Best Worst Movie

Aloïs F. Legrand

Rouge. Non, plutôt bleu. Hmm... Vert ? Indigo ? Orange ? Ou... Jaune, peut-être ? Bon, disons violet. Daaaaah ! Non, non, non, c'est pas encore ça !
Soigneusement en train de contempler mon magnifique reflet dans la glace, j'essaye tous les costumes à portée de main que je garde dans mon armoire pour les jours où je suis d'humeur colorée. Eh oui, j'ai vraiment des smokings des couleurs de l'arc-en-ciel, à croire que j'ai piqué la garde-robe d'Elton John. Et au final, à force d'avoir trop de choix... Bah on sait plus quoi choisir, évidemment. Depuis le jour où j'ai eu assez d'argent pour m'acheter les fringues que je voulais, j'ai toujours fait de mon mieux pour m'habiller avec classe, mais avant la mort de Judith, toujours en gardant un peu de sobriété car ma sœur avait peur que la bourgeoisie me monte à la tête. Malheureusement, quand elle est partie, je n'ai pas su conserver cette frugalité dont j'avais l'habitude et j'ai laissé parler mes sous et mes dépenses pour me tenter de me sortir de ma dépression, croyant pouvoir combler le manque cruel que sa disparition a provoquée. Presque connu désormais pour mon excentricité, allant du style le plus élégant au plus ridicule, faire sourire le public et les seuls proches qu'il me reste est devenu ma principale préoccupation et s'il faut pour ça que je devienne source de moqueries ou de rumeurs visant à amuser la galerie, je ne vois pas pourquoi j'irai contre ce sens. Dans mes proches, peut-on donc compter le fameux blondinet pour lequel je ressors mes habits des grandes occasions ? Peut-être. Probablement, en fait. Je ne peux pas dire non, ce serait, je le sais, mentir, mais si je sors un 'oui' direct, j'en viendrais alors à retrouver des flashs de tout ce qui s'est passé depuis deux ans pour que nous en arrivions là, et j'ai pas le temps pour que quelqu'un me fasse la moral sur mes relations peu saines et étranges.

« Papa ! Papa !»

Couchée sur mon lit où s'empilent déjà une pile de vêtements que j'enfile depuis tout à l'heure, Ange relève la tête en même temps que moi vers la petite voix qui vient de s'élever. Une petite tornade, que je reconnais aussitôt, court jusqu'à moi pour s'agripper à mes jambes, avant de tendre ses bras pour se faire porter. En riant doucement, je la prends dans mes bras pour embrasser son front avec douceur. D'habitude, elle ne quitte jamais son frère, mais ce dernier, depuis que je lui ai acheté un petit piano électrique pour enfant, peut rester des heures dans son lit à barreaux en appuyant sur les touches bruyantes, situé à seulement quelques mètres de mon propre lit. Si ma fille s'amusait à dessiner sur quelques feuilles traînant au sol, je comprends que mon agitation au sujet de ma tenue a attisé sa curiosité.

« Dis-moi, ma puce, lequel veux-tu que je mette, ce soir ? »

Il m'arrive, quand je n'arrive pas à me décider et que Karin est absente, que mes enfants soient mes petits conseillers personnels. Maëlle, surtout, est toujours la première inspirée ; et comme elle adore tout ce qui est coloré, mes déguisements l'intriguent beaucoup. Mais à ma grande surprise, ce n'est pas un mes vestons peinturlurés qui l'attirent, mais un costume blanc assez simple avec une fleur d'hibiscus en guise de boutonnière, rattaché à la veste par une chaîne dorée. Je ne sais plus pourquoi j'ai acheté ce costume, alors que la simple vue des fleurs d'hibiscus me rappelle des souvenirs mélancoliques ; sans doute un de mes caprices, en fait, ce qui ne m'étonnerait pas, étant donné que j'ai tendance à exagérer légèrement quand il s'agit de certaines dépenses. Tout pour attirer l'attention, décidément, mais apparemment ça marche pour ma petite chérie, alors si ce costume elle choisit, ce sera ce costume que je mettrai. Je repose ma fille pour mettre en place sa requête et m'empare donc de l'ensemble immaculé que je décide d'accompagner d'une paire de lunettes mauves pour rajouter un petit 'plus' sans trop en faire. Je recoiffe mes cheveux une dernière fois et accueille la baby-sitter quand elle sonne à la porte, avant d'embrasser une dernière fois mes jumeaux pour les confier à leur nounou, de m'emparer d'une Poké Ball toute particulière que j'ai réservé pour cette soirée, et de partir vers la petite plage se trouvant un peu plus bas de l'Amphithéâtre. Si Alexander m'a donné rendez-vous un peu en avance, je suis obligé d'y aller encore plus tôt que l'heure prévue, pour la simple et bonne raison que j'habite assez loin par rapport à Amanil. De Baguin jusqu'à la capitale, y aller par la voie des mers est actuellement la meilleure solution si je veux y arriver à temps. J'aurais pu prendre une chambre d'hôtel sur place hier pour être sûr de ne pas avoir de retard, mais comme c'est à moi de garder les enfants, j'ai préféré leur consacrer ma journée.

C'est donc en me dirigeant vers le bord de la mer que je siffle avec mes deux doigts, afin d'appeler Ariel qui apparaît aussitôt de derrière des rochers. Je l'ai prévenu que ce soir j'aurais besoin de son aide, et comme prévu, sa carapace est sèche, prête à m'accueillir. La Lokhlass, ravie de servir de transport en mémoire du temps où j'étais encore un gosse, me laisse monter sur son dos et part déjà, le plus vite possible, en direction d'Amanil. La rapidité n'est pas son fort, mais elle fait de son mieux afin de m'y mener, et les heures passent pendant lesquelles je m'accroche aux pics sur sa carapace pour ne pas tomber et ruiner mon costume. Mon regard océan se pose sur l'eau salée qui provoque des vaguelettes à notre passage, et j'aperçois quelques Poissirènes et Lovdiscs qui me tiennent compagnie sur le chemin, et je me souviens des heures passées à pêcher sur le canoë de notre paquebot quand nous devions refaire le stock de poissons. Au-dessus de moi, le ciel rempli d'étoiles me sert de toit pour cette traversée, et je souris faiblement mais avec une légère tristesse quand j'imagine la partie de ma famille décédée, en train de me regarder de là-haut. Ils ne doivent pas être très fiers de moi, hé...
Ma partenaire aquatique me fait signe que nous arrivons enfin, et je descends de son dos pour accoster sur le port d'Amanil au milieu des bâteaux de pêcheurs. Réajustant ma veste une énième fois pour enlever les quelques petites froissures qui s'y trouvaient, je me mets aussitôt à la recherche du fameux cinéma, et le trouve enfin situé sur la place principale de la ville. Je pénètre dans le hall à la recherche du Nagel, mais pour l'instant, il reste introuvable. Me disant que je peux l'attendre ici, et étant l'un des premiers invités à arriver, je mets les mains dans les poches en sifflotant un peu, l'air de rien, tout en observant l'endroit. Bon, c'est pas l'Opéra de Paris, mais il aurait pu tomber sur pire, je pense. Mine de rien, avec son statut de gagnant de la Compétition, je crois qu'il a pu avoir de bonnes relations pour l'aider dans son film. Être déjà célèbre pour ce qui fait la renommée de l'île, c'est pas rien, et les futurs spectateurs qui viendront peut-être le voir le sauront.

D'ailleurs, j'en suis pas peu fier, mais je me suis occupé plus ou moins personnellement des invitations pour ramener du monde à la projection. J'ai envoyé les enveloppes moi-même à toutes mes connaissances, y compris mes collègues que je ne connais pas beaucoup. Je me suis dit que ça serait une occasion justement de faire plus ample connaissance avec ceux qui ont remplacé les anciens dont j'avais l'habitude. Je n'ai aperçu Grima que vaguement, par exemple, et je connais Riku -même si j'ai plus ou moins compris que son lien avec Alex avait quelques coupures-, mais le reste est un mystère pour moi. Je ne pouvais pas donner les convocations à n'importe qui, mais j'ai fait en sorte que le plus de monde soit informé. Je n'ai pu, en réalité, être certain d'avoir pu inciter ceux que je connaissais un minimum et le gratin d'Enola, bien sûr, puisque j'en fais moi-même partie. De ce fait, mes relations n'en sont que plus grandes. Héhé... J'en connais un qui pourra grassement me remercier d'avoir fait autant de pub pour son film. Enfin... Y'a pas que ça. Il pourra me remercier sur autre chose, mais il s'agit d'une histoire différente.
En parlant d'invités, il y en a une dont il m'a parlé, maintenant que j'y pense. Ou plutôt, maintenant que je la vois arriver. Rousse aux yeux bleus, son visage ne m'est pas inconnu, et pour cause : non seulement je l'ai déjà aperçu lors du tournoi de pêche en compagnie de la Championne Coordinatrice de Vanawi, mais je l'ai également vu sur le téléphone de Nagel, à faire des têtes ma foi un peu étranges. Me semble que c'est une de ses potes du Régime. Enfin, il m'en a parlé vaguement, mais c'est pas dur à deviner, si elle est là en même temps que moi. Je ne lui ai pas beaucoup causé la dernière fois, plus préoccupé sur le coup par ma consœur, mais je crois que c'est une bonne occasion pour faire connaissance. C'est après tout également pour ça que je suis ici, outre le fait de soutenir l'autre andouille qui me sert d'ami. Je tente une approche auprès de la nouvelle venue. Il faut bien commencer quelque part, après tout ; et puis si c'est une proche d'Alex, j'imagine qu'on peut essayer de communiquer. C'est donc en tentant d'être amical que je la salue.

« Salut ! Tu dois être Cassey, non ? J'me souviens de toi. Tu étais avec Grima, l'autre jour, c'est ça ? »

Bon, question éloquence, on a vu mieux, mais comme je ne sais rien d'elle hormis ce qui m'a été vaguement dit, je vais voir si je peux la déchiffrer. Je décide de continuer sur ma lancée en parlant justement d'un sujet qui nous intéresse tous deux à l'exception de Nagel, c'est-à-dire la championne aux cheveux bleus.

« D'ailleurs, en parlant de Grima, ça tombe bien, parce que je l'ai invit-... »

J'allais dire en effet que j'ai chaleureusement proposé à la Coordinatrice de Vanawi de venir, même si je n'ai pas fait très bonne sensation auprès d'elle la dernière fois que nous nous sommes vus, pour peut-être intéresser mon interlocutrice davantage. Cependant, je n'ai pas le loisir de parler plus avec elle, car je suis arrêté par une voix dont je reconnais, avec amusement, l'accent et le timbre fluet. Lorsque je me retourne, je constate en effet que Ludwig, bien coiffé et habillé, descend les escaliers à une vitesse folle pour venir à notre rencontre et débuter son adorable séance de câlins. En souriant, je lui rends son étreinte en faisant de mon mieux pour ne pas déranger sa coiffure nette malgré l'excitation qui semble le parcourir.

« Guten Abend, mein kleiner Ludwig. Comment tu vas ? »

Si je sais que le but est qu'il améliore son français -bien qu'il ait fait déjà de nombreux efforts- je ne peux m'empêcher de sortir ici et là des phrases dans sa langue natale de peur que je ne lui sorte des trucs trop compliqués. Mais bientôt, le centre de la soirée prend la suite de son petit frère et vient nous voir à son tour. Sans vouloir me moquer, je m'amuse un peu de le voir si nerveux, alors que je l'ai connu avec, au contraire, une assurance démesurée. Mais quand j'y pense, c'est vrai que depuis qu'il a fait et même gagné la compétition, son arrogance s'est tarie, au profit d'un sérieux auquel j'ai mis du temps à m'habituer tout à fait. De plus, l'entrée de Ludwig dans sa vie l'a encore changé un peu plus, tout en restant le même. Mais sa prétention semble s'être mise de côté, le laissant plus responsable. En même temps, je ne peux que comprendre ce que ça fait, de devoir se transformer pour s'occuper d'un gamin.
En nous expliquant rapidement -et en... paniquant?- qu'il va devoir nous laisser Ludwig, je hoche tout de suite la tête. Quand Alexander ne pouvait ou ne voulait pas prendre de baby-sitter pour garder son frangin, il m'arrivait de lui venir en aide pour m'occuper de lui en son absence. Il me le déposait à l'Amphithéâtre et je jouais avec lui, rejoint parfois par Noah et Maëlle qui ont été curieux de voir un autre enfant qu'eux chez moi, et ont commencé à le suivre, parfois même à l'imiter. Alors veiller sur le petit ne pose aucun problème, surtout qu'il nous connaît, et que Ludwig est relativement sage. En prenant deux des trois tickets qu'il nous tend -je donne le sien à son jeune frère-, je scrute moi-même vers l'entrée du cinéma pour déjà voir quelques personnes s'incruster sur les lieux. Quelques uns que je reconnais vite fait, d'autres qui me sont totalement étrangers. Puis tout à coup, je sursaute.
... koa ? Moi ? P... Parrain de Ludwig ?
Le concernée, entre la rouquine et moi, semble ravi comme tout. Mais merde... Parrain ? Sérieux ? Encore ?! Enfin... J'veux dire... Mince, j'aurais jamais cru qu'il puisse me faire confiance à ce point. C'est vrai, on se connaît que depuis... D-Deux ans... Deux ans déjà. Temps, où es-tu. Pour Julianne, je comprenais à peu près, mais je suis surpris par l'annonce soudaine du blond à lunettes. Surpris et... well, flatté. C'est con, mais oui, j'crois que je suis flatté. Après tout, c'est son frère, quoi. S'il arrivait malheur à Alex, ça veut dire techniquement (mais peut-être le confierait-il à un autre) que ça sera à nous de nous en occuper. C'est... C'est important. Mais sérieux, faut vraiment que les gens arrêtent de me faire confiance, ça va plus, là. Déjà Julianne qui m'a honoré, mais est-ce que Nagel a réellement si peu d'amis ou de proches en qui il a confiance pour me donner un tel statut ? Ok, j'en fais tout un plat, en soit c'est rien, mais quand même. Je sais pas quoi dire. Et je dois avoir l'air sacrément con.

Sans même que j'en ai pu rapidement touché quelques mots à Alexander, ce dernier nous laisse pour saluer d'autres personnes, sans doute celles qui ont travaillées avec lui sur ce film, et je reste pantois, à regarder l'acteur principal s'éloigner tandis que je me retrouve seul avec Ludwig et Cassey. Un problème persiste néanmoins. J'ai reconnu dans la foule quelques têtes que j'ai bel et bien invitées. Mais d'autres, connaissances d'Alexander sans doute, me disent malheureusement quelque chose. L'un d'eux, particulièrement, possède des cheveux hérissés peu communs et ne m'est pas inconnu du tout. Mais la dernière fois que je l'ai croisé en vrai, il a bien failli me transformer en passoire, et je ne tiens pas à ce que ça recommence. Il se tiendrait probablement à carreaux puisque nous sommes en public, mais si jamais nous nous retrouvons seuls... Je ne sais pas. Si je parle de lui, c'est que la chère tête blonde dont nous nous occupons s'est précipitée vers la gamine aux côtés du hérisson, et que je dois alors détourner le regard puis contourner les quelques personnes présentes pour me faire le plus discret possible tout en veillant sur Ludwig. Je suis peut-être dans le collimateur de ce type, mais puisque je suis désormais parrain d'un autre enfant, je dois tenir mon rôle à cœur.
Heureusement, les portes du cinéma se mettent à s'ouvrir, et je me rapproche de Cassey. Je ne sais pas si être parrain et marraine fait que nous devons rester ensemble, mais je ne pense pas qu'elle ait l'intention d'abandonner le blondinet, elle non plus.

« Wouah euh... Chic, t'as vu, on a les meilleures places... »

Oui, c'était immensément stupide. Au fond, je m'en fiche un peu d'avoir la meilleure place ou quoi. C'est juste que c'est cool symboliquement parce que j'ai pas l'impression d'être rien aux yeux d'Alex. Je suis bien plus enthousiaste à ce genre de soirée d'ordinaire. Et bien plus bavard. Et je dis des trucs bien moins débiles. En théorie. Mais je serais presque, à force, devenu auss nerveux que Nagel. Car c'est awkward de retrouver quelqu'un avec qui vous avez eu une discussion qui a failli mal se finir pour moi. Aussi le fait qu'il doit vouloir que je souffre dans d'horribles souffrances, mais il est loin d'être le seul dans ce cas-là. Je n'ai pas pris pour habitude de me faire des amis, surtout sur Enola, où le contact a été plus difficile que prévu. Sans doute suis-je encore trop attaché à certaines blessures du passé, qui sait.

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Aloïs F. Legrand

Je ne fuis pas à chaque fois que l'occasion se présente, mais des fois, ça vaut vraiment mieux, même si c'est très incorrect vis-à-vis d'Alexander et de Cassey. Je ne devrais pas les mêler à mes histoires, ou plutôt, celles-ci ne devraient pas empêcher Ludwig d'aller voir une de ses amies si le cœur lui en dit. Je suis censé le surveiller et c'est ce que je vais faire. C'est juste que... Bah c'est awkward, quoi. Moi comme le hérisson sommes amenés à nous voir indirectement (et pas par bonheur) sur les trucs à potins ou autre panneau concernant la Compétition. Il est bien plus célèbre que moi, après, mais si le croiser en photo m'indiffère, ce n'est pas la même histoire quand nous nous retrouvons pour de vrai, et encore pire quand nous sommes en public. Au moins, dans le cas contraire, une balle bien placée et on ne parlera plus jamais de moi quand mes fans auront fait leur deuil. Vaut toujours mieux d'ailleurs que ça se fasse le plus rapidement possible si ça doit arriver ; mes enfants, à même pas quatre ans, auront le loisir de m'oublier. Ce serait plus embêtant pour Makenzie, en revanche. Je crois savoir qu'elle préserve toujours des sentiments pour moi (how ?), alors ça lui ferait énormément de peine, et ce que je veux éviter à tous prix, c'est qu'elle souffre, surtout par ma faute. Je m'inquiète également pour Julianne. Si le Régime se prend une crise et se voit destitué, elle risque d'en subir les conséquences si elle ne fait pas attention, et j'aurai voulu être là pour la soutenir. Mais elle a des amis sur qui compter, de ce que j'ai pu remarquer, alors je sais qu'elle ne sera pas seule ; puis elle a Mako, aussi. Pas comme si ma mort pourrait avoir un réel impact, de toute façon.

Bizarrement, la rouquine avait l'air de vouloir taper la discute une fois notre hôte parti. Tiens, moi qui croyais que je l'agaçais au plus haut point, vu ce qu'elle m'a sorti quand elle m'a vu... Laisserait-elle une seconde chance ? Les Régimeux sont décidément bien généreux, ce soir. Qu'il m'annonce que je suis parrain, comme ça, c'était une grande surprise. Pas que ça veuille dire grand chose, aujourd'hui ; je pensais que c'était surtout un truc de religieux, tout ça. Mais bon, ça fait quand même une petite surprise, et pas spécialement mauvaise, qui plus est. Cependant, le 'parrain' devrait prendre ses distances avec certains amis de son filleul, comme le montre mon regard fuyant et ma démarche qui le serait presque tout autant si je n'avais pas le devoir de m'occuper du petit blondinet. Alors si je reste près du petit garçon, ça veut aussi dire que je dois me rapprocher du père de sa copine, ce qui, comme vous le savez, n'est enchantant ni pour lui, ni pour moi. Quoique en soit, si je ne le déteste pas, je préfère éviter que l'animosité qu'il me porte ne vienne pas gâcher la représentation du Nagel qui a sans doute bossé dur pour en arriver à là, et dont l'avant-première fait tant plaisir à son jeune frère, ce que je peux comprendre. Il doit être impressionné par tout ça, et surtout fier de son aîné.
Je ne prends pas la peine de me présenter, donc, vu que l'autre sait qui je suis, mais la rousse ne s'en prive pas et engage la discussion avec plaisir, étant nullement en danger, elle, au moins. Qu'elle se fasse ce plaisir à ma place, donc, car je sais très bien que le brun ne voudra pas converser avec moi, de toute manière. Je fais simplement un salut de la main, un peu maladroit, ne serait-ce que pas politesse et parce que nous devons laisser nos différends de côté pour la soirée si nous ne voulons pas qu'elle se finisse en moi pissant le sang par terre. Je me suis promis de me tenir convenablement et de faire honneur à l'invitation de l'allemand, alors ce n'est pas pour chercher des noises, que ce soit avec son amie soldate ou le Conseiller, qui sont tous les deux en train de se faire des messes basses, d'ailleurs. Ce dont je me fiche, hein, ils peuvent bien dire ce qu'ils veulent, je ne suis pas assez idiot pour imaginer qu'ils disent du bien de ma personne, loin de là, et c'est bien le cadet de mes soucis.

Ayant reporté mon attention sur les deux adorables gamins qui m'attendrissent quand même un peu malgré la tension dans l'air, je sursaute au moment où le Conseiller répond à Cassey volontairement à voix haute pour être sûr qu'il soit bien entendu. Par moi, évidemment, mais aussi par d'autres, je présume. S'il y a un danger, autant qu'ils soient tous avertis, après tout, quoique je ne crois pas que les mains de la Banks soient réellement plus propres que les miennes, mais au moins elle n'a pas touché à son 'nounours' donc c'est une raison suffisante pour qu'elle soit exemptée de toute tentative de meurtre. Elle doit tenir à sa vie, aussi, alors pourquoi lui retirer sa sauvegarde, après tout. Le plus petit -en taille- s'en donne à cœur joie, dans sa remarque dont on sent à peine le venin et l'agressivité. Mais voilà bien longtemps que ce genre de pique ne me fait plus rien. Qu'il dise ce qu'il veut, si ça l'amuse, après tout ça ne pourra que le faire devenir plus ami avec Cassey. Les ennemis de ses ennemis sont peut-être ses amis, et si je ne porte aucune rancœur pour la rouquine, j'ai bien compris qu'elle ne m'aimait pas tellement, encore à cause de cette histoire de pêche, j'imagine. Peut-être parce qu'elle est frustrée d'avoir perdu ?.. Dans ce cas, je serais presque content d'avoir agi comme un con : je déteste les mauvais perdants.

C'est néanmoins ce qu'il dit ensuite qui me fait buguer. Sa présence en ces lieux devaient avoir une raison. Et pour que sa fille connaisse Ludwig, il fallait plus ou moins logiquement qu'il connaisse son tuteur (plus ou moins car le contraire aurait été possible aussi). Mais j'aurais pensé également que sa venue n'était lié à rien d'autre qu'à un coup de pub, ou même du bouche à oreille. La dénommé Alice, sinon, qu'il lui en aurait parlé. Toutefois, je suis très surpris d'entendre que le hérisson a déjà rencontré Alexander, et qu'il avoue même ne pas trop mal s'entendre avec lui, allant préciser qu'il n'irait pas le tuer non plus. Mais tandis que Cassey attire l'admiration de la gamine, je reste bloqué, les yeux écarquillés. Je crois avoir mal compris, ou du moins je l'espère tout à coup naïvement. Immobile pendant quelques secondes, je prononce mes premières paroles en direction du jeune père, le regard confus, troublé.

« Vous vous entendez bien avec Alexander ?.. »

Ma question reste en suspens, tant j'essaye moi-même de la réaliser. Il n'a pas envie de tuer Alexander, alors que... Mais je n'ai pas la berlue, pourtant. Je crois bien avoir trouvé un autre hérisson qui lui ressemblait étrangement aux côtés de Julianne lors de son accouchement, mais celui que j'ai en face ne peut être que le premier que j'ai rencontré, celui qui est venu chercher son protégé chez moi il y a maintenant deux ans, si je ne me trompe pas. Alex est pourtant le tortionnaire qui s'en est occupé, alors comment se fait-il qu-... Oh ! Mais bien sûr. Il n'est au courant de rien. Ce mec... N'est au courant de rien ! Il croit pouvoir faire ami-ami avec le cauchemar de son chouchou, j'y crois pas ! Pincez-moi je rêve... C'est beau. Très beau, même. À tel point que je me mets à rire. Un rire un peu nerveux sur les bords, mais que je n'arrive pas à contrôler. C'est une situation des plus amusantes, mais est-ce que seulement le Nagel est au courant de qui est le hérisson qu'il a invité ? Ou alors est-il dans l'ignorance également ? Car il n'y a pas de doute que Freedent Man se serait déjà chargé de faire bouffer les pissenlits par la racine au blondinet, et qu'il aurait trouvé alors quelqu'un envers qui diriger une animosité plus forte que celle qu'il me porte. Mais en attendant, je trouve le destin bien comique avec ces garçons.

« Par Arceus, mais le hasard fait drôlement les choses, dites-moi ! »

Entrecoupé par mes gloussements, je finis par me calmer un peu, mais toute l'hésitation que j'avais il y a quelques instants à cause de la présence de l'autre vient de s'envoler en fumée et je n'ai plus désormais que mon sourire de chieur qui est réapparu sur mon visage, comme par magie. Le meilleur, dans tout ça, c'est que je semble être le seul à savoir les relations étranges qui lient l'adolescent, le blondin, et le brun. Mais je ferai attention bien sûr à garder ça pour moi. Peut-être qu'un jour ça finira par se savoir et éclater, mais ça ne sera certainement pas de ma faute, pour une fois. En attendant, je sens qu'on va passer une très bonne soirée.
Malheureusement pour les deux adultes avec moi, j'ai repris mon assurance, et nul doute que le petit secret que je préserve m'aidera à faire fi de la 'querelle' que j'entretiens avec Faust. Ce dernier interroge justement la demoiselle (pas sûr qu'il veuille toujours discutailler avec moi, voyez-vous) à propos de l'histoire, mais c'est Ludwig qui la devance, tout enthousiaste. Faut dire que le résumé qu'il nous en fait est assez particulier et loufoque, mais il ne doit pas être très loin de la vérité, connaissant l'acteur principal. Il ne m'a rien dit du synopsis -sans doute voulait-il faire la surprise- mais je ricane non méchamment devant les propos de son jeune frère qui manque de spoiler tout le film tellement il est impatient. Heureusement, il s'interrompt net quand nous passons devant la star de la soirée et que nous lui tendons nos billets avant d'entrer dans la salle. Je manque de glousser une nouvelle fois devant le nom que nous sort avec Ludwig avec sa petite voix. Je ne voudrais pas que Alex croie que je me moque de lui, mais... Eh bien au moins il est sûr que personne lui piquera le titre de son film, on va dire. Cela doit être une manière comme une autre de se faire de la pub.
Juste avant que nous entrions dans la salle, je laisse le petit groupe y pénétrer pour rester un peu en retrait, avant de prendre à part l'Officier blond et de m'approcher de son oreille.

« Juste un conseil : méfie-toi de tes ennemis, et encore plus de tes "amis". J'dis pas ça parce que je me soucis de toi, mais ça serait con qu'il t'arrive malheur. Pense un peu à Ludwig. Et au fait : reste attentif, j'ai une petite surprise que je te réserve pour plus tard... »

Sur ces mots, je rejoins les invités en passant la porte, un sourire énigmatique aux lèvres. Hein ? Comment ça je fais mon "tsuntsun" ? Puis c'est quoi, d'abord ? Arrêtez de parler en Julianne, je pige que dalle. Bref.
Une fois à l'intérieur de la salle, je montre du doigt nos sièges au petit allemand pour qu'il voie où nous allons être placés, puis regarde derrière moi si Cassey compte toujours nous suivre. Mais je remarque qu'un jeune homme -sans doute de sa connaissance- vient de l'aborder, en l'appelant toutefois d'une autre manière. Si j'ai l'intention de le corriger, je me souviens tout à coup que les membres du Régime possèdent des surnoms pour cacher leur identité. Genre Gwen, ou... Dio Silvery, oui. Décidément, il a le chic pour trouver des noms assez... Enfin qui le définissent bien, quoi. Je ne me souviens même plus du mien, tiens... Ou alors je préfère ne pas m'en rappeler ; ça devait être un truc débile, en plus. Bon, vu que quelqu'un est venu lui parler, est-ce que je dois l'attendre pour les places, ou... ? Mais je n'ai pas le temps de me poser la question que je regarde déjà l'heure en me rendant compte qu'il est bientôt l'heure du speech de Nagel.

« Vite, Lulu, ça va bientôt commencer ! »

Je ne veux pas le presser, mais je sais qu'il ne raterait un discours de son grand frère pour rien au monde. Ou alors préfère-t-il rester avec sa petite copine pour regarder le film ? Je relève la tête pendant de ce temps, balayant vite fait la salle du regard pour apercevoir de potentielles têtes que je saurais reconnaître.