Peu importait au fond ce qu'il avait essayé de dire. Peu importait qu'il m'apprécie, qu'il me désire, qu'il me haïsse. J'avais le sentiment d'avoir non pas blessé mais réouvert une ancienne blessure. Je ne comprenais pas l'envergure de tout cela ; je venais de toucher du doigt quelque chose qui me dépassais. Mais je voulais comprendre, naïvement, innocemment. Parce que, au fond, je m'étais attaché à lui, d'une façon ou d'une autre. Que j'avais beau le détester, par certains moments, il me faisait rire. Que je pensais à lui, parfois, en me demandant ce qu'il dirait - et en imaginant parfaitement sa réponse, son oeillade moqueuse, son sourire malicieux. Oui, je le préférais quand il souriait. Peut-être n'aurais-je pas dû le frapper, sortir de mes gonds. Mais ses mots ... Il avait été trop loin. Il aimait ça, aller trop loin. Prendre des risques, franchir les limites ; est-ce que au moins les limites avaient un sens, pour lui ? Il réitéra sa demande, et assis sur le rebord, je continuais de l'observer.

Il avait perdu son ton de gamin qui pète plus haut que son cul. Il avait délaissé sa voix rauque, désireuse ou agressive. Il n'y avait plus d'émotions palpable. Juste du vide, dans sa voix. Un vide qui me faisait presque frémir. Cet éclat de faiblesse ne lui ressemblait pas. Alors j'attendis ; le silence pose souvent plus de questions qu'il ne laisse le supposer. Et il continua. Je ne compris pas tout ; il voulait être seul ? N'avait besoin de personne ? Pourquoi m'avoir appelé ? Pourquoi m'avoir invité ici ? Pour se servir de moi bien sûr. Je ne me voilais pas la face ; je faisais de même, dans le fond. Je me servais de lui pour assouvir certains besoins, charnels et relativement affectifs. Sa présence me faisait du bien, et je l'acceptais parce qu'elle me faisais du bien, justement. C'était égoïste. Mais je l'assumais. Ses paroles m'auraient peut-être touché si elles avaient été proféré avec menace ; il ressemblait juste à un gosse qui essayait de me faire mal. Qui essayait de me rendre la monnaie de ma pièce. Ou peut-être que je refusais l'idée qu'il me déteste, parce que je savais qu'au fond, ma propre haine à son égard n'était pas uniquement cela ?

Nouveau regard. Il semblait perdu. J'avais envie de le prendre dans mes bras. Un petit garçon, je ne voyais que ça devant moi. Peut-être avait-il raison ; peut-être que javais un sacré syndrome du chevalier servant, moi, pour vouloir l'aider. Son regard me fit presque vaciller, alors que les paroles venimeuses sortaient de sa bouche. Je me mis alors debout, lui tournant le dos, et remis mon kimono. Ca me laissait quelques instants de réflexion, sur comment aborder tout cela. Une fois ma ceinture nouée, je me retournais vers lui ; mes cheveux étaient humides, collés à ma nuque. Mon regard dur semblait avoir fondu, brillant d'un noir plus soutenu, presque gris.

▬ Je ne prétend pas comprendre ce que tu vis. Ce que tu as vécu. Chacun a son enfer personnel. Mais ... Mais si il y a la moindre chance que je puise te tirer de toute ta souffrance ... Je le ferais.

C'était aussi simple que ça, non ? Non.

▬ On ne se fait pas confiance. Sûrement jamais. Comme jamais on ne pourra lire dans la tête de l'autre. Mais il reste indubitable que je t'ai montré un pan de moi. Accepte-le, fais en ce que tu veux. Rejette le, même, si ça te fais plaisir. Mais tu as bord te targuer d'être un monstre, j'ai vu de l'humanité en toi. Nie-le, oublie-le. Tu n'en restes pas moins humain et mortel. Je ... Léger soupir. J'avais du mal à avoir les idées claires. La vapeur semblait me brouiller l'esprit comme une brume chaude et moite. Je ne savais plus quoi dire pour plaider sa propre cause ; c'était comme essayer de sauver un suicidaire, non ? Malgré tout ce que je t'ai dis, tout ce que je t'ai fait ... Tu ne mérites pas de souffrir. Je le sens, ce noyau dur de souffrance, en toi. Tu l'as enrobé de méchanceté, pour faire mal plutôt que d'avoir mal. Je ne te pardonnerais jamais de tuer des êtres vivants pour le plaisir ... Mais paradoxalement, je ne veux pas que tu continues de souffrir comme tu le fais.

Oui, j'étais paradoxal. Mais je m'en fichais. Je me fichais de tout. Je voulais partir. C'était peut-être une bonne idée. Je lissais le tissu de mon kimono, soudain très las. J'étais fatigué, par nos ébats et la tension soudaine, montée et redescendue très vite. Je passais mes mains sur mon visage, et demandais d'une voix éteinte :

▬ Tu veux vraiment que je partes ? Tu veux vraiment que je te laisses seul ?

Pourquoi ça me rendais aussi triste qu'il ne veuille plus de moi ? Je l'avais à moitié tabassé, merde ! Vu toute la merde que je lui avais balancé à la gueule, ça ne m'étonnais qu'à moitié qu'il ne veuille pas carrément m'arracher les yeux en ce moment même ! Bon, au vu de ma carrure, je comprenais qu'il ne veuille pas s'y frotter, mais je me sentais coupable au point que je me serais laissé frapper. En fait, voilà ce que je voulais : que quelqu'un ait besoin de moi. Que quelqu'un veuille de ma protection, de ma force. Que quelqu'un me désire, pas uniquement dans son lit, mais moi en entier. Mais je doutais que cela arrive de nouveau un jour ...

Finalement, peut-être que j'en avais fini. Je tournais le dos, et il ne répondait pas. Peut-être qu'il me boudait. Peut-être qu'il désirait réellement me voir partir. Je lissais une dernière fois mon kimono, réajustais la ceinture. Tout était bon pour rester encore, une seconde de plus, dix, quinze. Tout était bon pour me donner une chance qu'il me demande de rester. Mais il fallait se rendre à l'évidence ; il ne voulais plus de moi. Alors, je fis un pas en direction des portes, quand un nom me parvint aux oreilles. Le mien. Je me retournais. Je n'attendais que ça ; mon nom. Putain, merde, on était pas dans une comédie romantique, où le héros et l'héroïne - pour une fois, je voulais bien jouer le rôle de la fille, avec mes longs cheveux ... - se courent l'un vers l'autre sous décor de coucher de soleil. Merde ! C'était idiot, tellement idiot !

Je lui lançais un regard perdu. Quoi ? Pourquoi je l'avais étreint ? Mais parce que ... Parce que j'avais envie de contact, de toucher. De quelque chose de doux, de moins violent que nos ébats. Je voulais sentir sous ma main une peau autre que la mienne, et pouvoir sentir contre mon épaule un souffle. Je voulais avoir une présence, et me sentir indispensable. Je voulais tellement de choses ; sauf que dans la vie, on a pas toujours ce qu'on veut. Je le regardais ré-enfiler son yukata ; j'avais envie de m'approcher, de lui arracher. Non. Pas comme ça. On se rhabillait, et c'était comme si tout cela sonnait nos adieux.

▬ Pourquoi je t'ai serré dans mes bras ? Y a t-il seulement une réponse à cette question ? soupirais-je, sans cesser de le regarder. Je ne pouvais détacher mon regard de lui. Mais je me sentais obligé de lui en fournir une ; qu'il comprenne un peu. Parce que j'avais envie de te sentir contre moi, voilà tout. Juste ... Juste de te serrer contre moi. Je n'ai pas juste des pulsions bestiales, tu sais.

J'avais essayé de sourire, mais ça donnait plutôt un affreux rictus sans joie, alors je laissais mon visage s'affaisser pour reprendre un air distant, pensif.

▬ Je ne t'aime pas. Je ne suis pas amoureux de toi. Ca j'en étais sûr. Je n'éprouvais pas l'envie de fonder une famille avec lui, l'envie de vivre avec lui, pas comme je l'avais ressenti avec mon Emilio. Mais pour être honnête, même si je savais qu'on se tapait sur le système, je trouvais drôle nos moments ensemble. Il avait un humour pince-sans-rire, des mimiques amusantes, et ... Et il n'avait pas peur de mon côté violent. Je pouvais mon montrer sous mon plus mauvais jour, quelle importance ? Mais ... Je n'ai pas envie que tout cela finisse. Pourquoi j'arrivais pas à lui dire que je tenais à lui, dans un sens ? Parce que ça faisais putain de cucul. Soudain énervé par ma propre maladresse, je m'empourprais et m'emportais, mes mains essayant d'argumenter elles aussi :

▬ Putain mais merde. On est pas sensés s'aimer, et pourtant je peux pas m'empêcher de me marrer quand on me sort une vanne foireuse et que je songe à ce que tu pourrais dire ! Putain ! Quand je croise une jolie fille, au lieu de faire comme un mec normal et de songer qu'elle a une jolie paire de nichons, je ris intérieurement en songeant comme tu pourrais la traiter, comme tu pourrais la juger. Je ris de tout ça, parce que au fond ... Je ... Dis-le ! DIS-LE ! Je t'apprécie. ... BON ... Bon ... Ca ira quand même, je suppose .... Je peux pas m'empêcher de penser à nous, quand je rentre dans le jardin. Je pense à toi. Trop souvent à mon goût. Alors non, je ne t'aime pas, putain. Je ne t'aime pas, ok ?!

Pourquoi je m'énervais autant alors que mes propos étaient contradictoires, et prouvaient bien qu'il m'accompagnait en pensée du matin au soir ? Mais merde ! J'avais envie qu'il sorte de ma tête parfois ; je l'entendais qui raillait les gens autour de moi, comme si il était sur mon épaule, petit diable blond sexy à lunettes. Je voulais qu'il sorte de ma tête. Je n'avais pas envie de tenir à lui ; je ne voulais pas m'attacher. J'avais peur de m'attacher ; ça faisait mal, trop mal. Quand on tenait à des gens, ceux qui vous voulaient du mal trouvaient toujours un moyen de faire appui avec ça. Je ne voulais pas tenir à lui, car je n'avais aucun avenir. Et pourtant, j'avais beau essayer d'endurcir mon coeur, je ne voulais qu'une chose, le serrer dans mes bras. En trois pas, je fus sur lui. Rapide. Très rapide. Trop.

Mes bras s'allongèrent, et l'entourèrent. Mes mains se posèrent dans son dos, et je le serrais contre moi, presque convulsivement, à gestes plus maladroits que jamais.

▬ Je ne t'aime pas, je ne t'aime pas continuais-je à répéter en boucle. Je devais le répéter, encore et encore. Il ne devais pas penser ça ! Ou alors ...

Est-ce que j'essayais de m'en convaincre ?