avait toujours été plus Noctis que Faust avec elle, pour le meilleur et pour le pire.
Un instant de flottement s'installe, durant lequel le conseiller prend une gorgée de sa boisson avant de recommencer à scruter la cadette avec attention, toujours avec ce regard neutre et presque froid.
« ... Isaac est en colère, je suppose ?
- Si tu définis 'colère' par 'il a envie de t'étrangler et de te t'arracher les boyaux pour t'écarteler avec', ouais. Si Thalie ne l'avait pas calmé... Enfin, tu vois ce que je veux dire.
- J'ai vraiment merdé, hein... ? »Faust soupira profondément, fatigué. Il se massa le front, ne sachant que dire sur le moment, presque mal à l'aise. La voix chagrinée de Nova le calme peu à peu, et il a bien du mal à garder cette façade de reproche et de rancune, bien qu'il soit toujours autant contre les choix de son élève.
« Tu as fait ce que tu croyais être le meilleur choix ; c'est humain, donc. Stupidement humain. »Il glousse alors amèrement. Ses propres propos le font rire tant ils sont ironiques venant de lui, et il manquerait presque de se dire que tel mentor, tel élève. Tout ceci ressemble tellement à une mauvaise blague qu'il en arriverait presque à avoir l'espoir que ce soit le cas, et pourtant, la réalité des choses est bien plus honnête que son esprit. Cruelle, aussi.
« Pour l'instant, elle reste chez moi. Natsume, Isaac et Alice sont aux petits soins pour elle, mais je te conseille tout de même d'éviter de passer. Alice ne sait pas et nous la garderons dans l'ignorance jusqu'au bout, et Isaac... Bref, tu vois le tableau ; attends qu'elle t'appelle.
- ... Et si elle ne m'appelle pas ? »Sa question est innocente mais pourtant Faust remarque dans le creux de ses yeux une lueur de terreur et de douleur, telle qu'il s'empresse presque de réponse.
« Elle t’appellera. Probablement pour te hurler dessus en premier lieu, puis pour te parler ensuite, mais elle t’appellera. Je ne saurais dire quand, par contre, et si tu décides d'y aller en première... Attends quelques jours, au moins. »Nova ne répond rien, et serre tellement fortement sa tasse dans ses mains qu'on pourrait croire qu'elle va l'éclater par la seule force de ses doigts d'ici une minute à l'autre. Faust soupira, et décrocha de sa ceinture une ball bicolore dont il laissa sortir un Diamat jovial qui s'empressa d'aller quémander des caresses à la dresseuse, qui gloussa un peu devant toute cette affection. Les lèvres de Faust se tordirent en une esquisse de sourire mi-triste mi-amusé alors qu'il observait la scène.
« Il voulait te voir, alors je l'ai pris avec moi.
- Je te l'avais dit, que tu t'occuperais bien mieux de ce petit que moi. »Il baissa un peu les yeux, peiné. Lorsque Nova avait reçu l’œuf de Clifford de la part de ses parents, elle s'était dit qu'il valait mieux le confier à quelqu'un qui serait sûrement encore là d'ici quelques années, et avait donc pensé à lui. Se dire qu'un pokémon aussi joyeux et débordant de tellement de gentillesse serait le symbole de son élève décédée d'ici bien trop peu de temps... C'était une ironie tragique, et il se demanda brièvement si ce n'était pas tout simplement une forme de moquerie cruelle et sadique envers eux. Tandis qu'elle caressait les têtes du Diamat, elle se mordit les lèvres pour chercher ses mots.
« Je voulais lui dire, juste...
- Pas maintenant, c'est ça ? Et ce 'pas maintenant' s'est transformé en 'plus tard', et ce 'plus tard' en 'un jour'. Rien que quand vous vous êtes remis en couple... Bon sang, Nova...
- Je sais, j'ai été égoïste. J'étais tellement heureuse que du coup... Je me suis dit que si nous n'en parlions pas, alors je n'aurais pas à y penser. Je ne voulais pas non plus la rendre triste, elle ne mérite pas ça. »Faust sourit amèrement, se reconnaissant bien trop en ces paroles. C'était sûrement hypocrite de sa part d'ailleurs de se permettre d'être aussi dur avec elle alors qu'il y a fort à parier qu'il aurait été tout aussi stupide. 'Qui se ressemble s'assemble' dit le dicton, mais en même temps la conscience collective dit aussi que 'les opposés s'attirent' alors nous allons éviter de donner du poids à des expressions. Tout ça pour dire qu'il avait comme l'étrange impression de regarder son reflet dans un miroir.
« Mais maintenant, tu ne peux plus retarder l'échéance. Tu vas devoir agir, et gérer le problème.
- Quoi, commencer à me demander si je veux du hêtre ou du sapin pour mon cercueil ? »Le sarcasme dont fait preuve Nova ne l’impressionne pas, et il se contente de hausser légèrement les sourcils tandis qu'une moue dédaigneuse étire son visage. Il prend une gorgée de son café avec calme avant de parler.
« Pour être tout à fait honnête, ouais. Ou du moins dire ce que tu veux, préparer tes dernières volontés, et tout le reste. Je veux bien m'en charger en partie, mais il va falloir que tu organises tes papiers...
- Génial.
- Je ne te le fais pas dire. »La suédoise soupira profondément, posa sa tasse et passa ses mains dans ses cheveux avant d'inspirer un grand coup. Faust fit de même, mais seulement après avoir terminé son café.
« Qu'est-ce que tu veux faire, en premier ?
- Je ne veux pas mourir. »Nouveau silence, plus lourd cette fois. Le conseiller resta silencieux et immobile.
« J'veux pas, Faust. C'est con, hein.. ? J'y pensais pas, avant. Je me plaignais de tout et de rien, alors qu'en fait, maintenant, j'échangerais presque tout pour des mois en plus, ou même des jours. Tu sais, j'avais même promis à Katya que le jour où on aurait trouvé des jobs et où on aurait profité du temps... Qu'on s'installerait ensemble, quoi. C'était con et niais, mais maintenant... C'est la seule chose que je désirerais, Faust. J'veux pas la laisser. J'veux pas vous laisser. J'veux pas crever. Mais c'est qui va se passer, et rien ne changera ça. »Elle est en colère, et il le sent. La frustration et l'agacement qui s'échappent d'elle sont encore plus puissants, mais l'aîné ne dit rien, sachant qu'il fallait qu'elle se lâche pour se calmer, et il n'avait pas l'attention de l'arrêter maintenant qu'elle passait enfin ce stade.
« J'ai pas envie, putain. Quand j'vais au cinéma, j'aimerais bien regarder la bande-annonce pour un film et arriver à me convaincre que je serais encore là quand il sortira. Que j'vais pas me retrouver sous terre alors que j'ai que dix-neuf ans et que j'avais enfin trouvé comment profiter de ma vie. Mais ça, la vie s'en fout, hein... »L'amertume de Nova est incroyablement forte, mais Faust ne peut que la comprendre. Ou du moins, il en comprend l'origine. Croire qu'il pourrait comprendre tout ce qui passe par la tête de la suédoise, et surtout ses pensées, serait d'une arrogance et d'une stupidité inimaginable. Pourtant, vers la fin, la voix de la cadette se brise, et elle réprime un sursaut avant d'inspirer et expirer profondément pour se contenir.
« Le pire, c'est que j'arrive pas à m'empêcher de pleurer. Ça fait bientôt un an que je chiale, mais ça ne va rien changer, et... Et je... »Faust ne comptera plus les silences, mais celui-là est bien plus lourd et pesant que les précédents, alors il se décida à intervenir.
« Dis, tu te souviens de ce qui a fait que je t'ai prise comme mon élève ? »La question est rhétorique, et Nova le remarque bien à l'air étrangement calme et contemplatif de son mentor. Celui-ci ne tarde d'ailleurs pas à s'expliquer.
« Quand je t'ai reconnu dans la résistance, tu m'as dit que tu y étais engagée pour une raison. Et tu m'a supplié de t'entraîner. Tout ça pour pouvoir l'aider et la protéger au besoin, pour aider ceux qui viendront après toi. Parce que tu voulais être utile. »Pause. Il inspira profondément, ferma les yeux pour mieux se concentrer avant de les rouvrir.
« Alors tu as le droit de pleurer. Tu as le droit de te sentir mal, de penser que c'est injuste, parce que ça l'est. Ce que je veux que tu saches... C'est que je suis là. Et je ne suis pas seul ; on sera là, jusqu'au bout. »Elle ne dit plus rien. Clifford l'observe avec inquiétude, et pousse des geignements plaintifs pour attirer son attention. En constatant qu'il n'y arrive pas, le Diamat monte avec difficulté sur le canapé et se blottit contre la jeune femme aux cheveux bleus, en poussant des couinements aigus pour la tirer de son immobilisme et de son silence, mais cela ne suffit pas. Nova ne bouge plus, et semble comme paralysée, voir même sonnée. Faust, quant à lui, l'observe dans le même silence, sauf qu'il s'attend à ce qu'elle craque d'une seconde à l'autre. Il se tient prêt à venir la réconforter, mais il n'en a pas le temps, puisque Clifford, après avoir poussé un énième geignement, se met à briller et à lentement évoluer.
Autant dire que là, c'est quelque peu compliqué, et que la table a vite fait d'être renversée vu que le Diamat prend considérablement en taille et en poids, et les deux adultes reculèrent en vitesse. Les restes de café s'étalèrent au sol et le bruit de porcelaine cassée résonna dans l'appartement, mais ce ne fut rien en comparaison au grondement du Trioxhydre nouvellement évolué.
Faust et Nova se contentèrent de l'observer avec de grands yeux écarquillés et la mâchoire presque décrochée, peinant à croire ce qu'ils voyaient et était pourtant bien en train de se passer. Heureusement que le plafond de l'appartement était assez haut, parce que les têtes du Trioxhydre l'effleuraient. Le grand dragon cru alors que se précipiter vers Nova pour la couvrir de câlins serait une bonne idée, et la fit donc accidentellement tomber à la renverse, ce qui fit bien rire Faust, puis Nova à son tour. Au bout de quelques instants passés à grattouiller les cous de Clifford, la jeune femme se retourna vers lui, un sourire mi-triste mi-tendre sur son visage.
« Merci, Faust.
- Y'a pas de quoi. Allez, viens, on sort.
- Mais, euh... Où ça ?
- Aucune idée ! On verra bien au moment venu. Ah et je nettoierais, sinon, ne t'en occupes pas. Bon, tu me suis ?
- Mais...
- Ce n'était pas une question ! Du nerf, soldat ! »Nova se contenta de soupirer, mais ne pu s'empêcher de glousser, amusée. En remarquant ça, un sourire satisfait étira les lèvres de Faust : il n'était pas un spécialiste en matière de réconfort, mais si il pouvait au moins lui changer les idées, il était content.