Ah non, là y’en a marre, quoi. C’est quoi cette espèce de tendance à la fugue, dans la famille?! Oui, bon, pas la peine de rire sarcastiquement, derrière, je sais que je suis un très mauvais exemple et puis.. Oh et puis merde, hein, pourquoi me prendre la tête avec mes propres voix immatures dans ma tête?! Vous voulez me forcer à réfléchir à mes actes, en plus?! Eh, oh, c’est des trucs de grandes personnes, tout ça. Dans l’immédiat tout ce que j’ai à faire c’est de courir après ce sale gamin qui a osé me fausser compagnie après avoir ordonné à son Mateloutre de m’asperger la tronche histoire de faire diversion… Et je rêve ou Loulou vient en plus de me faire un gros doigt avant de partir sur les pas de son dresseur? Sale bête, je lui apprendrais la politesse, moi! Heureusement que je n’ai pas peur du ridicule sinon je ne me serais pas lancé ventre à terre à la poursuite du blondinet qui vient d’emprunter une ruelle étroite… Juste assez pour que je puisse passer. Mais faudrait pas être trop gros, hein. Hein?!

« ARRÊTES-TOI ABRUTI DE GAMIN, TU VAS TE PERDRE! »

Continuais-je de lui crier en guise d’avertissement alors que je galérais à emprunter la ruelle sans me cogner aux murs comme un débile. L’autre est déjà arrivé au bout sans difficulté, c’est bien d’être un nabot dans ces conditions, hein?! Alors que je suis occupé à gueuler et à tergiverser sur la fait que c’est certain que Ludwig va encore se perdre et que comme d’habitude ce sera ma faute et gnagnagnagna , je me prend les pied dans un sac poubelle qui traine dans le coin et fait un joli vol plané avait de m’éclater contre le bitume.

« SCHLAMPEPUTAINDEBARIQUEDEBORDELFICKSCHEIZE! »

…Pourquoi les passants me regardent comme ça? Ouille… Ça fait mal aux mains. Je vais tout de même vérifier si mon cerveau ne se barre pas de mon crâne et que je n’ai pas les os des jambes dehors, mais de toute façon, comme mon cerveau est déjà assez peu utile, ça n’aurait pas changé grand-chose. Ça m’inquiétait juste pour des raison esthétiques. Essayez d’aller chercher un gamin la tronche à moitié lobotomisée, vous. Enfin. Je suis déjà plein de poussière et je me relève en grognant pour sortir dans la rue, réajustant dignement ma veste et ma chemise en explorant à ma droite puis à ma gauche.

« Prenez un ticket, mater c’est pas gratuit! »

Reniflais-je avec dédain, à l'adresse de l’attroupement qui s’était arrêté pour s’estomaquer sur ma chute. Et merde, ou est-ce que le blondinet s’est encore perdu, dans cette rue commerçante…? Fallait que ça arrive à Amanil ou les chances de croiser des collègues de travail sont les plus hautes. Je suis un peu débile, aussi.

S’il y a bien quelque chose que j’aime encore mois que les gens, l’hypocrisie, les kebabs, et les Mascaimans eh bien, c’est la répétition. Ca me donne l’impression de piétiner. Je déteste les impressions de déjà-vu qui ne ramènent que la monotonie et la routine avec elles. Et là, j’ai vraiment l’impression d’un schéma qui se répète. Oui, celui de la disparition de Ludwig au lac, même si les circonstances ne sont pas tout à fait les mêmes. Là, je l’avais oublié, et là, c’est monsieur qui s’est barré pour bouder. Pourquoi ce gamin aussi doit être lunatique?! Je sais qu’il n’est pas aidé mais enfin… Ouh. Je m’arrête net alors que j’allais enfin me remettre à courir et écarquille les yeux d’un air horrifié. Le regard pervers de cette Munna sur mon arrière train a réussi à me faire m’immobiliser quelques secondes. Je la fixe à mon tour, jusqu’à ce qu’elle croise mon regard qui pourrait presque tuer des pâquerettes, et qu’elle s’en aille rapidement mater ailleurs. Brrr. Bref. Ou en étais-je? Ah, merde, Ludwig!

C’est bien gentil, mais je ne sais pas de quel côté il est parti. Néanmoins, je crois que j’ai la solution à cette situation. Car je suis un génie! Non, en fait c’est juste que la situation du lac m’a tellement fait chier des bulles carrées que désormais je prends des précautions quand je pars me promener avec Ludwig. Et, non ,je fais pas ça car je m'inquiète pour lui, c'est pas ce que vous croyez. *insérez agacement pas crédible de tsundere ici* A savoir, j’ai toujours une de ses peluches avec moi, qu’il me suffit de faire sniffer à Elijah ou Sophie, et hop, nous partons sur la piste du gamin! Avec tout ce passage humain la chose sera peut-être peu aisée. J’appelle donc Elijah qui s’ébroue en se secouant à la sortie de sa Pokéball, et remue la queue docilement en s’asseyant devant moi. La dobermann infernale comprend vite pourquoi j’ai besoin d’elle, et s’inquiète tout de suite de la situation, après tout, elle aime beaucoup Ludwig et s’est faite une de ses gardiennes.

« Tu penses le trouver, Eli? »

La chienne noire jape d’un air affirmatif puis fait volte-face pour s’en aller d’un pas pressé vers le côté nord de la rue. J’espère qu’on ne se trompera pas. Au pire, j’enverrais également Lizbeth aux recherches… Tout ça pour un gamin de 6 ans, tout de même.

Elijah est déjà partie devant en reniflant l’atmosphère pour retrouver la piste du blondin, et j’attends nerveusement derrière. Ça vaut bien la peine de faire des efforts, hein. Enfin, je vais pas commencer à me plaindre, sinon je suis mal parti pour retrouver l’autre. Certes, c’est usant et probablement la chose la plus difficile (ça m’accable un peu de me dire ça, m’enfin, c’est pas donné à tout le monde) que j’aurais jamais à faire, mais bon, si on persiste pas, on s’en sort jamais. Ce n’est pas mon genre d’accepter quelque chose d’aussi contraignant dans ma vie, et je ne m’interroge plus sur les motivations qui m’ont fait prendre Ludwig sous ma protection. Encore une fois je mettrais sans sur le compte de mon insouciance ..et probablement un peu mon désir de faire chier le monde, et de narguer mon père en faisant mon PGM en mode « tavu komen je suis tro fort et adult raisseponzable, mintenan, lole ». J’ai encore des daddy issues, on dirait. Cette constatation me fait grincer des dents et me donne envie d’éventrer des Posipi et… Oh, tiens, un Posipi! Quand ce chapardeur profite de mon inattention pour me piquer la peluche, il se retourne pour recevoir un regard qu’il n’aurait probablement jamais voulu voir. Toute façon, c’est probablement la dernière chose qu’il verra, pauvre petite chose. Petant qu'il tremble, mon ombre s’allonge par-dessus-lui.

Veuillez patienter quelques minutes, récupération de peluche en cours.

Arhem. Elijah revient vers moi alors que je sors discrètement de la ruelle ou je fus quelques instants. D’un coup de patte, j’essuie la poussière qui s’est entassée sur la peluche. Ma Démolosse m’observe, suspicieuse, puis se remet à me guider à travers la foule après s’être remis en sens l’odeur de Ludwig. Elle semble sûre d’elle tandis que nous traversons la foule vers d’autres ruelles. Le genre de ruelle où un gosse se planque aisément. Je cherche avec application à travers la foule également, à la recherche d’un rasibus blond. Ce n’est pas là-dessus que nous tombons de suite, même si Elijah commence à japper pour m’indiquer que l’odeur de Ludwig est toute proche, mais sur un attroupement de gamin.

« Eh, t’as l’air bien fringué! T’es un gosse de riche, hein? Donnes-nous ton fric! »

Roh. Des gamins des quartiers modestes qui veulent racketter mon frangin, on aura tout vu. J’entends Ludwig gémir dans sa langue maternelle qu’il n’a rien, et que son grand frère va venir tous les taper. Hohoho! Alors, il fait la tronche mais derrière il assume pas? Ah, bravo! Bon, je ne lui dirait pas ça. Je hausse les épaules et m’approche de l’attroupement les mains dans les poches, dépassant de plusieurs têtes les gamins qui ne doivent pas avoir plus de 11 ans.

« C’est vous qu’embêtez mon petit frère? »
« Aleeeeeeeeeeex! »
« Pff! 22! On s’casse! »

Dit le leader en guidant son groupe vers la sortie de la ruelle. L’un d’eux tente de me foncer dedans par inadvertance, histoire de me tirer mon larfeuille l’air de rien. Certainement qu’il sait y faire et qu’il a pensé que je ne me rendrais compte de rien. Ma main va saisir fermement son poignet, et je secoue la tête avec un « tss tss tss », lui interdisant de me voler. Le gamin déglutit devant mon attitude menaçante puis court derrière son petit groupe sans demander son reste. Me voila donc seul avec Ludwig, qui regarde par terre d’un air coupable.

« Ils ne t’ont rien volé? »
« … »
« Tu vas bouder encore longtemps?! »
« Laisses-moi! »
« Pour que tu te perdes et que tu te fasses encore racketter? Nan. »
« … Mais pourquoi ils volent, les enfants? »
« Parce qu’ils n’ont rien, probablement. Ils sont pauvres. »

Le blondin me lance un regard préoccupé suite à mes derniers propos. Apparemment, cela le fait cogiter. Il tire une moue désolée et revient vers moi doucement afin que nous sortions de la ruelle pour continuer notre balade.

« S’ils sont pauvres, j’aurais dû leur donner des sous… Pourquoi on leur en donne pas? »
« Quand tu auras des sous, tu pourras leur en donner. Moi, je donne pas aux pauvres. »
« … Pourquoi? C’est pas gentil, ça, Alex! »

Je hausse les épaules, jugeant inutile de me justifier. Je n’ai pas besoin de ça pour me donner bonne conscience. Par contre, quand j’ai quelque chose qui me turlupine, j’essaie toujours de le régler au plus  vite. Et dans le cas présent, le plus tôt sera le mieux, même si ça fait mal.

« Hé, tu veux toujours que je te parle d’Irina? »

Y’a une espèce de sonnerie dramatique qui sonne dans ma tête, là. Genre « attention ohlalalalala on y est là, j’espère que t’es prêt tu vas souffrir ! Tu vas lui dire, tu vas.. ». Roh, mais ta gueule l’alarme, je sais ce que je fais, pas la peine de me donner cette vision d’être au bord d’un gouffre! Non, vraiment, faut vraiment qu’ils arrêtent de me mettre la musique de Strauss qu’il y a au début de 2001 : L’Odyssée de l’espace, car, même si je sais que la chose est un peu exceptionnelle.. Bon, non, en fait, c’est certainement moi qui suis en pleine panique intérieure. Si Ludwig entendait le rythme de mon cœur, il penserait certainement que je suis en pleine syncope. Ma main s’est resserrée pour ne pas trembler sur la main de mon jeune frère. Ce qu’il ne faut pas faire pour ce gamin, quand même.. J’inspire profondément pendant que Ludwig semble tergiverser, me lançant de temps à autre des regards perplexes. Après le nombre de fausses réponses que je lui ait donné par le passé, je comprend son scepticisme.

« Hm… C’est pas une blague, Alex? »

Ouaip, évidemment. Sa voix est suspicieuse, et il arque même un sourcil, ajoutant à son expression déjà renfrognée. Il est atrocement mignon comme ça, mécontent, mais on va éviter de trop le dire. Je secoue la tête en l’observant avec sérieux, l’air plutôt déterminé. Ludwig comprend que je suis sérieux, pour une fois, pince les lèvres et réfléchit encore. Sensible comme il est, il doit sentir que la chose n’est pas vraiment aisée pour moi. Nous marchons encore un peu jusqu’à se retrouver dans un petit parc du coin, un peu dépeuplé. L’atmosphère y est cependant apaisante, malgré les Skitty qui fouillent les poubelles et s’enfuient en nous voyant arriver.

« …Bon, d’accord. »

Fait le blondinet en s’asseyant sur un banc, plus sérieux que jamais. Bon, je n’ai pas intérêt à me défiler, cette fois. Ma gorge et mon estomac sont noués, et il me faut une bonne minute pour me décider à parler, sous le regard patient de Ludwig.

« Ça va, Alex? T’es tout pallot. »
« Oui, oui, t’inquiètes pas. J’ai pas assez mangé ce matin, c’est pour ça. »

Tu parles. J’ai toujours cette nausée quand il me faut parler de tout ça. Mais c’est bien moins pire qu’avant, je dois bien le dire. Je m’éclaircis la gorge. Allez, Alexander, que diable, arrêtes le drama et parles à ton petit frère. Enfin, c’est aussi qu’il faut trouver les mots.

« Bon, alors… Comment te dire ça. Irina, elle est plus avec nous, elle est partie dans un autre monde que le notre. »
« Pourquoi…? Comment elle est partie? »
« Euhm.. Mais, si tu veux la voir, elle pourra te rendre visite. »
« Hm… Me rendre visite? Mais si elle est pas là, comment elle peut me rendre visite? »
« Alors, en fait… Euh. A moi, elle me rend visite de temps en temps, c’est comme si elle était vraiment là. Tu peux lui parler, si tu veux, elle te répondra. »
« Mais, si elle peut plus être avec nous, comment est-ce que je pourrais lui parler? »

Même si il est extrêmement attentif en ce moment, Ludwig ne semble pas comprendre grand-chose de ce que je lui avance. C’est pas vraiment facile. Puis, c’est aussi ma faute de ne pas avoir assez de couilles pour lui annoncer qu’Irina est morte. Probablement car me l’avouer à moi-même est difficile. Oui, encore.

« Je crois que tu comprendras quand tu la verras un jour. Si tu désires la rencontrer, il te suffit de penser fort à elle, et peut-être qu’elle apparaîtra. »
« Il faut que je sois sage? »
« Hm… Euh, non, Irina c’est pas le père Noël. Contrairement à lui, elle existe. »
« Quoi?! Mais le Père Noël il existe, d’abbord!! »
« Euh—Oups! Si tu le dis! Enfin, pour Irina… Tu sais, moi je suis pas vraiment sage et elle vient quand même me voir. »
« C’est vrai que tu fais que des bêtises! »
« Bah, oui, mais Irina elle est comme ça. »
« Comme ça? Comme ça quoi? »
« Même si elle n’est pas vraiment là, elle t’aime beaucoup, ça, je peux le sentir quand je lui parle. Donc que tu sois sage ou pas, pour elle, ça ne change rien. Elle t’aime juste comme tu es. »

Au fur et à mesure que la conversation progresse, le visage de mon jeune frère s’éclaire. Certainement que toutes ces explications ont nourri son imagination fertile d’enfant. Et à le voir ainsi, il me prend de sourire également. Ce n’était pas si difficile, et je crois que je me suis soulagé d’un poids. Ludwig semble ravi d’en avoir appris plus sur sa grande sœur, et ces explications semblent lui suffire pour le moment. Ouf!

« Et, Ludwig? »
« Mh? »
« Si tu vois Irina, ne le dis pas aux autres, d’accord? »
« Pourquoi? »
« C’est un secret. Les autres ne peuvent pas voir Irina, ils ne comprendraient pas. »

Les enfants aiment les secrets, je crois. Ludwig sourit de plus belle, bien content de partager un secret avec son grand-frère, je crois. Bon, une bonne chose de faite, et des interrogations gênantes en moins à répondre! Je consulte ma montre, réalisant qu’avec tout ça, Ludwig a séché sa matinée d’école. Bon, les instits étaient prévenus. Pendant que le blondinet s’accroche à moi pour quémander un câlin que je suis trop gêné pour lui donner dans l’immédiat, comme nous sommes à l’extérieur, je cogite. Bah, à ce rythme, on peut bien prendre la journée, nan? Fuck la police.