« C'est toi ou moi, l'un de nous est de trop! »

''Dégage'', de Bryan Adams.
 
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 Fear not this night [OS]

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Natsume Shimomura
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MessageSujet: Fear not this night [OS]   Fear not this night [OS] EmptyJeu 12 Mai 2016 - 22:05



Fear not this night

« Rien du tout, hein... ? »

Elle veut hurler. Tout en elle proteste et se débat contre ce qu'elle entend, contre l'injustice absolue des propos qui lui ont été rapportés. Quelque chose saigne abondamment, comme une sensation de brûlure qui s'étend dans tout son corps et qui la paralyse. Sa gorge est sèche, ses dents sont serrées, ses phalanges sont devenues blanches sous le coup de l'émotion qui la prend aux tripes. Elle n'a pas la moindre idée de comment elle est censée réagir ni de comment elle peut faire pour gérer cette situation qui s'impose à elle. Le mur contre lequel elle est, qui porte le visage de la personne pour qui elle a sacrifié quasiment toute une partie de sa vie, qui le regarde avec les yeux de ce qui est le plus cher à ses yeux, qui affiche cette expression de confusion désolée sur son visage si semblable à celui qu'elle a passé deux mois à chercher. Tout cela ressemble à une blague très cruelle dont elle attend la chute sans que celle-ci ne décide à se montrer.

« Je... Je vois.
- Je suis désolé.
- Nan tu l'es pas, te fous pas de moi. »


Parce qu'elle le connaît. Même si ses souvenirs ont disparu, il s'agit toujours du même imbécile de frère qu'elle a défendu au péril souvent de sa propre santé. Elle connaît chacun des rouages de son esprit, pourrait même les prévoir sans sourciller. Elle l'a vu grandir et changer, elle l'a observé de loin quand il ne désirait plus entendre parler d'elle, et elle ne connaît que trop bien sa façon de penser. Elle sait donc pertinemment qu'il ne ressent pas vraiment de culpabilité, mais plutôt une empathie naturelle et qu'il espère la soulager en s'excusant. Elle ne lui en voudra pas, c'est sa manière à lui d'essayer d'aider, mais entendre ces mots ne fait qu'accentuer la nausée qui lui torpille l'estomac. Car il n'y a personne à blâmer ici, personne sur qui elle pourrait déchaîner sa frustration. Tout ça n'est qu'un enchaînement d'événements grotesques aboutissant à une conclusion dépourvue de la moindre once de logique. Et elle veut crier, frapper, n'importe qui qui lui permette de libérer sa colère quant à l'absurdité de la situation. Elle a besoin de quelque chose, rien qu'une réponse, ne serait-ce qu'une seule qui lui permettrait de se dire que tout cela n'est pas juste un caprice cruel du destin.

« Qu'est-ce qui s'est passé, durant tout ce temps... ?
- Je-
- S'il te plaît. »


Son ton se veut impérieux, mais il faiblit. Elle n'a pas l'énergie de chercher à le rendre plus fort, pas maintenant. Ils n'ont pas quitté le jardin de Faust, et même si le soleil continue de briller, elle a l'impression qu'ils sont isolés du reste du monde, déconnectés par l'étrangeté du moment qu'ils sont en train de vivre. Le cadet soupira lourdement, l'air tout aussi fatigué qu'elle.

« Très bien. »


« Mais arrête de pleurer ! Arrête, Natsume ! »

Rien à faire, pourtant. Le gamin dans ses bras continue de crier à s'en déchirer la gorge, les yeux inondés par les larmes et la gorge enrouée. Les tremblements ne cessent pas, tout comme les hoquets et les sifflements aigus, signe que ses poumons fragiles ont du mal à supporter la crise de pleurs qu'il est en train de vivre. Elle tente de lui secouer les épaules, dans un effort désespéré de le faire cesser, même si elle sait que c'est inutile.
Que peut faire une enfant de dix ans, toutefois, face à une situation aussi drastique ? Ce n'est pas la première fois qu'elle se retrouve seule, cloîtrée et enfermée avec lui dans leur chambre alors que les hurlements en provenance de l'étage inférieur résonnent jusqu'à leurs oreilles. Ses épaules, contractées par la terreur d'imaginer entendre des bruits de pas se rapprocher, ne parviennent pas à cacher l'angoisse qui la dévore toute entière. Mais l'enfant flagellant et animé de secousses qu'elle tient semble déconnecté de tout ce qu'elle lui dit, et elle voit bien que chacune de ses paroles hargneuses ne fait que le faire se recroqueviller davantage. Pourtant elle n'arrive pas à s'arrêter, et certainement pas à trouver les mots ou les gestes qui pourraient apaiser cette situation. Elle n'a ni l'âge ni la maturité pour y arriver, mais elle y est obligée, c'est à elle qu'il incombe de le faire et le réaliser l'effraie.
Personne ne viendra les aider, et personne ne sera là pour aider son petit frère si la panique finit par l'emmener aux urgences à cause de sa santé. Elle ne peut pas se permettre de le laisser tomber, d'essayer d'oublier ses pleurs en cachant ses tympans grâce à son oreiller comme elle l'avait déjà fait plusieurs fois. Leur mère n'est pas là pour les protéger, même si ils entendent sa voix s'opposer à celle de son mari dans l'espoir de l'empêcher de monter à l'étage. Nagisa ne peut que lui en vouloir, frustrée de devoir gérer à elle seule la responsabilité de son petit frère.

Pourquoi n'étaient-ils pas nés dans une de ces familles idylliques qu'elle voyait dans toutes les histoires qu'on lui racontait ? Qu'avaient-ils fait de si horrible pour mériter que toutes leurs soirées finissent dans les cris et les pleurs ? Pourquoi croyait-elle encore, naïvement, que quelque chose pourrait changer ? Elle savait bien pourtant, qu'ils n'étaient pas comme les enfants des autres familles, comme tous ceux qui sautaient dans les bras de leurs parents aux sourires sincères et tendres. Jamais. Et cette vérité, impossible à avaler, lui restait coincée dans la gorge.

« Tu crois que ça va aider si papa arrive ?! »

Rien à faire. Son cri a au contraire aggravé la peur de Natsume, dont la voix s'est faite plus forte. Nagisa serre les dents, puis se mord les lèvres pour retenir son envie de fondre en larmes elle aussi. Elle le pousse alors, et ne fait même pas un geste vers lui lorsqu'il tombe au sol brusquement. Le plus jeune la regarde avec de grands yeux effrayés, aussi terrorisé et tremblant qu'elle lorsqu'elle se retrouve dans la même situation, bousculée par leur paternel. La tristesse dans ses yeux bien trop expressifs lui saute à la gorge, et alors même que la culpabilité l'envahit, il s'échappe de la gorge de la petite fille une voix aiguë et brisée.

« J'te déteste ! J'te déteste, j'te déteste ! Si t'étais pas l-là... ! ».

Elle n'arrive même pas à terminer sa phrase et détourne le regard, les yeux embués. Mais non, elle ne veut pas pleurer, alors elle préfère ravaler ses sanglots. Pourtant, entre les pleurs de Natsume et les hurlements qui résonnent dans la maison, elle est sûre qu'on ne les entendrait pas.



La gorge de Nagisa se noue. La main posée sur le dos de son petit frère, elle expire difficilement, la voix tremblante.

« Je t'avais dit de faire attention... »

Le plus jeune baisse les yeux, incapable de rencontrer son regard. Il ne paraît pas particulièrement coupable, mais c'est de la honte qu'elle arrive à lire dans ses iris. Qu'il s'agisse du fait qu'il se sente responsable (stupidement) d'une faiblesse supposée ou du fait qu'il s'en veuille de ne pas pouvoir comprendre sa douleur, elle ne le sait pas. En revanche, ce qu'elle voit, c'est cette incompréhension dans laquelle il se noie depuis le début de leur conversation. Cette façon qu'il a de la fixer en cherchant désespérément quoi que ce soit qui pourrait l'aider à comprendre tout ce qui ne se voit pas d'un premier coup d’œil. Il a toujours été perdu dès lors que son cerveau, un peu trop réactif et prompt à l'analyse excessive, ne pouvait plus lui offrir la longueur d'avance qui lui permet de se montrer assuré la plupart du temps. Nagisa n'ose imaginer l'état de confusion et de malaise qu'il doit vivre en ce moment, en prenant cela en compte. Elle pourrait se dire, en essayant de se faire l'avocat du diable, que cela ne pourrait par le futur qu'avoir été bénéfique pour son assurance et son self-control, mais c'est un constat bien maigre face à tous les sacrifices que cela implique.

« J'ai essayé. »

Il a beau tenté de la rassurer, Nagisa sait qu'il n'a qu'une vague idée de qui elle est et elle se sent tellement pathétique de se montrer si affectée devant quelqu'un pour qui elle ne doit être rien de plus qu'une étrangère supplémentaire. Mais elle ne peut pas se retenir, pas après deux mois passés à se demander à chaque heure où il pouvait être, deux mois qu'elle ne pouvait pas qualifier autrement que comme un véritable trou noir. Les souvenirs qu'elle avait de cette période étaient très vagues, flous. Elle avait l'impression d'avoir tout oublié elle aussi. Mais non, elle n'est pas exemptée du sentiment déchirant dans sa poitrine, même si elle aimerait beaucoup que ce soit le cas. Un rictus jaune se dessina sur le visage de Nagisa.

« J'aurais vraiment jamais dû partir, hein... »

Elle n'obtint pas de réponse, mais c'était justement ce sur quoi elle comptait. Pour une fois, elle pouvait le dire sans sentir son regard perçant, tranchant et plein de rancune lui arracher ce qui lui restait de cœur.

« C'est ma faute. »

Elle ne s'étonne même pas de la simplicité avec laquelle c'est sorti. Il y a quelques mois, voir années, elle aurait complètement refusé d'avouer ce qui la dévorait, mais le désespoir et la peine étaient telles que son esprit, perdu dans un chaos total, n'arrivait pas à la censurer. Natsume grimaça.



Les cris n'arrêtent pas. Ils n'arrêtent jamais, hormis lorsque vient enfin le moment où elle peut fermer les yeux et se laisser emporter par le sommeil, loin de la peur qui l'habite à chaque seconde. Car la paix ne vient qu'au moment où elle sent enfin que personne ne viendra la sortir de la chaleur réconfortante de son lit, dans lequel elle économisera chaque minute au réveil, rien que pour ne pas avoir à quitter le havre de paix qu'est sa chambre au petit matin. La réalité actuelle est toute autre.
La petite fille dont les genoux tremblent autant que ses lèvres qu'elle mord jusqu'au sang retient difficilement des hoquets. Ses épaules, animées par des spasmes, sont relevées jusqu'à son cou. Le regard fixé sur le sol, elle frotte presque maniaquement ses yeux pour empêcher le moindre pleur de couler le long de ses joues. La silhouette de Natsume, recroquevillée sur elle-même plus loin, l'empêcher de relever les yeux, consciente qu'elle serait envahie par la honte en le voyant. Et elle se demande pourquoi elle s'inquiète autant pour lui, alors que la jalousie intense qui la parcoure la pousse à penser une toute autre chose.

« Pourquoi est-ce que c'est toi que maman elle aime le plus ?! Pourquoi est-ce qu'elle m'aide pas aussi, moi ? »

Elle a levé le ton, mais elle est incapable de regarder son frère dans les yeux, terrorisée par l'idée de voir de la peur ou encore plus de douleur dans ses yeux déjà noyés dans les larmes. Sa voix craquelle déjà sur la fin, marquée par sa lassitude et sa peine. Il ne mérite pas ce qu'elle lui dit, elle le savait, mais le sentiment  est trop fort. Trop puissant, dévorant et tel qu'elle ne peut que s'indigner devant ce qu'elle considère comme une injustice. Elle ne s'énerve même pas contre lui, mais contre toute la situation.

« Pourquoi c'est t-toujours moi qui doit faire des efforts ?! »

Elle a crié plus fort, cette fois. Sa voix n'est plus que la somme des geignements entrecoupés de longs hoquets. Mais elle reste immobile, se frotte les yeux et ravale tous les sanglots qui menacent d'éclater, faisant sursauter sa poitrine à seulement une ou deux secondes d'intervalle à chaque fois. Nagisa a l'impression de s'étrangler dans sa propre salive qu'elle ravale dans l'espoir de faire taire sa peine, sans succès.

« P-pourquoi est-ce que j'ai pas le droit de pl-pleurer moi... ?  »

C'est un gémissement misérable et fatigué qui lui échappe alors que ses genoux la font tomber au sol, et que ses bras encerclent désespérément le corps frêle, fragile et tremblant de la seule raison qui la poussa à tenir et rester courageuse face à la terreur constante.
Les bruits de pas se rapprochent de plus en plus. Elle entend les escaliers grincer et ferme hermétiquement les yeux, en cherchant à tout prix à cacher son petit frère contre elle. Elle fait de nouveau taire comme elle le peut ses geignements, quitte à s'étouffer, et serre Natsume contre elle. Elle sait bien que dès que la porte s'ouvrira, il n'y aura plus qu'elle pour le défendre. Alors elle doit tenir, même si elle ne devrait pas avoir à assumer cette responsabilité seule. Elle n'a pas le choix.



Nagisa ne saurait pas dire ce qui la tuait le plus à petit feu, dans toute cette histoire. L'impression qu'on lui joue une mauvaise blague ne disparaît pas, malheureusement. Elle aimerait pourtant, tellement... Si seulement elle pouvait rêver un autre monde, où ils n'auraient jamais eu à vivre de pareilles épreuves, où ils auraient pu grandir heureux et sans toutes les cicatrices laissées sur leur psyché par une vie injuste et ignoblement cruelle. Elle l'avait souvent désiré, étant enfant. Elle avait toutefois très vite compris, bien trop vite pour une petite fille, que tout cela n'était que des rêves inatteignables.
Néanmoins, ils en sont là. Avec un frère amnésique et plus perdu que jamais, et une sœur suffoquant encore sous les démons d'un passé qu'elle n'a jamais pu enterrer. Nagisa aimerait en rire si ce n'était pas si tragique. Le seul objectif de sa vie, la seule chose qui lui permettait de se dire qu'elle avait sa place dans ce monde a été blessée et elle n'a rien pu faire pour l'en empêcher. Son impuissance lui fait d'une balle en pleine poitrine, plus vicieuse encore que tous les mots qu'on aurait pu lui cracher au visage.

« Nagisa... ? »

La voix de Natsume est hésitante. Plus que toutes les fois où elle l'a vu en proie aux doutes et aux interrogations, tellement qu'elle se permet même de relever le regard et de planter ses yeux dans les siens. Pleine d'espoir, elle attend, n'osant même pas prononcer un mot de peur de briser le courage qui semble s'être mis à habiter le cadet. Comme si le moindre mot qu'elle prononcerait aurait comme effet de faire disparaître cette lueur d'espoir qui, même si elle a en permanence tenté de le faire disparaître depuis qu'elle était petite, persistait à survivre. La façon dont il la regarde, cette confusion plus forte dans son ton, la manière dont ses mains tremblent et surtout, arceus elle n'ose même pas y croire, la lueur d'affection profonde dans ses yeux... Tout pointe en une seule direction, et elle espère tellement qu'elle a l'impression qu'elle va fondre en larmes d'un instant à l'autre.

« Je n'ai jamais... Je ne t'ai jamais détesté, tu sais. »

Elle inspire brusquement, surprise par ce qu'elle entend, et écarquille les yeux. Interdite, tout son corps s'est immobilisé et elle sent même son cœur manquer un battement.

« Je ne... Je ne me souviens pas de tout, loin de là, mais... Quand je t'ai dit ça, je...
- Je sais.
- Je ne sais pas grand chose, mais je sais que je ne pourrais jamais assez te remercier. »


Bien sûr, ce n'est rien. Quelques souvenirs de retour n'est, au final, qu'une bien mince victoire. Mais néanmoins, c'est déjà tant qu'elle ne peut pas ne pas être émue, ni au moins s'étrangler avec un sanglot qu'elle retient comme elle le peut. C'est une esquisse de sourire mi-peiné, mi-amusé, qui s'affiche sur son visage déformé par la tristesse.

« T'aurais p-p-pas pu le dire avant, imbécile ? »

Elle se mord les lèvres, mais sursaute un peu en le sentant la saisir contre lui. Il ne pleure pas, lui, mais elle sent bien qu'elle ne va pas tenir. Et elle se demande où est passé le petit pleurnichard qui versait de grosses larmes dès lors que sa sensibilité était touchée. Si certes il cache sa tête dans son cou pour ne pas montrer son visage morne, elle sent bien que peu à peu, elle va finir par craquer. Tous les signes sont là.
Il est plus grand, maintenant. Ce ne sont plus les mêmes bras de poulet qu'elle sent s'accrocher à elle comme à une ancre, ce n'est plus le gamin fragile et maigrichon qui se cachait derrière elle lorsque le danger pointait le bout de son nez. Ses épaules, plus larges et solides, ne tremblent plus. Il la serre avec une force ferme mais tendre qu'elle ne lui aurait jamais imaginé six ans plus tôt. Même ses joues ont perdu cette graisse d'enfant qui lui donnait cet air si candide et innocent qu'elle cherchait désespérément à protéger d'un monde bien trop prompt à les faire souffrir. Alors elle sourit et lâche prise, enfin, après dix-huit longues années. Elle pleure toutes les larmes de son corps, hurle contre son petit frère, parce qu'elle peut maintenant, avec la fierté de savoir qu'elle a réussi quelque chose, ne serait-ce qu'une fois. Il peut se passer d'elle dorénavant, et pourtant il ne le fera pas. Elle a été assez forte pour eux deux pendant si longtemps, mais il n'y en a plus le besoin. Et c'est tout ce qu'elle souhaitait.

« Joyeux anniversaire, crétin. »
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