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 Les maux du cœur III ; Au cœur de l'incertitude il y a toujours de l'espoir, si fragile soit-il. [OS]

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Solène E. Weber-Ikeda
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Série d'OS - Les maux du cœur :


Au cœur de l'incertitude il y a toujours de l'espoir, si fragile soit-il.
Clinique Connors à Amanil, du 11 septembre au 12 octobre 2015.


11 septembre 2015.

Je savais que Camélia n'était pas du genre à masquer des informations, & qu'elle avait donc tout dit sans détour, sans hésitation, à ma sœur & son compagnon. Qu'elle préférait agir ainsi quitte à ce que les parents ne comprennent pas tout, l'obligeant à expliquer encore plus simplement si possible, que de les laisser dans l'ignorance & la peur de l'inconnu. Au moins, ils savaient à quoi s'attendre. Troublé, le couple Watson n'avait posé aucune question, se contentant de se blottir l'un contre l'autre dans le silence ; ils avaient parfaitement compris, nul doute, sinon ils auraient demandé à comprendre. Ils avaient compris ce qu'il se passait, mais n'arrivaient pas à se poser le reste des questions qu'ils auraient pu poser, trop secoués encore ; alors la sage-femme & pédiatre avait pris congé, respectueusement, pour les laisser digérer & se reposer un peu si tant est qu'ils y parviennent, & j'avais dit la raccompagner pour quitter la pièce avec elle. Quelques pas dans le silence avec elle, le temps de s'éloigner un peu, & elle avait poussé un frêle soupir las avant de tourner le regard vers Louna, qui me suivait comme toujours de près, & moi.

- Que voulais-tu demander de plus? Non, plutôt.. Par où dois-je commencer?
- Par une date. Quand penses-tu pouvoir intervenir?
- Le bébé n'est pas stable. Pas du tout, & je doute qu'on parvienne à le stabiliser beaucoup plus qu'actuellement. Il va falloir faire le déplacement aussi tôt que possible, mais d'abord on doit réfléchir à comment, sans créer un danger supplémentaire. Le principal problème, c'est le fait qu'il soit prématuré ; non seulement son système respiratoire est rendu défaillant par sa malformation cardiaque, mais en plus il n'est pas complètement opérationnel. C'est presque un miracle que le bébé ait pu naître en vie ; ça démontre en tout cas une envie de vivre impressionnante. Mais sur un corps si petit, qui ne parvient pas à s'assumer même un petit peu sans une assistance maximale.. Pratiquer l'opération sera difficile. Je ne peux pas fixer de date pour l'instant, pas tant que je n'aurais pas pu l'examiner avec les équipements de la Clinique Connors ni vu son évolution dans un environnement hospitalier moins débile.
- Je vois.. Donc tu appelles ton mentor, & ensuite on attend?
- C'est ça à un détail près : vous attendez, je fais tout pour intervenir au plus tôt, & sauver cette petite vie si je le peux. & je vous tiens informés de tout, bien évidemment.
- Très bien.. Merci, Camy. Merci d'essayer, & même juste d'être là.

Un sourire s'esquissa sur les lèvres de la jeune femme, sincère, & pour toute réponse elle hocha la tête ; réitération muette de la promesse qu'elle venait de faire encore & encore tacitement. Celle de tout tenter, même l'impossible, pour éviter à cette petite famille de subir la pire des épreuves.


12 septembre 2015.

Cela n'avait pas traîné. Je n'en étais guère surprise en soi, connaissant Camélia & ce qu'elle avait pu me dire de son mentor (que je n'avais rencontrée qu'occasionnellement mais qui m'avait fait une excellente impression), cela ne pouvait que se faire rapidement. La solution pour transporter le bébé en limitant au maximum les risques jusqu'à la capitale Amanil avait été trouvée bien vite, & mère & enfant avaient été transférés presque aussi tôt vers la Clinique Connors. Là-bas, le Docteur Mélinda Connors avait mis à sa pleine disposition tous les équipements néonataux qu'elle possédait, ainsi qu'une infirmière pour suppléer sa propre équipe, & une interne dont Camy disait avoir demandé explicitement la présence, mais que nous n'avions pas rencontrée encore puisqu'elle n'était censée n'être présente que pour observer l'intervention.
La pédiatre/sage-femme avait d'ores & déjà commencé ses multiples examens sur le bébé, & nous promettait encore de revenir vers nous sitôt qu'elle aurait des nouvelles. & entre-temps j'avais transmis aux parents tout ce qu'elle m'avait dit la veille, lorsqu'ils avaient commencé à digérer suffisamment la nouvelle pour poser les questions qui leur manquaient. Ils avaient peur, je le savais, cela se sentait. & je faisais donc tout mon possible pour passer un maximum de temps avec eux, prenant sur tout mon temps libre pour les soutenir ; suppléant sur ce point beaucoup Maelys qui tentait d'en faire autant, mais ne pouvait pas vraiment se le permettre puisqu'avec le congé donné au jeune papa pour qu'il reste auprès de sa compagne blessée & leur enfant malade, elle avait une intense surcharge de travail à supporter. Je lui avais laissé ma jeune Ptiravi, éclose trois semaines plus tôt à la Pension de mon époux, en guise d'aide ; mais la petite Leana n'était pas encore capable d'offrir une grande assistance médicale. Elle se contentait d'apprendre, avide de connaissances sur le sujet, & d'effectuer quelques gestes de temps en temps ; enfin, au moins sa présence servait-elle à apaiser un peu tout le monde au Centre, à les détendre & leur rendre le sourire alors qu'ils s'inquiétaient pour leur collègue & la jeune sœur de la Médecin-chercheur. Il ne nous restait plus qu'à attendre les résultats, & le moment de l'intervention.


25 septembre 2015.

Les nouvelles arrivaient, petit à petit. Le bébé n'était toujours pas stable, son petit cœur peinait à alimenter correctement son corps puisque le lien avec ses poumons défaillait, mais il grandissait correctement pour un préma, & ses systèmes inachevés devenaient de plus en plus opérationnels ; c'était un net espoir. Bien frêle tant que l'opération n'avait pas été tentée & qu'on ne savait donc pas si elle réussirait, mais bien présent. & ses parents s'y accrochaient farouchement, chaque fois qu'ils allaient voir leur enfant qui restait en couveuse, protégé du monde extérieur qui serait pour l'instant trop dangereux pour son petit corps fragile. Judith n'avait pas attendu plus de deux minutes après avoir pu se lever & s'assoir dans un fauteuil pour effectuer cette démarche, & désormais elle passait le plus clair du temps où on l'autorisait à prendre le fauteuil & quitter sa chambre auprès du bébé, tenant entre ses doigts sa petite main. Elle se remettait peu à peu physiquement, mais moralement.. Tant que l'état du bébé ne serait pas fixé "définitivement", elle n'y parviendrait pas. & la pression des journalistes posant mille questions sur sa disparition des écrans depuis l'accident & l'absence totale de communication dès qu'elle allumait la télévision ou attrapait un journal.. Ce n'était clairement pas pour l'aider.


3 octobre 2015.

- Si cela continue en ce sens, nous tenterons l'opération d'ici une semaine.
- En quoi consiste-t-elle?
- Rien de bien compliqué en soi, la majorité de sa réussite dépend de la capacité de votre enfant à l'encaisser. Nous allons effectuer une petite piqûre sur sa cuisse, & nous passerons un petit fil jusqu'à sa veine pulmonaire par guidage visuel, grâce à une mini-caméra à l'extrémité du fil. Puis, en quelques sortes, nous "regonflerons" la veine grâce à notre fil ; en somme, il s'agit de tenter de dilater la veine, afin de dilater la valve obstruée. Si comme je le suppose il s'agit juste de deux des parties de la valve qui sont collées, ça devrait suffire, & dans le cas où l'opération réussirait il n'y aurait plus besoin d'y revenir. Si c'est par contre la veine qui est juste trop mince, alors il se peut qu'elle ne grandisse pas, & qu'on doive simplement répéter l'opération à l'adolescence. Enfin, le fait que le bébé ait survécu jusqu'ici malgré son double handicap pulmonaire.. Je ne vous cache pas que cela me donne bon espoir. Les risques restent élevés certes, mais ils ont beaucoup diminué depuis sa naissance. Si son état ne change pas d'ici à l'opération, je donne 50% de réussite.

Comparés aux pas plus de 5% grand maximum du départ, c'était presque miraculeux ; & s'ils étaient toujours aussi inquiets & effrayés, les deux parents ne dissimulèrent pas leur soulagement & leur espoir. Un frêle sourire, devenu rare ce dernier mois, s'esquissa sur les lèvres de ma jeune sœur alors qu'elle caressait les petits doigts de son enfant toujours en couveuse. Elle y croyait, voulait y croire, de tout son être. Silencieux, Eugène avait enlacé ses épaules après s'être assis près d'elle, lui qui était resté jusque là debout derrière elle, avec juste une main posée dans le dos de la jeune femme. Ils étaient emplis d'un espoir chétif mais palpable, qu'ils n'osaient pourtant pas trop encourager de peur des 50% restants. Respectueuse quant à moi, je restais un peu à l'écart de cette scène si fragile & émouvante, de ces deux parents à mi chemin entre espoir & inquiétude, face à leur enfant malade qui faisait tout pour vivre & voir le monde, cet enfant qu'ils souhaitaient tant porter à la lumière & voir grandir.


11 octobre 2015.

Jour J. Camélia a annoncé hier qu'elle programmait l'opération pour le soir du 11, qu'elle estimait que c'était le moment. J'étais donc venue une heure avant celle annoncée, en soutien aux deux parents qui allaient rester dans la chambre de Judy, dans l'inquiétude & le doute, jusqu'à la fin de l'intervention ; même si une aide-soignante venait régulièrement les tenir au courant ça ne changerait rien à leur état, alors je ne pouvais les laisser seuls. Crystal était avec moi cette fois-ci, & maman avait promis de passer dans la soirée prendre des nouvelles, après avoir été voir papa qui n'avait toujours pas quitté son coma. & puis Camy était passée à la néonat' chercher le bébé pour l'emmener au bloc, accompagnée de l'infirmière que le Docteur Connors avait assignée pour assister son équipe, souriant au couple avec toute l'assurance qu'elle pouvait, me lançant un regard entendu, & saluant Crystal avec chaleur également. Puis elle était partie, emportant la couveuse, & nous avions rejoint la chambre où Judith résidait toujours à la Clinique, un peu en observation, & surtout parce qu'elle refusait de s'éloigner trop de son bébé.
Alea jacta est. Il ne nous restait plus qu'à attendre que l'opération s'achève.

& nous attendîmes bel & bien. Crystal déployait des trésors de bonne humeur & de joie de vivre pour détendre l'atmosphère, faire passer le temps, & les deux jeunes parents s'y montraient aussi sensible que possible ne serait-ce que pour saluer son effort. Maman passa bel & bien, une heure après le départ de Camy pour le bloc ; nous avions déjà reçu les premières nouvelles, comme quoi l'intervention avait commencé & que pour l'heure tout se passait bien. Elle dû repartir au bout d'une demi-heure, mais ne manqua pas de prodiguer encouragements & soutien au jeune couple auparavant, bien confiante même si dans un cas de 50-50 cela pourrait sembler surprenant. Elle avait dit qu'en riant que l'enfant d'une Weber croisée Torrès & d'un Watson buté comme Eugène ne pouvait qu'avoir une rage folle de vivre, & qu'il ne faisait aucun doute pour elle depuis le départ qu'il ferait tout pour voir le soleil un jour, que ce bébé allait se battre & même vaincre. Un petit rire désabusé avait été la réponse de ma sœur, mais sa reconnaissance se voyait dans son regard alors que notre mère s'en allait.
& puis finalement, après deux longues heures insoutenables, la porte s'ouvrit. & une exclamation de joie soulagée échappa aussitôt à Judith alors qu'une larme de joie coulait sur la joue de son fiancé, alors qu'une Camélia fatiguée mais souriante annonçait que le bébé était sauvé, & sous surveillance au service néonat'. L'opération s'était bien passée. L'enfant avait survécu.


12 octobre 2015.

Puisqu'il était tard & que Crystal devait dormir, j'avais laissé les amoureux à leur euphorie qu'ils s'étaient empressés de faire partager à toute la famille à renfort de SMS afin de ne risquer de déranger ou affoler personne à 22 heures. Ils étaient sur le point d'aller voir leur enfant malgré l'heure tardive, lorsque nous avions finalement quitté la Clinique. Quand je revins le lendemain matin, seule cette fois-ci, ils étaient tous deux dans la chambre, les traits moins tirés que lorsque l'inquiétude oppressante de voir le bébé mourir d'une seconde à l'autre les privait de sommeil.. & le petit bout se trouvait dans les bras de sa maman, débranché de toute machine, alors qu'Eugène se tenait sur le bord du lit, un bras autour de la taille de Judy. Un large sourire s'esquissa sur mon visage, comprenant que l'opération avait été un succès suffisant pour permettre à l'enfant de respirer seul en un temps record ; maman avait raison, la rage de vivre l'animait véritablement. Ma sœur ne tarda pas à me confirmer cela, le regard brillant comme cela n'était plus arrivé depuis l'attaque qui avait manqué de l'emporter avec son enfant à naître, affirmant qu'un premier test avait été fait après que l'enfant ait repris conscience la veille, & un second plus durable ce matin, avant qu'on leur amène le petit bout en leur faisant promettre de bipper au moindre problème, & en jurant de venir surveiller toutes les heures pour le moment. Nous avions discuté un moment, doucement pour ne pas réveiller le bébé qui s'était assoupi ; puis celui-ci avait ouvert ses yeux bleus sur ses parents, qui s'étaient tus pour pencher sur lui un même regard doux & attendri.

- Eliza.. On voulait te donner ce nom parce que dans le monde actuel, tu auras besoin d'être forte.. Ca ne se justifie que mieux maintenant, n'est-ce pas?
- Eliza Angie Watson.

Mon cœur manqua un battement en entendant ce nom complet intégrant le nom de ma défunte jumelle, soufflé par ma plus jeune sœur qui releva aussitôt les yeux vers moi, un fin sourire aux lèvres. Terrifiés à l'idée de perdre leur petite puce jusqu'ici, ils ne l'avaient pas encore nommée officiellement, & n'avait dû parler d'elle par son nom qu'entre eux ; sinon pour tout le monde, elle était l'enfant, le bébé ou la petite. Sans doute avaient-ils eu peur que la déchirure soit d'autant plus grande de la perdre si la réalité de son risque mortel était appuyée en donnant son prénom pour parler d'elle.. Je l'ignorais. J'avais fait bien des suppositions, mais je n'aurais jamais osé juger, osant déjà à peine imaginer ce qu'ils pouvaient ressentir dans leur situation.. J'avais simplement respecté. Un léger sourire s'esquissa sur mon visage également, alors que je hochais la tête doucement.

- Elle aurait été honorée & ravie.

Ce n'était qu'un murmure, mais un murmure profondément ému. D'une part pour l'hommage clair & net non seulement à ma petite jumelle dans ce second prénom, mais aussi à celui à notre regrettée présidente devenue symbole de la liberté dont elle portait le prénom. Mais aussi un peu du fait d'assister au moment où ils baptisaient finalement officiellement leur fille. Un moment particulier & privilégié.

- & tu seras sa marraine, n'est-ce pas grande sœur?

Dire que je tombais des nues à cette question aurait été mentir. Judy m'était très proche, & pendant la grossesse il lui était arrivé de sous-entendre cette idée très subtilement ; & puis j'avais été là chaque jour plusieurs heures depuis le 11 septembre, pour les encourager, voir évoluer cette petite & la regarder se battre pour vivre. Non pas que j'ai visé ce titre, loin de là! C'était juste mon rôle de sœur de le faire, & j'étais la seule de la famille à pouvoir être présente aussi souvent, pour chaque instant de leur calvaire, bien que tout le monde ait fait en sorte de passer autant que possible & de les soutenir au maximum. Mais je comprenais que cela puisse appuyer un choix prédéfini, en tant que mère c'était sans doute ce que j'en aurais pensé. & même si en un sens je m'y attendais un peu.. Cela ne m'empêcha pas d'être profondément émue, touchée & honorée, alors que d'un simple hochement de tête je signifiais mon affirmation. Peu importait le pourquoi du comment au fond ; seule comptait la marque de confiance qu'ils m'accordaient là.



fiche by Nighty Jaegan, alias Rayquaza.
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