Mes pas me ramènent toujours ici, dans ces ruelles sombres qui connaissent mon passé, qui s'en souviennent, mieux que moi. Elles m'ont vu sous mes plus mauvais jours, pleurant la disparition de mon monde, la mort de ma famille et ma propre impuissance mais elles m'ont également regardé me relever, me soulever et prendre en main ma vie qui allait se dessiner sur un schéma de vengeance. C'est aussi le lieu où je l'ai rencontré, lui, avec son caractère effronté et ses drôles de manière. Sherlock était déjà une palette d'émotions et une boule d'ennuis lorsque je l'ai connu. Ces quelques pensées me font sourire et oublier un instant la gueule dans laquelle je m'enfonce. Le problème des souvenirs, c'est que les mauvais surpassent toujours les bons et quand un lieu, une scène, une odeur, un goût nous y replonge, on ne voit qu'eux, repassant en boucle dans notre esprit.

Mais c'est terminé. J'ai tourné la page et aujourd'hui, plus rien ne m'identifie à cet endroit, à ce lieu à part où les lois sont ignorées, où les hommes laissent leur humanité de côté se rabattant sur les drogues et autres échappatoires à leur misérable existence. Rien excepté mon devoir. La vie ici ne tient qu'à un fil, elle est pauvre et plus proche de la mort que n'importe où ailleurs. La plupart des âmes qui errent dans ce lieu ont perdu quelque chose d'important, laissant la folie les dévorer et leur esprit les guider jusqu'à ces ruelles sombres. Cependant, certains peuvent être sauvés, ramenés à la raison et je suis là pour ça, pour eux. Leur offrir une seconde chance au sein de la résistance. Je n'ai pas à être jugé sur mes actes, je ne fais ni le mal, ni le bien. Je ne force personne et personne ne me force moi-même. J'ai choisi, c'est tout. Et en y repensant, j'aurai aimé, avoir une main, une chance, un avenir auquel m'accrocher. Alors je fais ce qui me semble juste. Un mal pour un bien. Une vie contre une autre.

Mais ce matin, tout ne se passe pas exactement comme prévu. Alors que je erre dans les rues, frôlant les murs, évitant les quelques coins dangereux des bidonvilles et esquivant les soldats qui peuvent ma barrer la route c'est à la surprise générale, c'est à dire la mienne et celle de Sherlock, sous la forme d'un gros Démolosse, qu'une fille tombe du ciel. Et sursautant de stupeur, je la regarde, ses longs cheveux verts tombent sur son visage juvénile et dans ses bras, un oeuf. Une rencontre des moins banales.

" Tu vas bien ? "

Pas de réponse. J'en conclus que sa tête a frappé la sol assez fort pour qu'elle perde connaissance. Elle n'est quand même pas morte... Et aussitôt cette pensée dans mon esprit, je me précipite sur elle afin de vérifier qu'elle respire et à mon plus grand soulagement, c'est le cas. Un coeur qui bat, je soupire. Je jette un regard au grand chien noir qui tout aussi stupéfait la regarde, les yeux ronds. J'attrape l'oeuf que je dépose délicatement sur le sol et je dégage les mèches envahissantes de son visage. Seize ans... Non peut-être dix sept. Trop jeune.

" Qu'en penses-tu ? On en fait quoi ? On la laisse là ? "

Le Zoroark me regarde, ne sachant quoi répondre à ma demande qui n'en est pas réellement une car il n'est pas question de l'abandonner ici. Cette jeune fille a probablement une raison pour être tombée du toit, cet oeuf ? Elle l'aurait volé ? J'hausse les épaules et glissant mes mains sous son corps inerte, je la soulève délicatement. Et presqu'aussitôt, elle se réveille, m'assénant un coup de coude dans le torse qui me force à la lâcher elle et un juron. Le souffle court, je me lance à sa poursuite, suivie par Sherlock qui sous la forme d'un Leveinard a placé l'oeuf bien au chaud dans sa poche. Je n'ai aucun mal à lui remettre la main dessus, la plaquant contre le coin d'une impasse isolée.  

" Calme toi, tu as oublié ton oeuf.
- C'est pas mon oeuf !
- Tu l'as volé ? "

Bingo. En guise de réponse, elle me mord la main et se met à se débattre comme un diable me forçant à resserrer ma prise.

" Petite garce, ça fait mal tu sais. Je ne te veux pas de mal alors qui es t...
- Tu dois être avec eux. Ces sales types qui arrachent les pokémons à leur mère avant même qu'ils n'éclosent.
- Pardon ?
- Tu m'as très bien comprise.
- Je crois qu'il y a un malentendu, je ne suis pas l'un de ces... Cons.
- Le mot est faible. "

Elle ne m'adresse même pas un regard, fuyant même chacune de mes tentatives de faire la paix.

" Et si tu m'en disais plus sur ça ?
- Et pourquoi ça ?
- Tu as besoin d'aide, je me trompe ? "

Et soudainement, ses yeux s'inondent de larmes. Nan, nan. J'ai encore fait pleurer une fille... Ce n'est pas la première fois et se ne sera probablement par la dernière mais si Adélia apprenait ça, une gamine en plus.

" Ne pleure pas, arrête. Tout de suite. Tu as mal quelque part ? Je... Je suis désolé. "

Je lui tapote la tête, loin d'être doué avec les émotions et les relations amicales. Ma poigne se relâche jusqu'à retirer complètement ma main et je m'écarte de quelques pas.

" Tiens, reprend ton oeuf et va-t-en, je me fiche de savoir qui tu es et ce que tu fais. Tout ça je m'en fou alors casse toi.
- Kido. Tsubomi Kido, soldat du régime. "  

Et merde, ce genre de chose n'arrive qu'à moi.