« Ludwiiiiiiiiiiiiicheuuuuuuuuuuuuuuh! »

Je gueule trop souvent pour avoir des extinctions de voix facilement, mais là, je dois avouer que je fatiguer un peu. Le fait que la pluie soit revenue en plus n’arrange pas mes affaires, et je parie que derrière ce rideau aquatique, il est difficile d’entendre ma voix. Je m’appuie temporairement contre un arbr pour reprendre mon souffle. Courir dans la boue et dans la végétation luxuriante de ces lieux n’aide pas. De plus, mes Pokémon volants ne sont que d’une utilité limitée par ce temps, et ne peuvent pas voir à travers les cimes des arbres. Cette jungle est grande, et je n’ai aucune idée d’où je suis. Grâce à la lame de mon couteau, je continue de trancher à travers la pampa pour me dégager un chemin, sans savoir ou je peux bien aller. Je crois sans trop m’avancer que je dormirais fort bien ce soir. Blague à part, je me refuse à abandonner. Je ne peux pas encore me dire que j’éprouve de l’affection pour Ludwig. Je ne le connais à peine, bien que le fait qu’il soit mon jeune frère suffit à me faire sentir investi d’une mission envers lui. Bien sûr, il est mignon, je ne peux pas le nier. Je n’ai pas de faiblesse ou de compassion particulière devant les gosses, après tout, je n’avais pas culpabilisé une seconde lorsque j’ai kidnappé Crystal Ikeda-Weber. En fait, je n’aime pas vraiment les enfants. Et je dois dire que la perspective que Ludwig soit un trouillard potentiellement pleurnichard m’irrite quelque peu. Mais encore une fois, ce qui compte à mes yeux est qu’il soit mon frère, cela me suffira potentiellement pour m’intéresser à lui et trouver l’envie et les bons chemins pour l’élever. Il ne faut juste pas trop m’en demander d’un coup. Je suis pas une flèche, et j’ai encore moins la science infuse dans le domaine de la puériculture. Je réfléchis assez fort pour garder ma concentration présente, mon corps se faisant de plus en plus lourd. Kaiser montre également quelques signes de fatigue, mais m’encourage à continuer.  

C’est souvent ce genre de moments qu’elle choisit pour apparaître, ces temps-ci. Quand je suis quelque peu en détré- Merde. J’ai failli penser que j’étais en détresse. Enfin, dans tous les cas, Irina vient généralement pour me rassurer, désormais. Ou alors c’est moi qui cherche à me convaincre que tout ira bien? Ah, les voies de ma psychiatrie sont impénétrables. Alors que je suis de nouveau à l’arrêt, ma jumelle pose une main affectueuse sur mon avant-bras.

« On va le retrouver, Lex. »

Oui, j’en suis sur. J’observe l’apparition avec un faible sourire. Elle est l’inverse de ma mauvaise foi, elle vise toujours juste sur ce que je ressens, et je ne peux rien lui cacher. J’y ait renoncé, par ailleurs, depuis le temps. Avec elle à mes côtés, mes sens sont étrangement plus affutés, et une force nouvelle m’envahit. Kaiser me regarde progresser de nouveau d’un air perplexe, ne comprenant pas à qui je m’adresse tout en continuant mes recherches, tout en explorant de nouveaux endroits des berges et de l’orée de la forêt.

C’est facile, pour elle, hein, elle ne peut pas être mouillée par la pluie. Forcément, si c’est moi qui l’imagine, elle est comme une apparition, je n’ai pas réellement l’envie de me tordre encore plus les neurones pour m’imaginer que la pluie l’affecterait. Certes, cela rendrait Irina plus réelle et vivante encore, mais je crois que la lucidité qui me reste m’en empêche. Néanmoins, je suis content qu’elle soit là en ce moment. Depuis quelques temps, elle apparait souvent à point nommé. Son soutient imaginaire m’évite celui des autres, c’est plutôt pratique. Je me demande parfois si ce n’est pas une autre solution d’être certain de garder ma solitude sûre. Passons, je crois que c’est bien ordinaire qu’Irina veuille m’aider pour toute cette histoire : il s’agit également de son frère, après tout. Néanmoins, quelque chose me turlupine alors que nous progressons sous la pluie, attentifs à ce qui se passe tout autour de nous. Il faudra que je parle à Ludwig de nous, d’Irina et moi, je veux dire. Je ne sais pas encore bien de quelle façon il a pu s’informer de notre existence, ce n’est pas bien clair, je sais que Helmut et Martha auront tout fait pour lui cacher notre existence et nous faire oublier. Il faut croire que Ludwig est un petit fouineur trop curieux. Mais, dans tous les cas, que lui dire à propos d’Irina. Je ne sais pas bien si il pourrait comprendre la relation qui m’unit désormais à ma jumelle, ou la façon dont ce lien s’est détruit peu à peu pour se reconstruire de manière assez tordue par après. Autre chose m’attriste un peu…

« Je sais que Ludwig ne pourra pas me voir, tu sais. Ne t’inquiète pas. »

Exactement. Ludwig ne pourra pas voir sa grande sœur comme je la vois encore. Elle est réellement à mes côtés, que ce soit une façon de nier  encore pour me sentir bien, ou de continuer de faire mon deuil, qu’importe, du moment qu’elle est à mes côtés quand j’ai besoin d’elle, et que je peux vivre ma vie sans plus me torturer avec cette histoire. Mais, dans tous les cas… Je n’ai pas envie d’élever Ludwig dans le mensonge de ma propre nature.

« Mais, je veux qu’il puisse au moins ressentir ta présence à ses côtés. »
« Tu sais Lex, c’est juste toi qui… »
« Je sais. Mais je ne veux pas lui mentir à mon sujet. Bon, j’vais pas tout lui dire, ce serait moche, mais au moins, à ton propos, je veux pas mentir. »

La blanche ne réagit pas et me regarde continuer de chercher. Je me retourne pour l’observer d’un regard interrogatif, en arquant un sourcil.

« Bah, quoi? »
« Rien. Tu as changé. Et tu feras un bon grand frère, si tu continues ainsi. »

La remarque me fait bien entendu s’empourprer légèrement mes joues et je me mets à fouiller frénétiquement dans un buisson, alors que ma jumelle se moque de mon attitude avec un rire discret.

« Arrêtes de souligner ma niaiserie, abrutie, je galère suffisamment comme une merde molle a cause de toute cette histoire! Va te faire! ...Et prends pas cet air choqué quand je dis des gros mots, on dirait Papa. »
« Je n’ai rien dit! »

C’est ça. Et on aurait même pu voir une auréole au dessus de sa tête. Ben voyons.

Quand j’ai eu fini de grogner comme un abruti, et que Irina n’est plus parvenu à camoufler son amusement, nous sommes revenus plus sérieusement à nos recherches. Probablement que j’arrive à bouts de nerfs, ça expliquerait que je sois si mou. Mais passons. J’ai été à bouts de nerfs ces derniers temps, et même après trois jours passés à écraser, j’ai déjà de nouveau envie de m’effondrer sur le sol pour dormir. C’est ça, je dois être dans une période molle. Vivement mon prochain match de ligue, et il ne faudra pas s’étonner si je suis un peu plus… vif. Vivace, même. Molto molto vivace, m’voyez. Bref. Irina me passe devant mais je tiens à rester au devant de la marche. Je consulte ma montre, cela fait presque trois heures que je l’ai perdu, et le temps n’a pas l’air décidé à s’améliorer. Bordel, il va attraper la mort, si ça continue comme ça. J’appelle de nouveau, ma voix pourtant d’habitude résistante commence à s’enrouer, à force et je remonte mon col pour éviter que ma gorge en prenne un coup. Je tiens à ma voix, mine de rien, bien que je n’ai jamais vraiment a tenu à le montrer à quiconque. J’ai toujours aimé chanter, quand personne ne me regarde. J’ai beau me donner un air de chieur gueulard professionnel, je prend soin de mes cordes vocales, en réalité. Et j’aurais en horreur qu’on découvre mon talent pour le chant. Je sais pas pourquoi. C’est quelque chose d’intime, pour moi. C’est comme les gens qui écrivent des poèmes personnels et qui n’ont pas envie d’en faire part au monde entier, mais seulement a quelques privilégiés. Au final, je ne crois pas que quelqu’un m’ait déjà entendu chanter. Même Sky ou Riku. Enfin, eux, ils l’ont entendu, ma voix, mais peut-être pas exactement de façon mélodieuse. Quoique… quand on entend certains pans de la musique contemporaine de nos jours , on se dit que les concepts de « mélodie », d’ »harmonie » ou de « musicalité » ont radicalement changé de standards… Mais certainement suis-je aussi un vieux gars qui n’y connait pas grand-chose dès que ça sort du répertoire savant.

J’ai la sensation de m’éloigner du sujet qui nous intéresse… Ah, oui, Ludwig. Je me secoue un peu et cligne des yeux en me massant les tempes, mes paupières se mettent à s’alourdir, à force. Mes pas sont lourds, eux aussi. Et si la présence d’Irina avait allégé ma marche, eh bien, cela n’est plus aussi effectif qu’avant. Parlant du loup, ma sœur se rapproche comme prête à me soutenir. Je l’empêche de plus s’approcher d’un geste de la main, et mon regard se relève à temps sur un élément du décor qui éveille mon attention. Et visiblement, la sienne aussi. Une petite silhouette vient de se réfugier dans une sorte de nid au bord de l’eau. La demeure d’un Pokémon aquatique. Cela ressemble à une assez grande hutte de castor, mais elle est bien placée, à l’abri de la pluie et du vent, dans le creux d’un rocher. Alors que je vais pour me tourner vers ma jumelle, celle-ci a disparu. Tout d’un coup pressé, j’accélère le pas en direction de la petite hutte, en appelant le prénom de mon jeune frère…

De plus près, cette petite cabane ne semble assez grande pour arbrier un gamin de la taille de Ludwig. Quelque part, je suis un peu soulagé de pense qu’il aura été a peu près protégé de la pluie en venant se planquer là-dedans. Maintenant que je suis tout près, j’ai des réticences à regarder dans le terrier, redoutant de ne pas y trouver mon frère du tout. Ou de le trouver dans un sale état. Mais ce n’est pas mon frère qui sort alors de là, mais deux jeunes loutres qui croisent les bras devant moi, l’air protecteur. Le Moustillon et le Mustébouée m’observent sévères pendant quelques instants, et je le rends au centuple leur regard méchant. Est-ce que j’ai vraiment l’air d’avoir le temps de jouer au jeu du regard qui tue avec des loutres? Je fronce les sourcils et m’apprête à les chasser, mais une petite voix affaiblie se manifeste alors depuis l’intérieur du terrier, que je reconnais immédiatement. J’appelle mon petit frère et la petite tête blonde sort finalement sous la pluie, pour me fixer, avant de détourner les yeux. Les deux Pokémon aquatiques me dévisagent toujours, mais s’écartent avec peur quand j’approche le blondinet en train de renifler sous la pluie. Je ne sais pas pourquoi mon sang se glace quand je réalise que le front du gamin est brulant malgré l’air rafraichi. Ludwig se met à tousser et à grelotter, et moi, je ne sais pas quoi faire et je me mets à paniquer comme un con. Et cela contamine les deux jeunes loutres qui se mettent à courir en tous sens  à la recherche de quelque chose pour soulager la fièvre du blondin. Quand mon cerveau se remet finalement en marche, j’arrive à attraper Ludwig pour le porter dans mes bras et l’emmener jusqu’à une clairière d’où Lizbeth pourra nous transporter. Je n’ai pas le temps de me maudire et le Moustillon et le Mustébouée nous rejoignent au pas de course. Je ne dit rien, car ils semblent s’être attachés à Ludwig, et je les laisse grimper sur l’aimable Bruiverne avec nous… Ouais, tant qu’à faire, Ludwig va certainement faire la tronche, mais il sera certainement content de trouver ces deux amis Pokémon a ses côtés… Je crois.

Après un vol difficile sous la pluie battante, le ciel se dégage arrivés au niverau des montagnes et nous atterrissons devant la ferme. Marilyn qui jouait certainement à salir le plus possible ses vêtements dans la boue sous le regard blasé de son père et provoquant l’hilarité de Riku nous aperçoit et fait de grands signes en criant des « Luuudeuwiiiichhheuuuuh! ». Mais son enthousiasme se calme bien vite quand elle détaille un peu notre état, et le silence se fait. Riku et Soltan m’observent mitigés.

« Euh, les mecs, qu’est-ce qui vous est arrivés? »
« Ne me dis pas que tu as encore laissé Ludwig tomber à l’eau?! »
« Alex, allo? ici la Terre, on te cause! »
« … j’l’ai perdu… »
« Hein? »
« Oh et puis merde vous voyez bien qu’il a de la fièvre et qu’il va morfler, là! »
« Mais comment t’as fait ton compte, encore? On peut pas te confier un gosse. »
« FERMEZ VOS GUEULES, VOUS M’AIDEZ PAS, LA, PUTAIN! »

Ludwig se met à gémir et à sanglotter qu’il a mal à la tête dans mes bras et la panique devient générale, Riku se met à tourner frénétiquement en rond à la recherche que je ne sais quoi, et Soltan, lui, échappe sa clope de ses mains. Quand à Marilyn, elle se met à crier des choses en japonais auxquelles Riku répond en bafouillant. Et moi, je me mets à leur gueuler d’arrêter des paniquer alors que je suis celui qui panique le plus dans cette histoire et… Bref. Cela ne fait que 24h à peine que je côtoie mon petit frère et j’ai l’impression que c’est l’Apocalyspe avant l’heure. Prenez mon conseil, sortez toujours doublement couverts.