Décisions et résolutions

« Oui ?
- Si tu n'étais pas à l'autre bout de cette foutue île, ta tête serait déjà par terre.
- Ravi de t'entendre aussi, mon cher. Je suppose tes petites vacances se sont bien déroulées ?
- Tu savais.
- Va falloir que tu sois plus précis, Faust.
- Tu savais que ça se finirait comme ça, s'pèce de connard.
- Évidemment que oui, et pas besoin d'être un expert en psychologie pour savoir que tu finirais par craquer devant elle. La seule chose qu'il fallait pour que ça se passe, c'était que je sois loin durant quelques jours ?
- Attends, tu voulais que je l'adopte ? Tu peux t'expliquer trois secondes ?!
- Soyons honnêtes deux secondes, t'avais déjà décidé de la garder le jour-même où tu l'as rencontré. Si tu l'avais amené à l'orphelinat, t'aurais passé des semaines, des mois voir peut-être des années à le regretter, alors...
- Isaac, bordel, c'est vraiment pas le moment d'adopter une gamine !
- Tu essayes de me convaincre ou de te convaincre là, le nain ?
- ... Va t'faire.
…
- Écoute, je ne m'inquiète pas pour toi ; je sais que tu vas te débrouiller sans accrocs.
- Élever un gosse, c'est pas comme élever un pokémon, Isaac.
- Je suis au courant, merci bien. J'suis pas complètement ignare non plus, ne me prends pour un idiot. Comment tu comptes gérer tout ça, sinon ?
- Si j'te dis que je sais pas, tu ne vas pas me croire, hein ?
- Nope.
- ... Je... Je vais lui laisser un peu d'espace, je pense. Qu'elle puisse faire machine arrière si elle le veut ou pas, et faire en sorte qu'elle arrive à s'en sortir. J'aimerais que tu tiennes ta langue derrière ; je ne préfère pas imaginer les dégâts si les journaux venaient à apprendre son existence maintenant...
- Tu te rends compte que ça arrivera un jour ou l'autre, hein ? Tu peux retarder en la gardant en sécurité, mais au bout d'un moment...
- Je sais. Ils finiront par le savoir, mais ils sauront ce que je veux qu'ils sachent, et tant pis pour ce que ça risque de me coûter.
- ... Tu comptes aller voir Winter. C'est pas une question, t'as l'intention de t'arranger avec elle. Tu devrais te souvenir que la dernière fois que vous vous êtes vus, il a fallu vous arrêter avant que vous ne foutiez le coin dans un bordel pas possible.
- Je sais ce qu'elle cherche, ces temps-ci. Et de toute façon, elle me doit un service depuis le dernier vol que j'ai fait pour elle.
- Tu crois vraiment que sa fierté la laissera accepter un truc pareil ? … Je veux bien que vous aillez une histoire particulière tous les deux, mais là, tu risques gros.
- Fais-moi un peu confiance, tu veux ? En attendant, une fois que ça sera réglé... Je compte m'assurer qu'elle ait tout ce dont elle aura besoin pour vivre convenablement.
- Eh ben, elle ont vite été oubliées, tes protestations de tout à l'heure ! Nan mais sérieusement vieux, t'es désespérant et tu devrais t'en rendre compte. Tu connais pas cette gamine depuis dix jours que tu la considères déjà comme ta fille.
- Je comprends que dalle non plus, mais je sais juste que c'est la seule chose logique et sensée à faire.
- 'Logique et sensée', vraiment ?
- Je sais que je n'ai pas les mots exacts, mais j'en ai rien à foutre.
- C'est avec ce langage que tu comptes élever une gamine, vraiment ?
- Isaac...
- Je sais, je sais, je la ferme. Nan mais vraiment, tu devrais te détendre un peu ; rien qu'à t'entendre, on dirait que le monde va exploser dans dix minutes, et j'aimerais bien terminer mon sandwich si c'est le cas.
- Tu m'excuseras d'être stressé alors que je suis en train de devenir...
- ... De devenir quoi ?
- Rien.
- Oh j'ten prie, sors-toi un peu les doigts du-
- Si tu termines cette phrase, je te jure que tu vas finir en plat de résistance pour le KFC du coin.
- Bref. T'avais autre chose à dire ?
- ... Ça ne te dérange pas, enfin, d'une façon ou d'une autre ?
- Faust, je vais pas rester toute ma vie chez toi, et de toute façon, ça ne sert à rien d'essayer de te convaincre que s’occuper d'elle n'est pas une bonne idée.
- Merci, en tous cas.
- Bordel de merde, ton côté lunatique devient inquiétant quand même. Si tu te mets à chialer...
- Si je te dis d'aller te faire mettre ?
- C'est pas spécialement mon envie ces temps-ci, et puis de toute façon, j'ai du boulot. Pour de vrai. Ça va aller donc, avec la petite ?
- Ouais, ses cauchemars commencent un peu à se calmer j'crois. Elle est de moins en moins fatiguée les matins et elle commence enfin à oser me demander des trucs aussi simple que sortir le jus de fruits du frigo.
- T'as dû galérer, avec ça.
- Au départ, elle ne voulait même pas descendre de sa chaise tant que je ne lui en donnais pas la permission.
- ... Ah oui, quand même. Est-ce que tu as un peu cherché pour voir si la mère était un peu... ?
- ... Ouais. Je ne pense vraiment pas que ça soit la mère, le responsable. Disons qu'elle avait un sacré paquet de chieurs à l'école et que heureusement qu'elle va aller à celle de Nuva Eja, tiens.
- Tu comptes la scolariser dans combien de temps ?
- Vu le temps que va prendre la procédure et traumatisme qu'elle a subi, peut-être pas avant septembre.
- ... Combien de temps il t'a fallu pour décider de tout ça ?
- Je sais ce que tu vas dire, mais merde. Voilà, je te merde.
- ... Donc t'es décidé, hein ? Rien ne te fera changer d'avis, maintenant ?
- J'crois pas, nan.
- Donc elle va pas tarder à porter ton nom.
- Son prénom, le prénom de sa mère et mon nom de famille, en fait. Elle voulait avoir un moyen de se souvenir du prénom de sa mère, alors je lui ai proposé de l'utiliser comme second prénom pour l'avoir toujours sur elle.
- ... D'accord, j'avoue, ça c'est adorable.
- Tu deviens gâteux ou je rêve ?
- Moins au moins, je fais pas péter le compteur d'arcs-en-ciel par heure, minus. Mais sinon, t'as pas une fille à aller coucher toi ? Il est vingt-deux heures je te rappelle.
- ....
Meeeeeeerde ! J'dois y aller ! Merci pour le coup de f- »

Bip. Son interlocuteur avait raccroché. Faust fixa son portable en silence pendant quelques minutes avant de pester sur son enfoiré de meilleur ami qui avait coupé court à la conversation alors qu'il était en train de parler. Il jura, mais des bruits de pas attirèrent son attention et il se retourna vers la fillette en pyjama qui le regardait avec des petits yeux ensommeillés. Elle s'était probablement endormie sur le canapé pendant qu'il téléphonait. Un sourire étira ses lèvres et il souleva Alice pour que celle-ci puisse se reposer un peu plus en se blottissant contre son torse et accrocher ses bras autour de son cou.

« Si tu fais des cauchemars, tu sais que je suis sur le canapé, d'accord ? »

Quelques heures plus tard, elle vint le voir, pour la première fois depuis qu'elle vivait avec lui. Il se contenta de la laisser se lover contre lui sur le canapé, et suppose qu'il pouvait bien vivre comme ça sans trop de soucis.