Je sais même plus c’est tombé au programme de la conversation mais je crois que j’aurais préféré qu’on aborde pas du tout le sujet. Oh, et en fait je crois que j’avais pris un bière de trop et du coup, bah j’avais dit des conneries, et Riku qui était un peu moins bourrée pour une fois avait pigé le truc et s’était passée d’oublier le lendemain.  Elle est gonflée quand même. Pour toutes les fois ou elle m’a appelle en chialant ou qu’elle s’est incrustée chez moi, elle a osé se plaindre de ma présence dans son salon le lendemain. Parce que oui, j’avais dormi par terre. Dans tous les cas, je me suis fait traiter comme un malappris, réveil a coup de casserole et à l’eau, j’étais d’humeur massacrante jusqu’à ce que je me décide de me réfugier sous la douche. Enfin, bref, en sortant, elle a décidé de remettre le l'huile de la veille sur le feu.

« T’étais sérieux hier quand t’as dit que t’avais pas le Bac? »
« …Heiiiiiin? Bah, ouais, et ça m’empêche pas de vivre. Fais pas genre ça t’inquiètes… »
« Ben si ça m’inquiète! Tu fais rien de ta vie depuis tout ce temps? Nan mais sérieux, qu’est-ce que t’as branlé en attendant?! Tu m’as raconté combien de bobards depuis le début ? »
« Eh, si on en reparlait, mais genre… Après le café? Ou jamais en fait, ouais, parce que c’est clairement pas tes oignons, tu te prends pour ma mère? »
« T’es vraiment con, hein. »
« C’est toi la conne. Mêle toi de tes fesses comme c’est ce que tu fais le mieux. »
« Ahah. Je te retourne le compliment monsieur je-renifle-l’odeur-de-mes-propres-prouts-et-j’aime-ça ! »
« C’est classe ça, bravo. Riku, j’vais te le dire net : tu m’emmerdes. Bordel que tu m’emmerdes! A longueur de journée, et là t’as bien commencé, alors t’as gagné, je me casse, tu me reverras plus ici parce que c’est tout ce que tu cherches! »
« Alex… Arrêtes! Attends! »

Et voila qu’elle me barre la porte avec un air des plus déterminés. Je souffle fort pour ne pas réellement entrer dans une colère noire, le genre qu’elle a pas envie de voir du tout. Je lui demande de me laisser passer une fois… Deux fois… Trois fois. Bordel de merde elle va bouffer cette fois.

« OUVRE CETTE PUTAIN DE PORTE ESPÈCE D’EMMERDEUSE DE MERDE! »

Dis-je en frappant le battant de toutes mes forces avec mon poing. Et oui ,je sais, y'a répétition, ça fait deux fois "merde". Eh bordel…  ça fait mal, même si c’est du bois et que c’est plus souple que du bitume. Je grimace en retirant ma main et jette un rapide coup d’œil a ma cousine qui tremblote presque après que je lui ait hurlé à la tronche. Ouais, j’y vais un peu fort mais je crois qu’elle a pigé. Le truc, c’est que c’est pas tant le bac, le problème, c’est que je peux pas lui raconter tout ce que j’ai pu faire depuis que j’ai fugué. Faut que je lui dise pour le Régime, aussi. Je me demande pourquoi je lui cache en fait… Ah ouais, parce qu’elle me balancerait tellement facilement, cette idiote, une fois déchirée. Je me masse le poing avec l’autre main et constate que j’ai plus mal que prévu, qu’en fait, je viens de me choper quelques grosse échardes pas très belles.

« Eh… t’as pas une boite a pharmacie? »
« …. »
« Riku? Boite a pharmacie? »
« HEIN? Euh… Oui, oui, attends.

Dit-elle avec une toute petite voix, et elle fila dans la salle de bain sans demander son reste, je m’asseyais a la table de sa mini-cuisine et la voila qui revient avec quelques pansements et du désinfectant. Je rechigne en premier lieu, mais elle insiste pour s’occuper des échardes par elle-même. Après un soupir je la laisse faire et un silence pesant s’installe. Je crois que je lui ait fait peur. Tss, les nanas… Ce que ça peut-être fragile, des fois. Je la regarde et je la vois qui détourne ses yeux. Zut, c’est qu’elle est presque toute mignonne, comme ça.

« Disons que j’ai pas eu le temps à penser à mon bac. »
« Ça fait un bail que t’es ici, pourtant … »
« Ouais mais… »
« Alex… Je sais que tu veux pas parler de ce qui s’est passé après ta fugue mais… Je veux pas poser de questions qui seraient trop dures pour toi, mais si tu veux en parler, je suis là. »
« J’ai déjà entendu ça quelque part. »
« Fais pas cette gueule! C’est bon, à chaque fois que je suis sympa, tu te démerde pour m’envoyer chier! »
« Regardez qui parle… »
« Pourquoi tu n’en parles jamais à la fin? Tu me fais pas assez confiance? T’as tout oublié et tu veux pas le dire, c’est ça? J’veux dire, ça arrive, après un gros choc, d’oublier des  trucs, tu sais, une amnésie sélective, ça s’appelle, un truc du genre… Nan sérieux, je sais pas! Dis-moi quelque chose Alex, s’il te plaît! »
« Riku. »

Je plongeais mes yeux dans ses iris colorés de rouge sans m’en rendre compte, ma main libre se posait sur la sienne, occupée à me soigner. Bordel qu’est-ce que je fabrique, à la fin. Riku a pas l’air de piger non plus. J’ai un court soupir et lui envoie un sourire. Sincère. Réellement. Je ne sais pas du tout à quoi ça peut ressembler de son point de vue.

« Je vais bien. J’ai décidé de plus penser à d’où je viens. Les Nagel, mes connards de parents, saches que je n’en veux plus, j’ai laissé tomber. J’ai une nouvelle vie ici. Et ma vie me plaît. Vraiment. Alors ne t’inquiète pas trop pour moi et ce qui a pu arriver : j’ai pris un nouveau départ. »
« …Tu dis pas ça pour que j’arrête de poser des questions? »
« … J’te mentirais si je te répondrais que non. Mais en effet, ce serait sympa que tu arrêtes d’en poser. Je t’en pose moi, des questions? »
« Pas assez. »
« Bah alors, te sens pas obligée d’en poser. »
« Au moins, je sais que tu me racontes pas de conneries. Mais tu dis jamais rien, c’est pas mieux. »
« Bah, si t’es sage, peut-être que je t’en dirais plus. »
« Pfff… Tu crois que j’ai quel âge au juste? »
« AÏEUUUH! »

Elle venait de faire exprès de me retirer cette fichue épine de façon à ce que je souffre bien comme il faut. Ah, la garce! Je m’étais également rendu compte de la position embarrassante de nos mais et m’étais retiré en levant les yeux au plafond. Je suis déjà assez taré comme ça, manquerait plus que je devienne bipolaire en plus. Eh mais attends… Je le suis déjà! Riku se mit à rire doucement, mais elle m’observait avec un air un peu triste. Rien savoir, c’est chiant, c’est sur. Mais elle veut pas savoir. Elle au moins, j’ai envie de la protéger. Ça ne me ressemble pas. Je sais pas pourquoi j’y tiens tant. Même Sky, je n’ai pas envie de le protéger. Pas comme ça. Mais je n’accepte pas de mentir à ma cousine non plus. C’est ça qu’elle préférerait? Que je lui mente? Hé, Riku, la vérité, c’est que je fais partie du Régime, et que je torture des gens! Ah et tuer en les égorgeant c’est cool aussi! Je sais même pas si je le reverrais un jour si je lui disais. Et voilà, j’ai peur de la perdre. Merde. Dans quoi je me suis encore fichu.

« Alors, on parie combien que tu as ton Bac si tu le passe, là, dans le mois qui va venir? »
« Bof, il doit être trop tard pour s’inscrire de toute manière. »
« Wah, j’y crois pas… Tu te dégonfles? »
« Quoi? »
« Tu te dégonfles, t’as pas envie de perdre le pari, et tu te dégonfles! »
« Pardon?! Nan mais j’ai pas dit que je jouais! Et puis, franchement, si tu l’as eu tout le monde peut l’avoir, tu joues mais tu sais que tu vas perdre! »
« Bah, alors, pourquoi tu joues pas? »
« … Ça me fait chier. »
« T’es juste un gros dégonflé. En fait, tu te sens pas cap, c’est trop dur pour toi, hein! »
« … QUOI?! Ok, écoutes : la littérature je vais gérer comme un porc, la philo, ils vont pas aimer, mais mon raisonnement sera implacable, l’histoire, de toute façon, c’est toujours les guerres mondiales qui tombent ou la Guerre Froide, alors fastoche, anglais, allemand, les doigts dans le nez, le français, bah, on verra, hein, mais ça doit être facile et… »
« Ouais, mon gars, j’te sens super motivé, là! »
« Motivé, mon cul! »
« Allez, je viens avec toi si tu veux! »
« …Fais chier… »

Bref, c’est comme ça, qu’il y a un peu plus d’un mois, Riku m’a emmené dans un lycée de Zazambes (bien sur, si je demandais d’aller à Amanil parce que ce serait plus simple, je me faisais encore traiter de dégonflé) pour m’inscrire au Bac. Et elle a tellement insisté auprès de la dame que les administrations on plié devant sa volonté. Impressionnant. Elle doit pas avoir de soucis avec la mutuelle, celle-là. Et me voila, aujourd’hui, devant un panneau et une liste de noms. C’est fou tous ces gens qui ont zappé le Bac et viennent le passer à la bourre. Bien sur, Riku est bien plus appliquée que moi à tenter de trouver mon nom.

« Alex…. »
« Quoi? »
« Désolée tu… T’y es pas…. »
« …Bah, si j’y suis, t’as juste mal regardé. Regarde : Irvin Highdown. »
« … C’est pas toi, ça, t’es con! Tu chies tellement dans ton froc que sais plus comment tu t’appelles?! »
« Charmant, Riku. T'es sur que t'es pas un mec a qui on aurait coupé les trucs, en réalité? Nan mais, oui, mais c’était mon nom de candidat. »
« What the fuck? Pourquoi t’as besoin d’un faux nom?! »
« Mais arrêtes de gueuler! »
« Sérieux, Alex, c’est quoi ton trip? »
« … Peut-être que j’ai pas envie d’être fiché dans des dossiers scolaires ou certaines personnes pourraient me retrouver? »
« … Certaines personnes? Ah, tu veux dire… Helmut? »
« On est jamais trop prudent, hein.»

C’est vrai, j’ai pas envie qu’on me piste ici, mais depuis le temps, je crois qu’ils ont lâché l’affaire. Ça, c’est la version pour Riku. L’autre version, c’est que j’ai pas envie de m’emmerder avec des administrations scolaires. Et la dernière c’est parce que… C’est une identité que Soltan m’avait refilé, il m’a refilé quelques passeports en fait, en me disant que dans ma situation, ça pourrait me servir, et je m’en suis jamais servi. Je voulais voir ce que ça faisait et si ça marchait vraiment, voila, c’était l’occasion. Ça coutait rien d'essayer, et ça a marché! Bah, oui, c’est pas comme si des Résistants pouvaient oser me courir après de toute façon! Et puis, on sait jamais, si un jour j’ai envie de faire des études (mais ça m’étonnerait quand même un peu).

« FUCKING SHIT! ALEXOUILLE! »
« Quoi? »
« T’AS UNE MENTION! »
« Bah, ouais, normal, c’est moi, quoi… »
« OUAIS NAN PAS NORMAL! T’es censé être CON! »
« NAN MAIS TU TE CALMES! »
« T’es chiant hein! Tu pourrais faire un truc prévisible pour une fois, ça te tuerais? »
« Bon, en attendant, tu m’dois pas quelque chose? »
« Raaaah, ok, on va la boire cette bière! »
« Une bière, tu te fous de moi, là? »

Petite joueuse, on voit tout de suite qui se dégonfle, maintenant!