Mon regard vide scrute le comptoir du bar, sur lequel est posé un verre de mon alcool favori : un Gin Tonic. La boisson que j’adore d’habitude n’a aucune saveur ce soir. Je suis partie comme une voleuse depuis ce matin. J’ai laissé Liza sur place, avec Alex et Ludwig. Voir mon cousin revenir et ne rien dire comme à son habitude me fait souffrir de manière abominable. Je n’ai pas fermé l’œil, sachant qu’Alex a demeuré inconsolable pendant toute la nuit. Même entouré de ses Pokémon, probablement de la présence imaginaire d’Irina, il semblait si seul. Je suis descendue sur le palier, mais n’ai pas osé m’approcher plus, j'ai baissé les yeux en le voyant de dos en train de pleurer en silence. C’est à l’aube que je suis partie, le laissant alors qu’il avait rejoint la chambre ou Ludwig s’est assoupi. Je ne sais pas pourquoi j’ai ainsi erré. Je sais que les réponses viendront en temps voulu ,et que le craquage de mon cousin était du en grand partie à un énorme soulagement du fait de sa victoire, et car nous sommes en paix. Nous n’avons plus à nous inquiéter pour le moment, je crois. J'essaie de me rassurer comme je le peux. Je continue de fixer le liquide trouble, et regarde l’heure en allumant mon portable. Des appels en absence de ma grande sœur Liza par dizaine sont notifiés par mon phone accompagnés de SMS. Je soupire. Pardonne-moi Liza, pas aujourd’hui. J’ai besoin d’être seule comme Alex en avait besoin hier soir. Je peux le comprendre. J’espère juste que ces deux là ne se seront pas entretués pendant mon absence… Quoiqu’avec leur fatigue, ils auront peut-être pioncé toute la journée. Je ne m’inquiète pas trop, finalement, et je ferais mieux de m'occuper de moi. Je fais craquer mon cou en écoutant la musique jouée par les groupes défilant sur la petite scène. Des amateurs de manière générale, mais j’aime ce genre d’ambiances : on y trouve souvent de bonnes surprises, et c’est l’occasion de sympathiser avec des gens ayant la même passion musicale que moi. Même si je ne me sens pas trop d’humeur en ce début de soirée.

« Hé, dude, c’est qui qui va passer après ce groupe? »

Je demande au barman, d’un air distrait, alors que la musique vient de s’arrêter et que les musiciens sont en train de distribuer des saluts et des remerciements. Le type du bar m’informe qu’il s’agit d’une jeune femme répondant au nom de Rysa. Probablement un pseudo, comme les autres chanteurs de la soirée. Une partie de moi est curieuse de l’entendre, l’autre est toujours absente, j’attends que la musique reprenne, et j’avale une gorgée d’alcool. Je ne sais pas trop ce que je fais ici, et je tente d’écouter malgré mes pensées noires et mes inquiétudes, bien que je sente que cette solitude me fait du bien. Valentine se repose tranquillement sur mes genoux en attendant, et tend l’oreille, s’agite un peu en entendant la musique reprendre…

Quelques changements sont effectués sur la scène avant l’arrivée du prochain chanteur, et j’en profite pour savourer mon verre d’alcool tranquillement. La famille, c’est bien, mais parfois, la présence de Liza me pèse carrément. Je l’adore, mais elle est lourde, parfois. Je n’ai plus eu le temps de réfléchir à moi-même depuis un certain temps, et il serait temps que je m’affole pour cette histoire d’Elite Enolianne. Je pense à demander conseil à un des membres de cette Elite, qui pourrait me convaincre dans mon choix. Enfin. Tandis que je continue de boire, une voix masculine m’interpelle en pleine gorgée. Les yeux encore fixés sur la scène, je ne me retourne pas encore vers l’homme qui m’a abordé, et ne me doute pas une seconde à qui j’ai affaire. Son interrogation me fait légèrement glousser, et je repose mon verre sur le bar, tandis que l’autre commande la même chose que moi.

« Meh, on voit que tu viens pas souvent dans le coin, toi! Si Paramore descendait dans ce bar, tu parles qu’il y aurait au moins 5 fois plus de peuple! »

Mais il a bien raison en disant que c’est surprenant de voir autant de monde venit incognito dans le coin, pour chanter chacun leur tour. C’est plutôt sympa. Je fais donc volte-face vers mon interlocuteur, et arque un sourcil. Lui c’est… eh, mais c’est lui! Le type de l’an dernier… le gars de Nuva-Eja! C’était quoi son nom, déjà? Jimmy? Non, c’était Aldo. Ou Charles-Edouard, je sais plus. Ah, non, je sais!

« Eh mais… mais… on se connaît! T’es… Johnny! Ou John? Mais oui, le gamin au Stalgamin! Mais t’as grandi, mon pote, tu bois du Gin Tonic! Tu vas bientôt être canon, si ça continue! »

Je ricane, en congratulant le jeune homme de plusieurs tapes dans le dos. Il y a peut-être quelques moqueries dans mes paroles, mais rien qui se veuille méchant ou rabaissant. J’ai envie de lui parler de Marilyn, de lui dire à quel point il est devenu doué et fort, mais autre chose me préoccupe alors.

« Ça va? T’as l’air un peu à côté de tes pompes… »

Et alors, une chanson est diffusée dans le bar, qui me fait tourner derechef la tête. Les paroles ne me touchant pas immédiatement, ou plutôt, elles finissent par me mettre mal à l’aise. Même moi, je peux comprendre à quelle encontre vont ses paroles.  C’est une jeune femme qui les chante, elle est probablement moins âgée que moi. Elle est jolie, et sa voix est belle et juste, réclame le silence à l’intérieur du bar. Un silence un peu craintif face à ces paroles, qui dénoncent le Régime Enolian pour ceux qui l’ont compris. A Zazambes, j’ai déjà entendu ce genre de chanson à la volonté libératrice, le Régime y est moins présent. Mais ici, à Amanil… Il faut du courage et de l’insouciance pour chanter de telles choses. Ce n’est pas mon problème, je désire en rester loin. Et bien que ces paroles soient justes et assez subtiles, je préfère ne pas trop m’y approcher.

« Elle chante vachement bien, cette Rysa, mais… Sérieux, elle devrait être plus prudente. »

Dis-je en m’adressant à mon voisin en buvant une nouvelle gorgée, surveillant autour de moi de manière un peu fébrile. J’ai pas vraiment envie de me retrouver entre trois Régimeux qui débarqueraient à l’improviste. Aussi, je n’ose pas applaudir, de peur d’être prise pour une partisane et dénoncée. Je veux rester sans accroches. Je sais bien que la présence de mon cousin dans le Régime pourra me permettre de ne pas avoir trop de problèmes, mais je ne peux pas toujours m’en remettre à lui.Néanmoins, pour le côté purement musical et le talent de la jeune femme apparent, je lui envoie un regard d’encouragement tout de même teinté d’inquiétude.

La tension se généralise dans le bar. Les gens échangent quelques regards, certains partent. Je me mords la lèvre, un peu désolée pour la jeune femme accrochée à son micro, là-bas, plus loin sur la scène. Elle-même semble troublée par les réactions qui prennent placer dans le bar, et je peux la comprendre. Mais les gens venus chercher l’agrément ici ne veulent pas se retrouver complices de loin ou de près de telles paroles, j’imagine. Probablement que comme dit John, cette jeune femme est probablement insouciante, naïve encore. Cela n’empêche qu’en dehors de ce que ceux désirant rester neutres et qui ont fui le bar pour éviter des ennuis, j’ai véritablement apprécié la chanson de Rysa. Elle a un sens musical indéniable, et une voix belle et juste, même si ce n’est pas exactement mon style de musique, j’ai apprécié de l’écouter, et continue de la fixer, encourageante. J’aimerais qu’elle continue de chanter. Peut-être est-elle insouciante, mais elle a bien le droit de chanter ce qu’elle veut si elle est prête à en assumer les conséquences. Et peut-être que nous nous méprenons, peut-être est-elle très consciente de ce qu’elle fait. Dans tous les cas, je suis là pour la musique pour ma part. Rysa se prépare à chanter de nouveau, et heureuse qu’elle ne se dégonfle pas, je me retourne vers le garçon à la mine mélancolique.

« …Ah, ou-ouais, merci! J’suis contente de cette année! Mais y m'reste encore Monsieur Image! Si tu veux, j't'obtiendrais un billet. Tu vas réaffronter Méphisto, toi? »

J’ai énormément avancé, mais j’ai déjà assez fait le tour de la question. Je ricane comme une andouille, flattée. Puis, une nouvelle chanson débute, plus entrainante que la précédente, et je me dandine un peu sur ma chaise au rythme de la musique. Malgré la mine peu réjouie de John et l’ambiance du bar un peu plombée par la première chanson de la jeune femme, je me sens tout d’un coup l’envie de danser. Je pose une main sur cette de Johnny, enthousiaste.

« Hey, dude, arrêtes de tirer la tronche! On danse un peu? Tu me raconteras tes petites histoires de cœur ensuite! »

Personne ne danse, mais ça remettra un peu d’ambiance dans le coin, car c’est devenu morose. C’est une chanson sur Paris, ils peuvent se détendre, maintenant. Paris, c’est cool, c’est la ville de naissance de ma sœur, hé! Sans attendre sa réponse, je tire sur le bras de mon ami et l’entraine dans une petite danse tranquille sans exagérer le déhanchement, seulement histoire de bouger un peu, et de réchauffer un peu le reste de cette assemblée devenue un peu froide à mon gout! Quand la chanson se termine, j'encourage les gens à applaudir le talent naissant de Rysa, et lance un "cool!" au-dessus de l'assemblée. Bon, je devrais peut-être me sentir seule, mais je suis pas du genre a craindre le ridicule.

Peu à peu l’assemblée autour de nous se réchauffe, et finit par encourager la toute jeune chanteuse à continuer son ouvrage de bon cœur. Même si la première chanson les a refroidis, je crois que la sincérité de Rysa les a touché, au fond, même si ce n’est pas forcément pour le sens de sa chanson. C’est un peu dommage, je pense, mais j’imagine aussi que certains étaient venus se détendre, et pas pour se reprendre les évènements du 10 juillet en pleine tronche… Après tout, moi aussi j’étais là pour ça. Tout le monde est très frilleux et un peu parano à cause de ce qui s’est passé, après tout. Mais il faut bien se relever à un moment où à un autre. Enfin,  je ne prends parti qu’à mon propre niveau. Appelez-moi égoïste, je me fiche bien de ce qui se passe à l’échelle de l’île, et si il faut prendre un parti, je préfère être du côté des plus puissants. Bref, le moment n’est désormais plus à la morosité! John qui dansait déjà après la dernière chanson quémande un morceau qui bouge plus, et un bon son old school s’annonce par les enceintes, qui me fait sauter de joie. Tout le monde connaît les paroles, au moins le début, et commence à les chanter à tue-tête et pas vraiment en cœur. Cet enthousiasme contamine tout le bar, mais la chanson se termine malheureusement trop rapidement. Toute bonne chose à une fin, c’est ainsi! Les applaudissements, sifflements et bravos fusent à l’attention de Rysa, et je m’y adjoins avec grand plaisir, jusqu’à ce que la jeune femme se rende dans les coulisses. Waouh, ça fait du bien, de gueuler un peu! Je me demande si John en aura oublié ses histoires de cœur. Je retourne au bar retrouver mon verre et me désaltère d’une bonne gorgée alcoolisée.  Dès que John me rejoint, je compte bien recommencer notre petite conversation.

« Alors, petit Johnny, raconte-moi touuuuuut! »

Mais on dirait qu’il va peut-être échapper à la sentence pour cette fois, car voici Rysa qui nous rejoint au bar, à quelques pas. Et je n’ai pas trop envie de perdre l’occasion de lui parler un peu.

« Bon, on dirait que t’as du bol, t’y échappes… Pour le moment! »

Fis-je en me glissant vers la jeune chanteuse.

« Hello, girl, bravo! On s’est bien amusés mon pote John et moi! J’ai trouvé que tu chantais vachement bien, j’espère que je pourrais te revoir te produire! »