Cette porte qui fait même pas de bruit en s’ouvrant a déclenché ma colère pour de bon. Avant, elle était latente, le fait d’avoir un fantôme à qui parlait me rendait plus tout fou qu’autre chose mais là… Ah, je dois dire que ça fait peut-être trop longtemps que je ne me suis pas senti ainsi. Le sang qui bouillone de rage, les dents qui grincent, des légers tremblements dans tout le corps. C’est tellement bon et en même temps, c’est juste intenable. C’est terrible ce que ça m’avait manqué. Le rez-de-chaussée est vide, sinon. C’est un baraque tout ce qu’il y a de plus normal, à l’intérieur, mis à part que c’est assez pauvre et poussiéreux. Notre homme -ou femme- doit surement être légalement proprio des lieux, la déco est absente, le frigo contient quelques boites pas périmées. Le salon est vide, pas de cadavres entassés dans aucune pièce. Nan, c’est désert. Le temps tourne, en attendant, et je vais jeter un œil à l’étage, vide lui aussi, jusqu’à arriver dans ce qui semble être une bibliothèque. La maison est spacieuse, mine de rien les ouvrages entassés ici n’ont rien d’intelligible ou de culturel, des revues médicales pour la plupart, des gros bouquins, quelques manuels de police. Mais je tombe quand même sur quelques trucs bien plus intéressants, dans le style, des vieux dossiers, dont un dossier ou je peux apercevoir des photos volées d’Irma, ou du moins, d’elle de son vivant. En bref, c’est bien son tueur qui se trouve là. Le type m’a l’air tout de même très organisé. La flemme de réfléchir à tout ça, je veux juste trouver le tueur et en finir avec lui. Chris est encore au rez-de-chaussée quand j’entends tout d’un coup un bruit sourd qui vient d’en bas. Mon cutter glisse dans ma main par réflexe et je vérifie également si mon flingue est bien à sa place. Pas dans mon pantalon, hein, je parle d’un vrai flingue. Réflexion inutile. Bref. Si je peux faire de l’humour c’est que le danger ne doit pas être si réel que ça. Dans tous les cas, il y a quelqu’un d’autre dans cette baraque. Du coup, me renseigner sur l’état de Chris en l’appelant serait assez mauvais pour moi. Pas dessus la rampe, je peux apercevoir l’entrée et la porte ouverte de la maison. Bordel, j’espère que Ginette et Irma se sont planquées, dehors. Des pas résonnent et se rapprochent, j’hésite encore a me montrer pour foncer sur mon adversaire mais j’ai un salopard de sixième sens qui vient de se réveillé et qui me chuchote gentiment qu’il y a danger. Les pas se rapprochent. Puis ils sont d’un coup sur moi.

« Bouges plus, gamin. »

Oh, merde. Une voix masculine résonne tout près de mon oreille. Foutue perception embrouillée par la résonance dans le vide. Et quand le tourne mon regard vers l’arrière, je peux apercevoir un canon qui se rapproche de ma tempe. Je suis peut-être pas une flèche mais ça me permet de ne jamais perdre mon temps en diplomatie. Mes réflexes parlent les premiers et la lame de mon cutter frappe avant que se presse la détente du type en s’enfonçant dans sa jambe, tandis que le coup du pistolet par quand même dérape et une balle me frôle et entaille mon épaule à travers mes vêtements. Je grogne et me retourne pour enfoncer de nouveau la lame sans y réfléchir, dans son bras cette fois-ci. Et je peux alors le pousser dans l’escalier pour qu’il dégringole jusqu’en bas. J’oublie momentanément la douleur quand il me vise avec le pistolet à nouveau et roule à mon tour jusqu’en bas. La balle de loge dans le mur mais il me vise de nouveau et si Chris n’avait pas surgi de la pièce d’à côté à ce moment-là, je ne sais pas trop ce qui se serait passé. Le Scorvol bloqua le type au sol et tandis que j’envoie son flingue plus loin, je l’observe en massant mon épaule sanglante, la balle aurait pu pas me rater, tiens. Bordel, ça fait mal.

« Tu veux quoi, enfoiré?! »

Tss… Et la politesse?! C’est pour les cadors? C’est lui l’enfoiré, si il savait.  Le chauve allongé à terre qui perd doucement son sang par le bras et la jambe m’observe d’un air mi-surpris, mi-colérique. D’ordinaire je crois que je l’aurais torturé pour ça, mais le temps d’Irma est compté, après tout. Soupir. Ça m’aurait pas fait de mal, et l’envie m’en aurait pas manqué du tout.

« Venger une amie, disons. »

Le visage du type se décompose bien vite. Ça lui rappelle des souvenirs, faut croire. Il se met à marmonner tout seul et à ruminer en creusant le parquet avec ses ongles.

« Tu fais quoi ici, hein? T’es un tueur? parce que ça fait pas hyper peur, tout ça. »
« Me mets pas dans le même sac qu’eux. Je ne fais que faire un travail de justicier! Je… Et puis tu vas pas me tuer, hein, t’es encore jeune tu devrais-»

Pff. Justicier. Mon cul. Avec ma nervosité, j’éclate de rire mais m’arrête bien vite pour reprendre sur un ton bien plus agressif, ma vois forte et après lui avoir mis un bon pied dans la face, qui lui fit cracher quelques dents au passage.

« Ahah, un justicier, trop mignon! Les justiciers, ça tue des fillettes? »

Dis-je lui présentant la photo d’Irma, enfin de Irma version humaine, que j’avais récupérée du dossier durant ma visite des lieux.

« Non, elle… C’était… Personnel. »
« Et t’es en train de dire que t’es pas comme eux? C’est qui « eux » ?! Bordel de merde! Je déteste, déteste, mais je DÉTESTE les types comme toi! »
« J’étais bourré, je voulais me venger de mon collègue, c’était sa fille et… »

Nouveau coup de pied dans la face, plus fort cette fois, avec toute ma force en fait, son nez ne ressemble plus a grand-chose. Et il tente de se justifier. A quoi ça sert, son sort est déjà décidé.

« Ta gueule. Juste. Ta gueule. Circonstances atténuantes, mon cul! Comme tu joues au justicier, comme tu dis, tu penses que tu vaux mieux que les autres tueurs qui zigouillent n’importe qui?! Tu penses vraiment que… Tu me dégoutes! Sale humain hypocrite inférieur de merde! Tu penses que t’es un type bien… Laisse-moi deviner… Le prochain truc que tu vas dire c’est « non, j’ai une femme et des gosses! » ils sont pas au courant de tes petits hobbies, bien sur. Tu tues des gens pour faire régner la justice, et tu penses que personne ne dira rien. Et t’as pas tord sur ce point. Tout le monde s’en fout. C’est ça. Tout le monde s’en fout, bordel! Tu fais peur à personne! »

Ma gorge brûle a force de hurler. Puis je me remets à rire. Bordel c’est tellement bon. Ça faisait trop longtemps. C’est presque l’extase.

« Alors que moi… Moi, on risque pas d’oublier le mystérieux assassin qui aura tué le mari de ta femme et de ton fiston, hein. Il vont bien voir que tu t’es fait trucider, je veillerais bien à ce que ça passe pas pour un suicide. Ça va briser leur vie. Mais les humains son ingrats tu sais, au bout d’un temps, ils vont oublier, et vivre encore plus intensément sans toi! Ou alors ils se laisseront crever dans la folie et le far niente! »

Mon cutter est de nouveau dans ma main et alors qu’il me lance les regards les plus arrogants du monde, j’en profite pour le planter au niveau du ventre, puis du cœur, à répétition, avec violence, dans tout son torse. Il gémit encore, c’est vrai que c’est pas assez rapide. Alors une balle dans la tête ça marcha tout de suite bien mieux. Là, au moins, c’était fait. Il est bien crevé. Je me lève doucement et Chris se redresse à son tour. J’espère juste que Irma est encore en vie. Enfin, en vie, c’est beaucoup dire, c’est un spectre. Finalement un soupir de bien être sort de moi et je peux me lever, presque calme, à présent. On sort enfin de la baraque et apercevons la Lugulabre de nouveau animée par des flammes fantomatiques.

« Bon timing à ce que je vois. »

La Lugulabre réagit avec entrain à ma réplique. Apparemment, l’ancienne elle dont je savais désormais le prénom avait pu partir en paix et laisser place à la nouvelle, à Irma. Iris. C’était quand même un joli nom.