J'avais parlé et il m'avait bien entendu. Sky était loin d'être sourd et n'était pas con non plus. Mais je préférais rester dans ma torpeur égoïste que lui répondre. De toute façon, ces mots ne lui étaient pas destinés. En quelque sorte, ma sincérité, ma compassion, ce n'était pas pour lui. Mon amour ne serait jamais pour lui non plus. Je ne voulais pas, de l'amour, je n'en avais que pour ma sœur. Enfin, ça, ce n'était plus vraiment certain. Je tendais l'oreille aux réponses de Sky, au moindre de ces mouvements, et je sursautait quand il reprenait encore la parole, un frisson parcourut mon corps quand un zéphyr frais entra dans la pièce. Je devais tirer une sacrée sale tronche pour qu'il en oublie de poser des questions et préfère aller me chercher de l'eau en bas.

Je ne fus pas soulagé de son départ. Comme si j'avais peur qu'il me laisse... Que je me retrouve encore seul face au courroux d'Irina. Elle me faisait peur. Je l'aimais, mais parfois, je redoutais sa présence. Mais j'avais besoin d'elle, plus que tout au monde. Certes, Sky ne pouvait pas grand chose face à quelqu'un qu'il ne voyait pas et je n'avais pas envie de lui sortir des explications de long en large. Je rassemblais mes jambes vers moi pour me retrouver assis en tailleur sur le lit. Cette apparition m'avait presque gâché la fin de nos ébats, et j'en étais un peu fâché. Mais vu mon état, je ne me voyais pas recommencer. Surtout si c'était pour voir Irina apparaître dans un nouveau moment compromettant. Je ne l'aurais pas crue capable de cela.

Sky revint dans la chambre et je ne crachais pas sur le verre d'eau qu'il m'offrait. En plus de notre partie de jambe en l'air plutôt intense, mon coup de panique m'avait asséché la gorge et boire me fit un bien fou et j'avalais le verre d'un seul trait. Mais je ne voulais toujours pas croiser son regard. Oui, j'avais tout gâché, mais je n'avais aucune envie de lui sortir des excuses, ce n'était pas le genre de la maison, et il le savait. Sa main chaude vint caresser mon visage et je me crispais un peu à son contact, sous la surprise, comme un animal effrayé, et je finissais par me détendre lorsque sa main s'invita dans mes cheveux. J'étais quoi, là... Un chien-chien? J'inspirais profondément et jeta, téméraire, un coup d'oeil discret vers lui, et je rebroussais chemin dès qu'il apparaissait dans mon champ de vision. Je ne voulais pas voir son visage inquiet, de peut de ce que cela pourrait produire en moi.


« Tu sais, je suis pas vraiment doué pour « causer » comme tu dis... T'as bien vu ce que ça a donné la dernière fois, à l'onsen. »

J'étais bavard, ça oui, mais jamais pour parler de moi. Je n'avais pas de soucis. Non. J'étais peut-être fou, mais quel intérêt de lui raconter tout ça, c'était du passé. Je ne lui avais jamais demandé de me raconter la façon dont il avait perdu son ex. Mon enfer... Qu'est-ce que j’appelais enfer, à vrai dire. Pourquoi lui avais-je dit tout ça, il ne m'en sortirait pas. Je me rappelait tout ce que je lui avais dit alors... C'était débile, ça ne servait à rien, je voulais pas qu'il s'inquiète. L'inquiétude était juste nuisible a notre relation d'obsédés sexuels. Comme il le disait si bien, c'est définitivement pour baiser qu'on est les meilleurs.


« Vaut mieux pas remuer certains truc et en rester à ce qu'on sait faire, justement. Perso, j'attends rien d'autre de toi, alors... Cesse un peu de paniquer pour rien. »

Et je dis ça alors que c'est moi qui paniquais. J'avais été sec, cassant. Mais à quoi s'attendait-il... Il allait me chasser, avec ça? Je le regardais finalement, d'un air qui se voulait dur et insolent mais je sentais que quelque part au fond de mon regard, il y avait une toute petite lumière qui voulait le remercier. Lui dire merci. Merci d'être là même si je n'étais qu'un sale petit con trop fier pour se mettre les yeux en face des trous et de s'avouer ses propres sentiments.

Et merde. Ça recommençait. Pour une fois, je n'avais pas joué au con et je lui avait répondu franchement, si ça lui allait pas il avait qu'à me chasser d'ici, il était chez lui, à la fin, ras-le-bol! Eh bien non, il continue d'être tout gentil. Et cela me faisait trop plaisir. Alors, oui, j'étais certainement juste maso, et je préférais me faire mal dans cette relation que j'avais avec ce mec que j'aimais. Oh, oui, je l'aimais, je l'avais bien compris. Mais ça ne lui allait pas qu'on en reste aux stade charnel. Oui, j'avais fantasmé de pouvoir dormir dans ses bras cette nuit, sans rien d'autre, mais cela me semblait compromis alors. Je me prenais ses belles paroles en pleine gueule alors qu'il me proposait de construire quelque chose. D'être plus qu'un type avec qui il couche quand il en ressent l'envie. Et moi, comble de ma connerie congénitale, ça m'insupporte. A quoi ça sert de construire un truc que nous seront condamnés à détruire au final? Je ne sais pas si je tremblais de colère, de froid, ou simplement car j'avais peur. Il vint poser sa tête sur moi et nous nous observâmes un moment. Impossible. Totalement impossible. J'avais abattu mon poing sur le drap, furieux que j'étais contre moi même. Je ne me contrôlais plus. Je ne pouvais pas. Je ne peux pas. J'avais envie de lui dire à quel point je l'aimais, mais rien d'autre de sortait que les choses les plus horribles. Comme si il avait besoin d'entendre tout ça maintenant.

« T'es lourd... Et dans une semaine tu voudras quoi? Qu'on vive ensemble, qu'on se fasse notre petite bouffe tous les soirs, et tu me diras "Coucou chéri, c'était bien le travail, t'as bien torturé des gens aujourd'hui?". Et moi je te répondrais "Oh oui, j'ai encore tué cinq des tiens, c'était super cool!". Putain, Sky! Pourquoi t'es si naïf? »

J'avais fini par me lever, sur la fin. Je me tenais à côté du lit. Si seulement... Ah, si seulement Irina n'était pas apparue, on aurait ou finir cette soirée tranquillement, je ne me serais pas pris la tête comme ça et oui ,je l'aurais eu ma nuit aux côtés de Sky. Non, maintenant, j'avais envie d'autre chose, il fallait que j'aille tuer. Et pas lui, forcément, parce que... Parce ce que c'était Sky. Je ne lui en voulait pas. J'étais juste un petit merdeux qui s'accrochait comme une sangsue à son passé, à sa sœur décédée. Je balançais rageusement le peignoir sur le lit et allait chercher mes vêtements que j'avais posé là. Je devais partir.

« Finalement, je reste pas. Trop de... Ici... Je peux pas. Merde. »

Je ne comprenais plus rien, j'en avais marre, je voulais juste faire du mal. Je le regardais encore, partagé entre la haine qui m'animait et l'amour que je ressentais pour lui. Pourquoi Sky, pourquoi moi? Pourquoi tu ne cherches pas à retrouver ton ex, plutôt que de t'envoyer en l'air avec moi. Sérieux... Pourquoi tous... Pourquoi ils sont tous comme ça, les humains, pourquoi ils font des trucs incompréhensibles tout le temps? Mon téléphone sonne. Sauvé. Et je ricane en voyant ce qui s'affiche, lançant un sourire narquois à Sky.

« C'est le boulot. Comme tu vois, on aurait été coupés de toute manière. »

Je portais le téléphone à mon oreille et prenais note dans mon esprit de ce que je devais faire. Et mon sourire s’élargit. Pas un sourire mignon, un pur sourire de démence, celui d'un meurtrier qui va pouvoir assouvir ses pulsions. Décidément, il n'y avait rien de meilleur.