20.000 lieues sous le sable II

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Ce n'était pas la première fois, depuis qu'il était sorti de prison, qu'une crise de panique venait raviver les pires de ses souvenirs. Il faisait de son mieux pour contenir ses réflexes et les parties de son cerveau qui s'acharnaient à déclarer qu'il devait fuir à toute vitesse, mais ça aurait été bien trop simple si cela avait été suffisant. Mikael émit un juron qu'on ne répétera pas pour protéger la décence alors qu'il vérifiait mécaniquement, l'air étrangement pâle, le pouls et la respiration du plus jeune. Il ne pu s'empêcher de pousser un soupir exaspéré alors que les tremblements de l'ancien officier semblaient perdre peu à peu en ampleur. Hésitant entre parler ou garder le silence, il finit par choisir la deuxième option, quoique il ne pu s'empêcher de poser une question.

« T'aurais pas pu me prévenir, pour les réflexes post-trauma ? J'suis ton médecin, j'te rappelle, tocard.
- Quand tu me convaincras que ton diplôme n'est pas en sucre.
- J'vais pas te faire la blague de 'jouer au docteur', tu t'y attends trop.
- Tu m'as fait cette vanne le jour où on s'est rencontré, même. Ducon.
- T'es énergique n'empêche, pour un mec qui s'étrangle dans son propre oxygène. »

Un gloussement désabusé, un peu cassé, sortit de Clive. Le hérisson ne pouvait néanmoins pas cacher entièrement les quelques petites coupures dans sa respiration, ni la fatigue évidente sur son visage. Sa poitrine se levait et s'abaissait d'une manière quelque peu irrégulière, mais avec lenteur, sans que cela soit particulièrement alarmant. Ezekiel s'était lové contre lui, l'air calme malgré l'inquiétude qui se lisait clairement dans ses iris rouges. Le Démolosse poussa d'ailleurs un petit couinement, auquel le hérisson répondit en posant une main tremblante sur son crâne pour tenter de l'apaiser.

« T'es vraiment pas doué pour rassurer, hein ?
- Jamais prétendu l'être. »

Le médecin laissa un rictus amusé se dessiner sur son visage, tout en gardant l’œil sur la silhouette du cadet. Ça, il était vrai que ça n'était pas entièrement faux. Clive, lui, gardait les yeux fixés sur le plafond, perdu dans quelques réflexions relativement personnelles, à moitié hagard. En même temps, au vu de la froideur qu'il ressentait dans ses muscles, ça n'avait rien d'étonnant ; il ne parvenait même pas à les bouger sans ressentir des picotements douloureux.

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Les crises s'étaient atténuées, avec le temps. Ou du moins il avait la sensation de moins le sentir, de parvenir à les contrôler relativement plus aisément qu'au départ. Il ne les avait pas découvert avec son passage en cellule, non, loin de là, mais elles n'avaient fait que s'accentuer au fur et à mesure, jusqu'à devenir véritablement envahissantes. Seul Faust était au courant, et encore, il lui avait fait jurer de garder le secret, mais c'était quelque chose qu'il ne tenait pas à voir révélé à tout le monde, vraiment. Mikael, au vu du temps qui avait passé depuis la dernière fois qu'ils avaient discuté ensemble, n'avait pas non plus été averti. En somme, si sa mère avait su dans quelle genre de danger il se mettait tout seul, elle lui aurait probablement arraché les intestins au coupe ongles, mais Clive se disait avec une certaine puérilité qu'il n'avait aucun compte à rendre à personne. Enfin, d'une manière puérile disons, inutile de développer à quel point l'aspect égoïsme était bénéfique, dans son cas.

« Tu planifiais pas de me le dire, en fait. »

Le ton du médecin était précautionneux, bien trop calme pour que cela n'inquiète pas au moins un peu le hérisson. Les yeux plissés dans une expression de réflexion qui ne lui était pas habituelle, Mikael le jaugea du regard, cherchant à trouver le moindre indice sur son visage. Clive, perplexe, n'osa pas dire quoi que ce soit et se contenta de froncer les sourcils, pendu à ses lèvres pour entendre une explication, quelle qu'elle soit. Le fait que l'autre ait l'air aussi tendu, soudainement, ne lui disait rien qui vaille. Un rictus jaune, un peu cassé et cynique, se dessina sur son visage désabusé.

« Donc en fait, quand est-ce que tu comptais m'avouer que tu voulais couper les ponts ? »

Le cadet se tendit sur place. Son regard divergea automatiquement, ce qui fit rire le britannique, quoique il ressemblait presque à un ricanement. Il se releva et passa une main dans ses cheveux, avant de claquer de la langue.

« J'en étais sûr. Bordel. »

Il tourna vivement et brusquement les talons, frustré, avant de sentir quelque chose s'accrocher à son épaule. En tournant un peu le regard, il ne réduit pas la colère dans ses iris, mais la vision de l'expression dépitée du plus jeune le persuada d’attendre peut-être juste un tout petit peu.

« C'est pas si simple.
- Ouais bah ça l'est jamais avec toi Clive putain, merci de souligner l'évidence. »

Clive grimaça. Un peu plus loin, Elijah repoussa d'un grognement l'approche d'une Osselait envahissante par une Cascade bien sentie ; ce n'était pas le moment.

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Il ne voulait pas en arriver à là. Le conflit était bien la première chose qu'il souhaitait éviter dans toute cette affaire, mais malheureusement, tout n'était pas aussi simple qu'il ne l'aurait aimé. Et visiblement, il était trop tard pour faire marche arrière. En outre, il aurait pu difficilement défendre ses actions quand il ne parvenait déjà pas à le faire envers lui-même. Et franchement, il ne savait même pas si il souhaitait vraiment le faire. Il aurait pu le laisser partir, et d'ailleurs c'était ce qu'il jugeait comme étant la seule véritable solution, mais une autre partie de son cerveau n'était pas du tout en accord avec cette idée.

« J'voulais juste... Je sais pas. Faire le point, au moins.
- Ça me fait une belle jambe. Tu veux que j'aille te chialer une rivière ou ça ira comme ça ? »

Mal à l'aise face au revirement brutal d'humeur du plus âgé, l'ancien officia grimaça et ravala sa salive. Il ne pouvait pas se défendre pour la simple raison qu'il n'avait lui-même pas la moindre idée de ce qui l'avait poussé à rester aussi cloisonné que ce qu'il avait été. Enfin, si, il n'était pas stupide au point de ne pas saisir, mais à chaque fois qu'il y pensait, il n'arrivait pas à se construire un argumentaire valable. Et autant dire que du point de vue de Clive, c'était aussi peu acceptable que de tuer un chaton. Oui oui, carrément.
Le brun finit par relâcher sa prise sur le bras de l'autre et expira lourdement. Mikael claqua de la langue, agacé, mais visiblement calmé par l'interruption qui était arrivée. Reste que malgré cela, le hérisson n'était pas plus rassuré quant aux intentions de son acolyte. Si il savait qu'il ne risquait rien, ce n'était pas forcément pour ça qu'il allait se permettre de laisser couler. Mais voilà, répondre était déjà une toute autre affaire, et il n'était pas sûr d'y arriver.

« Tu vas faire quoi, alors ? Tu m'expliques ou on se regarde dans le blanc des yeux en attendant l'averse ? »

C'en était presque tentant.

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« J'étais supposé faire quoi, hein ? C'est facile de me faire la morale, là, tu crois que je peux faire le point si rapidement que ça ?
- Oh, en quelques mois j'aurais au moins pris la peine de parler au type qui m'a évité la mort, ouais.
- Fous-toi de ma gueule, tu n'as jamais pensé qu'à ton propre intérêt. »

L'accusation est sèche et brutale, tellement que Clive est lui-même surpris de ses propos. Il haussa les sourcils, ne sachant pas si il doit regretter ce qu'il vient de dire ou non, car malgré l'amertume, il n'y a rien qu'il ne pensait pas véritablement. Mikael eut un rictus caustique, assez illisible, comme d'ordinaire avec lui en somme. Il ne faisait que deviner ce qui lui passait en tête, et l'ancien officier n'avait jamais eu la prétention de parvenir à faire le contraire un jour.

« Ouais. Maintenant au moins je sais que t'es dans le même cas, ça éclaircit les choses.
- Si je l'avais fait dès le début, on en serait pas là. »

Point pour lui, cette fois, si bien que le médecin ne trouva aucune autre réponse qu'un vague soupir exaspéré. Oser le dire à haute voix était déjà un des seuls progrès dont il se félicitait véritablement, alors il ne comptait pas se confondre en excuses maintenant. Et même son interlocuteur fut forcé de l'avouer, quoique ce fut avec une bonne partie de mauvaise foi et de passivité agressive. Il claqua de la langue en prenant un ton relativement méprisant.

« Waw, bravo, t'as retrouvé des couilles en dessous de ta dignité ?
- Et toi, la puberté t'as transformé en gamin de quatorze ans en pleine crise ? T'as jamais été aussi... »

Clive se tut, paraissant chercher un mot qu'il ne trouvait pas malgré tous ses efforts. Mikael plissa les yeux, son visage laissant apparaître de temps à autre quelques minuscules traces d'agacement.

« Aussi quoi ? »

Si il est sec, ce ne fut visiblement pas assez pour brusquer le brun qui prit encore un peu plus de temps, en inspectant attentivement son interlocuteur sans pour autant dire un seul mot. Il finit par froncer les sourcils, perturbé par la conclusion à laquelle il arrivait. Quelque chose, effectivement, ne collait pas avec ce à quoi il se serait attendu, et c'était quelque chose que son cerveau digérait difficilement.

« Émotif. Tu te comportes comme un gosse.
- Regardez qui parle. »

Touché.

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« Comme si c'était productif, tout ça...
- Hé bien au moins, tu parles ! Il serait temps, putain. » 

Bonne humeur, en tous cas. Il n'aurait plus manqué qu'une hache et une guillotine pour compléter le tableau qui était tout de même porteur d'une sacrée dose de ridicule, maintenant qu'il y pensait. Le reproche du médecin ne passa pas inaperçu, mais il choisit de faire comme si, préférant ne pas s'intéresser davantage sur les choses qu'il ne pouvait pas réparer.  Le calme se faisait peu à peu de nouveau tandis que Clive, fatigué, poussa un soupir exaspéré, ce que ne manqua pas de remarquer Mikael. Le médecin plissa des yeux, reconnaissant une lueur dans le regard de son ami, si il pouvait l'appeler ainsi, qui ne lui avait jamais plu. Son ton était calme, mais dissimulait une trace de nervosité ici et là.

« Quoi ?
- Rien. Rien du tout. »

C'était faux, évidemment, mais ils n'avaient tous les deux aucune envie de toucher à ce qui ne devait pas forcément être touché (oui that's what she said). Le malaise était évident, tellement que Clive n'osa ni s'approcher, ni s'éloigner. D'un autre côté, il aurait pu faire preuve de courage et lancer le sujet, car visiblement il était temps qu'ils arrêtent de tourner autour du pot, mais c'était une toute autre affaire. Réalisant le dilemme qu'ils avaient en face, Mikael soupira lourdement.

« Qu'est-ce qu'on fait ? »

L'ancien officier fit quelques pas pour vérifier que ses gestes étaient bien coordonnées et qu'il n'allait pas s'effondrer d'une minute à l'autre, en s'assurant de tendre et détendre ses muscles régulièrement pour éviter une crispation quelconque. Il jeta un regard circulaire aux alentours, souhaitant s'assurer que personne ne s'approchait était toujours calme et que personne ne viendrait les déranger. Ses yeux se perdirent dans les grandes étendues de roches et de sables, plus tranquille.

« Je sais pas. J'en sais vraiment rien. »

Mikael se massa l'arrête du nez, agacé. Tout cela n'amenait à rien, en fait. Plus il cherchait à donner du sens à l'état des choses, et plus il s'en rendait compte avec amertume. Malheureusement pour eux, il n'était pas d'humeur à jouer éternellement. Tant pis si la suite des événements allait devenir désagréable.

« J'crois qu'il serait temps que tu te décides. Le monde ne va pas s'arrêter de tourner pour ta poire. »

Et effectivement, c'était bien le souci. Clive grimaça, avant de ravaler sa salive.

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«  J'suis au courant, hein, merci.
- Si c'était le cas, je n'aurais pas à te le dire.
- Merci, ça fait tellement avancer les choses ce genre de commentaire. »

De toute façon, ce n'était pas comme si cette conversation allait quelque part, maintenant qu'il y pensait Tout n'était que provocations stupides, commentaires sarcastiques non dénués d'une certaine agressivité et sous-entendus pas franchement malins. Clive marmonna quelque chose dans sa barbe inexistante, sans forcément désirer être entendu, et Mikael, malgré la curiosité, ne posa pas davantage de questions, se contentant d'observer la scène avec une lassitude à peine dissimulée.

« Qu'est-ce qui s'est passé, honnêtement ? Y'a un truc qui déconne, ça se sent à cinq kilomètres. »

Le ton du médecin était plus calme, et pour une fois, l'ancien officier s'étonnait de l'entendre être aussi mesuré, comme si il cherchait la meilleure façon de lui tirer les vers du nez. L'intention était louable, et Clive aurait presque eu envie de craquer. Ça aurait été facile, vraiment, et il aurait pu se sentir soulagé d'avoir au moins avoué une partie de la vérité. D'un autre côté, il n'était pas sûr que le faire soit particulièrement intelligent, au vu de l'identité de son interlocuteur, mais il ne pouvait pas être définitivement sûr. Toutefois, quelque chose le poussait à se dire qu'il fallait tout de même crever l'abcès, d'une façon ou d'une autre.
Le hérisson jetait quelques derniers regards vers les environs, avant d'inciter l'aîné à le suivre. Après avoir rappelé Elijah et Hannael dans leurs balls, il fit sortir son Haydaim pour déblayer une partie des rochers qui barraient leur chemin. Balthazar ne prit que quelques secondes pour faire son office, se permettant même d'éjecter du chemin une Osselait mal lunée.

« J'ai fait une grosse connerie. »

Peu assuré, il ne parvint pas à aller jusqu'au bout tout de suite. De toute manière, ses propos furent accueillis par le barbu avec une décontraction blasée, de telle sorte qu'il avait lourdement levé les yeux au ciel face à ce qu'il entendait.

« Ouah, si ça c'est une grande nouvelle... »

Le sarcasme dégoulinant dans sa voix se comprenait, d'un côté, quand on se rappelait que sa patience commençait sévèrement à fatiguer. Néanmoins, Clive ne pouvait pas s'empêcher d'être agacé, et désirant couper court à ses moqueries, il prit le taureau par les cornes.

« J'vais être père. »

Ça, au moins, cela avait eu le mérite de le faire taire une bonne fois pour toutes.